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LES AUTEURS - Page 2

  • George R. Stewart: La Terre Demeure. Le poids du marteau.

    IMG_2629.jpeg« Les hommes passent, mais la Terre demeure »

     

    Il était déjà question de l’effondrement de notre civilisation en 1949, date la parution de ce texte qui fit l’objet d’une préface de John Brunner, auteur de Tous À Zanzibar (Livre de Poche 1996) grand classique de la science-fiction, qui parle ni plus ni moins d’un chef-d’œuvre. L’autre référence de poids pour La Terre Demeure de Georges R. Stewart, c’est Stephen King qui cite ce roman comme source d’inspiration pour son fameux Le Fléau (Livre de Poche 2003) dont on retrouvait d’ailleurs certains aspects dans Une Sale Grippe, nouvelle publiée en 1969 figurant dans son premier recueil Danse Macabre (Albin Michel 2024). Historien spécialiste de l’onomastique, professeur d’anglais à l’université de Californie, l’auteur a vécu longuement à San Francisco qui devient d’ailleurs le cadre principal de ce récit post apocalyptique qu’il faut impérativement redécouvrir à une époque où ce genre littéraire inspire désormais bon nombre de romanciers avec plus ou moins de bonheur. Publié la même année que 1984 (Folio 2020) de George Orwell, La Terre Demeure a connu un certain retentissement aux Etats-Unis avec une multitude d’éditions, alors qu’il est resté plutôt méconnu dans nos contrées, contrairement à son confrère britannique, et qu’il s’agit du seul de ses romans qui a fait l’objet d’une traduction en français nous permettant de découvrir ce récit relatant le parcours de quelques individus ayant survécu à une épidémie qui a décimé la majeure partie de la population aux Etats-Unis et peut-être même l’entièreté du monde.

     

    george r stewart,la terre demeure,éditions fageDans le cadre de la préparation de sa thèse, Isherwood Williams, que tout monde surnomme Ish, s’est isolé dans les hauteurs des montagnes californiennes. Mais après avoir été mordu par un serpent, il est contraint de retourner dans la cabane qu’il a louée afin d’extraire le venin de sa main déjà enflée. Désormais alité, en proie à un accès de fièvre, il reste donc cloîtré plusieurs jours avant de retourner vers la civilisation. Mais bien vite, Ish s’aperçoit qu’une maladie mystérieuse semble avoir décimé toute la population. Afin de s’en assurer, il entame une expédition en traversant l’entièreté du pays avec ce constat amer que tout s’est effondré et qu’il ne reste que quelques survivants comme lui. Avec cet effroyable constat, il retourne en Californie où il a toujours vécu, non loin du du Golden Gate Bridge qui apparaît désormais comme un monument du passé. C’est là qu’il parviendra à fonder une famille à laquelle s’agrège quelques femmes et hommes qui formeront une petite communauté qui tente de survivre tant bien que mal sur le reliquat d’un monde où il désormais nécessaire de se réinventer au rythme des aléas auxquels il faut faire face.

     

    Si dans bien des ouvrages post apocalyptiques il est question de hordes cannibales, de sectes cruelles, d’armées de zombies et parfois même de connotations surnaturelles avec la résurgence d’entités démoniaques qu’il faudrait affronter, il n’en sera rien avec La Terre Demeure qui s’articule autour du parcours de vie d’Isherwood Williams du jeune homme solitaire tel un Robinson Crusoé, dont il est d’ailleurs fait mention, au patriarche de la Tribu, cette petite communauté qu’il a fondé avec quelques compagnons d’infortune, rescapés tout comme lui de ce monde dévasté par un mal mystérieux que George R Stewart se garde bien définir l’origine ce qui aurait alourdi le texte. Et puisque son héros est alité, isolé dans cette cabane de montagne, en proie à une fièvre qui le fait délirer, nous n’aurons même pas une vision de cette civilisation qui s’effondre, hormis quelques articles de journaux qu’il parcourt lors de son retour à la bourgade où il vit, située non loin de San Francisco, en contemplant l’ampleur du désastre. Ce monde dévasté nous allons donc le découvrir en compagnie de cet homme solitaire parcourant l’ensemble du pays jusqu’à une ville de New-York complètement déserte qui l’incitera à revenir vers l’endroit où il a toujours vécu tout en contemplant une nature qui reprend ses droits en composant désormais avec l’absence de l’être humain et dont les quelques survivants deviennent acteurs avec quelques moments mémorables comme ces invasion de fourmis, puis de rats. Puis comme dans une phase transitoires on observe avec le chapitre des années fugitives l’émergence de cette famille que fonde Ish avec sa compagne Em et qui s’agrègent à ce qui deviendra la « Tribu », petite communauté qui survit littéralement sur les décombres de cette civilisation défunte. À partir de là, s’engage toute une fabuleuse réflexion sur le devenir d’une descendance et sur la transmission de ce savoir d’autrefois qu’Ish s’ingénie à vouloir transmettre et dont se gardera bien d’en dévoiler toutes les aléas. Et s’il n’est jamais véritablement question de violences et de confrontations avec quelques entités maléfiques, La Terre Demeure n’en est pas moins imprégné de connotations mythiques ce d’autant plus que le texte est entrecoupé d’inserts en italique aux intonations lyriques ou l’on se plaît à observer certains aspects de l’évolution de cet environnement terrestre en endossant le rôle d’un narrateur omniscient faisant part de ses prédictions se basant tant sur un aspect scientifique que sur une dimension spirituelle assez singulière qui fonctionne parfaitement dans le cours d’un récit chargé de symbolismes comme ce marteau qu’Ish détient et ce pont du Golden Gate Brigdge qu’il contemple tout au long de sa vie pour devenir le théâtre d’une scène finale prodigieuse. Autant dire qu’il est indispensable de découvrir La Terre Demeure qui s’inscrit, sur certains aspects, dans la même lignée que La Route (Point 2023) de Cormac McCarthy, La Peste Écarlate (Librio 2024) de Jack London, Malevil (Folio 1983) de Robert Merle, ou plus récemment de Qui Après Nous Vivrez d’Hervé Le Corre (Rivages/Noir 2024) ce qui n’est pas peu de le dire.

     

     

    George R. Stewart: La Terre Demeure (Earth Abides). Éditions Fage 2018. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jeanne Fournier-Pargoire. Préface de Juan Asensio.

    À lire en écoutant : Igor’s Theme de Tyler, The Creator. Album : Igor. 2019 Columbia Records.

  • LAURENT MAUVIGNIER : HISTOIRE DE LA NUIT. L'EFFACEMENT.

    histoires de la nuit,laurent mauvignier,les éditions de minuitCe qui est amusant avec ces auteurs et ces romancières qui s’aventurent dans les lisières du mauvais genre, ce sont les gesticulations de certains intellectuels du microcosme de la littérature blanche parisienne et des autres régions d’ailleurs, qui vont vous expliquer que celle ou celui qu’ils adulent s’inscrit dans la « grande tradition romanesque » en soulignant le caractère social du texte qui va bien au-delà du "simple" roman policier ou encore pire, du "vulgaire" thriller. Laurent Mauvignier n’échappe pas à ces effets de manche quand bien même l’auteur assume pleinement le registre dans lequel il s’inscrit puisqu’à l’occasion de la sortie de son roman Histoire De La Nuit, on remarquait sa présence en 2021 au festival Toulouse Polar du Sud où il débattait justement sur le thème de la frontière poreuse entre les différents genres littéraires en compagnie de Tiffany Tavernier qui s’est également distinguée dans un registre similaire avec L’Ami (Sabine Wespieser Editeur 2021) dont il faudra également évoquer cette intrigue singulière qui s’articule autour de la personnalité d’un tueur en série en adoptant le point de vue de son voisin qui s’est lié d’amitié avec celui qu’il côtoyait quotidiennement. Et si l'on observe une porosité dans le clivage des genres, il faut souligner que la présence de l'ancien pensionnaire de la Villa Médicis, publié au sein d'une des grandes maisons de l'édition française, n'a rien d'anodin alors que bon nombre d'attachés de presse et d'éditeurs des collections blanches rechignent encore à ce que leurs auteurs fréquentent des festivals dédiés à la littérature noire qui pourraient ternir leur réputation. On en est encore là dans un milieu littéraire qui, paradoxalement, est assez prompt à fustiger les discriminations régissant notre monde. Romancier reconnu, multi récompensé et promis à d'autres nouvelles distinctions à l'occasion de la sortie de son treizième roman, La Maison Vide (Les Editions de Minuit 2025), où l'on retrouve la richesse d'une écriture qui s'étire d'une manière singulière, Laurent Mauvignier semble se passionner pour le théâtre et le mouvement de la mise en scène qui en découle et dont on retrouve toute la quintessence dans Histoires De La Nuit au gré d'une intrigue s'étalant sur un jour et une nuit en prenant pour cadre le hameau perdu d'une région sans nom. Et si d'aventure vous prenez le temps de consulter le site de l'auteur, vous trouverez cette citation de Kafka : « Si un livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? » nous renvoyant à ce thriller magistral où l'on en prend plein la gueule.

     

    histoires de la nuit,laurent mauvignier,les éditions de minuitDu côté de La Bassée, il y a le hameau "des trois filles seules" où vit depuis toujours Bergogne, un éleveur qui a repris le domaine familial tandis que sa femme Marion travaille au sein d'une imprimerie et qu'ils élèvent leur fille Ida fréquentant le lycée de la région. Dans la maison voisine, on trouve Christine, une artiste peinte vieillissante qui a quitté Paris il y a de cela des années pour fuir l'agitation citadine en privilégiant la quiétude que lui offre cette contrée rurale. Mais il y a ces lettres anonymes que l'on dépose désormais devant sa porte, ceci depuis plusieurs semaines et qui l'incite à se rendre à la gendarmerie, accompagnée de Bergogne qui, en bon voisin, lui sert de chauffeur, pour savoir ce qu'il convient de faire. Ce n'est pourtant pas ces événements qui assombriront cette journée davantage dédiée aux préparatifs de l'anniversaire de Marion qui fête ses quarante ans. Et tandis que chacun vaque à ses occupations, il y a ces inconnus qui rôdent autour du hameau. Que peuvent-ils bien vouloir ?

     

    A une époque normée, calibrée, où la phrase doit être aussi brève que le chapitre, il convient de souligner que Laurent Mauvignier détonne radicalement dans ce marasme littéraire où l'escroquerie des grands groupes éditoriaux consiste à parier sur un pseudo manque d'intelligence des lecteurs tout en se réclamant d'un courant populaire destiné au plus grand nombre. Alors oui, il faut dompter la langue de Laurent Mauvignier, se l'accaparer et se laisser entraîner dans la sinuosité d'une longue scansion magistrale où chaque mot compte pour décortiquer par le menu détail cette journée et cette soirée sous haute tension s'étalant sur plus de 600 pages que l'on se prend à faire défiler à une allure vertigineuse, pour découvrir ce qu'il va advenir de Bergogne, Marion, Ida et Christine confrontés à la venue d'individus inquiétants qui semblent vouloir que l'on leur rendent compte de  certains événements du passé. Si la phrase s'étire dans une sorte d'outrance savoureuse, il faut bien prendre conscience qu'elle n'est pas faite pour faire joli mais qu'elle se met au service du récit avec cette sensation d'examiner la pellicule d'un long plan séquence qui survole chacun des protagonistes en captant certains aspects les plus intimes de leur vie dont les révélations vont alimenter une intrigue prenant effectivement l'allure d'un thriller se révélant paradoxalement à l'antithèse des codes d'écriture propre au genre. A partir de là, on parlera bien d'une mise en scène extrêmement travaillée qui s'articule autour de cette confrontation dont l'enjeu consiste à savoir auprès de qui elle s'adresse véritablement et qu'elles en sont les raisons qui vont nous être révélées au gré de scènes d'une impressionnante intensité qui s'inscrivent pourtant dans toute leur simplicité et, ce qui importe le plus, dans tout le réalisme de parcours de vies ordinaires qui se fissurent peu à peu à mesure que l'on progresse dans cette journée basculant dans la noirceur de la nuit pour s'achever sur une scène remarquable oscillant dans cet équilibre subtil de violence et de tragédie. Mais Histoires De La Nuit, c'est également une étude de caractère extrêmement fouillée où émerge, en côtoyant chacun des personnages, des thèmes comme la précarité des conditions rurales dans le domaine de l'agriculture avec Bergogne, le harcèlement au travail avec Marion, tandis qu'avec Christine il s'agira de prendre la mesure du rapport à l'art et de son aspect trépident auquel on peut vouloir se soustraire alors qu'avec Ida on explorera cette peur primaire qui nous habite en se diluant sur l'ensemble des protagonistes pour alimenter cette oppression qui imprègne ce roman d'une intensité remarquable dont on se réjouit de découvrir l'adaptation au cinéma pour une sortie prévue en 2026 avec Léa Mysius à la réalisation et Hafsia Herzi, Bastien Bouillon, Monica Bellucci ainsi que Benoît Magimel au casting. Ainsi, Histoires De La Nuit se révèle donc être une véritable  démonstration époustouflante de ce qui peut se faire de mieux dans le domaine du thriller où se conjugue la grâce d'une écriture onduleuse qui nous ensorcelle afin de nous entraîner dans le coeur et la beauté d'un récit d'une noirceur à la fois troublante et époustouflante qui nous laisse sans voix.


     

    Laurent Mauvignier : Histoires De La Nuit. Les Editions de Minuit 2020.

    A lire en écoutant : Suites pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach interprétées par Anne Gastinel. Album : 6 Suites Pour Violoncelle. 2008 naïve.

     

  • Benjamin Dierstein : L'Etendard Sanglant Est Levé. Faut qu'ça saigne.

    benjamin dierstein,l’étendard sanglant est levé,éditions flammarion

    Service de presse.

    Même si l'équipe marketing de la maison d'éditions hurlera de désespoir, il ne faut pas compter pouvoir entamer ce pavé de plus de 900 pages sans avoir digéré les 763 feuillets de l'ouvrage précédent, composant ce qui apparaît comme une trilogie à venir de cette fresque dantesque du déclin du règne de Giscard de la fin des années 70 à l'avènement de l'ère de Mitterand des années 80 et de l’ensemble des affaires troubles qui jalonnent cette période. Mais que l'on ne s'inquiète pas trop car avec Benjamin Dierstein, la lecture file à une allure proche de la vitesse de la lumière lorsque l'on se plonge dans Bleus, Blancs, Rouges (Flammarion 2025) paru au début de l'année 2025, en allant à la rencontre de Jackie Lienard et de Marco Paolini, deux flics novices que tout oppose, tout en croisant également la route du brigadier Jean-Louis Gouvernnec, infiltré dans les groupuscules gauchistes proches d'Action directe et du mercenaire Robert Vauthier qui fraye avec les officines de droite en montant des coups tant en Afrique que dans le milieu des nuits parisiennes. Et c'est autour de ces quatre destins que la fiction s'agrège à la succession d'événements historiques ponctuant cette époque chaotique dans un jeu habile de fiction et de réalité prenant l'allure d'une intrigue policière survoltée s'entremêlant à ce qui se révèle être une espèce de jeu de pouvoir politique cruelle où la raison d'état légitime les actions les plus infâmes. Avec une aisance assez déconcertante, le lecteur va donc retrouver tout cela dans L'Etendard Sanglant Est Levé qui, après une brève incursion en 1965, nous embarque dans ce moment de bascule entre 1980 et 1982, de la campagne présidentielle à la prise de pouvoir des socialistes en bousculant la destinée de ce quatuor de flics et de barbouze toujours en quête de ce trafiquant d'arme qui alimente tous les réseaux des groupuscules révolutionnaire qui sévissent tant en France que dans le reste du monde. 

     


    benjamin dierstein,l’étendard sanglant est levé,éditions flammarionEn janvier 1980, c'est le marasme en France qui s'enfonce dans la crise économique en disant adieu aux trente glorieuses tandis que tous les services de police sont focalisés sur la traque des membres des groupuscules révolutionnaires qui sévissent dans le pays. Désormais infiltré dans le noyau dure d'Action Directe, le brigadier Jean-Louis Gouvernnec tente d'approcher Geronimo, ce marchand d'arme formé par les libyens et qui alimente tous les réseaux terroristes d'extrême gauche. C'est Jacquie Lienard, son officier traitant au RG qui est à la manoeuvre tandis que Marco Paolini, jeune flic intrépide de la BRI, tente également de soustraire tous les renseignements possibles pour localiser et identifier le mystérieux trafiquant d'arme. Mais tandis que la campagne présidentiel bat son plein, les deux inspecteurs vont devoir également compter avec Robert Vauthier, mercenaire de son état reconverti dans le milieu de proxénétisme et qui enflamme le monde de la nuit parisienne et de la jet set avec son dancing ultra sélect servant de couverture pour ses trafics destinés à alimenter l'armée de barbouzes sévissant au Tchad afin de traquer Geronimo qui a ses entrées auprès de la dictature de Kadhafi en pleine ébullition. Mais les événements vont prendre une autre tournure lorsque le terroriste Carlos débarque en France bien décider à imposer sa loi par tous les moyens en entraînant Jacquie Lienard, Jean-Louis Gourvennec, Marco Paolini et Roger Vauthier dans un univers impitoyable de violence et de corruption qui sévit jusqu'au plus haute instance d'un état de droit qui n'en a plus que le nom. 

     

    On retourne donc au charbon avec ce quatuor d'individus écorchés vifs que l'on accompagne avec une certaine fébrilité dans cet amoncellement d'affaires troubles qui marquent cette période à la fois explosive et porteuse d'espoir, mais dont on connaît déjà l'immense déception qu'elle va engendrer par la suite avec l'avènement d'un président Mitterand à la personnalité complexe qui s'ingénie dans les manoeuvres machiavéliques accompagné en cela de son bras droit, François de Grossouvre qui apparaît tout au long de cette intrigue se révélant encore plus dantesque que la précédente. C'est dans cette atmosphère fiévreuse que Benjamin Dierstein nous entraîne au gré d'un récit d'une grande tenue qui transcende ce schéma narratif si cher à James Ellroy avec ces encarts de titres de la presse de l'époque, ces extraits d'écoutes téléphoniques et ces retranscriptions de procès-verbaux, prémisses des intrigues dans lesquelles il va mettre en scène les quatre personnages fictifs qui vont alimenter la perspective des événements historiques de cette époque foisonnante où l'on croise, outre les politiques et autres hauts fonctionnaires de police, toute une galerie de personnalité de la jet set que ce soit Alain Delon, Thierry Ardisson, Jean-Paul Belmondo, Mireille Dara, Serge Gainsbourg et Jane Birkin pour n'en citer que quelques unes. Mais avec la tuerie d'Auriol ou l'attentat de la rue Marbeuf, ce sont également des individus inquiétants qui apparaissent dans les dédales de cette fresque historique, tels que Carlos, Jean-Marc Rouillan et Nathalie Mérnigon, Pierre Debizet et Jacques Massié ainsi que la cohorte de d'individus de la pègre qui vont s'entredéchirer dans des règlements de compte explosifs donnant tout son sens à ce titre du roman, L'Etendard Sanglant Est Levé. Tout cela, Benjamin Dierstein le décline avec cette habilité qui le caractérise désormais, au rythme d'une écriture serrée d'où émerge toute cette tension permanente alimentant un texte de haute tenue que l'on s'accaparera littéralement avec une certaine fébrilité à mesure que l'on progresse dans cet ensemble d'intrigues parallèles toutes aussi passionnantes les unes que les autres tout en guettant ces instants explosifs où le récit va basculer dans un déchainement d'une violence sans égale. Et puis, il faut bien admettre que l'on demeure assez impressionné par cette capacité de l'auteur à digérer une documentation conséquente qu'il restitue avec cette aisance saisissante, dans le cours d'une fiction qui se conjugue parfaitement avec les événements historiques qui prennent un tout autre éclairage, ce d'autant plus avec l'actualité du présent où un ancien président de la République vient d'être condamné pour des faits d'association de malfaiteur en lien avec des financements libyens. Autant dire que L'Etendard Sanglant Est Levé tient donc toutes ses promesses amorcées avec le premier volume et que l'on attend avec une impatience fiévreuse, le troisième ouvrage, dont on sait déjà qu'il s'intitulera 14 Juillet et qu'il paraîtra au mois de janvier 2026. 

     

     

    Benjamin Dierstein : L'Etendard Sanglant Est Levé. Editions Flammarion 2025.

    A lire en écoutant : Traffic de Bernard Lavilliers. Album : Métamorphose. 2023 Barclay.

  • NINA PELLEGRINO : CHARLOOSE. LE BATEAU IVRE.

    nina pellegrino,charloose,editions cousu moucheService de presse.

    Pas bien certain qu’il s’agisse d’un roman noir ce qui importe finalement assez peu pour ce premier roman inclassable d’une jeune valaisanne qui semble déjà trimbaler un parcours de vie intense dont elle a eu le bon goût d’en restituer certains aspects non pas dans une énième autofiction, ce qui nous changera, mais dans ce qui apparaît comme l'éblouissante fiction d’un voyage de dingue et de paumé comme le dit si justement Hubert-Félix Thiéfaine qui s’est d’ailleurs invité dans l’une des épigraphes de l’ouvrage. Née en 1998 à Sion, Nina Pellegrino nous livre donc Charloose, contraction de la loose de ce duo improbable que forment cet homme et cette femme, tous deux patients d’un hôpital psychiatrique genevois, et de Charleville où ils s'y rendent à pied afin de découvrir la ville natale de Rimbaud qui y est enterré. Et pour les esprits chagrins jugeant ce point de départ quelque peu fantaisiste, la romancière se confiait auprès des journalistes en expliquant qu’elle s’inspirait de son propre vécu et notamment de ses troubles alimentaires, de ses addictions, de ses séjours en hôpital psychiatrique et de son obsession pour le poète maudit qui l’ont poussée à se rendre à pied sur sa tombe. Autant dire que Nina Pellegrino, ayant déjà exercé mille et un boulots, fait figure de baroudeuse qui en connaît un rayon sur la loose en abordant de manière frontale et sans fard des thèmes comme les troubles psychiatriques, l’alcoolisme, les dérives suicidaires dont elle soulève le couvercle de merde, comme elle le dit si bien, pour nous projeter dans ce superbe périple complètement déjanté au gré d’un texte parfois très drôle, ponctué d’envolées poétiques d’une force brutale et de scènes à la beauté singulière tandis que l’on parcourt ces friches industrielles de la Lorraine en quête de cette figure légendaire de la littérature que Nina Pellegrino démystifie avec aplomb.      

     

    nina pellegrino,charloose,editions cousu moucheEn Suisse, à l’hôpital psychiatrique, il suffit de contempler une boule à neige avec la mention « Ardenne » gravée sur le socle pour définir la destination de cette randonnée thérapeutique qui lui permettra de surmonter son addiction à l’alcool. Avec Bertha, sa camarade d’infortune souffrant de troubles alimentaires, ils se rendront donc à Charleville parce qu’elle vénère le poète Arthur Rimbaud dont elle veut découvrir la ville, le fleuve et bien évidemment la sépulture où elle pourra se recueillir. Ils ont assez de médocs pour deux mois et sont donc parés pour l’aventure. Mais quand on est dans la déprime, c’est toujours difficile de marcher droit. Et voilà nos deux loosers embarqués dans un périple fait de détours chaotiques et de rencontres improbables tandis qu’ils progressent tant bien que mal dans cette région du Grand Est de la France où s’élèvent, telles des cathédrales, les immenses silhouettes décharnées de ces usines désaffectées. Mais à force de détours, c’est bientôt la déche, ce d’autant plus que les thérapeutes mécontents ont fait savoir qu’ils ne s’associaient plus à cette démarche foireuse. Alors que peut-on faire dans les Ardennes quand on est deux expats suisses en rade et bientôt sans le sou ? 

     

    On dira de Charloose qu’il s’agit d’une fiction de voyage, une sorte d’Usage Du Monde sous Temesta en compagnie de deux paumés auxquels on s’attache incontestablement sans pour autant tomber dans un registre émotionnel lourdingue pour ce qui a trait aux difficultés qu’ils doivent surmonter que ce soit l’alcoolisme du narrateur dont on ignorera tout de l’identité et l’anorexie de Bertha « sa petite fée déglinguée » qui l’accompagne dans ce périple improbable. Il faut dire que l'on se laisse emporter dans le rythme de cette écriture saillante, au gré des réflexions d'un narrateur remettant en question chaque instant de ce voyage chaotique, que ce soit la mythologie construite autour de la personnalité de Rimbaud, les affres d'un sevrage qui va prendre l'eau de toute part ainsi que les étapes dans des bleds perdus au charme incertain. Le tout est entrecoupé de ces engueulades mémorables avec Bertha s'accommodant tant bien que mal des galères qui surviennent sur un chemin fait de détours surprenants et de rencontres d'hommes et de femmes aux profils ordinaires mais d'où émerge cette lueur d'une amitié qui se conjugue parfois dans des instants à la fois simples et déconcertants que Nina Pellegrino sublime dans l'âpreté de ces élans poétiques nous rappelant, à certains égards, les poèmes de William Carlos Williams bien éloigné du lyrisme d'un poète comme Rimbaud. Et c'est bien ce dont il est question en côtoyant ce couple bancal que forme le narrateur et sa camarade d'infortune en mettant à mal les illusions et les idoles qui jalonnent leur existence respective, sans jamais s'épargner ou s'apitoyer sur leur sort et sans pour autant se morfondre dans un désespoir latent, bien au contraire, puisque l'optimisme réside peut-être dans la tôle de ce van décati, incarnation de la source d'un devenir chargé d'espérance. Ainsi, Charloose se révèle donc être l’intense  déflagration d’un style inclassable mettant en évidence la superbe nouvelle voix de Nina Pellegrino, une romancière qui s'inscrit, avec ses tonalités décalées, dans le sillage d'un certain Joseph Incardona à qui elle n'a rien à envier.  

     

    Nina Pellegrino : Charloose. Editions Cousu Mouche 2025.

    A lire en écoutant : Aucun express d’Alain Bashung. Album : Fantaisie Militaire. 2014 Barclay.

  • Frédéric Paulin : Que S'Obscurcissent Le Soleil Et La Lumière. Samedi soir à Beyrouth.

    frédéric paulin,que s’obscurcissent les soleil et la terre,éditions agullo

    Service de presse.

    On ne sait plus trop quoi dire à son sujet, tant l'on a décliné de superlatifs élogieux pour encenser cette seconde trilogie trouvant sa conclusion dans la fusion des couvertures des deux précédents ouvrages où la sublime mosaïque orientale se décline désormais sur la palette des trois couleurs du drapeau du Liban tandis que le silhouette emblématique du cèdre s'imprègne d'une teinte sanguinolente lourde de sens. Avec Que S'Obscurcissent Le Soleil Et La Lumière, Frédéric Paulin achève donc de manière magistrale, cette fresque de la guerre civile du Liban qu'il entamait il y a de cela une année avec Nul Autre Ennemi Que Mon Frère (Agullo 2024) s'articulant autour des origines de ce conflit fratricide tandis que l'on en découvrait toute son ampleur dans Rares Ceux Qui Echappèrent A La Guerre (Agullo 2025) où les attentats et les prises d'otage se succèdent en prenant une dimension internationale. Pour les frileux qui n'oseraient aborder cet ensemble de textes magistrales, tant pour des raison pécuniaires que pour des motifs plus abscons de thèmes obscurs et peu compréhensibles, on signalera tout d'abord que le premier volume est désormais disponible en version poche chez Folio policier et que loin d'être ardue, Frédéric Paulin déploie une intrigue solide où les faits historiques s'entremêlent à une fiction dynamique qui nous éclaire d'une manière à la fois sobre et convaincante sur les entournures d'un conflit aux ramifications complexes. Ainsi, au terme de Que S'Obscurcissent Le Soleil Et La Lumière, on prendra la mesure des différents enjeux qui animent l'ensemble de cette région du Moyen-Orient et des conflits qui perdurent en s'inscrivant désormais dans la terrible actualité d'une autre guerre qui déciment les populations. Autant dire que la trilogie libanaise de Frédéric Paulin a valeur de document dans ce qui apparaît comme une guerre civile où seule l'amertume subsiste en résonnant comme une tragique défaite s'inscrivant dans le parcours de chacun des personnages d'un récit éblouissant.

     

    frédéric paulin,que s’obscurcissent les soleil et la terre,éditions agulloA la fin de l'année 1986, ce sont les attentats ravageant Paris qui rythment la vie du commissaire Nicolas Caillaux et de sa femme la juge d'instruction Sandra Gagliaco qui découvrent peu à peu que s'il faut retrouver rapidement les coupables pour calmer l'opinion publique, c'est désormais la raison d'état qui prévaudra sur la vérité en privilégiant l'improbable piste Abdallah afin de ménager les susceptibilités du gouvernement iranien se livrant désormais à une guerre ouverte des ambassades à laquelle la France ne compte pas céder. De son côté, le député Michel Nada ä fort à faire dans les négociations obscures pour la libération des otages français détenus depuis plusieurs années au Liban alors que Chirac et Mitterand se livrent à une course cynique pour s'en attribuer le mérite en vue des élections présidentielles de 1988. A Beyrouth, l'ancien attaché d'ambassade Philippe Kellermann constate avec amertume que la guerre reprend de plus belle avec des luttes fratricides au sein des milices chrétiennes mais également au sein des factions chiites conduisant à la formation de deux gouvernements que tout oppose. De toute manière pour Kellerman, seul compte le devenir de Zia, cette femme Chiite affiliée au Hezbollah, qui l'ensorcelle. Il n'y a donc plus d'avenir dans ce pays à feu et à sang où Dixneuf, ancien agent des service secrets, va régler ses comptes en comptant sur l'appui d'un allié inattendu. Il n’est d’ailleurs pas le seul à vouloir en finir avec toute cette folie dans une ultime déflagration de violence destructrice.

     

    Immanquablement, au terme de cette série de trois romans aux titres évocateurs, se pose la question de savoir sur quel sujet Frédéric Paulin va-t-il se pencher et sur sa capacité à faire aussi bien, si ce n'est mieux que la trilogie Benlazar et cette trilogie libanaise s'achevant dans ce qui apparaît comme un récit magistral qui vous coupe le souffle. Il faut dire que l'on a accompagné durant une année cette galerie de personnages déchirés par les événements tragiques de ce conflit qui marquent leurs vies respectives et auxquels l'on s'est attaché en dépit de cette vertigineuse perte de repère les entraînant, pour la plupart d'entre eux, dans une spirale de violence incontrôlable. Avec Que S'Obscurcissent Le Soleil Et La Lumière, on découvre donc les enjeux politiques autour des otages français détenus au Liban ainsi que les soubassements de  cette guerre des ambassades entre la France et l'Iran en lien avec l'affaire Wahid Gordji mettant en perspective les entrelacs d'un pouvoir judiciaire malmené par la raison d'état qui s'invite au sein d'une procédure complexe visant ä faire la lumière sur les véritables commanditaires de la série d'attentats à Paris, dont celui de la rue de Rennes, durant la période entre 1985 et 1986. Et c'est autour de chacun de ses personnages fictifs, qu'il soit juge, policier, diplomate ou membre des milices libanaises, que Frédéric Paulin projette ce contexte historique dans ce qui apparaît comme un agrégat vertigineux de réalité et de fiction nous permettant de saisir toute la complexité des enjeux géopolitique de cette guerre du Liban dont il nous livre toutes les bassesses en compromissions au terme d'une intrigue extrêmement sombre, chargée d'amertume. Mais l'autre enjeu de Que S'Obscurcissent Le Soleil Et La Lumière, consiste bien évidemment à connaitre le devenir de ces individus marquants et tourmentés que sont la juge Sandra Gagliaco et son compagnon le commissaire Nicolas Caillaux, l'attaché d'ambassade Phillipe Kellermann, le commandant Dixneuf, la milicienne chiite Zia al-Faqîh et son chef Abdul Rasool al-Amine ainsi que le député Michel Nada dont les destinées se fracassent dans un entrelacs de confrontations saisissantes. Tout cela se décline au gré d'un texte à la fois sobre et rythmé permettant de digérer la chaos de cette guerre du Liban que Frédéric Paulin restitue à la hauteur de ces femmes et de ces hommes qui nous marqueront à tout jamais. Un roman prodigieux.

     

    Frédéric Paulin : Que S'Obscurcissent Le Soleil Et La Lumière. Editions Agullo 2025.

    A lire en écoutant : Samedi soir à Beyrouth de Bernard Lavillier. Album : Samedi soir à Beyrouth. 2008 Barclay.