Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Italie - Page 2

  • VALERIO VARESI : LA PENSION DE LA VIA SAFFI. AU BOUT DES EXTREMES.

    Capture d’écran 2017-04-02 à 20.43.33.pngBien plus épaisse que son manteau Montgomery, la brume semble suivre les pas du commissaire Soneri en se cramponnant aux rives mystérieuses du Pô dans Le Fleuve Des Brumes puis en s’insinuant dans les rues tortueuses de cette ville provinciale de Parme où l’on rencontre, pour la seconde fois, ce policier solitaire chargé de l’enquête du meurtre de la tenancière de La Pension De La Via Saffi. L’occasion de faire plus ample connaissance avec un personnage familier que l’on prend plaisir à retrouver et dont on va découvrir les affres d’un passé tourmenté. Ainsi, en l’espace de deux volumes, Valerio Varesi parvient à entraîner le lecteur francophone dans la jubilation de la découverte d’une nouvelle série aussi dense que prometteuse.

     

    A quelques jours de Noël, Ghitta Tavgliavini, la vieille tenancière de la pension de la via Saffi, ne répond plus. Et pour cause, on retrouve son corps sans vie, étendu dans la cuisine de son appartement. En charge de l’enquête, le commissaire Soneri parcourt les rues de la ville en mettant à jour, au fil de ses pérégrinations, tout un réseau de corruption dont les connections transitent par la pension. Mais au-delà des accointances et des compromissions, le commissaire Soneri se replonge dans les dédales troubles des souvenirs douloureux de sa jeunesse. Car c’est à la pension de la via Saffi qu’il a rencontré sa femme Ada, décédée en accouchant d’un enfant mort-né. Le brouillard trouble la mémoire mais n’atténue pas la douleur et le désir de vengeance.

     

    C’est sur une succession des portraits dressés dans l’atmosphère déliquescente d’une ville embrumée, troublée par le passé de combats idéologiques d’autrefois et dont les réminiscences n’ont de cesse de vouloir s’inviter dans un présent idéalisé que le commissaire Soneri va se charger de résoudre l’énigme que représente ce meurtre oscillant entre les mobiles crapuleux d’une constellation d’édiles corrompus ou le désir de vengeance d’hommes et de femmes en proie aux regrets lancinants et destructeurs d’une insupportable compromission.

     

    En se confrontant au passé d’une épouse disparue tragiquement, idéalisée par la somme d’un chagrin aveugle qu’il porte en lui, le commissaire Soneri va devoir remettre en question ses certitudes et s’impliquer plus qu’il ne le voudrait dans les tréfonds sordides des secrets que détenait la vieille Ghitta Tavgliavini. Montagnarde honnie par les habitants de son village d’origine, cette redoutable rebouteuse n’a eu de cesse, toute sa vie durant, de mettre en place un réseau tentaculaire, constitué de secrets d’alcôve et de biens immobiliers dont la fortune devient l’unique source de respectabilité. Une quête aussi vaine qu’inassouvie puisque la vieille dame ne fait qu’attiser rancœur et haine qui causeront sa perte. Une succession de portraits peu flatteurs mais foncièrement humains hantent ainsi les rues de cette cité rongée par la brume incarnant la nostalgie, les faux-fuyants et les regrets qui assèchent les cœurs de ses habitants. Dans un jeu de filatures nocturnes, le commissaire Soneri arpente les rues d’une ville animée par les rencontres occultes de protagonistes sournois dont les idéaux paraissent avoir été relégué aux oubliettes. L’enquête devient incertaine, presque trouble et vaporeuse au point tel que le policier semble parfois vouloir s’en détacher complètement. Pour ne pas perdre pied, le commissaire Soreni pourra compter sur Angela qui s’extirpe du rôle volage qu’elle endossait dans Le Fleuve de Brumes pour incarner une femme bien plus consistante et bien plus ensorcelante que dans l’opus précédent.

     

    La ville de Parme prend également une place importante dans le cœur du récit en alimentant les thématiques liées aux idéologies d’un passé qui ne restitue désormais plus qu’une succession de monuments à la gloire des rouges et des noirs alors que les convictions d’autrefois se sont délitées dans la convoitise d’un pouvoir qui a laissé place à la compromission. Elle permet également d’appréhender ces quartiers populaires du centre-ville qui se sont désertifiés avant que les vagues d’immigrés prennent possession des lieux pour être délogés à leur tour par la convoitise des promoteurs immobiliers. Un lieu incertain où ne subsistent plus que quelques vagues souvenirs et que quelques petits commerçants qui entretiennent le mythe à l’exemple du barbier Bettati. D’autres personnages originaux vont agrémenter ce récit qui prend quelques consonances chaleureuses par le biais des plats mitonnés par Alceste, le restaurateur du Milord où le commissaire Soneri a ses habitudes en dégustant les recettes typiques d’une région qu’il affectionne et qu’il arrose avec quelques bonnes bouteilles de vin.

     

    Souvent comparé à l’illustre commissaire Maigret, Soneri présente davantage de similitudes avec Duca Lamberti le personnage emblématique du romancier Giorgio Scerbanenco. En effet, ce sont des événements personnels dramatiques qui donnent cette stature si particulière à ces deux enquêteurs qui sortent résolument de l’ordinaire. Néanmoins, les récits de Valerio Varesi empruntent quelques tonalités poétiques pour mettre en scène une vision nostalgique et désenchantée d’un pays embrumé par les remords et les regrets à l’instar des locataires de La Pension De la Via Saffi. Envoûtante et maîtrisée, la série mettant en scène le commissaire Soneri se révèle être l’un des très belles découvertes de la maison d’édition Agullo.

     

    Valerio Varesio : La Pension De La Via Saffi (L’Affittacamere). Editions Agullo 2017. Traduit de l’italien par Florence Rigollet.

    A lire en écoutant : Una Notte Disperata de Musica Nuda. Album : Complici. Bonsaï Music 2011.

  • VALERIO VARESI : LE FLEUVE DES BRUMES. ET VOGUE LE NAVIRE.

    éditions agullo, le fleuve des brumes, valerio varesi, polar italienNouvelle venue dans le monde littéraire, Agullo Editions porte le nom de Nadège Agullo, ancienne cofondatrice de Mirobole Editions, une maison publiant des romans noirs issus de terres étrangères méconnues. Pour ce nouveau voyage elle est accompagnée de Sébastien Wespiser, libraire avisé, passionné et amateur de beaux textes qu’il n’a de cesse de faire partager et parmi lesquels figure le prodigieux roman Les Noirs et les Rouges d’Alberto Garlini. Une belle association donc pour cette maison d’éditions prometteuse qui s’embarque sur le registre des publications atypiques. Et puisque j’ai évoqué l’Italie et le fascisme par le biais du roman de Garlini, restons-y pour découvrir Le Fleuve des Brumes de Valerio Varesi qui inaugure une série mettant en scène le commissaire Soneri.

     

    Puisqu’il s’agit d’une nouvelle maison d’édition il faut tout d’abord dire un mot sur le superbe concept de la maquette du livre composée d’un couverture légèrement rugueuse et d’un bandeau mettant en exergue le titre du livre ainsi que les différents vins servis durant le récit dans l’auberge d’Il Surdo comme pour prolonger l’ambiance d’un roman où le plaisir de la table fait partie des instants chaleureux d’un récit se déroulant durant une période hivernale froide et humide.

     

    Rien ne va plus au cercle nautique. Le Pô est en crue et a emporté dans son sillage indolent une énorme barge antique, mystérieusement libérée de ses amarres. Dans la brume nocturne, l’embarcation vogue telle un navire fantôme avant de s’échouer à l’aube sur une berge sablonneuse. Son capitaine semble avoir disparu et le cas est d’autant plus troublant que son frère est retrouvé, le jour même, mort défenestré. En charge de la levée de corps, le commissaire Soneri va rapidement découvrir que les deux frères ont servi, cinquante ans plus tôt, dans une milice fasciste qui a sévi dans la région. Au rythme de la crue et de la décrue, le Pô met en scène les terribles révélations d’un passé s’étiolant inexorablement dans les brumes de l’oubli. Les rancœurs peuvent-elles survivre à l’usure du temps ?

     

    L’incarnation du fleuve donne tout son sens à ce roman dont l’intrigue se noue et se dénoue au lent rythme d’une crue et d’une décrue inexorable dévoilant des pans d’une histoire que l’on pensait enfouie dans les brumes de l’oubli. Des histoires anciennes qui refont surface au travers d’un texte envoûtant dégageant une atmosphère trouble et prenante dans laquelle le lecteur installera son imaginaire en arpentant une région mystérieuse empreinte d’une certaine générosité qui s’incarne par le biais des vins et des plats typiques servis dans l’auberge d'Il Sourdo où le commissaire Soneri installe ses quartiers afin de résoudre cette affaire tortueuse.

     

    Il y a cette brume qui s’insinue partout, tout comme l’eau qui ronge les berges d’un paysage hivernal qui, peu à peu, se fige sous l’assaut du givre. Deux éléments omniprésents qui rappellent la mémoire et le remord rongeant les cœurs de protagonistes figés dans un passé qui n’inspire plus qu’une mélancolie teintée de regrets. C’est dans ces décors sublimes, emprunts d’une troublante poésie nostalgique, que le commissaire Soreni explore le passé obscur de ces anciens qui se sont affrontés autrefois dans des combats sanglants évoquant ainsi cette période peu glorieuse de la République de Salò. L’auteur installe donc son personnage sur le registre de l’enquêteur solitaire à l’écoute des autres en s’immergeant dans le contexte du crime qu’il doit résoudre. Dans une atmosphère de méfiance, voire même de défiance le commissaire Soreni dénoue peu à peu les nœuds d’une intrigue sombre qui trouve sa résolution dans un passé historique qui secoue encore la conscience de ses habitants.

     

    Malgré son côté individualiste le commissaire Soneri s’adjoint la collaboration de plusieurs collègues tout en bénéficiant de toutes les ressources judiciaires nécessaires à la résolution d’une enquête qui pourrait aisément s’avérer insoluble et qui bénéficie parfois de hasards bien trop circonstanciés pour être tout à fait crédibles. Défauts mineurs qui ne nuisent nullement les qualités indéniables d’une intrigue bien ficelées, mettant en exergue les rivalités entre la police judiciaire et les carabiniers ainsi que les trafics d’êtres humains liés à l’immigration clandestine. Et puis il y a la belle Angela, compagne du commissaire, dont la sensualité quelque peu débridée donne droit à quelques scènes à la fois cocasses et surprenantes conférant au commissaire Soreni un supplément d’humanité.

     

    Avec Le Fleuve des Brumes, Valerio Varesi nous entraîne donc dans le cadre peu commun de cette belle région de Parme, endroit propice pour mettre en place quelques belles scènes se déroulant dans la zone d’inondation d’un fleuve impassible qui renferme au creux de son lit de troubles secrets inavouables. Mystérieux et envoûtant.

     

    Valerio Varesi : Le Fleuve des Brumes (Il Fiume Delle Nebbie). Editions Agullo Noir 2016. Traduit de l’italien par Sarah Amrani.

    A lire en écoutant : Alle Prese Con Una Verde Milonga de Paolo Conte. Album : Concerti. CGD East West 1985.

     

     

  • ALBERTO GARLINI : LES NOIRS ET LES ROUGES. LE ROMANTISME DE LA DEFAITE FASCISTE.

    Capture d’écran 2015-08-24 à 11.24.41.pngA l'heure où l'on évoque déjà la rentrée littéraire avec sa cohorte de près de 600 ouvrages, il faut se dire que désormais l'auteur ne doit plus sa notoriété à son seul talent, mais à un service de presse efficace qui permettra peut-être à son roman d’émerger de cette déferlante saisonnière. Outre les têtes d'affiche (ou de gondole), il y a de temps à autre quelques phénomènes littéraires qui sortent du lot, parfois pour de mauvaises raisons au détriment de certains romans d'une rare intensité qui passent totalement inaperçus. Au regard de ses qualités indéniables, on peut dire que pour l'année 2014 -2015 Les Noirs et Les Rouges d'Alberto Garlini a fait les frais de cette discrétion totalement inappropriés pour un roman que l'on peut qualifier sans aucune hésitation de prodigieux. Alliant la noirceur des évènements des années de plomb à la candeur d'une romance pourtant destructrice, le roman d'Alberto Garlini se situe au-delà des catégories roman noir/roman blanc pour nous livrer une histoire flamboyante contant la lutte armée d'un jeune fasciste italien aux convictions inébranlables.

     

    Stefano Guerra est un jeune fasciste déterminé portant un nom dédié à la violence. Mais c’est en 1968 que son destin bascule lors des affrontements sur le campus universitaire de Valle Giulia entre les noirs, jeunes militants fascistes, et les rouges, jeunes militants gauchistes. Durant ces heurts violents, Stefano tue accidentellement le jeune Mauro d’un coup de couteau. Outre le fait d’être le fils d’un grand intellectuel communiste, la victime est le frère d’Antonella dont Stefano est tombé éperdument amoureux. Ignorant tout de son crime et de ses sombres activités la jeune femme est séduite par ce garçon passionné. En parallèle à cette idylle naissante, Stefano Guerra passe du militantisme à la lutte armée en formant avec ses amis d’enfance un petit groupuscule qui prendra part aux tragiques évènements qui jalonneront la sinistre période des années de plomb. Si les actions débutent par du sabotage de meeting politique, du trafic d’armes et des agressions contre des militants gauchistes, Stefano Guerra va s’engouffrer dans une spirale de violence en participant à des attentats tragiques et sanglants. Idéaliste exalté Stefano Guerra est désormais un guerrier déchaîné qui va devoir faire face aux compromissions de ses pairs. Mais qui pourra arrêter cet homme survolté élevé dans une logique de haine et de violence ?

     

    Dans une période trouble telle que l'a vécue l'Italie durant les années de plomb, il est à présent bien difficile d'appréhender le vrai du faux dans ce conglomérat de complots, compromissions, manipulations et infiltrations qui ont mis à mal la crédibilité des autorités institutionnelles du pays. Que ce soit les juges, les politiques, les chercheurs ou les historiens, aucune de ces corporations n'a été capable de faire la lumière complète sur ces tragiques évènements qui ont marqué de manière durable toute une population. L’Italie à peine remise du joug fasciste s’entredéchire à nouveau dans ce que l’on n’oserait pas désigner comme une guerre civile mais qui y ressemble furieusement. Quoiqu’il soit, après tant d'années, l'affaire est désormais du ressort de la fiction, car en s'appropriant les faits, en les déformant et en les réinterprétant un auteur peut nous livrer son point de vue exempt de manipulations, de certitudes et d'exactitudes. Mais paradoxalement il est possible que ce soit par ce biais que l'on se rapproche le plus d'une certaine forme de  vérité.  " Cette histoire est vraie puisque je l'ai inventée".  C'est donc ainsi qu'Alberto Garlini nous livre avec Les Noirs et Les Rouges, un roman exceptionnel qui dépeint les activités occultes d’un groupuscule fasciste œuvrant pour mettre en place une stratégie de la tension durant plusieurs décennies. Alberto Garlini mêle donc habilement fiction et réalité. Le personnage principal s’inspire librement des activités terroristes de l’extremiste de droite Vincenzo Vinciguerra, tandis que son père spirituel politique, prénommé Franco fait référence au parcours de Stefano Delle Chiaie, activiste néofasciste. L’auteur a d’ailleurs mixé la contraction du nom de famille de l’un au prénom de l’autre pour façonner l’identité de son héros Stefano Guerra. Outre les personnages, Alberto Garlini s’est réapproprié des évènements tragiques qui ont marqués cette triste période à l’instar de l’attentat de la Piazza Fontana à Milan qu’il déplace de quelques mètres sur la Piazza del Monumente. Cette attaque sanglante que l’auteur reconstitue avec force de tension devient le point central du roman où tout bascule. Les différents chapitres segmentent la période guerrière de Stefano Guerra de mai 1968 à avril 1971. Ils sont entrecoupés d’un procès se déroulant en 1985 qui donne quelques éclairages anticipatifs sur la suite des évènements ce qui a l’avantage d’amplifier l’appréhension du lecteur tout en démontrant la vacuité de la démarche judiciaire. Car à ce jour, les principaux instigateurs de l’attentat de la piazza Fontana restent encore impunis. 

      

    Avec Les Noirs et Les Rouges Alberto Garlini nous livre donc la version du camp des fascistes, nous qui étions habitués à un point de vue « romantique », parfois dangereusement esthétisant de la lutte armée révolutionnaire gauchiste. Rien de tout cela dans ce roman qui parvient à dresser un portrait dépourvu de stéréotype en dévoilant les liens occultes entre ces groupuscules fascistes, bénéficiant de la protection bienveillante des services de police et les services secrets italiens. Dans ce contexte trouble, Stefano Guerra est certes un fasciste violent et animé par un haine peu commune contre ses adversaires, il n’en demeure pas moins quelqu’un d’intelligent qui peut faire preuve d’une certaine sensibilité. Il aime la musique, le cinéma et apprécie la poésie, particulièrement celle d’une jeune auteure sud américaine dont les vers semblent le toucher particulièrement. Et puis il y a cet amour qu’il porte à Antonella qui lui permet, un temps seulement, de s’écarter du parcours de violent qu’il a empruté. Son périple déchaîné nous entraîne dans toute la partie nord de l’Italie, l’Autriche, l’Afghanistan pour s’achever au Chili. Sur ce chemin, l’homme révolté croisera quelques personnages réels comme le réalisateur et poète Pier Paolo Pasolini, le compositeur Luciano Bério, l’écrivain Bruce Chatwin et le sinistre philosophe Julius Evola.

     

    Guerrier sauvage et intègre, Stefano Guerra n’est finalement que le fruit de la colère qui anime les trois « pères » qui forment autour de lui un cercle de haine qui l’aveugle. Il y a tout d’abord Franco Revel, guide politique et militant qui l’entraîne sur la voie révolutionnaire tout en se compromettant avec les arcanes du gourvernement en place. Il y a également Rocco, père de substittution, guide érotomane, tout droit sorti du dernier film de Pier Paolo Pasolini, Salo ou les 120 jours de Sodome. C’est cet homme monstrueux qui abreuve et influence une partie de la jeunesse d’Udine avec ses souvenirs « glorieux » lorsqu’il était membre des commandos fascistes du Duce. Et puis il y a ce père géniteur que Stefano découvre à l’âge de huit ans pendu dans une grange. On peut donc ressentir une forme d’empathie pour ce personnage tragique, très vite contebalancée par ses actes abjectes et les propos ignobles de son entourage sur la pureté de la race à l’instar de ce comte Sperelli, jeune noble fasciste, probablement bien plus dangereux que Stefano Guerra.

      

    La violence, la passion, la fraternité et la lutte armée dans un pays où se déchire les extrémistes de tous bords durant cette période intense de la fin des sixties parfaitement reconstituée c’est ce que vous offre Alberto Garlini avec Les Noirs et Les Rouges fabuleux roman qui traduit l’audacieuse époque où il fallait tout détruire pour mieux reconstruire. A découvrir impérativement.

     

    Alberto Garlini : Les Noirs et Les Rouges (titre original : La Legge Dell’ Odio). Editions Gallimard – Du Monde Entier / 2014. Traduit de l’italien par Vincent Raynaud.

    A lire en écoutant : Sinfonia de Luciano Bério. Album : Sinfonia – Eindrücke. 1986 Erato Classic S.N.C.

  • Giorgio Scerbanenco, Les Enfants du Massacre, tragique jeunesse

    9782743622831FS.gifLorsque j'avais lu la première version des Enfants du Massacre de Giorgio Scerbanenco, édité dans la collection 10/18 Grands Détectives, j'avais été frappé par l'actualité du sujet et par la modernité du texte, car il faut savoir que ce roman avait été écrit en 1968. Il s'agissait de l'avant-dernier opus de la série mettant en scène Duca Lamberti.

    Drôle de parcours pour ce personnage radié de l'Ordre des médecins et condamné à trois ans de prison pour euthanasie après avoir cédé à la demande d'une patiente souffrant d'un cancer en phase terminale. Au fil des récits, Duca Lamberti passera par le statut d'enquêteur privé,  avant d'intégrer la Questure de Milan avec l'appui du Commandant Carrua. Malgré son statut de policier, ses collaborateurs persisteront à l'appeler Dottore faisant preuve d'un immense respect pour cet homme atypique.

    Beaucoup considèrent les Enfants du Massacre comme étant le meilleur roman de la série et je ne peux que confirmer ce choix. L'histoire débute dans une salle de classe déserte devenue la scène d'un crime abominable et abjecte après qu'une enseignante aient été violée et massacrée par ses 11 élèves du cours du soir. Bouleversé, Duca Lamberti va procéder à l'interrogatoire de ces jeunes adolescents en rupture sociale pour établir la responsabilité de chacun. La loi du silence va rendre son travail difficile et il devra faire preuve de tout son talent d'enquêteur pour établir la vérité qui n'est pas forcément celle que l'on croit. Enquête d'autant plus difficile pour Duca Lamberti qui sera confronté à la douleur de la perte de sa nièce âgée de 2 ans.

     

    Bonne idée pour Rivage/Noir d'avoir réédité la série Duca Lamberti qui bénéficie d'une nouvelle traduction. La trame sociale reste toujours le moteur principal des récits avec en toile de fond cette violence terrifiante au cœur d'une Italie en pleine expansion. La modernité du texte provient également de sujets très forts, comme la délinquance juvénile, que Scerbanenco dénonçait déjà dans les années 60 et qui reste toujours un des sujets principales de l'actualité.

     

    Il y a aussi cette grande ville de Milan, monstre tentaculaire, que Scerbanenco s'attache à nous décrire au fil de ses romans. La cité, personnage à part entière, tantôt attachante, tantôt repoussante, mais toujours pleine d'un certain charme mélancolique devient le théâtre tragique des enquêtes de Duca Lamberti.

     

    Dans la foulée, Rivage/Noir a également édité le dernier récit des enquêtes de Duca Lamberti, les Milanais Tuent le Samedi qui, sans être du même calibre que les Enfants du Massacre, reste un roman extrêmement sombre qui traite de la problématique de la prostitution avec la disparition et la mort d'une jeune femme souffrant d'une déficience mentale.

     

    Venus Privée et Ils Nous Trahirons Tous, sont les deux premiers romans de la série Duca Lamberti et ont également été réédité aux éditions Rivages/Noir. Sombres intrigues, société en pleine mutation, crimes sordides, ce sont les principaux éléments des récits de Giorgio Scerbanenco qui font que cet auteur est devenu l'un des grands maîtres du polar italien.

     

    Planqués au fond des rayonnages les plus élevé de ma bibliothèque j'ai eu tout de même du plaisir à retrouver les éditions 10/18 de ces 4 romans dont la typographie surannée rend le texte peu lisible. Souvenir de lecture de jeunesse, on ne peut que saluer l'initiative des éditions Rivages/Noir d'avoir remis au goût du jour ce magnifique auteur de polar.

     

    Bonne année et bonnes lectures

     

    Giorgio Scerbanenco : Les Enfants du Massacre. Editions Rivages/Noir 2011. Traduit de l'italien par Gérard Lecas.

    A lire en écoutant : Madre Terra, Madre Perla de Ricardo del Fra. Album : Roses an Roots/MFA 2004.

     

     

  • Francesco De Filippo : L’Offense, la complainte d’un camorriste

     

    9782864247357FS.gif

    On peut le dire sans conteste, le Parrain de Mario Puzo fut un chef-d’œuvre à partir duquel Francis Ford Coppola adapta son triptyque éponyme que l’on peut considérer comme un monument du cinéma. Malgré la violence des scènes et le sort tragique de certains personnages (pour l’époque) il faut néanmoins admettre que l’on pouvait avoir une certaine empathie pour cette famille Corléone qui s’opposait au trafic de drogue et tentait même de se racheter une conduite. D’un certain point de vue, et particulièrement dans le dernier épisode de la saga, on pouvait même considérer que c’était la mafia qui corrigeait les travers d’une société bien plus sordide que les membres de cette « belle famille ». Une mafia acceptable en quelque sorte !

     

    Pour déconstruire ce mythe, il fallut attendre bien des années avant que ne paraisse Gomorra de Roberto Saviano. Une véritable bombe littéraire que l’on ne peut pas considérer comme un roman noir, mais comme la réalité ultra sombre de ces empires mafieux qui gangrènent toutes les strates de la société. Personne n’oubliera le destin de ce tailleur qui façonne des vêtements de luxe pour les stars dans des ateliers clandestins dans lesquels travaillent les esclaves du 21ème siècle. Sa reconversion comme conducteur de camion nous entraine vers la problématique du traitement des déchets version camorra. L’adaptation cinématographique du livre est également époustouflante. Vous pourrez suivre l’ascension de deux jeunes camorristes issus de la Scampia, une des banlieues les plus sordides de Naples.

     

    C'est ainsi que l'on s'est éloigné de cette image édulcorée du mafieux en costume rayé et borsalino évoluant dans des cadres somptueux, que ce soit en Sicile, à New-York, Chicago, Long Island ou au Nevada.

     

    Pour poursuivre cette démarche de démystification, il y a l’Offense de Francesco De Filippo. Gennaro ne travaille pas, il se débrouille en rendant de menus services aux mafieux d’un quartier populaire de Naples où il vit avec sa femme et ses deux enfants. Satisfait de son sort, il se complait dans ce petit train-train quotidien qui lui permet de rester éloigner des "affaires". Mais Don Rafale, parrain du quartier en décide autrement et c’est ainsi qu’à 23 ans, le jeune homme devient membre de mafia. Sous la houlette, de Paolino, tueur psychopathe sans scrupule, Gennaro va entamer son apprentissage de camorriste et commencer son voyage en enfer. Au menu ce sont magouilles électorales, contacts avec immigrés clandestins, trafic de stups, intimidations en tout genre et torture. Il servira de prête-nom aux diverses sociétés que Don Rafale possède à travers le monde. Des voyages aux quatre coins de la planète pour prendre en charge des mules bourrées de cames par ses soins et une traversée de guérilla mafieuse achèveront de déshumaniser cet homme dépassé par l’horreur qu’il vit au quotidien. Il y perdra son âme, sa femme et ses enfants au cœur d’une région complètement ravagée par l’économie mafieuse.

     

    C’est tout d’abord un hommage à Naples et à son petit peuple que Francesco De Filippo a voulu rendre dans ce livre baroque et époustouflant. Et puis, il y a cette plongée hallucinante au cœur de l’appareil mafieux qui semble tellement irréaliste qu’elle ne peut être qu’inspirée de faits réels. Dans un univers de violence, de prostitutions, de viols et de drogue où la vie n’a plus aucune valeur, les hommes qui composent ce monde tentaculaire perdent rapidement pied et sombrent dans la folie et le désespoir, sans qu’il n’y ait aucune possibilité de rédemption. Le texte est particulièrement rythmé et intense et on peut saluer l’excellente traduction de Serge Quadruppani qui a su restituer le langage populaire des quartiers napolitains. Les scènes que l’on découvre au fil des chapitres sont parfois d’une violence extrêmement crue et presque troublante suscitant auprès du lecteur une palette de sentiments contradictoires qui varient entre la fascination et le dégoût. L’Offense de Francisco De Fillipano est grand roman noir aux couleurs baroques, dont les descriptions flamboyantes et terrifiantes n’ont pas encore fini de vous faire frissonner, même si l’on regrettera peut-être un épilogue un peu mièvre. Peu importe, vous serez secoué par cette complainte d’un camorriste dépassé par les forces noires d’une organisation tentaculaire qui a su altérer toutes les couches de cette magnifique cité napolitaine que l’auteur se plaît à nous décrire avec passion.

     

    Pour en savoir plus sur la mafia et les hommes qui la combatte, vous pouvez également découvrir une livre passionnant sur ce sujet :  Les Hommes de l'Antimafia écrit par mon collègue Christian Lovis, qu'il définit comme un essai romancé sur ces hommes et ces femmes courageux qui osent se dresser contre cet "ordre établi" et pourtant inacceptable dans un état de droit. Vous pouvez vous rendre sur son site très riche en articles édifiants sur ce monde méconnu et inquiétant de la mafia  : http://leshommesdelantimafia.wordpress.com/

     

    9782748364699FS.gif

     

     

    Francesco De Fillippo : L’Offense. Editions Métalié/Noir 2011. Traduit de l’italien par Serge Quadruppani.

     

    Christian Lovis : Les Hommes de l'Antimafia. Mon Petit Editeur 2011.

     

    A lire en écoutant : Titre : Herculaneum – Auteur : DJ Pandaj – Album : Herculaneum Record Kids 2007