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LES AUTEURS - Page 42

  • LAURENT PETITMANGIN : CE QU’IL FAUT DE NUIT. PERE ET FILS.

    Capture d’écran 2020-08-27 à 21.06.47.pngImmuable, la rentrée littéraire demeure toujours aussi impressionnante avec sa cohorte d’ouvrages déferlant sur les étals des librairies, avec des romanciers qui se détachent déjà du lot et sur lesquels on a tout misé afin de s’assurer le succès et s’extraire de la masse de livres qui peineront à trouver une petite place dans les rayonnages ou dans l’espace médiatique. Une nuée de romans qui sortent en même temps et des choix cornéliens pour une espèce de vente à la criée, le monde littéraire entre ainsi en pleine effervescence, en pleine hystérie à laquelle  tout le monde participent, auteurs, lecteurs, éditeurs, libraires et médias qui entament une sorte de sarabande déchaînée devenant assourdissante. On peut tout de même se réjouir de cette frénésie avec des lecteurs qui semblent avoir retrouvé le chemin des librairies pour se réapprovisionner en lecture au grand soulagement de toute la chaîne du livre qui respire enfin un peu. Et puisqu’il faut faire des choix pour amorcer cette rentrée littéraire autant sélectionner une maison d’éditions indépendante comme La Manufacture de Livres qui publie Ce Qu’il Faut De Nuit, un premier roman de Laurent Petitmangin évoquant sur moins de 200 pages la relation d’un père et de ses fils sur fond de désenchantement social, de montée de l’extrémisme et de déceptions diffuses qui laminent les coeurs. 

     

    Il est monteur de câbles à la SNCF et milite toujours au sein de sa section socialiste. Il élève seul ses deux enfant depuis que la Moman est décédée d’un cancer, après une longue agonie de trois ans. Il a encaissé le choc du mieux qu’il a pu. Mais il faut bien admettre que c’est Fus, son fils aîné qui a comblé le manque en s’occupant du Gillou, le cadet. Il observe ses enfants grandir, les rêves qui se dissolvent ou qui se concrétisent. Le football pour Fus ? les études pour Gillou ? Il voit ses deux fils devenir des hommes mais qui restent ses enfants. Une histoire d’amour qui se désagrègent avec les déceptions d’un père qui ne comprend pas. La rancoeur et le silence, un peu de lâcheté. Il voit le drame qui se dessine et les convictions qui s’effritent. Désemparé, il témoigne en parlant surtout d’amour et de ses petits riens qui changent toute une vie.

     

    Dans la brièveté du roman, on est avant tout fasciné par la capacité de Laurent Petitmangin à dresser un état des lieux complet du pays à travers la voix d’un père racontant à la première personne toute l’histoire d’un drame qui prend racine au sein de la cellule familiale qu’il forme avec ses deux fils qu’il doit élever seul. Tout en retenue, tout en pudeur, ce père nous raconte le quotidien d’une vie du côté de la Lorraine en évoquant la maladie de sa femme, le foot bien sûr, mais également la déliquescence du parti Socialiste et la séduction du Front, les écueils pour trouver un emploi dans la région, l’avenir dans les études et les formations, mais surtout l’amour qu’il porte pour ses deux enfants. Parce qu’il y a cette retenue, parce qu’il y a cette pudeur, le texte n’en est que plus poignant et regorge d’une émotion contenue que l’on appréciera jusqu’à l’épilogue bouleversant qui marquera le lecteur. C’est à partir du choix que va faire l’un de se fils que se dessine le drame sur font d’appartenance au Front et de rejet d’un père militant à gauche qui ne pourrait tolérer ce qui lui apparaît comme un affront. Et bien au-delà du conflit qui s’amorce il y a le silence et les petites lâchetés d’un homme qui ne s’épargne pas lorsqu’il évoque son comportement. On apprécie donc cette espèce de retrospective pleine d’honnêteté qui transparaît à chaque étape des circonstances de ce petit rien qui va faire basculer le destin de toute une famille et puis en écho, cette lettre d’un fils s’adressant à son père en lui témoignant tout l’amour qu’il porte en lui.

     

    Sans grandiloquence, sans scène larmoyante, Ce Qu’il Faut De Nuit est un roman qui vous foudroie dans la sobriété de mots simples qui parlent d’amour. Un récit lumineux dans la noirceur d’un fait divers qu'il faut lire impérativement.

     

    Laurent Petitmangin : Ce Qu’il Faut De Nuit. Editions La Manufacture de Livres 2020.

    A lire en écoutant : Le Faquir d’Abu Al Malik. Album : Dante. 2008 Barclay.

  • Joseph Knox : Chambre 413. Les disparus.

    editions du masque,joseph knox,chambre 413Joseph Knox est un jeune auteur britannique qui s'est rapidement imposé avec Sirènes, un premier roman policier racé aux accents hard-boiled se déroulant dans la belle ville de Manchester et mettant brillamment en scène Aiden Wait, un jeune inspecteur de police borderline. Même s'il ne révolutionnait pas le genre, on appréciait tout de même la fraîcheur d'une intrigue envoutante nous entraînant au cœur du monde de la nuit. Il faut dire que l'on se prend à aimer ce personnage qui n'hésite pas à mettre sa carrière en jeu en défiant sa hiérarchie dans un climat tendu, mais contrebalancé par ce regard corrosif que le policier jette sur ses interlocuteurs qui peuvent se montrer violents. Mais pour Aiden Wait tout cela importe peu car le policier sait encaisser les coups sans jamais vraiment céder à cette compromission qui prévaut au sein de l'institution. Ne pas faire de vague n'est donc pas vraiment l'adage de cet enquêteur atypique, vif d'esprit, qui force l'admiration en ne versant jamais dans la caricature. Autant dire que l'on se réjouit de retrouver ce personnage dans Chambre 413, second volet des enquêtes d'Aiden Wait qui végète désormais au sein de la patrouille de nuit en battant le pavé de la cité de Manchester.  

     

    L’inspecteur Aidan Wait peut s’estimer heureux car son supérieur, le superintendant Parrs, ne l’a finalement pas viré mais relégué sur une voie de garage en l'intégrant à la patrouille de nuit consistant à répondre à des appels insignifiants comme des feux de poubelle, en compagnie de Peter Sutcliffe, surnommé Sully, un collègue à la fois chevronné et acariâtre. Mais dans la chaleur suffocante d’un été comme on ne les fait plus à Manchester, les deux policiers doivent se rendre au Palace, un immense hôtel désaffecté du centre-ville. Sur place, c’est dans la chambre 413 qu’ils découvrent le corps sans vie d’un homme à l’étrange sourire figé. La première difficulté survient lorsqu’il s’agit d’identifier le cadavre. En effet, on a été jusqu’à enlever les étiquettes de ses vêtements et limer ses dents alors que ses doigts sont dépourvus d’empreintes digitales. Comme si l’homme avait souhaité se débarrasser définitivement de son identité avant de disparaître. Et quel est ce message mystérieux que l’on retrouve cousu à l’intérieur de son pantalon ? Y a-t-il seulement un sens à cette mise en scène macabre ?

     

    Dans le sillage des pérégrinations de l’inspecteur Aiden Wait, nous embarquons une nouvelle fois dans le monde interlope de la nuit à Manchester que Joseph Knox connaît bien en ayant officié comme barman avant de se lancer dans l’écriture. C’est dans cette atmosphère urbaine, rendue plus lourde avec la chaleur des nuits estivales que le policier va mener de front plusieurs enquêtes avec son coéquipier Sutty qui prend davantage d’importance que l’opus précédent. On se prend même à apprécier la dynamique qui s’instaure entre ces deux individus qui se tolèrent dans une ambiance pesante, chargée de tensions, de non-dit et d’échanges acerbes. Avec Sutty, on découvre un personnage acariâtre qui n’est pas dépourvu d’une certaine intelligence et d’une expérience professionnelle qui font de lui un policier portant un regard sans concession sur la société qui l’entoure. A certains égards on lui trouverait une certaine ressemblance avec Aiden Wait. Outre l’identification d’un cadavre, l’inspecteur Wait va également devoir enquêter sur une jeune femme victime d’un amant qui menace de diffuser des photos compromettante sur les réseaux sociaux. D’autre part, Joseph Knox lève également un voile sur le passé de son inspecteur qui doit répondre aux menaces d’un certain Bateman qui lui rappelle des souvenirs terribles de son enfance. Afin de démêler cet écheveau complexe d’intrigues qui s’entrecroisent, aux entournures parfois un brin trop alambiquées, le lecteur devra s’accrocher pour ne pas se perdre en chemin. Néanmoins on se retrouve séduit par la voix originale d’un auteur qui utilise les codes du genre sans en abuser et réussi même à surprendre le lecteur comme cette confrontation entre Aiden et Bateman, un personnage complexe qui nous fait frissonner et qui explique certaines attitudes d’un policier contraint de se frotter à son passé qu’il pensait avoir enfouit. On trouve d’ailleurs une certaine similitude entre Aiden Wait et les démarches de cet homme mystérieux, retrouvé mort dans ce singulier hôtel désaffecté, qui s’est débarrassé de son passé au propre comme au figuré.

     

    Avec Chambre 413, il est donc surtout question d’ambiance et d’atmosphère nocturne pour un polar à la fois complexe et singulier qui confirme le talent de Joseph Knox parvenant, sans renouveler le genre, à surprendre le lecteur avec un texte qui se joue des codes du roman policier, ceci pour être plus grand plaisir.



     

    Joseph Knox : Chambre 413. Editions du Masque 2019. Traduit de l'anglais (Grande-Bretagne) par Fabienne Gondrand.

     

    A lire en écoutant : The Smiths : There Is A Light That Never Goes Out. Album : The Queen Is Dead. 2014 Rhino UK a division of Warner Music UK Ltd.

  • KENT WASCOM : LES NOUVEAUX HERITIERS. TABLEAUX OUBLIES.

    éditions gallmeister, les nouveaux héritiers, Kent wacsomJe ne saurais dire quelles spécificités permettraient de faire en sorte qu’un roman puisse être qualifié comme un chef—d’oeuvre mais je pense que Le Sang Des Cieux de Kent Wascom, publié en français en 2014 par la maison d’éditions Christian Bourgeois, fait partie de ces ouvrages se rapprochant le plus d’une telle définition avec cette saga de la famille Woolsack évoluant au gré des événements qui ont marqué les Etats-Unis, et plus particulièrement la période chaotique de la cession de la Louisiane en 1803 par les français qui vendirent ainsi un territoire immense qui n’a rien à voir avec la superficie de l’état actuel. On regrettera le fait que Secessia, seconde partie de cette saga se déroulant durant la période de la guerre de Sécession n’ait, pour l’heure, pas fait l’objet d’une traduction en français. Troisième volet de cette fresque historique, Les Nouveaux Héritiers se focalise sur la période se situant autour de la première guerre mondiale résonnant comme un écho autour du couple que forme Isaac Patterson et Kemper Woolsack, deux jeunes gens au tempérament bouillonnant.

     

    Eté 1914. En quête de sujets pour sa peinture, Isaac Patterson navigue autour des îles du Golfe du Mexique au large de Biloxi tout en pêchant ou en esquissant quelques dessins. Sur la plage de Deer Island, il distingue un jeune femme à l’attitude farouche qui tire à l’arc sur un fauteuil en osier. Il reconnait Kemper Woolsack qu’il a connue lorsqu’ils étaient enfants à une époque où la fillette lançait des coquillages sur tous les intrus qui s’aventuraient sur l’île. Les deux jeunes gens ne tardent pas à tomber amoureux. Mais Kemper doit constamment faire face aux tensions qui ravagent les relations entre ses deux frères Angel qui dissimule un lourd secret et Red qui est incapable de canaliser la violence qui gronde dans ses veines comme un volcan au bord de l’éruption. Afin d’échapper à ces tensions, Kemper et Isaac décident de s’éloigner du fracas des disputes incessantes pour s’installer dans un maison nichée non loin de la côte idyllique du Golfe. Mais bien plus violent que les disputes familiales, bien plus intense que les tempête qui ravagent la région, il y a le fracas de cette guerre, que l'on dit être la dernière, qui va briser leur fragile bonheur.  

     

    Il y a tout d’abord cette écriture tonitruante, ce foisonnement des mots qui se déclinent en de longues phrases bouillonnantes restituant couleurs et sentiments qui caractérisent ce texte intense, aux entournures baroques, tourbillonnant furieusement autour de la destinée d’Isaac et de Kemper, mais également autour de celle de ses frères Angel et Red, membre de cette famille Woolsack qui n’en a pas terminé avec cette violence et cette fureur qui semblent rejaillir sur cette descendance. Mais Les Nouveaux Héritiers se focalisent principalement sur Isaac Patterson dont la vie et l’oeuvre s’inspirent du peintre Walter Inglis Anderson qui se distingue avec des peintures pleines de vie et de couleurs restituant la faune et la flore du Golfe du Mexique. A l’image du peintre, Kent Wascom décline sa palette de mots pour dépeindre la grandeur et la puissance de cette région ravagée par les tempêtes mais également par la folie des hommes qui semble bien insignifiante par rapport au forces immuables qui ont façonnés les lieux depuis des temps immémoriaux. C’est ce rapport à la nature que Kent Wascom parvient à restituer avec ce jeune garçon inspiré par ce décor luxuriant qui l’entoure et qui l’exalte. De son enfance chaotique au sein d’une communauté religieuse imprégnée de croyances apocalyptiques au séjour en prison comme objecteur de conscience refusant de s’enrôler pour une guerre qui l’indiffère, on suit donc le parcours d’Isaac Patterson qui va croiser les membres de la famille Woolsack dont on découvre quelques soubresauts de leurs destins qui sont à peine esquissés à l’instar d’Angel, ce fils renié pour ses amours coupables avec d’autres hommes et qui trouve refuge en Amérique du Sud avant de revenir au pays. Pour ce qui est de l'intensité, on la retrouve bien évidemment chez Kemper Woolsack, cette femme qui se distingue par la force de son caractère lui permettant de faire face à son frère Red, homme sournois et violent, souhaitant s'emparer de l'ensemble de la fortune de leur père défunt. Tout cela nous donne un tableau riche et foisonnant qui déborde du cadre en nous entrainant dans les méandres d'une époque incertaine tandis que sévit la pandémie de la grippe espagnole qui ravage la région.

     

    Texte à la fois intense et exaltant, Les Nouveaux Héritiers confirme le talent d’un auteur dont la force de l’écriture transcende littéralement ce roman aux connotations historiques qui se diluent dans la beauté d’une région spectaculaire se déclinant dans les descriptifs somptueux d’un récit qui l’est tout autant.

     

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                              Horn Island Oil on Plywood
                              Walter Anderson

     

    Kent Wascom : Les Nouveaux Héritiers (The New Inheritors). Editions Gallmeister 2019. Traduit de l’anglais (USA) par Eric Chédaille.

     

    A lire en écoutant : Every Bird That Flies de Larkin Poe. Album : Self Made Man. 2020 Tricki-Woo Records.

  • Joseph Knox : Sirènes. La poudre aux yeux.

    Capture.PNGUn bon nombre d'auteurs britanniques ont choisi la localité où ils séjournent pour en faire le théâtre de leurs intrigues comme John Harvey avec Birmingham où évoluait l'inspecteur Charlie Resnick ou Colin Dexter avec Oxford où officiait l'inspecteur Endeavour Morse en faisant en sorte que le décor devienne aussi important que l'intrigue. Jeune auteur débutant, Joseph Knox a effectué la même démarche en situant l'action de son premier roman à Manchester où il a officié comme barman et comme libraire avant de se lancer dans l'écriture. Avec un polar aux accents "hard-boiled" l'auteur nous entraine donc dans les méandres des rues de Manchester en levant le voile sur les dessous du monde de la nuit sur fond de trafic de stupéfiant tenu par un caïd de la pègre locale que nul policier n'a été en mesure d'infiltrer. Polar rythmé au titre évocateur, Sirènes fait référence aux filles chargées de récolter l'argent des transactions s'effectuant dans les différents bars de la cité.

     

    Aiden Wait est un jeune flic dont la carrière est déjà fortement compromise. Suspendu après avoir été surpris en train de dérober des stupéfiants dans la salle des pièces à conviction, la rumeur ne va pas tarder à se répandre dans toute la ville. Mais Aiden s’en moque, entre biture et consommation de drogue, il brûle sa chandelle par les deux bouts. Pourtant le superintendant Parrs lui fait une étrange proposition. Il a besoin d’un policier aux mains sales pour infiltrer un gros réseau de trafic de drogue dirigé par Zain Carver. Il semble donc que l’inspecteur Wait fera parfaitement l’affaire pour entrer en contact avec ce truand plutôt méfiant. Mais la mission prend un autre tournure lorsque le jeune policiers se voit également confier la tâche de retrouver la fille d’un homme politique bien en vue de la ville de Manchester. Aiden Wait ne tarde pas à découvrir que la jeune femme faisait partie de l’entourage de Zain Carver qui l’utilisait comme une de ses « sirènes ». Une affaire chaotique pour un flic complètement barré qui part en vrille.

     

    Avec Sirènes on découvre l’inspecteur Aiden Wait qui possède un indéniable talent pour se fourrer dans les pires galères en le contraignent à évoluer en marge de son travail pour effectuer une mission d’agent infiltré à son corps défendant, ceci d’autant plus qu’il se retrouve à côtoyer ses pires démons que son l’alcool et la drogue. Il va de soi qu’il ne résiste que très peu à la tentation et se retrouve embringué dans une enquête sur laquelle il n’a plus de contrôle. On apprécie donc ce personnage ambivalent qui oscille entre la folie des fêtes déjantées et l’envie d’accomplir tout de même son travail de flic pour lequel il possède un certain talent avec ce regard désabusé qu’il porte sur ses collègues et ses supérieurs hiérarchiques. Pour corser le tout, Joseph Knox agrémente le texte d’un humour grinçant, un peu décalé au rythme d’une intrigue tonique où s’entremêlent une enquête de disparition et une investigation sur un trafic de drogue et dont l’ensemble se déroule sur fond de scandale politique.

     

    Autour de ce policier hors-norme, complètement déjanté, Joseph Knox nous présente toute une palette de personnages tous plus désagréables les uns que les autres qui font que l’on évolue dans un climat tendu avec en toile de fond cette atmosphère urbaine et poisseuse des bars glauques de la ville de Manchester. C’est également dans les quartiers sordides de la cité que l’on distingue des clans, de type mafieux qui se livrent une guerre sans merci pour s’emparer du marché de la drogue. Au milieu de tout cela, l’inspecteur Aiden Wait, chute à plusieurs reprises avec à la clé passages à tabacs, consommation de drogue et d’alcool et même perte de connaissance pour se retrouver allongé dans les ruelles humides de la ville. Mais quoiqu’il en soit, à l’image de ces durs à cuire, le policier se relève toujours pour affronter ses ennemis qu’il parvient à manipuler afin d'arriver à ses fins.

     

    Au gré d'une intrigue dynamique et d'un humour cinglant, Sirènes est un polar tonique qui secouera le lecteur jusqu’à la dernière ligne en faisant connaissance avec un jeune flic déjà cabossé de la vie qui n’a de cesse de se désintégrer, ceci pour notre plus grand plaisir.

     

    Joseph Knox : Sirènes. Le Livre de Poche 2019. Traduit de l'anglais (Grande-Bretagne) par Jean Esch.

    A lire en écoutant : Take Me Out de Franz Ferdinand. Album : Franz Ferdinand. 2004 Domino Recording CO Ltd.

  • COLIN NIEL : OBIA. MALEDICTION.

    Colin Niel, obia, éditions du rouergue, la série guyanaisePublié en 2018, le recueil de La Série Guyanaise, rassemble trois romans où Colin Niel met en scène le capitaine de gendarmerie André Anato affecté au département amazonien de la Guyane. Dirigeant la Section de recherches de Cayenne on découvre un officier en proie au doute alors qu’il retrouve ses racines Noirs-Marrons en débarquant sur la terre d’origine de ses parents disparus en trouvant la mort dans un accident de voiture. Premier volume de la série, Les Hamacs De Carton nous permet de prendre la pleine mesure des rites et traditions du peuple Noir-Marron, notamment durant la période de deuil, tout en découvrant le brassage de cette région métissée avec pour conséquence cette quête administrative insensée des origines permettant l’obtention de papiers d’identité français, objets de toutes les convoitises et de tous les excès. En parallèle des enquêtes qu’il dirige, André Anato, cherche à lever le voile de mystère qui entoure ses origines en interrogeant les membres de sa famille qui semble lui dissimuler certains éléments. On en saura un peu plus à la lecture du second volume, Ce Qui Reste En Forêt,qui aborde le thème de la faune et de la flore en nous immergeant au coeur de cette forêt équatoriale recouvrant la majeure partie du territoire guyanais et qui est l’objet de convoitise des orpailleurs exploitant illégalement des camps miniers en ravageant cette nature luxuriante au grand dam des scientifiques travaillant sur le terrain. Dans cet opus, le capitaine André Anato en sait un peu plus sur ses origines ainsi que sur les secrets que ses parents lui dissimulaient. Dernier ouvrage du recueil, Obia se focalise sur plusieurs thèmes que sont la jeunesse entraînée parfois dans le trafic de drogue en tant que mule ainsi que la guerre civile qui s’est déroulée au Suriname en 1986 et qui a duré près de cinq ans avec son lot de massacres poussant une partie de la population à trouver refuge en Guyane. Le titre fait référence au terme désignant le rituel d’envoûtement Noir-Marron permettant aux guerriers de faire face à leurs ennemis.

     

    colin niel,obia,éditions du rouergue,la série guyanaiseRien ne se déroule comme prévu pour Clifton Vakansie qui est désormais recherché pour le meurtre de son camarade Willy Nicolas. Tout accuse le jeune homme qui est la dernière personne à avoir été vue en compagnie de la victime. Son dernier recours : la fuite à tout prix pour rejoindre l’aéroport de Cayenne. La fuite pour l’avenir de sa petite fille Djayzie. La fuite pour son propre avenir. Traverser les rivières pour contourner les barrages de la gendarmerie, courir dans les ruelles sombres de Saint-Laurent, sa ville natale nichée au bord du fleuve Maroni, se dissimuler dans des caches improbables. Clifton sait qu’il peut y parvenir car il est sous la protection de l’obia, la magie des Noirs-Marrons qui le rend invincible. Mais il ne sait pas qu’il est traqué par deux gendarmes chevronnés qui ne lâcheront pas leur proie. Il y a tout d’abord le major Marcy, un colosse Créole qui connait la région comme sa poche et que ses collègues considèrent comme une tête brulée. Et puis il y a le capitaine Anato, un Ndjuka comme Clifton, un type étrange qui s’interroge sur la culpabilité du jeune homme. S’ensuit une poursuite impitoyable qui va faire ressurgir des événements du passé en lien avec la guerre civile du Suriname qui provoqua l’afflux de réfugiés en Guyane avec son lot de conflits avec des habitants peu désireux de faire de la place pour ces nouveaux arrivants. Ressurgit alors le souvenir de drames que l’on croyaient oubliés. Mais au Suriname, les fantômes sont avides de vengeance et les anciens du Jungle Commando reconvertis pour la plupart dans le trafic de cocaïne vont demander des comptes. Tous seront sans pitiés.

     

    A n’en pas douter, Obia marque un tournant dans la Série Guyanaise avec un opus à l’intrigue à la fois complexe et maîtrisée et cette impression que Colin Niel fait preuve d’une plus grande aisance au niveau de la narration afin de nous entraîner dans un récit qui tourne autour de la destinée de trois jeunes guyanais Clifton, Francis et Bradley dont les prénoms désignent les trois parties d’un roman époustouflant. L’intrigue se focalise donc autour de ces trois individus, incarnations d’une jeunesse sacrifiée, à l’avenir incertain qui se tourne vers le trafic de cocaïne afin de pouvoir assouvir leurs rêves et de palier la précarité de leurs proches. On ne manquera pas d’apprécier notamment la traque dont fait l’objet Clifton Vakansie, personnage poignant qui tente par tous les moyens de rallier l’aéroport de Cayenne afin d’assumer la tâche que lui ont confié des narcotrafiquants du Suriname. Au détour d’une succession de courses-poursuites dantesques et d’une tension narrative prenante, le lecteur suit le parcours de ce jeune homme désespéré qui tente d’échapper aux gendarmes qui sont à ses trousses et dont l’épilogue tragique à l’embouchure de la rivière de Cayenne, reste un des grands temps forts du récit. En contrepoint à cette traque, on retrouve bien évidemment le capitaine Anato qui s’interroge sur le mobile qui a poussé le jeune Clifton à commettre son forfait, mais également son collègue, le major Marcy, un nouveau personnage haut en couleur dont les origines Créoles font écho à celles de l’officier Ndjuka. S’instaure ainsi une dynamique de défiance et de méfiance entre deux hommes qui vont tenter de surmonter ces à priori au gré des événements qu’ils vont affronter ensemble, ceci d’autant plus qu’Anato va succomber au charme de Melissa la fille du major Marcy, autre personnage intense du roman.

     

    Obia nous permet également d’avoir une vision d’une guerre civile méconnue qui a sévit au Suriname durant plusieurs années en occasionnant son lot d’exactions commises par l’armée régulière du pays et combattue par les guérilleros des Jungle Commando. On prend ainsi la pleine mesure des traumatismes qu’ont subit les habitants incarnés par Melita Koosman, une vieille femme qui ne s’est jamais remise de cette tragédie qui a marqué sa famille. Bien documenté, Colin Niel nous en restitue ainsi les principaux événements en faisant notamment référence aux nombreuses personnes qui ont trouvé asile en Guyane avec des autorités rapidement dépassées par l’afflux de réfugiés. C’est autour de ces événements que l’auteur bâtit son intrigue policière sur fond de vengeance que le capitaine André Anato et Pierre Vacaresse, devenu détective privé, vont devoir déjouer. Là également on ne manquera pas d’apprécier les nombreux rebondissements qui jalonnent un récit extrêmement riche en tensions narratives.

     

    Dense et à la fois poignant, Obia est un somptueux roman policier intense dont la charge émotionnelle et le suspense vont subjuguer le lecteur qui sera sous le charme de ce long récit passionnant qui se lit d’une traite.

     

     

    Colin Niel : Obia. Recueil La Série Guyanaise. Editions du Rouergue Noir 2018.

    A lire en écoutant : Lado B Lado A de O Rappa. Album : Lado B Lado A. 1999 WEA International Inc.