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  • Gilles Sebhan : Cirque Mort. Normes et désordres.

    Capture d’écran 2018-05-31 à 00.05.17.png"Tous les enfants sont des hommes. Peu d'adultes le restent." C’est probablement avec cet aphorisme de Tony Duvert, auquel Gilles Sebhan a consacré deux ouvrages sur le destin de cet auteur sulfureux, que l’on peut résumer l’univers étroitement lié de ces deux écrivains dérangeants évoquant les thèmes de l’enfance au travers de la sexualité et d’une certaine forme de violence à la fois trouble et subversive. Comme un écho à cette sentence et à l’occasion de cette première incursion dans le domaine de la littérature noire, Gilles Sebhan reste donc fidèle à la thématique de l’enfance et du rapport avec l’adulte tout en délaissant les notions de sexualité pour nous livrer, avec Cirque Mort, un roman policier déroutant nous entraînant, par le biais d’une angoissante série de disparitions d’enfants, dans l’univers trouble d’une institution psychiatrique pour jeunes patients psychotiques.

     

    Un mystérieux message anonyme conduit le lieutenant Dapper vers le centre hospitalier où sont internés de jeunes mineurs névrosés. Il s’agit de l’unique indice auquel il peut se raccrocher pour retrouver son fils Théo qui a disparu depuis plusieurs semaines tout comme les deux garçons sur lesquels il enquêtait avant d’être dessaisi de l’affaire. Comme un signe annonciateur, préfigurant cette série de disparitions, peut-il y avoir un lien avec le massacre à coup de hache de tous les animaux d’un cirque installé pour Noël ? Parce qu’il ne peut se résigner, Dapper va tenter de trouver des réponses au sein de cette institution singulière en plaçant tous ses espoirs sur le témoignage d’Ilyas, un adolescent en proie à d’étranges visions qui prétend être l’ami de Théo. Névroses ou hallucinations, Dapper n’a pas le choix et va devoir se départir de toutes ses certitudes pour tenter de retrouver son fils tout en se demandant ce qui a bien pu unir Ilyas et Théo issus de deux mondes tellement différents.

     

    Si la littérature noire a souvent eu pour vocation de dénoncer par le biais du crime ou du fait divers des disfonctionnements au sein de la société, Gilles Sebhan interpelle le lecteur sur un registre quelque peu différent avec un récit dérangeant qui ne cesse de susciter le malaise notamment avec ce monde de l’enfance s’éloignant des archétypes de l’innocence, propre à cette thématique. De cette manière, l’enquête policière prend une toute autre tournure que ce à quoi l’on peut s’attendre avec une intrigue portant sur la disparition d’enfants impliquant un père désemparé à la recherce de son fils kidnappé. Car bien au-delà d’une mise en scène emprunte de suspense et de rebondissements bien maitrisés, il faut voir avec Cirque Mort toute la dimension étrange qui se dégage du rapport entre l’adulte et cet univers de l’enfance disloquée où la raison et la folie se désagrègent sur  une question de point de vue. Car tout l’enjeu réside au cœur de cette institution psychiatrique sur laquelle règne le docteur Tristan qui, tel un savant fou, façonne la personnalité de ses jeunes patients au gré de ses expérimentations issues de quelques théories obscures où la raison et la folie se déclinent en fonction des règles et des normes établies par la société et que l’on pourrait remettre en cause sur fond de grand chambardement. Dans le confinement de cet établissement, le psychiatre endosse ainsi le rôle d’arbitre, pour apparaître rapidement comme un homme dépassé, en quête de l’idéal absolu qui résiderait dans la personnalité trouble de ses petits protégés. Un constat d’autant plus effrayant que loin d’être vulnérable, un enfant perturbé tel qu’Ilyas se révèle être un patient redoutable et bien plus inquiétant qu’il n’y paraît en étant capable de se soustraire à toutes tentatives de manipulations pour parvenir à ses fins. Ainsi, au travers des investigations d’un homme vulnérable comme le lieutenant Dapper, le lecteur perçoit donc le jeu à la fois subtil et pervers des influences qu’exercent les différents protagonistes qu’il croise sur son chemin.

     

    Dans la torpeur hivernale d’une ville de province anonyme et au détour de ces évènements étranges se situant à la lisière du fantastique, Gilles Sebhan distille, au gré d’une écriture à la fois surprenante et saisissante, une atmosphère oppressante pour mettre en exergue les rapports ambigus régissant le monde de l’enfance et l’univers des adultes qui résonnent au cœur de cette intrigue policière atypique faisant ainsi de Cirque Mort un roman singulier et provoquant.

     

    Gilles Sebhan : Cirque Mort. Editions du Rouergue/Noir 2018.

    A lire en écoutant : String Quartet n° 1 de Giörgy Ligeti interprété par le Quatuor Hagen. Album : Giörgy Ligeti : String Quartets Nos 1 & 2 Ramifications. 2003 Deutsche Grammophon GmbH Berlin.

  • MICHAEL MENTION : POWER. BLACK IS BEAUTIFUL.

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    Fasciné par les serial killers, Michaël Mention a débuté sa carrière d’écrivain aux éditions Rivages avec une trilogie consacrée aux tueurs du Yorkshire, rappelant à certains égards, l’œuvre de David Peace. D’ailleurs, tout comme l’auteur britannique, Michaël Mention s’est également lancé dans l’écriture d’un roman baignant dans le milieu du football en évoquant le fameux épisode de la demi-finale de la coupe du monde de 1982 entre la France et la RFA. Mais faisant toujours preuve d’un intérêt pour les tueurs emblématiques Michaël Mention publiait également un essai, Le Fils de Sam, faisant référence au surnom de David Berkowitz, terrible tueur en série ayant sévi à New York dans les années 70. Ce n’est pas tant le fait d’avoir intégré, avec cet ouvrage, une maison d’édition dont les abonnés twitter feraient pâlir d’envie les groupes identitaires les plus extrêmes et dont la page d’un réseau social regorge de considérations et de commentaires abjects, qui déconcerte car chacun est libre de publier là où il le souhaite. Finalement le plus intriguant c’est que l’auteur revienne sur le devant de la scène avec un roman tel que Power dont le sujet tourne autour du mouvement du Black Panther Party et dont le thème de lutte contre la discrimination ne correspondait sans doute pas à la ligne éditoriale du label que j’évoquais puisqu’il est publié chez Stéphane Marsan (cofondateur des éditions Bragelonne) qui vient de lancer une nouvelle collection.

     

    21 février 1965, des coups de feu résonnent dans l’Audubon Ballroom à New-York, et Malcom X  s’effondre sur scène. Avec cet assassinat, une page se tourne pour laisser place à celles que veulent écrire Bobby Seale et Huey Newton en fondant le Black Panthers Party afin de défier, armes à la main, les autorités tout en instaurant des programmes pour venir en aide auprès d’une communauté noire complètement stigmatisée. Ce sont des milliers de membre qui s’engagent dans le mouvement au grand dam du gouvernement, enlisé dans une guerre du Vietnam qui s’éternise. Témoins de cette époque trouble où tous les coups sont permis, il y a Charlène une jeune militante dévouée à la cause et Tyrone infiltré par le FBI bien décidé à saborder le mouvement de l’intérieur. Et puis il y a Neilcet officier de police blanc baignant dans ce racisme ambiant des sixties propre à une Amérique qui plonge dans le chaos des émeutes et des règlements de compte.

     

    Davantage que la cause qu’il voudrait défendre ou mettre en lumière, on sent avec Power une véritable opportunité pour l’auteur d’aborder, par l’entremise de l’histoire méconnue du Black Panthers Party, toute la violence qui émanerait de cette période trouble sans trop vouloir s’attarder sur le volet social ou le contexte de l’époque qui ne seront évoqués que de manière bien trop superficielle. Le poids des mots, le choc des scènes violentes, à l’image de la bande son tonitruante qu’il distille tout au long du récit, Michael Mention nous entraîne dans une spirale d’événements historiques qu’il enchaîne dans ce succédané de l’œuvre d’Ellroy, notamment American Underworld, qui n’en possède toutefois pas l’envergure. Car bien que très documenté, Michaël Mention, tout à son désir de donner du rythme au récit, se perd dans une intrigue où les raccourcis hasardeux brouillent l’ensemble d’une trame historique qui devient quasiment illisible.

     

    Conversations troubles avec John Edgard Hoover, opération COINTELPRO, projets de déstabilisation, agent du FBI sans scrupule, c’est bien l’ombre du Dog qui plane sur cette première partie du roman où l’on assiste à naissance de Black Panther Party dans une mise en scène un peu laborieuse donnant l’impression de lire les extraits de fiches Wikipedia rehaussées de quelques effets de style dont ces fameuses transitions musicales qui pourraient se révéler pertinentes si l’auteur n’avait pas la fâcheuse tendance à abuser du procédé ad nauseam.

     

    En abordant la seconde partie du roman, on découvrira les personnages fictifs de Charlène, la jeune militante noire et de Tyrone, le repris de justice infiltré dans le mouvement, qui endossent tous les stéréotypes auxquels on peut s’attendre, comme la désillusion et la déchéance pour l’une ou le remord et la folie pour l’autre mais qui s’inscrivent dans la logique de l’intrigue tournant principalement autour de la prise d’assaut par le FBI, de l’appartement de Fred Hampton qui trouva la mort dans la fusillade et qui constitue un élément clé de l’histoire du Black Panther Party. On restera plus dubitatif avec le personnage grotesque de Neil, ce flic blanc modéré, basculant soudainement dans la folie meurtrière et qui semble n’être présent que pour convoquer ces meurtriers emblématiques de l’époque qui fascinent tant l’auteur mais qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’histoire du Black Panther Party. Passe encore pour Charles Manson qui vouait une haine viscérale pour le mouvement mais que vient donc faire le tueur du Zodiaque dans une intrigue consacrée à la lutte contre les discriminations raciales ?

     

    Tiraillé entre le sujet qu’il aborde, en contant l’histoire du mouvement révolutionnaire afro-américain, et cette propension à vouloir insérer tous les événements qui ont marqué la fin de cette période des sixties, Michaël Mention s’égare dans un récit touffu et sanguinolent, emprunt d’une certaine forme d’hystérie, pour nous livrer, au final, un roman sensationnaliste, clinquant et totalement superficiel.

     

    Michaël Mention : Power. Stéphane Marsan 2018.

    A lire en écoutant : Fables of Faubus de Charles Mingus. Album : Mingus Ah Um. Originally Released 1959, Sony Music Entertainment Inc 1993.