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gallmeister - Page 2

  • Craig Johnson : Tous les Démons Sont Ici. Au plus haut de cieux.

    Capture d’écran 2016-02-19 à 17.56.18.pngRecommandés pourtant chaleureusement, je n’ai jamais été particulièrement séduit par les romans de Craig Johnson mettant en scène les aventures du shérif Walt Longmire dans le comté fictif d’Absaroka au Wyoming. S’il s’agit de la série emblématique de Gallmeister, elle est pourtant loin d’être représentative du catalogue de cette maison d’éditions, car au delà du fait qu’elle se situe dans les contrées sauvages des USA, l’aspect « nature writing » est quelque peu galvaudé sur fond d’intrigues assez convenues. Mettant en scène la communauté amérindienne, l’auteur effleure le sujet d’une manière superficielle qui ne supporte pas la comparaison avec l’œuvre de Tony Hillerman. Comparaison n’est pas raison répliqueront les nombreux fans du désormais fameux shérif du Wyoming que l’on retrouve dans une série télé qui ne fait que me conforter dans mon appréciation.

     

    Néanmoins on ne peut passer à côté des piles d’ouvrages de Craig Johnson sans jeter un œil curieux et le résumé figurant sur le quatrième de couverture de Tous les Démons Sont Ici a de quoi attirer le lecteur.

     

    Ce n’est pas une sinécure pour le shérif Walt Longmire d’escorter des prisonniers au beau milieu des Bighorn Mountains, d’autant plus que parmi les détenus figure Raynaud Shade, un indien Crow considéré comme l’un des plus dangereux psychopathes des USA. Tueur d’enfants, il avoue avoir enterré l’un d’entre eux dans la région, plus précisément dans le comté d’Absaroka. Il revient donc au shérif Walt Longmire d’accompagner ce meurtrier dans une région balayée par un blizzard hostile. Mais le policier sous-estime le pouvoir de nuisance de son odieux prisonnier et l’expédition tourne mal. Au cœur des éléments déchaînés, Walt Longmire va devoir faire face à la mort et à la folie. Un périple insensé ; toujours plus haut, toujours plus loin, dans cet enfer glacé avec La Divine Comédie de Dante pour unique soutien.

     

    Tous Les Démons Sont Ici répond au titre original de l’ouvrage The Hell Is Empty pour former la tirade complète figurant dans La Tempête de Shakespeare où Ariel rapporte à Prospero les péripéties de la terrible tempête que son maître lui a commandée. Petit intermède culturel qui entre dans le cadre du roman avec l’adjoint Saizarbitoria qui tente de combler ses lacunes littéraires avec un pile d’ouvrages, dont la Divine Comédie de Dante, recommandés par les personnages récurrents de la série. Ces derniers restent d’ailleurs en marge d’un récit plutôt sombre et prenant où Walt Longmire est désormais livré à lui-même dans un décor grandiose que l’auteur parvient à mettre en valeur avec une belle maîtrise. L’hostilité de la tempête dans laquelle évolue les acteurs du roman devient à elle seule un personnage démoniaque animé d’intentions furieuses qui ne sont pas sans rappeler les éléments tumultueux de La Tempête de l’illustre dramaturge anglais.

     

    Avec Tous Les Démons Sont Ici, Craig Johnson met en scène une traque saisissante où la proie devient le prédateur avec Raynaud Shade en quête d’une rédemption meurtrière pour apaiser les voix qui hantent son esprit. Un personnage tout à la fois inquiétant et charismatique qui hante les pages de ce roman saisissant avec une alternance d’instants quasiment oniriques et d’actions percutantes à l’instar de cette tempête de feu dantesque (le mot est faible) à laquelle le shérif légendaire doit faire face. Toujours effleurée la culture amérindienne devient un prétexte permettant de mettre en scène des légendes mystérieuses avec des esprits et des fantômes que seuls le tueur psychopathe et le policier sont à même de percevoir, créant ainsi un lien tenu entre ces deux antagonistes perdus au cœur d’un territoire aussi hostile qu’étrange.

     

    Septième roman narrant les aventures du sheriff Walt Longmire, Tous Les Démons Sont Ici met en veilleuse les intrigues parallèles formant une espèce d’arche qui alimente toute la série. Cette orientation salutaire permettra au lecteur d’appréhender le récit sans avoir la nécessité de lire les ouvrages précédents en découvrant un thriller sauvage et flamboyant. Me voilà réconcilié avec Craig Johnson.

     

    Craig Johnson : Tous Les Démons Sont Ici (Hell Is Empty). Editions Gallmeister/Collection Noire 2015. Traduit de l’anglais USA par Sophie Aslanides.

    A lire en écoutant : To Bring You My Love de PJ Harvey. Album : To Bring You My Love. Universal-Island Records Ltd 1995.

  • Edward Abbey : Le Gang de la Clef à Molette. Les Pieds Nickelés du désert.

    edward abbey,le gang de la clef a molette,gallmeister,robert crumb,désert,écologieEdward Abbey c’est le chantre du désert, considéré à juste titre, comme l’un des précurseurs de la prise de conscience écologique qui s’employa à dénoncer, dans les années septantes déjà, les excès de l’industrialisation et du progrès qui mettaient à mal le fragile équilibre des contrées désertiques de l’Ouest. Une once de burlesque, un schéma narratif emprunté au roman noir et une pointe d’irrévérence sont les principaux ingrédients de cet irrespectueux road movie narrant les aventures du quatuor que forme Le Gang de la Clef à Molette.

     

    Dans le désert on rencontre parfois de drôles de personnages, comme ce toubib et sa somptueuse fiancée qui brûlent ces panneaux publicitaires afin de rétablir une certaine harmonie dans la beauté silencieuse de ces paysages désertiques. On croise également la route de ce vétéran du Vietnam hirsute, amateur de bières et d’armes à feu. Il y a aussi ce guide mormon, polygame qui rêve de faire sauter les barrages perturbant les cours d’eau des canyons qu’il sillonne en rafting. C’est au cours d’une de ces excursions que ce quatuor, aussi étrange que disparate, se rencontre pour entamer des actions de sabotages. Dégradations de machine de chantier, démontages de ponts et destructions de voies ferrées, tout est bon pour mettre à mal l’exploitation excessive des ressources dissimulées dans les sous-sols du désert. Tout cela n’est pas du goût des représentants locaux de l’ordre et de la morale étroitement liés au développement économique de la région. La traque pour mettre un terme aux activités de cette bande d’allumés sera donc sans merci.

     

    Ribouldingue, Filochard et Croquignol les Pieds Nickelés étaient trois alors que Le Gang de la Clef à Molette se compose de quatre membres, tous aussi irrévérencieux que leurs illustres prédécesseurs. Le Dr Sarvis, surnommé Doc, incarne en quelque sorte la conscience écologique du groupe tout en assurant, dans une moindre mesure, le financement des activités licencieuses des ses camarades auxquels il se joint de manière anecdotique en endossant le rôle de guetteur tout comme sa superbe compagne Bonnie Abbzug. Bien que séduisante, Bonnie est une femme forte et affirmée qui sait se faire une place au sein de la bande en s’imposant comme la personne la plus lucide et la plus raisonnée du groupe. Seldom Seen Smith, mormon en dilettante, n’a intégré de sa religion que la polygamie en mariant trois femmes. Guide occasionnel, il connaît la région comme sa poche et permet donc au groupe de déterminer les objectifs auxquels ils vont s’attaquer. Il est l’homme providentiel permettant à la bande de survivre dans ces régions hostiles. George W. Hayduke est un trublion peu concerné par la lutte écologique. En marge du système après avoir été incorporé dans les forces spéciales pour combattre au Vietnam, il n’aspire qu’à utiliser ses armes et ses explosifs, sans trop se préoccuper de la cause. Paradoxalement, il deviendra le personnage emblématique de la lutte.

     

    edward abbey,le gang de la clef a molette,gallmeister,robert crumb,désert,écologieAu travers de paysages grandioses que l’auteur dépeint avec beaucoup de précision, on suit le périple de ce groupe atypique qui met en place de manière aussi astucieuse que maladroite, ses actions pour réfréner l’implacable avancée de la civilisation. Outre l’aspect burlesque, on est rapidement séduit par le suspense de poursuites haletantes mettant en scène l’équipe de Recherches & Secours dirigée par l’évêque J.  Dudley Love. Même si le message écologique est sous-jacent c’est surtout au travers des actions rocambolesques de ce gang hors du commun que l’on découvre toute la problématique du progrès qui s’installe dans ces régions à l’équilibre si fragile. Les monstres sont des extracteurs de charbon gigantesques, des bulldozers démesurés et des trains automatisés qui ruinent l’intégrité écologique de la région.

     

    Durant tout le récit on perçoit l’amour qu’Edward Abbey éprouve pour ce désert qu’il a arpenté de long en large tout au long de sa vie. Considéré comme un classique de la littérature américaine, Le Gang de la Clef à Molette est surtout une ode à la résistance et à la désobéissance civile qui ne pouvait être illustré que par Robert Crumb, dessinateur subversif par excellence. Les illustrations somptueuses mettent en valeur les grandes scènes du roman et permettent de mettre un visage sur chacun des membres de ce groupe d’énergumènes hors normes.

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    Edward Abbey : Le Gang de la Clef à Molette. Editions Gallmeister / Nature Writing 2013. Traduit de l’anglais (USA) par Jacques Mailhos. Illustrations de Robert Crumb.

    A lire en écoutant : Turtle Blues de Big Brothers & The Holding Compagny. Album : Cheap Thrills. Columbia Records 1968.

     

     

  • BENJAMIN WHITMER : CRY FATHER. BORN IN THE USA.

    « Je vis en Amérique et en Amérique on est tout seul. L’Amérique, c’est pas un pays, c’est que du business. Alors maintenant putain payez moi ! »

    Cogan - Killing Them Softly

    Film réalisé par Andrew Dominik

     

    Capture d’écran 2015-06-14 à 20.01.36.pngLorsque Pike de Benjamin Whitmer est publié en 2012, il fait carrément figure d’intrus dans la ligne éditoriale de la maison d’édition Gallmeister essentiellement tournée vers le roman noir de type nature writing. Et on ne peut pas dire que les aventures d’un ancien truand réglant ses comptes dans les rues de Cincinatti entraient dans ses critères. Mais j’imagine qu’en détenant un texte pareil, on ne pouvait décemment pas orienter l’auteur vers une autre maison d’édition.  Pike c’est le genre de livre qu’un éditeur, un tant soit peu lucide, ne peut pas laisser filer entre ses mains. Finalement Oliver Gallmeister a contourné le problème en créant, cette année, une nouvelle collection Néo Noir dans laquelle figure Pike, ainsi que le dernier roman de l’auteur, intitulé Cry Father.

     

    On ne peut pas dire que Patterson Wells soit un homme stable et fiable. Mais depuis qu’il a perdu son fils, l’homme parcours le pays pour travailler en tant qu’élagueur sur les zones sinistrées des USA en déblayant les décombres. Entre deux chantiers, Patterson retourne du côté Denver où il cultive son mal être à coup de bitures et de souvenirs  dans une cabane isolée de la San Luis Valley. Tout pourrait être simple, s’il n’y avait pas le fils de son voisin et meilleur ami Henry qui débarque dans la région. Outre le fait d’être dealer, Junior a une sérieuse tendance à s’attirer des problèmes en provoquant des bagarres aussi brutales que sanglantes. Désormais liés par une amitié complexe, le deux hommes vont s’entraîner l’un l’autre dans une spirale d’ennuis meurtriers.

     

    Ce qu’il y a de surprenant avec les romans de Benjamin Whitmer, c’est cette espèce de spontanéité qui émane d’une écriture aussi fluide que percutante. Whitmer n’écrit pas, il respire en inspirant des mots et en expirant des phrases qui s’enchaînent les unes aux autres pour former un texte d’une cinglante perfection. Il faut bien l’admettre, l’auteur détient cette faculté peu commune de conjuguer la simplicité avec le génie, comme si tout cela coulait de source. Cette aisance innée dans l’écriture permet au lecteur de lire les romans de Benjamin Whithmer d’une traite, ce qui équivaut presque à un regret lorsque l’on achève un tel ouvrage aussi rapidement. 

     

    Capture d’écran 2015-06-14 à 20.03.09.pngCapture d’écran 2015-06-14 à 20.03.57.png

    Cry Father, tout comme Pike, aborde les problèmes d’une paternité perdue au cœur de cette Amérique en marge. Que ce soit Pike, Patterson, Henry ou Junior, ces hommes doivent faire face soit à leurs défaillances en tant que père soit à la disparition d’un fils ou d’une fille. Les démarches pour se reconstituer sont bien évidemment chaotiques et toutes empruntes d’une maladresse crasse qui font que la possibilité d’une quelconque  rédemption se résume à une lointaine illusion. Dans Cry Father, l’auteur délaisse l’aspect noir de l’intrigue pour explorer de manière plus approfondie ce thème de prédilection. Cela se traduit par les messages poignants que Patterson adresse à son fils défunt pour décrire la vacuité de sa vie actuelle.  C’est ainsi que sur une poignée de pages l’auteur parvient à décrire la situation dramatique de la Nouvelle Orléans, après l’ouragan Katerina et la raison pour laquelle son personnage principal est désormais toujours armé.

     

    Toujours dans cette même veine spontanée, le récit s’enchaine dans une succession de scènes dans lesquelles évoluent des personnages hauts en couleur qui se laissent porter par leur destinée. Il y a tout au long de l’histoire cette tension permanente enrobée d’une indolence trompeuse troublée soudainement par des éclats d’une violence aussi brutale que saisissante.

     

    Benjamin Whitmer décrit donc une Amérique chaotique qu’il se garde bien de critiquer. Natif de l’Ohio, il nous livre un point de vue de l’intérieur où il donne la parole à cette majorité silencieuse qui n’est plus représentée. Au travers du regard de l’auteur, le lecteur s’immerge au cœur d’un pays rude emprunt d’une certaine désillusion. Une vision pessimiste et apocalyptique relayée, entre autre, par les diatribes de l’animateur radio Brother Joe qui balance sur les ondes les versions paranoïaques des nouvelles du monde. Outre des personnages rugueux, cabossées par la vie, Benjamin Whitmer dépeint avec acuité les banlieues sauvages des villes industrielles sur le déclin. On y perçoit les effluves acides des polluants et les odeurs écœurantes de la charogne qui imprègnent ces zones d’habitations décaties transpercées de longues langues de bitumes rectilignes.

     

    On est donc bien loin du bien-pensant et du politiquement correct. Cry Father c’est la description d’un univers troublant et dérangeant qui fascinera les lecteurs les plus blasés. C’est la marque de fabrique sans ambages de Benjamin Whitmer.

     

    Benjamin Whitmer : Cry Father. Editions Gallmeister/Néo Noir 2015. Traduit de l’anglais (USA) par Jacques Mailhos.

    A lire en écoutant : Love is Battlefield de Raining Jane. Album : The Good Match. Raining Jane 2011.

     

  • Glendon Swarthout : Homesman. Vers un monde meilleur.

    Capture d’écran 2014-11-26 à 00.10.29.pngSurprenant et poignant, ce sont les deux qualificatifs qui me viennent à l’esprit pour dépeindre Homesman, ultime roman de Glendon Swarthout qui s’est éteint en 1992, soit quatre ans après la publication de l’ouvrage. Après avoir publié le Tireur dans une nouvelle traduction intégrale, les éditions Gallmeister font à nouveau appel à Laura Derajinski, traductrice émérite, pour nous livrer ce roman en français, ceci pour notre plus grand plaisir.

     

    Beaucoup de lâcheté et un coup du sort désigne Mary Bee Cuddy, un ancienne institutrice esseulée, pour rapatrier les quatre femmes qui, au sortir d’un impitoyable hiver qui a ravagé les Grandes Plaines, ont perdu la raison. Il faut dire qu’au milieu du XIXème siècle, la vie des colons est extrêmement dure sur cette partie de la Frontière qui n’épargnent ni les bêtes ni les hommes. La seule solution consiste donc à ramener ces femmes vers l’est afin que leur famille puisse les prendre en charge. Avec un étrange chariot aménagé pour transporter ces âmes meurtries, Marie Bee Cuddy va traverser le Territoire pour rallier le fleuve Missouri qui borde la partie civilisée des USA. Pour échapper à la pendaison, Briggs, odieux personnage voleur de concession, sera contraint, bon gré mal gré, d’escorter cet étrange convoi.

     

    Il est probable que les lecteurs resteront très longtemps marqués par le souvenir de ces quelques pages où l’auteur décrit le tragique quotidien de ces quatre familles de colons qui tentent d’exploiter une terre vierge que l’on morcelle en concession sans nom. Ce sont les loups affamés qui rôdent autour des frêles maisons de terre, la maladie qui ravage les troupeaux, les enfants qui meurent et des grossesses non désirées qui laminent le cœur de ces femmes courageuses qui ne peuvent en supporter d’avantage. Isolées, repliées sur elles-mêmes, Line, Hedda, Arabella et Gro perdent peu à peu la raison pour sombrer dans une folie muette, entrecoupée parfois de violents éclats meurtriers. Dépassés, démunis, leurs veules maris n’hésiteront pas bien longtemps à se séparer de leurs conjointes devenues désormais bien trop encombrantes.

     

    Le reste du roman tourne bien évidemment autour des deux protagonistes principaux que sont Mary Bee Cuddy et Briggs qui vont tout au long du voyage, tenter de s’apprivoiser tout en contenant les débordements de leurs quatre passagères. Mais l’on aurait tord de s’attendre à un récit convenu où deux personnages antinomiques trouvent enfin le moyen de s’entendre pour faire face aux défis qui se présentent à eux. Glendon Swarthout n’hésite pas à briser les règles pour mieux surprendre le lecteur et l’entraîner dans les tourments d’une histoire qui n’a rien de conventionnelle.

     

    De longues scènes contemplatives très visuelles sont entrecoupées de rebondissements dynamiques qui en font un roman à l’équilibre presque parfait, hormis quelques longueurs que l’on peut déplorer en fin de récit. Dans une contrée sauvage, les protagonistes du convoi maudit trouvent leur place dans une nature hostile mais respectueuse. Mais plus ils se rapprochent de la civilisation, plus ils se heurtent à l’hostilité des hommes qui ne trouvent rien d’autre à faire que de les repousser et les rejeter. En finalité le monde civilisé s’avérera bien plus cruel que le monde du Territoire et c’est peut-être l’un des grands messages que l’auteur tente de faire passer au travers des pages de ce roman.

     

    Parce qu’il fait la part belle aux femmes, on a qualifié Homesman de western féministe ce qui n’est pas vraiment adéquat car bien trop souvent le personnage de Mary Bee Cuddy se fait rabaisser par l’odieux Brigg auquel l’auteur semble vouloir lui accorder le dernier mot. Mais bien évidemment, dans un genre littéraire machiste à l’extrême, Homesman peut apparaître comme le roman qui tente de promouvoir, parfois de manière maladroite, le rôle essentiel des femmes dans la conquête de l’Ouest.

     

    Homesman a été récemment adapté au cinéma. Le film réalisé par Tommy Lee Jones qui interprète le rôle de Brigg, suit très (peut-être trop) fidèlement la trame du récit. C’est Hillary Swank qui lui donne la réplique en endossant le rôle de Mary Bee Cuddy dans une brillante interprétation pleine de sensibilité. Mais on appréciera surtout la sobriété du jeu des trois actrices qui campent les trois femmes de colon gagnées par la folie. Elles donnent ainsi toute l'intensité à ce film bien maîtrisé qui fait honneur au très bon roman de Glendon Swarthout.

     

    Glendon Swarthout : Homesman. Editions Gallmeister 2014. Traduit de l’anglais (USA) par Laura Derajinski.

    A lire en écoutant : Into the Unknown de Blackhord.  Album : A Thin Line. ABC Music/Universal 2013.

  • David Vann : Dernier Jour Sur Terre. La spirale infernale du tueur Amok.

    Capture d’écran 2014-11-04 à 00.34.57.pngDans le domaine littéraire et particulièrement en ce qui concerne le thriller, le personnage de tueur de masse que l’on nomme couramment Amok (1) dans le jargon policier, s’inscrit bien souvent, voire systématiquement, dans une trame narrative de manipulation ou de complot comme pour mieux justifier la monstruosité de ces tueries. Mais finalement, ces romanciers ne reflètent que l’incompréhension d’une société qui n’est pas en mesure d’expliquer les raisons qui poussent ces hommes, souvent très jeunes, à commettre un crime d’une telle abjection.

     

    Avec Dernier Jour Sur Terre, David Vann s’emploie à retracer le parcours d’un de ces jeunes hommes tout en mettant en perspective les affres de sa propre enfance. Il s’agit donc d’un récit qui évite toutefois tous les travers du sensationnalisme et la froideur d’un texte uniquement basé sur des faits cliniques.

     

    C’est le 14 février 2008 que Steve Kazmierczak, équipé d’un fusil et de trois pistolets automatiques, pénètre dans l’un des auditoriums de son université pour abattre cinq personnes et en blesser dix-huit avant de se donner la mort. Il avait 27 ans et était considéré comme un étudiant brillant. David Vann, lui, avait 13 ans lorsqu’il reçut en héritage les armes de son père qui venait de mettre fin à ses jours avec l’une d’entre elles. Deux trajectoires aux débuts similaires mais qui diffèrent ensuite totalement puisque l’un deviendra l’auteur d’un terrible massacre tandis que le second deviendra un romancier reconnu.

     

    Plus qu'un récit, Dernier Jour Sur Terre est un essai où David Vann relate les évènements de sa jeunesse qui auraient pu le conduire à commettre un acte similaire à celui de Steve Kazmierczak. C'est cette mise en abîme qui donne au livre une tonalité beaucoup moins froide que ce type d'ouvrage peut susciter avec une longue litanie de chiffres et de faits énumérés dans un soucis de précision qui, paradoxalement,  ne facilite pas forcément la lecture. Il n'en demeure pas moins que les souvenirs qu'évoque l'auteur font froid dans le dos, particulièrement lorsqu'il décrit ses pérégrinations dans le quartier avec l'un des fusils de son père qu'il utilise pour tirer sur des lampadaires ou pour observer ses voisins dans le viseur de la lunette de précision montée sur son arme.

     

    Pourtant on ne saurait résumer le phénomène à un simple problème de libre circulation des armes, même si cette liberté inscrite dans la constitution suscite débats et  inquiétudes que les pouvoirs politiques occultent complètement  à l'instar de ces candidats  démocrates et républicains qui n’hésitent pas à se mettre en scène avec des armes à feu lors de leurs campagnes publicitaires pour les diverses échéances électorales.

     

    Pour comprendre le parcours tragique de Steve Kazmierczak, Dernier Jour Sur Terre dresse le portrait féroce d’une Amérique en proie à une paranoïa qui ne cesse de grandir et où la démission parentale côtoie l’indigence médicale et sociale d’un pays qui a fait de la violence une icône cinématographique qui ne semble connaître aucune limite. Un cocktail détonnant qui façonne ces esprits perturbés jusqu’à ce qu’ils décompensent brutalement. Avec le témoignage des proches, l’auteur s’emploie donc à défaire le mythe qui consiste à faire passer soudainement ces individus pour des monstres, une explication simpliste qui permet ainsi de ne pas remettre en question les tares sociétales de rejet qui les façonnent pourtant petit à petit jusqu’à un dramatique point de non retour.

     

    Même s’il évoque d’autres tueries comme celles de Virginia Tech et de Columbine, on pourra reprocher à David Vann d’être peut-être trop prompt à fustiger les travers observés dans son propre pays donnant l’impression erronée que ces actes se dérouleraient exclusivement sur le territoire des USA ce qui est loin d’être exact puisque des cas similaires se sont produits dans d’autres parties du monde, notamment en Europe.

     

    En dépit de l’absence d’un contexte historique évoquant les débuts du phénomène que l’on observait déjà à la fin du 18ème siècle, Dernier Jour Sur Terre n’en demeure pas moins l’un des ouvrages les plus exhaustifs traitant du sujet des tueries de masse sans pour autant sombrer dans un sensationnalisme sordide que bon nombre de médias ne peuvent s’empêcher d’adopter afin de capter l’attention de leur public.

     

     

     

    (1) Amok provient du mot malais amuk, désignant des personnes atteintes d’une rage incontrôlable.

     

    David Vann : Dernier Jour Sur Terre. Editions Gallmeister 2014. Traduit de l’anglais (USA) par Laura Derajinski.

     

    A lire en écoutant : Mad World de Gary Jules & Michael Andrew. Album : BO Donny Darko. Enjoy/Everloving 2002.