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  • MARIE-CHRISTINE HORN : 24 HEURES. COMME UNE MECANIQUE BIEN HUILEE.

    bsn press,collection uppercut,24 heures,marie-christine hornDans le domaine de la littérature noire helvétique, on appréciera la cohérence de la maison d’édition BSN Press qui est parvenue à mettre en avant des auteurs d’horizons très variés intégrant de manière plus ou moins marquée quelques notions du roman noir, voire même du roman policier en y incorporant une dimension sociale. Dès lors, dans le cadre de sa collection Uppercut, abordant la thématique du sport sous la forme d’opuscules percutants, il n’est guère étonnant de retrouver Marie-Christine Horn qui signe son retour avec 24 Heures, un bref roman à suspense évoquant le milieu de la compétition automobile en rendant ainsi un hommage détourné à son père qui fut pilote de course.

     

    Dans la vie de Hugo Walter tout est question de compétition, de trajectoire et de timing pour cet ancien coureur de F3 qui a remporté tous les championnats. Mais les défaites ont également marqué cet homme qui a dû surmonter la terrible épreuve de la perte de sa femme Line au terme d’un long combat contre la maladie. Il ne lui reste plus que sa fille Marion qui ne donne plus signe de vie après une soirée passée avec sa meilleure amie. Une disparition inquiétante qui résonne comme une course contre la montre, contre la mort. Le chronomètre est enclenché et Hugo se lance dans la compétition la plus importante de son existence. Celle qu’il ne peut pas perdre.

     

    Avec Marie-Christine Horn, la notion du bien et du mal ne saurait se répartir sur un simple mode binaire et c’est bien cette ambivalence des personnages qui confère à l’ensemble du récit une espèce d’imprévisibilité où tout peut basculer au détour d’une quête haletante. Cette ambivalence on la perçoit également au niveau de la temporalité de l’intrigue qui s’étend sur 24 Heures tout en permettant de découvrir au gré d’analepses subtiles et savamment maîtrisées les parcours de vie de Hugo Walter et de son entourage en mettant ainsi en place tous les éléments du puzzle qui nous permettra de comprendre les tenants et aboutissants de la disparition de sa fille Marion. Mais au-delà d’un récit bien réglé, aux allures de thriller qui se déroule dans la torpeur d’un paysage hivernal, il faut s’attarder à la périphérie du roman pour en apprécier l’atmosphère et les tensions qui en émergent.

     

    C’est bien évidemment l’ambiance de ces courses de côte que Marie-Christine Horn restitue parfaitement avec 24 Heures tout en implémentant quelques réflexions au travers du personnage de Line, cette femme au caractère fort qui doit se positionner dans un univers sportif plutôt viril. Mais bien au-delà de ces apparences de femme forte et d’homme déterminé, on décèle également par le prisme de l’intimité du couple que forme Line et Hugo une certaine forme d’émotion et de vulnérabilité qui transparaît notamment dans leur volonté d’avoir un enfant à n’importe quel prix.

     

    La thématique du sport, et notamment l’esprit de compétition qui en découle, devient ainsi l’enjeu de ce récit trépident où Marie-Christine Horn s’emploie à décortiquer les pressions sociales pouvant s’exercer sur un couple qui ne saurait se résigner à accepter une quelconque défaite, ceci bien au-delà des joutes sportives. En partant de ce principe, 24 Heures distille, avec cette tonalité mordante propre à la romancière, toute l’ambiguïté de la victoire à tout prix dont on découvrira la mise en abîme au terme d’un épilogue singulier à l’impact cinglant. 

     

     Marie-Christine Horn : 24 Heures. BSN Press/Collection Uppercut 2018.

    A lire en écoutant : Blue Rondo a la Turk de Dave Brubeck. Album : Time Out.  Colombia Records 1959.

  • Kent Wascom : Le Sang Des Cieux. Empire de poussière.

    kent wascom, le sang de cieux, christian bourgeois éditeur           Depuis quelques années on observe une résurgence du western, genre littéraire populaire par excellence, dont les premiers récits de conquête et de bravoure ont contribué à l’essor du rêve américain avant que ne débarquent dans les années 70, des auteurs s’ingéniant à démystifier cette épopée sanglante en révélant un contexte historique beaucoup moins glorieux. Ainsi par le biais d’une ligne éditoriale davantage orientée sur le réalisme de cette époque, on découvre avec les éditions Gallmeister des auteurs comme Glendon Swarthout (Homesman ; Le Tireur), Bruce Holbert (Animaux Solitaires) et Lance Weller (Wilderness ; Les Marches De l’Amérique) qui participent à ce que l’on désigne désormais comme étant des western crépusculaires dépeignant avec force, la douleur d’un nouveau monde qui se bâtit dans un flot de sang et fureur. Dans ce même registre, à la fois sombre, sauvage et emprunt d’une terrible brutalité, Kent Wascom  nous livre avec Le Sang Des Cieux un texte puissant, mais passé totalement inaperçu, narrant la période trouble de la cession de la Louisiane au début du XIXème siècle, un territoire qui englobait un quart des Etats-Unis actuelle en s’étendant de la Nouvelle-Orléans jusqu’au confins des états du Montana et du Dakota du nord, sur fond de spéculation foncière et de conflits féroces avec le gouvernement espagnol.

     

    En 1861 Angel Woolsack se tient sur le balcon de sa demeure de la Nouvelle-Orléans en observant l’effervescence d’un peuple prêt à en découdre en faisant sécession avec les états confédérés. Mais l’homme vieillissant n’a cure de ces velléités guerrières car il sait bien que cet enthousiasme ne durera pas et se désagrégera dans la fureur des combats à venir. Au crépuscule de sa vie il ne lui reste que l’écho furieux de ses souvenirs, d’une jeunesse tumultueuse où le jeune prédicateur endossera le rôle de bandit pour devenir fermier tout en menant des campagnes belliqueuses contre les espagnols. Une existence jalonnée de drames et de coups d’éclat sanglants où les fantômes de ceux qu’il a aimé et de ceux qu’il a honnis, hantent encore sa mémoire. Car dans le fracas de cette sarabande belliciste, Angel Woolsack, le vieil esclavagiste dévoyé, se souvient de chaque instant de cette vie dissolue.

     

    Les dés sont jetés et les jeux sont faits au détour de ce prologue somptueux où chacune des phrases savamment travaillées scellent les destins de celles et ceux qui ont composé l’entourage d’Angel Woolsack tout en enveloppant le lecteur dans l’étouffante épaisseur d’un linceul poisseux et sanguinolent au travers duquel on perçoit cette rage guerrière et cette ferveur religieuse qui a animé la destinée d’un personnage hors du commun. Ponctué de chapitres aux consonances bibliques, Kent Wascom nous entraîne, au terme de ce prologue crépusculaire, dans une longue analepse où la fiction côtoie les faits historiques pour mettre en scène l’effervescence d’un monde qui reste à conquérir. Car dans le fracas des armes, l’incertitude des combats à mener on observe la rude vie de ces pionniers évoluant dans un contexte à la fois sauvage et mystique. Dans un tel univers, c’est avec une certitude sans faille qu’il puise dans une foi inébranlable qu’Angel Woolsack va donc façonner son destin au gré de d’amitiés fraternelles et de trahisons parfois meurtrières en maniant aussi bien le Verbe que le sabre pour parvenir à ses fins en s’associant aux frères Kemper dont il empruntera le nom. Du Missouri où il officie comme prêcheur aux rives du Mississippi où il travaille comme batelier, du côté de Natchez où il devient bandit c’est finalement dans les aléas de la conquête de la Floride occidentale convoitée tour à tour par les espagnols et les colons américains qu’Angel Woolsack et les deux frères Kemper vont tenter de s’arroger quelques territoires au gré de négociations hasardeuses et de campagnes féroces permettant d’entrevoir la complexité des rapports régissant les différentes nations se disputant l’immensité des terres composant la Louisiane de l’époque.

     

    Mais au-delà de la férocité des enjeux et des conquêtes d’un pays en devenir, de cet impressionnant tableau d’une contrée sauvage qui se bâtit dans la douleur des sacrifices et la cruauté des exactions, Kent Wascom parvient à mettre en scène un récit épique emprunt de fureur mais également d’une terrible humanité que l’on distingue notamment au travers de cette relation amoureuse qu’entretiennent Angel Woolsack et Red Kate, jeune prostituée farouche qui devient épouse et mère d’un enfant mentalement déficient tout en assistant son mari dans sa soif de conquête.

     

    Il émerge du texte de Kent Wascom une force bouleversante, presque organique, où la cruauté et la violence côtoient la douleur des désillusions en accompagnant le lecteur au fil des pérégrinations de ce prêcheur mystique devenu marchand d’esclaves sans illusion, de cette jeune proie fragile basculant dans la défiance d’un redoutable prédateur vieillissant qui n’aura cesse de vouloir asservir le monde à sa portée. Le Sang Des Cieux devient ainsi la terrible parabole d’un monde en mutation qui broie les âmes vertueuses pour mettre en avant celles et ceux qui vont façonner l’Amérique de demain. Un premier livre, un tour de force, une véritable démonstration.

    Kent Wascom : Le Sang Des Cieux (The Blood Of Heaven). Christian Bourgeois éditeur 2014. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Eric Chedaille.

    A lire en écoutant : Hurt interprété par Johnny Cash. Album : American IV: The Man Comes Around. American Recording Compagny 2002.

     

  • DOMINIQUE MAISONS : TOUT LE MONDE AIME BRUCE WILLIS. AMES BRISEES.

    Service de presse.

    dominique maisons, tout le monde aime bruce willis, éditions La MartinièreA l’heure de la récente inculpation du producteur Harvey Weinstein pour harcèlements, agressions sexuelles et viols, on pouvait s’étonner de l’absence de fictions dénonçant ces comportements troubles et inquiétants se déroulant dans le milieu de l’industrie du cinéma américain. Car même si l’on a pu croiser, à de très nombreuses reprises, ce fameux personnage du «gros» producteur odieux et sans scrupule, rares sont les auteurs qui se sont penchés sur les problèmes de discrimination des genres dans l’univers cinématographique avec toute la cohorte d’abus qui en résulte, notamment vis-à-vis des actrices et des réalisatrices, ceci tous pays confondus. Parce que l’on peut considérer Hollywood comme une espèce de Mecque du cinéma, c’est donc à Los Angeles que nous suivons les tribulations de Rose, une jeune actrice «banckable», que l’on découvre dans Tout Le Monde Aime Bruce Willis, nouveau roman de Dominique Maisons.

     

    Jeune actrice adulée, Rose Century dysfonctionne de plus en plus. A bout de nerf, elle doit contenir l’appétit  financier de son producteur et les tentatives de contraintes sexuelles du réalisateur de la nouvelle série dans laquelle elle s’apprête à tourner. Du côté de la famille cela ne va guère mieux entre un père odieux et méprisant, une mère qui a reporté tous ses rêves de succès sur sa fille et le souvenir d’une sœur adorée qui s’est donnée la mort. La pression du succès, ces flashes et cette foule qui l’assaillent constamment, il ne lui reste plus que l’alcool et la coke pour tenir le coup et ne pas sombrer dans la folie, ceci d’autant plus que l’on ne cesse d’évoquer des lieux où on l’aurait croisée et des rencontres dont elle n’a pas le moindre souvenir.

     

    Trop de clichés tuent le cliché et même si l’on comprend bien que c’est sur une somme de stéréotypes que Dominique Maisons entend déconstruire le mythe hollywoodien on ne peut s’empêcher d’avoir un sentiment de déjà vu que ce soit notamment du point de vue du décorum, à l’image de la photo ornant la couverture du livre, mais également sur le plan de la construction narrative dont on peut déjà définir l’ensemble des contours au terme de la lecture de la première partie du livre. C’est d’autant plus regrettable que le roman recèle quelques scènes intéressantes comme cette mise en abîme de Rose lors de son déplacement à Paris ou les étranges démarches de Caleb, pensionnaire d’une mystérieuse communauté religieuse, retirée dans les confins du désert. Mais bien vite il faut déchanter pour constater que le récit obéit à des archétypes narratifs éprouvés, maintes fois rabâchés comme celui de la victime bafouée et démunie qui va pourtant trouver les ressources nécessaires pour pouvoir reconquérir sa place tout en faisant face aux personnes responsables de ses tourments, ceci sur fond d’une machination alambiquée très peu crédible. Et malgré une écriture alerte, teintée de quelques traits d’humours sardoniques et de quelques clins d’œil facétieux on ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine forme d’ennui et de déception à la lecture d’un roman dont on attendait probablement plus de noirceur ou davantage de folie pour s’acheminer vers un récit un peu plus déjanté ou surprenant. Mais arrivé au terme de Tout Le Monde Aime Bruce Willis, il faudra bien admettre que l’ouvrage se révèle extrêmement convenu et somme toute, plutôt frustrant.

     

    Dominique Maisons : Tout Le Monde Aime Bruce Willis. Editions de La Martinière 2018.

    A lire en écoutant : You’re Lost Little Gril de The Doors. Album : Strange Day. Elektra Records 1967.