MICHALIS MAKROPOULOS : L'ARBRE DE JUDAS. TRAHISON.
Service de presse.
Quand on parle de littérature noire du côté de la Grèce, on pense immédiatement à Petros Markaris qui a écrit une quinzaine de romans mettant en scène le commissaire Kostas Charitos officiant du côté d'Athènes et qui avait marqué les esprits notamment avec Le Che S'Est Suicidé (Seuil 2007) et Liquidation à la grecque (Seuil 2012) où il est question de cette crise financière dramatique de 2008 entrainant le pays dans une récession douloureuse de plusieurs années. Avec Makis Malafékas, on reste dans la chaleur de la capitale en accompagnant le romancier Mikhalis Krokos qui évolue dans une atmosphère fiévreuse en côtoyant le monde de la culture mais également du tourisme que ce soit Dans Les Règles De L'Art (Asphalte 2022) pour l'un et Un Autre Eté Grec (Asphalte 2024) pour le second. Partageant sa vie entre la Suisse et La Grèce, Nicolas Verdan se lance également dans l'écriture de deux romans policiers où il est question de migration que ce soit avec Le Mur Grec (Atalante/Fusion 2022) et La Récolte des Enfants (Atalante/Fusion 2023) où l'on part à la rencontre d’Evangelos Moutzouris, un vieil agent des services secrets que l'on côtoie également du côté d'Athènes, mais également dans la région montagneuse et enneigée de l'Epire non loin de la frontière de l'Albanie et théâtre de tous les trafics. On reste dans cet espace accidenté et hivernal avec L'Arbre De Judas, bref roman noir de Michalis Makropoulos, auteur d'une vingtaine d'ouvrages, qui intégrait la collection Court de la maison d'éditions Agullo en 2023 avec Eau Noir, une dystopie mélancolique toute aussi courte se déroulant déjà dans ce cadre rural de l'Epire-Macédoine et où il est question d'un impact environnemental destructeur qui se décline autour d'un amour filial à la fois inconditionnel et rayonnant. On retrouve d'ailleurs dans L'Arbre De Judas, ce contexte mélancolique au gré du parcours d'un homme abimé par une vie qui l'a guère épargné.
Sa femme l'ayant trompé avec son associé, Ilias a tout perdu à Athènes que ce soit son affaire mais également sa place au sein du foyer familial. Et lorsque l'on a cinquante-trois ans, il n'est pas facile de refaire sa vie en Grèce, ce qui le contraint à retourner dans son village natal de Delvinaki qui se situe à proximité de la frontière avec l'Albanie. Démuni, il loge donc chez sa mère, une femme âgée qui peine à joindre les deux bouts et qui se soucie de son fils qui peine à rebondir en s'éloignant même de ses deux filles avec qui il n'a plus que des contacts téléphonique et épistolaires. Ilias promène donc son lot de désillusions au gré de ses promenades solitaires en parcourant cette contrée montagneuse de l'Epire où l'on retrouve le corps sans vie d'une jeune femme sauvagement mutilée que l'on a abandonné non loin de la route au bord de laquelle il a aperçu deux hommes du village qu'il connaît bien et dont l'un semblait sous le coup de l'émotion. Se peut-il qu'il s'agisse des meurtriers ? Ilias va bien tenter de faire la lumière sur cette affaire. Mais il va devoir faire face à l'hostilité de certains villageois et composer avec l'amitié qui se conjugue parfois avec la trahison.
L'Arbre De Judas, à la branche duquel ce disciple de Jésus Christ se serait pendu après l'avoir trahi, donne également son nom à ce roman qui s'articule autour de cet arbre au pied duquel les comptes se règlent non loin de ce village perdu de l'Epire, théâtre d'une succession d'événements tragiques qui vont bouleverser le cours tranquille d'une communauté qui s'assoupit dans la langueur du froid hivernal. Et autant vous prévenir que le dernier tiers de l'intrigue ne va pas du tout prendre la direction à laquelle l'on peut s'attendre et se révéler extrêmement singulier sans pour autant s'inscrire dans un de ces rebondissements fracassants qui balaierait tout sur son passage. Et si l'on est bien évidemment surpris par la tournure des choses, il faut admettre que Michalis Makropoulos nous donne à réfléchir quant à la posture d'un homme qui perd pied au sein d'un environnement social dans lequel il ne trouve plus sa place. Avec moins de 130 pages, le texte est court mais n'en demeure pas moins extrêmement dense en se déclinant sur un rythme tout en retenue qui s'agrège à cette ambiance rurale maussade, reflet de la désillusion d'Ilias qui s'y est retiré. Et c'est autour de la personnalité de ce cinquantenaire en bout de course, complètement démuni, que se construit l'intrigue où l'on observe les retrouvailles avec Kostas Mendis son ami d'enfance devenu commandant de police, qui fait preuve d'une solidarité sans faille, tandis que Yannogassis, malgré son âge avancé, incarne cette hostilité sourde du contrebandier cruel qui sévit dans ce périmètre de la frontière avec tous les trafics et la corruption qui en découlent. A partir de là, se met en place une intrigue sombre autour du meurtre d'une jeune femme bouleversant Ilias qui sort de sa torpeur afin de se pencher sur ce crime avec la maladresse d'un homme qui n'a rien d'un enquêteur mais qui n'est pas dépourvu de certitudes. Tout cela se décline dans une ambiance à la fois pesante et poétique que Michalis Makropoulos décline avec une simplicité qui se conjugue avec la virtuosité d'un retournement de situation remettant en cause toutes nos certitudes pour faire de L'Arbre De Judas un roman véritablement marquant, aussi bref soit-il.
Michalis Makropoulos : L'Arbre De Judas. Agullo Court 2025. Traduit du grec par Clara Nizzoli.
A lire en écoutant : To The Moon And Back de Gabriels. Album : Angels & Queens – Part II. 2023 Gabriels LLC.
Lorsque le récit paraît en 2003, il se décline sous le format d'une nouvelle que l'auteur développera avec une suite qui formeront le roman culte qu'il est désormais devenu, ce d'autant plus qu'il n'était plus disponible et qu'il était nécessaire de le dénicher chez les bouquinistes, comme si l'on exhumait un texte précieux. Mais voilà que La Confrérie Des Mutilés de Brian Evenson fait l'objet d'une nouvelle parution dans la collection Imaginaire des éditions Rivages en s'inscrivant dans le sillage de Membre Fantôme, dernier ouvrage du romancier, publié en avant-première mondiale pour les lecteurs francophones qui bénéficieront donc en primeur de la suite des enquêtes du détective privé Kline évoluant une nouvelle fois dans ce milieu de mutilés volontaires afin d'afficher leur foi et qui sont en quête d'un prophète dont il pourrait endosser le rôle, eu égard à la perte d'une de ses mains lors d'un règlement de comptes. C'est donc dans l'univers d'un hard-boiled aux connotations horrifiques que l'on
La Confrérie Des Mutilés.
Membre Fantôme
Au premier jour de l'année 1973, l'inspecteur McCoy se rend à la prison de Barlinnie pour apprendre d'un détenu qu'une jeune fille prénommée Lorna et travaillant dans un restaurant chic du centre-ville de Glasgow risquait d'être éliminée demain, sans autre précision. Néanmoins, après avoir identifié la victime potentielle qu'il ne parvient pas à joindre, le policier se rend à la gare routière où elle devrait débarquer du bus qui l'amène à son travail. Mais alors qu'il la distingue dans la foule du matin, un jeune homme surgit en exhibant un pistolet pour finalement ouvrir le feu en abattant la jeune femme avant de retourner l'arme contre lui et de s'effondrer aux pieds de McCoy qui n'a rien pu faire. Un événement qui fait les choux gras de la presse mais qui suscite des interrogations quant au mobile qui apparaît comme inexplicable. Ne se satisfaisant pas d'un pseudo "crime passionnel" McCoy et son adjoint Wattie vont enquêter dans les soubassements de la ville, malgré l'opposition de leurs supérieurs désireux de classer cette affaire où des notables semblent impliqués. Mais contre vent et marée, McCoy ne transigera pas quitte à faire appel à l'un des caïds de la ville avec qui il entretient des rapports plutôt troubles en matière de collusion. Mais que ne ferait-on pas pour un ami d'enfance ?
Lors de la tenue de festivals tels que celui des Quais Du Polar à Lyon, il y a ces moments magiques où l'on se livre à quelques considérations autour de la littérature noire avec tout ce petit monde du livre, en partageant le verre de l'amitié et en dégustant les spécialités de la région quand les restaurateurs daignent bien vouloir nous servir ce qui n'a rien d'une évidence dans la Capital des Gaules où l'accueil se révèle parfois légèrement bancal dans ce domaine. Quoiqu'il en soit, c'est l'occasion de belles rencontres comme celle avec Lionel Destremau qui a officié dans le monde de l'édition parisienne durant une vingtaine d'années avant de retourner à Bordeaux, ville de ses origines, où il dirige notamment le fameux festival Lire en Poche de Gradignan qui est le premier événement littéraire français exclusivement dédié à ce format et qui célèbre ses vingt ans d'existence. Mais outre ses activités dans les univers de l'édition et des manifestations littéraires, Lionel Destremau a publié trois recueils de poésie chez Tarabuste éditions, entreprise indépendante officiant depuis quarante ans dans la région du Centre-Val de Loire. On notera également la part active qu'il prendra à l'élaboration, durant cinq ans, de la revue de critique littéraire Prétexte qu’il a animé en collaboration avec Jean-Christophe Millois, et dans laquelle on trouve notamment quelques dossiers dédiés au mauvais genre comme Les marges du polar, littérature blanche ou noire ? C'est d'ailleurs probablement dans cette marge que s'installe Lionel Destremau publiant son premier roman noir, Gueules D'Ombre (La Manufacture de livres 2022) prenant pour cadre un pays fictif dans lequel évolue, au milieu des décombres d'une guerre sans nom, un enquêteur chargé de découvrir l'identité d'un soldat plongé dans le coma. Un récit décalé à l'image de la superbe couverture de l'ouvrage tout comme celle ornant Jusqu'à La Corde (La manufacture de livres 2023), second livre de l'auteur qui s'inscrit dans le même registre insolite de la ville fictive de Caréna. Mais c'est dans l'agglomération bien réelle de Lyon, durant les années trente, que se déroule Un Crime Dans La Peau, son troisième ouvrage que l'on peut définir comme le récit d'un fait divers au procédé narratif déconcertant puisque Lionel Destremau navigue une nouvelle fois à la marge des genres entre fiction et réalité de l'époque qu'il restitue avec une impressionnante habilité.
A l'occasion de la visite du musée des Techniques policières d'Edmond Locard à Lyon, le jeune officier de police en devenir Eric Mailly, passionné de tatouage, découvre deux ouvrages qui ont été retirés de la vente aux enchères d'une collection privée. Il s'agit notamment d'une étrange pochette ayant appartenu au médecin légiste et criminologue Jean Lacassagne qui présente la particularité d'avoir intégré dans sa reliure la peau tatoué d'un homme, ce qui en interdit toute commercialisation. En se penchant sur les origines de l'ouvrage, Eric Mailly découvre que le tatouage ornait le corps de Louis Rambert, coupable de l'effroyable double meurtre de deux personnes âgées, crime qui avait défrayé la chronique judicaire lyonnaise des années trente. Et en poursuivant ses recherches, le jeune élève de l'école de police constate avec stupeur que le complice prénommé Gustave porte le même nom que lui. Se pourrait-il qu'il s'agisse d'un de ses aïeuls ? ainsi, en se plongeant dans les archives, dont celles de la presse qui a relaté le procès, Eric Mailly va découvrir certains pans de la vie tumultueuse de Louis Rambert et de Gustave Mailly, deux vauriens qui ont fini par commettre l'irréparable. S'agit-il d'un parcours prédestiné ? Et que sont-ils devenus après avoir été condamnés ?
Service de presse.
Prague qui a inspiré Milan Kundera. Il n'en demeure pas moins que les événements tombent dans l'oubli ou demeurent méconnus à l'instar de cette opération Kamen des services de renseignement de la
République tchécoslovaque qui ont mis en place de faux passages frontaliers afin d'intercepter les femmes et les hommes qui tentaient de passer à l'Ouest durant la guerre froide. C'est autour de ce thème que s'est penché la romancière Petra Klabouchová, considérée comme la nouvelle voix du polar tchèque, en se focalisant également sur le sort réservé aux femmes incarcérées et exécutées dans l'enceinte de la prison de Pankrác et dont les corps ont été ensevelis dans des fosses communes du cimetière de Dáblice, Près Du Mur Nord, enceinte qui donne son titre à ce roman aux allures de thriller gothique s'inspirant du témoignage réel de ces prisonnières politiques.
Si les faits remontent à plus d'une cinquantaine d'année, l'Homme au cœur troué n'a rien oublié de ces opposants politiques dont les corps furent jetés dans des fosses communes du cimetière de Dáblice, au nord de Prague. On parle de centaines d'hommes mais également de femmes, d'enfants et même de nourrissons enterrés à la va-vite dans ce qui apparaît comme une décharge. Et quand bien même le registre du cimetière aurait mystérieusement disparu dans un incendie l'Homme au cœur troué est capable de se remémorer toutes les circonstances de cette purge du gouvernement communiste qui a effacé toute trace de leur existence en privant ainsi les familles d'un lieu de recueillement. Il a même constitué six dossiers concernant les bourreaux impunis afin de faire justice lui-même en les éliminant un par un. De son côté, La Soignante des Mourants s'occupe des patients d'une maison de retraite et observe des phénomènes étranges au sein de l'établissement qui convergent tous vers une vielle femme grabataire dont la raison s'est disloquée mais qui semble pourtant tourmentée par de terribles souvenirs.