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  • Hervé Prudon : Nadine Mouque. Que dalle.

    Capture d’écran 2022-12-12 à 19.17.10.pngAvec la résurgence de la collection La Noire chez Gallimard en 2019 qui était en pause durant quatorze années, sa nouvelle directrice Marie Caroline Aubert, succédant à Patrick Raynal, nous proposait trois auteurs incarnant parfaitement l'esprit initial de la démarche éditoriale avec des ouvrages naviguant à la limite du genre au gré d'une esthétique littéraire plus affirmée que la thématique sociale. On découvrait ainsi deux nouveautés dont Un Silence Brutal de Ron Rash et Stoneburner de William Gay ainsi que Nadine Mouque, une réédition d'un roman emblématique d'Hervé Prudon qui avait été publié dans la Série Noire en 1995. Outre l'univers désenchanté d'une banlieue parisienne et les personnages déglingués qui y vivent, on retrouve dans cette édition agrémentée de textes manuscrits et de dessins de l'auteur, cette écriture furieuse d'assonances se déclinant dans une rafale de virgules qui vous donne le vertige en faisant d'Hervé Prudon un auteur résolument à part qui se devait d'intégrer cette collection tout comme son camarade Manchette même s'il se distinguait du courant "néo-polar" de l'époque avec des textes déclinant une douleur et un mal de vivre d'une intensité saisissante.

     

    A la cité des Blattes, M'man va faire ses courses et se récolte une balle perdue suite à un règlement de compte entre jeunes. Comme Sissi, elle poursuit son chemin, impériale, un peu abattue et rentre à la maison pour s'affaler sur le divan puis passer l'arme à gauche devant son fils Paul, un vieux garçon paumé et sans emploi qui vit avec elle. Aux Blattes, on n'appelle pas la police, ou une quelconque autorité. Paul remise donc M'man dans sa chambre à coucher et passe sa journée à la fenêtre en distillant sa peine dans un délire éthylique. Mais le soir, en entendant une voix provenant d'un container posé sur la dalle de la cité, Paul va découvrir une jeune femme amnésique qui ressemble étrangement à Hélène, son idole télévisuelle. Cependant, en recueillant cette fille dans son appartement, Paul va s'attirer un certain nombre d'ennuis. Une certaine idée de la femme fatale qui va mettre le feu à la cité. 

     

    Nadine Mouque ! Revenant en permanence, il y a cette interjection arabe que le voisinage hostile se balance à la figure pour devenir un prénom et un nom donnant son titre à ce roman qui nous renvoie vers cet auteur, écorché vif, balançant son mal de vivre dans la noirceur de ses textes aux consonances poisseuses. Hervé Prudon égrène ainsi ses jeux de mots et autres assonances  poétiques dans cette intrigue sordide en suivant le parcours de Paul, ce personnage pathétique qui, avec le décès de sa mère, perd pieds peu à peu au gré de ses envolées éthyliques l'entrainant dans les méandres de cette cité grouillante de cafards où l'urbanisme se décline comme une prison avec ces quatre barres d'immeuble qui bouchent l'horizon. L'univers est forcément glauque à l'instar de ces caves prenant l'allure d'un labyrinthe cauchemardesque ou de ce pavillon de banlieue squatté par des zonards, théâtres des exactions que Paul commet à son corps défendant pour les beaux yeux de cette fille qu'il a trouvée dans un container et que tous les gars de la cité convoitent désormais. Un récit dont la puissance et l'énergie folle monte crescendo, au rythme chaotique d'une intrigue imprégnée d'alcool et des folies qui en découlent dans des imprécations furieuses pour fustiger cet espace urbain sans issue. L'alcool, compagnon maudit de l'auteur, devient ainsi le moteur animant ce personnage tragique débitant son désespoir dans une fuite en avant meurtrière, ponctuée d'éclats d'une violence maladroite à l'image des crimes qui ponctuent ce roman noir débridé. Se débattent ainsi toute une myriade d'individus sans fard, grouillant dans les travées de cette cité des Blattes qui porte bien son nom et dont Hervé Prudon dépeint la vie avec la maestria du désespoir. Nardinamouk !

     

    Hervé Prudon : Nadine Mouque. Editions Gallimard/Collection La Noire 2019.

    A lire en écoutant :  Fan d'Alain Bashung. Album : Live Tour 85. 2018 Barclay.

  • Le polar est-il à la littérature ce que la comédie est au cinéma ?

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    C'est une question que je me suis posée au salon du livre après que mon ami Yves Patrick Delachaux m'ait présenté à l'association des auteurs suisses comme un blogeur spécialiste des romans policiers (Toujours à exagérer, l'ami Delachaux). Je revois le regard indulgent d'un des membres qui me lâche comme ça l'air de rien : Des polars ?! Ah oui ! j'en lis parfois pour me distraire ! ». La remarque en elle-même n'a rien de désobligeant, puisque la fonction première du polar est bien de divertir. Il y a pourtant ce petit air suffisant où l'on devine la question fondamentale sous-jacente : « Quand est-ce que tu passeras à une lecture plus sérieuse, pauvre naze ! ». J'extrapole, un peu mais je suis a peu près certain que je ne suis pas si loin de la vérité. Et puis finalement, n'est-ce pas le propre de la littérature que de distraire le lecteur ? Qu'est-ce que la littérature sérieuse ? Probalement un concept de personnages élitistes qui se complaisent dans des salons dorés ou branchés en dressant le constat de leur savantes expériences culturelles avec un grand C. Une caricature bien sûr, mais en somme, quelque chose dans ce goût là, d'assez morose. Pas de quoi pavoiser !

     

    Pas de quoi pavoiser non plus dans le milieu du polar. Entre ces auteurs assoifés de reconnaissance qui versent dans l'écriture stylico-narcissique pour s'élever dans la hiérarchie des écrivains reconnus et ces éditeurs en constante recherche du coup littéraire, on asphysie le côté undeground du roman noir. Ainsi, on règle le passé de l'Amérique à coup de phrases courtes, ponctuées de point d'exclamation. Quand on est un écrivain de génie ça peut encore passer, même si cela devient parfois épuisant. Car il faut bien l'admettre qui a lu la trilogie Underworld USA de James Ellroy, d'un bout à l'autre, sans sauter une seule page ? Pas grand monde pour lever la main, j'en suis persuadé. Et il y a toute cette cohorte de polardiers qui tentent d'imiter le style et la thématique en pure perte. Du côté des éditeurs, on ne compte plus les bandeaux « nouveau maître du polar nordique. On frise la nausée avec ces démarches commerciales nauséabondes. Mais c'est du côté des critiques que l'on vire vers la tragédie lorsque je lis : « Plus qu'un polar ! Un grand roman ! ». Pour contrer ces slogans ineptes, rien ne vaut cette réflexion de Manchette :

    « Rions encore une fois des feuillistes qui affirment sempiternellement de tel ou tel ouvrage qu'il est d'avantage qu'un « roman policier ». Le roman noir, grandes têtes molles, ne vous a pas attendus pour se faire une stature que la plupart des écoles romanesques de ce siècle ont échoué à atteindre. »

     

    Le polar s'est extrait du sous-sol pour apparaître dans la lumière, espérons qu'il ne flétrira pas sous le dictat de la culture de masse et bien pire encore, sous le joug de la bienséance littéraire. Maigret a quitté son habillage de roman de gare pour revétir l'habit luxueux des Pléaides. Un bon en avant et c'est tant mieux. Mais prenons garde à ce que le polar reste ce qu'il est : l'acide qui défait les chairs pour mettre à nu le squelette que l'on se complait à planquer dans le placard. Pas de Goncourt, ni de Renaudot ou de Pulitzer pour le roman noir. Enfermé dans son ghetto, il est couronné par des Edgards, des 813 ou des Cognacs, comme s'il redoutait de vivre les affres du cinéma comique  qui ne s'est jamais vu récompensé à sa juste valeur par une académie engoncée dans sa suffisance culturelle. Un paradoxe lorsque l'on constate que cette même académie a récompensé deux films noirs que sont « Le Prophète » et « De battre mon cœur s'est arrêté ». Le polar : un monde en soi !

     

  • Tardi – Manchette : Sous les pavés, la plage, l’enfer et le Petit Bleu de la Côte Ouest

    manchette,tardi,plage roman noir,polar,tueurs,bdEn libraire, marketing oblige, nous avons droit ces derniers temps aux bandeaux ultra originaux des commerciaux avec la mention : « Roman de l'été » ou pire encore « polar de l'été », tout ça pour vous faire acheter le mauvais livre spécialement édité pour cette période qui finira sur votre pile de romans inachevés. Un peu excessif me direz-vous, mais tellement réaliste. On en a tous fait les frais un jour ou l'autre. On découvre également les prix littéraires de l'été avec par exemple le « thriller de l'été » spécialement conçus par quelques revues mensuelles dont la principale caractéristique est de couronner l'auteur le plus conscensuel possible à défaut du plus talentueux. On appréciera tout de même certaines selections émanant principalement des blogs et de quelques revues littéraires « sérieuses ». Faites votre choix.

     

    Pour vous isoler de l'enfer des plages bondées et pour vous pendre à votre parasol, un excellent roman noir de Jean-Patrick Manchette que je vous propose de redécouvrir sous l'angle de la BD avec cette magnifique adaptation de Jacques Tardi : Le Petit Bleu de la Côte Ouest dont l'un des moments fort de l'histoire se déroule justement sur une plage, ce qui est de circonstance en cette période « estivale ». Georges Gerfaut est un cadre dynamique dont la routine sera brisée par deux tueurs lancés à sa poursuite. Pour faire face, il mettra de côté tout ce qui façonne sa petit vie trépidante. Il affrontera, parfois de manière pathétique, ses adversaires avant de retourner auprès des siens pour se retrouver dans une voiture à 145 km/h à tourner en rond, la nuit sur le périphérique désert.

     

    Une excellente adaptation en noir et blanc qui accentue le ton froid et cassant des dialogues qui sont fidèlement restitués. Il faut dire que le dessinateur et le romancier s'étaient déjà rencontré en 1978 pour nous livrer « Griffu » une des première BD - roman noir de l'époque. Du talent à l'état pur et une bonne claque dans la gueule à une époque ou des revues comme Pilote publiaient de la bonne BD.

     

    Avec le Petit Bleu de la Côte Ouest, Manchette voulait nous décrire le malaise de ces cadres moyens sous constante pression où la réussite sociale importe plus que tout. Le roman paru en 1976 n'en reste pas moins d'actualité en ces temps de troubles économiques où les performances sont une exigence de tous les instants.

     

    Dans la foulée, vous apprécierez une nouvelle adaptation de Jacques Tardi avec la Position du Tireur Couché, tiré également d'un roman de Manchette. Là également le dessin de Tardi restitue parfaitement l'histoire de ce tueur à gage, froid, précis, méthodique mais dont la vie se désagrège au fur et à mesure qu'il sème les cadavres pour échapper à son destin qui le ramènera inéxorablement à la petite vie minable qu'il a toujours cherché à fuir. Et l'on concluera que cet auteur a eu plus de chance dans les adaptations bd que cinématrographiques de ses œuvres, mais on pourra tout de même découvrir Polar de Jacques Bral pour se faire une bonne idée de ce que l'on peut tirer d'un excellent roman noir de Manchette.

     

    Sous les pavés, il n'y a plus la plage, il y l'enfer décrétait Ferre ! et le Petit Bleu de la Côte  Ouest, pourrait-on rajouter !

     

    Manchette - Tardi : Le Petit Bleu de la Côte Ouest. Humanoïdes Associés 2005.

    Manchette - Tardi : La Position du Tireur Couché. Futuropolis 2010.

    A lire en écoutant : Gerry Mulligan. Litttle Girl Blue.

     

     

  • Michael Farris Smith : Une Pluie Sans Fin. Passagers de la tourmente.

    Capture d’écran 2015-10-17 à 09.35.21.pngBlade Runner illustre parfaitement le mariage heureux entre l’anticipation et le roman noir, avec des codes classiques transposés dans un contexte extraordinaire. Inspiré d’un ouvrage de Philip K Dick, Les Androïds rêvent-ils de Moutons Electriques ? le réalisateur Ridley Scott s’émancipait du livre pour réaliser un film culte. L’anticipation c’est également le genre qui a permis à Cormac McCarthy d’obtenir le prix Pulitzer avec son livre intitulé La Route. C’est à ce monument très sombre de la littérature américaine que l’on compare Une Pluie Sans Fin de Michael Farris Smith qui nous projette dans un monde post apocalyptique de tempêtes et d’ouragans qui s’abattent sans discontinuer sur le sud des Etats-Unis désormais devenu une zone sinistrée.

     

    On ne donne plus de nom à ces tempêtes qui ravagent continuellement les côtes du Texas, du Mississipi et de la Louisiane car plus personne ne vit dans cette région dévastée à l’exception de quelques inconscients qui ne peuvent se résoudre à rejoindre la frontière, plus au nord qui délimite ce no man’s land dévasté que les autorités ont renoncé à contrôler. Cole lui a choisi de rester et s’accroche à sa maison qui reste encore debout et aux souvenirs de sa femme disparue et de leur fille à naître. Il arpente la région et croise la route de  pillards et illuminés en tout genre jusqu’à ce qu’il se fasse agresser par un jeune couple qui lui vole sa jeep. En retrouvant leurs traces, Cole va devoir affronter une espèce de prêcheur fanatique qui règne sur tout un groupe de femmes qu’il a asservies et dont il abuse sans vergogne. Dans ce monde perdu ce sont finalement les hommes qui deviennent bien plus sauvages que les tempêtes auxquels ils doivent faire face, surtout s’il y a à la clé un magot enfoui dans ces terres désolées que les responsables de casinos auraient abandonnés.

     

    Une Pluie Sans Fin est un livre bien trop dense et bien trop chaotique pour être comparé à La Route, modèle de rigueur et de sobriété. Cela n’en fait pas un mauvais roman pour autant, même s’il manque singulièrement de tenue et de profondeur. Trop de personnages, trop de flashback et trop de rebondissements ne manqueront pas d’étourdir le lecteur et parfois de le perdre dans une confusion de scènes d’actions qui tirent parfois en longueur. Ce chaos narratif s’inscrit pourtant dans un style assez bien maîtrisé notamment au niveau de la description de ces contrées désolées et de ces tempêtes qui deviennent un personnage à part entière en nous entraînant dans un contexte de fin du monde qui ne manque pas de mordant. Finalement, Michael Farris Smith nous livre trop d’histoires secondaires dans ce récit avec un manque d’équilibre parfois regrettable entre les différentes intrigues à l’exemple de la confrontation entre le personnage principal et le prêcheur qui aurait mérité un développement plus conséquent pour former peut-être un livre à lui tout seul avec l’amorce d’une réflexion entre le mysticisme et le déchaînement des éléments.

     

    On déplorera également le manque d’envergure des personnages qui sont élaborés sur des schémas simplistes, oscillant entre la douleur et la rédemption. Pourtant quelques acteurs secondaires laissent entrevoir le potentiel de l’auteur pour dresser des portraits plus complexes sortant quelque peu de l’ordinaire à l’image de ce prêcheur qui demeure le protagoniste le plus intéressant de l’ouvrage.

     

    Il faut donc lire Une Pluie Sans Fin sans chercher une quelconque dimension philosophique derrière cette narration composée d’actions et de rebondissements qui raviront les lecteurs en quête d’un divertissement littéraire que l’on peut comparer à une honnête série B qui manquerait parfois d’allure.

     

    Michael Farris Smith : Une Pluie Sans Fin. Super 8 Editions 2015. Traduit de l’anglais (USA) par Michelle Charrier.

    A lire en écoutant : The Doors : Riders On The Storm. Album : L.A. Woman. Elektra 1971.

  • GERALD BRIZON : UNE BALLE DANS LE BIDE. HAUTE TENSION.

    gerald brizon, une balle dans le bide, éditions cousu moucheDerrière la maison d'édition genevoise Cousu Mouche, on trouve, sous la forme d'une association, un comité de lecture composé de passionnés de littérature qui ont à cœur de sélectionner des textes de qualité en se focalisant plus particulièrement sur les primo-romanciers locaux qu'ils vont accompagner dans leurs premiers pas d'écrivain. Au-delà du modèle éditorial généreux et altruiste qui le caractérise, on aurait tort de sous-estimer l'aspect professionnel de cet éditeur indépendant qui se distingue depuis presque 20 ans en proposant désormais plus de 70 ouvrages au style affirmé et à l'univers un peu décalé. On trouve de tout chez Cousu Mouche : des romans bien sûr, des recueils de nouvelles et de poésies, des récits, de la science-fiction et même quelques romans noirs qui trouvaient d'ailleurs leur place dans une collection dédiée au genre, ceci jusqu'en 2013. Il n'en demeure pas moins que la maison d'édition continue à proposer des récits à la noirceur affirmée, à l'instar d'En Eau Salée (Cousu Mouche 2015) de Fabien Feissli dont l'intrigue se déroule sur un porte-conteneurs théâtre de plusieurs crimes en huis-clos ou de L'Altitude Des Orties (Cousu Mouche 2019) rédigé dans une cabine téléphonique par un collectif de huit auteurs se rencontrant dans le cadre du festival La Fureur de Lire à Genève pour se relayer jour et nuit, durant 50 heures, afin de produire un texte cohérent, débutant avec la disparition d'un enfant sur la route des vacances. Dans ce vivier littéraire singulier, on ne s’étonnera pas du fait qu’un roman noir comme Une Balle Dans Le Bide, premier roman de Gérald Brizon, détonne (le mot n’est de loin pas galvaudé) dans le paysage du polar helvétique avec un texte énergique et cinglant qui vous secoue comme la décharge mortelle d’une ligne de haute tension.

     

    C'est sur les berges du Rhône, non loin de la banlieue genevoise du Lignon, que l'échange doit avoir lieu. Une cargaison de téléphones portables dernier cri que l'on échange contre une substantielle somme d'argent afin de les écouler sur un marché parallèle. Chargé de superviser la transaction, Sapdj est un truand de la vieille école qui se doute bien que quelque chose ne tourne pas rond, lorsque tout à coup une fusillade éclate en dézinguant ses partenaires. Et puis il y a la douleur qui le contraint à prendre la fuite à travers les bois tandis qu'une bande de tueurs se lancent à ses trousses. Mais ça ne va pas être simple de semer ses poursuivants, parce que lorsque cela a défouraillé, Spadj s'est récolté une balle dans le bide. De Genève à Berne, en passant par le Jura, les règlements de compte s'enchaînent sur un rythme effréné pour contrer une bande de malfrats dirigés par un mafieux russe bien décidé à s'implanter dans la région.  

     

    En tant qu’auteur débutant, on ne sait rien de Gérald Brizon hormis le fait qu’il a probablement baigné dans un jus littéraire bien corsé qui transparaît ainsi dans Une Balle Dans Le Bide avec un titre reflétant parfaitement l’aspect âpre et cinglant de cette intrigue nerveuse se distinguant parmi les romans plutôt convenus de la littérature noire helvétique. Pour le côté béhavioriste imprégnant ses personnages et les situations qui se présentent à eux, on pense bien évidemment à Jean-Patrick Manchette, et plus particulièrement à Martin, personnage central figurant dans La Position Du Tueur Couché (Série Noire 1981), ce d’autant plus que l’on retrouve également ce regard social acide, plein d’intelligence, qui caractérisait l’œuvre du fondateur du néo-polar. Mais pour compléter le registre des références, on s'orientera également vers les auteurs hispaniques, à l'instar de romans comme Entre Hommes (La Dernière Goutte 2016) de German Maggiori ou de Pssica (Asphalte 2017) d'Edyr Augusto, pour la nervosité qui s'en dégage ainsi que pour son abord parfois outrancier plus que plaisant. On se réjouira tout d'abord de l'absence de clichés en parcourant ces régions helvétiques dont on appréciera la froide sobriété donnant encore plus d'allure à cette intrigue survoltée où les fusillades s'enchaînent à un rythme soutenu. Il faut bien reconnaître qu'en accompagnant Spadj dans son parcours chaotique de survivant, au bord de l'agonie, on découvre un individu d'apparence plutôt antipathique n'hésitant pas à flinguer à tout-va, en faisant quelque victimes collatérales. Mais au-delà de cet à priori, on finit pourtant  par s'attacher à ce tueur vieillissant qui aspire à autre chose, en renouant peut-être avec sa fille adolescente tout en s'émancipant de Pippo son mentor qui va lui faire payer le prix fort. Il en va d'ailleurs de même avec ses partenaires Gomina et Cervelle dont les patronymes improbables trouvent leurs origines dans des explications burlesques que Gérald Brizon distille avec une efficacité redoutable que l'on retrouve également dans des dialogues incisifs et corrosifs. Et comme pour conjurer la masculinité propre à ce milieu de truands, l'auteur nous propose quelques portraits de femmes au caractère bien affirmé comme en témoigne Sandrine, une rencontre fortuite que fait Spadj au cours de sa fuite éperdue, et plus particulièrement Laïdna, superbe maîtresse d'un mafieux russe, qui n'a rien d'un faire-valoir, bien au contraire, en devenant l'adversaire cruelle qu'il faut éliminer à tout prix. Tout cela fait de Une Balle Dans Le Bide, un roman noir furieusement insolite se déclinant dans un bel équilibre de violence explosive et d'humour ravageur qui secoue le lecteur à chaque instant.  

     

    Gérald Brizon : Une Balle Dans Le Bide. Editions Cousu Mouche 2023.

    A lire en écoutant :  A lire en écoutant :  Hurt de Trent Reznor interprété par Johnny Cash. Album : American IV: The Man Comes Around. 2002 American Recording Company, LLC.

  • Thierry Jonquet : Moloch. L’ogre est toujours affamé.

    thierry jonquet, moloch, folio policierDurant la pause littéraire, de bien trop courte durée, que procure la période estivale, c’est l’occasion de découvrir ou redécouvrir quelques romans en piochant sur les étalages des librairies qui croulent sous les assortiments d’ouvrages en format poche. Dans le domaine du roman noir et du polar, c’est également une opportunité pour remettre au goût du jour quelques auteurs ayant disparu précocement et dont l’œuvre a sombré bien trop rapidement dans l’oubli à l’instar de Jean-Claude Izzo ou de Thierry Jonquet qui ont marqué l’univers du polar durant toute la décennie précédent les années 2000. Avec Moloch, de Thierry Jonquet on aborde sous l’angle du fait divers sordide, une enquête mettant en scène l’équipe de l’inspecteur divisionnaire Rovère qui a inspiré les personnages de la série Boulevard du Palais.

     

    On découvre quatre petits cadavres partiellement carbonisés dans une maison abandonnée du côté de la porte de la Chapelle et c’est l’équipe de l’inspecteur divisionnaire Rovère qui est chargée de l’enquête sous la direction de la juge d’instruction Nadia Lintz.



    A l’hôpital Armand-Trousseau, la surveillante en chef Françoise Delcourt réclame depuis plusieurs jours le carnet de santé de la petite Valérie atteinte d’un cancer du pancréas. Heureusement, la fillette peut compter sur le soutien de ses adorables parents avec une mère exemplaire de courage qui suscite l’admiration. Mais la lecture du document recèle quelques surprises.
    Le psychiatre Vilsner reçoit depuis plusieurs mois la visite d’un étrange patient. Atteint d’une infection au niveau des yeux qui le rendra très prochainement aveugle, le peintre Haperman a annoncé qu’il mettrait fin à ses jours au terme de sa thérapie.

    Victimes, proies faciles, trois affaires convergentes où il est question de souffrance et d’innocence bafouée car sur l’autel du sacrifice, Moloch, divinité cruelle, réclame toujours sa part d’enfants à immoler.

     

    Issu du courant néo polar, comme bon nombre d’auteurs français, Thierry Jonquet a rédigé ses textes avec la volonté de dénoncer les carences sociales par l’entremise du roman noir qu’il a découvert notamment avec l’œuvre de Jean-Patrick Manchette. Engagé politiquement, mais également professionnellement que ce soit comme ergothérapeute en gériatrie ou professeur dans la zone périphérique du nord de Paris, l’auteur a donc puisé dans la somme de ses expériences pour enrichir des récits d’une terrible noirceur qui s’enracinent toujours dans un réalisme déconcertant. Ainsi Moloch ne déroge absolument pas à cette règle de naturalisme que ce soit lors des investigations policières et judiciaires, mais également durant toutes les phases se déroulant dans le milieu médical. L’abandon, le dénuement, mais également dans le deuil que l’on doit surmonter ou l’attachement tout en ambiguïté, Thierry Jonquet aborde la thématique de l’enfance malmenée et bousculée dans le contexte de trois intrigues très adroitement menées qui vont trouver leurs conclusions dans une finalité qui devient l’enjeu du roman. En effet, même si l’on perçoit très rapidement quelques ressorts des différentes péripéties qui alimentent le récit, le lecteur est plongé dans une perpétuelle perplexité quant à la découverte des éléments qui vont permettre de les mettre en lien dans la perspective d’un final troublant et forcément désespérant.

     

    Un texte précis équilibré, dépourvu d’effets de style ostentatoire où chaque mot semble avoir été pesé, permet d’appréhender avec une facilité déconcertante la multitude de personnages qui entrent en scène dans un roman somme toute assez court. Qu’ils soient principaux ou secondaires, l’ensemble des protagonistes est doté d’une épaisseur qui leurs donne un certain relief tout en nous permettant d’appréhender leurs divers états d’âme en rapport avec des faits douloureux qui ne sont pas forcément en lien avec l’intrigue. Dans une construction aussi subtile qu’implacable, Thierry Jonquet chronique un ensemble de faits divers à la fois cruels et abjects, sans pour autant sombrer dans une forme de voyeurisme pervers ou morbide. Car au-delà de l’ignominie des actes, l’auteur parvient toujours à insuffler cette petite part d’humanité que l’on peut même déceler dans le cœur des individus les plus monstrueux. Cela transparaît notamment avec Charlie, ce SDF paumé, ancien soldat affecté dans une unité du génie, victime d’un traumatisme après avoir été engagé au Rwanda dans le cadre de l’opération Turquoise ou avec Marianne, cette mère courage qui noie son enfant malade sous un déluge d’affection équivoque. Cette humanité elle transparaît également au travers des personnages tels que l’inspecteur divisionnaire Rovère qui doit surmonter le deuil de son enfant et la juge d’instruction Nadia Lintz qui doit accompagner sa meilleure amie pour une interruption volontaire de grossesse. Tout un ensemble de protagonistes confrontés à cet univers lourd de la maltraitance d’enfants et qui apparaissaient déjà dans un roman intitulé Les Orpailleurs (Folio Policier 1993) évoquant les premières investigations mettant en scène les membres de cette équipe d’enquêteurs.

     

    Moloch donne également l’occasion de découvrir Paris sous un aspect aussi attrayant qu’original, puisque l’auteur nous entraîne avec force de précisions dans le périmètre des entrepôts qui bordent le canal de l’Ourcq, les Puces de Saint-Ouen, les chantiers et autres terrains vagues qui jouxtent le périphérique du côté de la porte de la Chapelle. Un portrait sans fard, mais également sans misérabilisme où enquêteurs, délinquants, travailleurs, résidents et touristes se côtoient dans les méandres d’une ville que Thierry Jonquet dépeint avec beaucoup de justesse sans rien concéder au cliché de carte postal ou au sensationnalisme de bas étage tout en distillant une atmosphère à la fois trouble et pesante pour un roman policier original, tout en rigueur.

     

    Thierry Jonquet : Moloch. Folio Policier 1998.

    A lire en écoutant : Rive Gauche d’Alain Souchon. Album : Au Ras des Pâquerettes. Parlophone Music 1999.

      

  • Ikeido Jun : La Fusée De Shitamachi. Le souffle du crash.

    Capture d’écran 2018-02-04 à 15.24.27.pngComme je vous l’avais promis en ce début d’année, il m’importait de me tourner davantage vers la littérature noire asiatique afin de me laisser surprendre par les nouvelles perspectives d’un genre particulier que les auteurs de ces contrées lointaines abordent avec un regard bien différent de celui que peut nous offrir nos romanciers occidentaux. Ainsi, le monde de l’entreprise a fait l’objet, dans nos régions francophones, de nombreux romans noirs pointant disfonctionnements managériaux et autres disparités sociales tandis qu’au Japon, Ikeido Jun aborde le thème en empruntant des éléments narratifs propres aux thrillers et aux récits d’aventure avec un roman intitulé La Fusée De Shitamachi qui nous entraîne dans le sillage d’une PME nippone de pointe de l’arrondissement d’Ôta à Tokyo, devant faire face à une concurrence aussi féroce qu’impitoyable.

     

    Ingénieur de renom Tsukuda Kôhei a participé à l’élaboration du moteur d’une fusée dont le lancement s’est révélé être un fiasco. Contraint de démissionner, il a repris la petite entreprise familiale de machine-outil qu’il a transformée en usine de pointe, spécialisée dans les composants de moteurs de haute précision. Mais diriger une PME d’excellence telle que la Tsukuda Seisakusho n’est pas une sinécure. Une entreprise qui annule brutalement son carnet de commande tandis qu’une autre l’attaque pour des questions de brevet et ce sont les investisseurs qui vous lâchent. Il faut donc faire face à l’adversité et Tsukuda Kôhei qui n’a jamais renoncé à ses rêves de succès dans le domaine de l’aérospatial, se lance dans la conception d’un modèle de valves destinées à équiper la fusée d’une grande compagnie industrielle ne pouvant supporter de dépendre d’une entreprise aussi insignifiante que la Tsukuda Seisakusho. Dans un contexte de rivalité extrême, nombreux seront les obstacles et trahisons en tout genre pour mettre à mal le projet de cet entrepreneur audacieux.

     

    Premier roman traduit en français pour cet auteur qui a commis une vingtaine d’ouvrages dont plusieurs polars, Ikeido Jun est un romancier à succès dans son pays d’origine ce qui explique sans doute cette écriture très classique, répondant aux standards du best-seller international. Il n’empêche, l’efficacité du texte ne saurait être remise en question lorsque l’on constate que des sujets à priori arides comme le financement des entreprises, les dépôts de brevets ou les processus de fonctionnement d’un moteur de haute précision deviennent les éléments centraux d’une intrigue riche en tensions narratives qui se mettent en place dans un climat de compétitivité exacerbée par les dissensions internes et les rivalités entre modestes PME et grandes compagnies. Emprunt d’une certaine forme de théâtralité, La Fusée De Shimatachi décrypte les multiples services composant une entreprise japonaise que l’on découvre par l’entremise de Tsukuda Kôhei, un ingénieur devenu patron qui se concentre davantage sur les concepts d’une technologie de pointe que sur les aspects stratégiques et financiers de ses affaires. Le lecteur fait ainsi la connaissance d’un entrepreneur dont les rêves de conquête dans le domaine de l’aérospatial deviennent les enjeux d’un récit où les défît entrepreneuriaux font l‘objet de trahisons en tout genre, d’embûches financières et technologiques pouvant faire capoter le projet à tout instant. Les rêves de l’entrepreneur face à la réalité du marché, la petite PME devant lutter contre les desseins d’une grande compagnie, l’employé réticent se ralliant finalement au projet, l’auteur s’appuie sur des schémas narratifs manichéens assez convenus pour alimenter les différents ressorts d’une intrigue qui n’en demeure pas moins passionnante.

     

    Même s’il n’a pas pour vocation de dénoncer les dysfonctionnements du monde de l‘entreprise nippone, La Fusée De Shitamachi permet d’appréhender un univers hiérarchisé, codifié à l’extrême, où le collectif ne laisse aucune place à l’individualisme. Et bien au-delà du maintien de l’emploi ou des questions salariales, c’est la fierté de la réussite des projets de l’entreprise qui importe avant tout, ceci au prix de tous les sacrifices. Ainsi les lecteurs attentifs pourront s’interroger sur les rythmes de travail effrénés de ces « salaryman » consacrant la majeure partie de leur temps au labeur quant ils ne se retrouvent pas, le soir venu, dans des izakaya, ces bars japonais où se déroulent les nomikai, « réunions pour boire », permettant de discuter encore du travail entre collègues et qui deviennent un véritable phénomène de société avec cette image de salariés ivres morts, titubants dans les rues ou affalés sur les sièges des métros. Egalement à charge, c’est le monde de la finance comme les banques mais également les société d’investissement et leurs rapports ambivalents à l’entreprise qu’Ikeido Jun, ancien employé bancaire, se charge de disséquer au gré d’une histoire entremêlant son expérience professionnelle à la fiction d’un récit riche en péripétie où l’innovation des technologies de pointe se heurte à l’absence de vision et au manque d’audace des financiers.

     

    Dépaysant, autant dans sa forme que du point de vue exotique, La Fusée De Shitamachi, est un pur roman populaire, mettant en scène l’aventure palpitante d’un entrepreneur audacieux et innovant confronté aux aléas des financements et de la concurrence tout en disséquant, avec une acuité redoutable, les différentes strates hiérarchiques qui compose un univers du travail où employés et cadres se dévouent corps et âmes et surtout, sans compter leur temps, au bon fonctionnement de l’entreprise. Surprenant et édifiant.

     

    Ikeido Jun : La Fusée De Shitamachi (Shitamachi Rocket). Traduit du japonais par Patrick Honnoré. Books Editions 2012.

    A lire en écoutant : Come Close (feat. Common) de Indigo Jam Unit. Album : re : common from Indigo Jam Unit. Rambling Records 2009.

     

     

  • Thierry Marignac : Fasciste. Un pavé dans la gueule.

    thierry marginac,fasciste,hélios noir,pierric guittaut,fn,extreme droitePlus que partout ailleurs, c’est en France que le polar et le roman noir sont devenus l’instrument d’une espèce de propagande politique entretenue par des militants de gauche et d’extrême gauche. Il ne s’agit en rien d’une critique mais d’un constat dont il faut prendre conscience en lisant les œuvres de ces écrivains reconnus avec en tête de file Jean-Patrick Manchette qui créa la mouvance de la critique sociale par l’entremise du roman noir. Il est même amusant de voir ces vieux briscards de gauche s’invectiver entre eux dans les salons du livre ou par l’entremise de la tribune des hebdomadaires en se traitant de négationniste, d’antisioniste ou autres joyeusetés à l’instar d’un Didier Daeninckx qui dresse régulièrement des procès d’intention aux accents parfois staliniens en s’en prenant aux écrivains qui n’entreraient pas dans le moule. C’est beaucoup moins amusant lorsque l’on sait que certains auteurs en marge subissent les foudres d’une censure ou d’un silence médiatique parfois assourdissant comme le révèle des auteurs comme Pierric Guittaut  ou Thierry Marignac. Ce dernier semble avoir fait les frais de cette censure lorsqu’il écrivit en 1988 son premier roman intitulé Fasciste qui fait l’objet d’une troisième réédition.

     

    Rebelle sans cause, étudiant bourgeois achevant son service militaire, Rémi Fontevrault est un fasciste qui embrasse d’avantage la cause pour l’aura romantique du réprouvé que pour les convictions politiques de rejet. Manifs, bagarres, études bâclées, le jeune homme végète en vivant au crochet d’un père qu’il méprise. C’est en rencontrant Lieutenant et sa sœur Irène, tous deux issus d’une famille de collaborateurs que Rémi va orienter l’ensemble de ses actions en organisant le service d’ordre d’un homme politique du front national. Trafic d’armes, luttes d’influence, ratonades, Rémi et Lieutenant mettent leurs idéaux de côté pour laisser la place aux actions violentes et déterminées que même les politiques extrémistes de droite, en quête de respectabilité, doivent désormais rejeter. Quand on arrive à l’extrême de l’extrême on se retrouve au bord du vide.

     

    Qualifié de roman culte, Fasciste est désormais présenté comme un ouvrage licencieux, voire même subversif dont la seule acquisition provoquerait un certain frisson. Une bravade de l’interdit en quelque sorte. Mais que l’on soit bien clair, Fasciste n’a rien du brûlot sulfureux que l’on veut nous décrire, bien au contraire. Certes l’auteur nous dépeint la trajectoire d’un fasciste sans pour autant décrier la démarche du personnage principal. En fait tout le postulat inconvenant du roman réside dans le fait que Rémi soit un fasciste. Et alors ? Héros ou antihéros, Thierry Marignac ne nous impose aucun jugement de valeur, aucune morale et surtout aucune démarche de rédemption et c’est tant mieux. Il semblerait que l’auteur parie finalement sur l’intelligence du lecteur. Car même s’il est beau, intelligent et cultivé, nous n’avons aucune envie d’apprécier ce jeune en rupture dont on suit la trajectoire dans une succession de scènes parfois ennuyeuses. Il est indéniable que Thierry Marignac possède une maîtrise de l’écriture qui lui permet de nous délivrer un texte fluide qui tranche avec la pauvreté de l’intrigue. On appréciera toutefois l’épisode où Rémi se rend à Belfast pour rencontrer un leader unioniste ainsi que la scène finale. Mais est-ce que tout cela est suffisant pour faire de Fasciste un roman culte ? Certainement pas.

     

    Thierry Marignac nous explique qu’il souhaitait écrire un roman dans un registre où l’on ne l’attendait pas. Cela semble un peu court pour dépeindre le milieu de l’extrême droite et on le ressent tout au long du récit. Car Fasciste manque cruellement d’ampleur et c’est bien dommage, d’autant plus que l’on se doute bien que l’auteur en a sous la pédale. On déplorera également le manque de clarté environnementale et politique qui conduit les différents personnages vers leur destinée. Cette absence de contexte motivant l’action des protagonistes est l’une des faiblesses du roman qui perd de sa substance trash.

     

    Il n’en demeure pas moins qu’il faut lire Fasciste, qui reste un des rares romans sans complaisance évoquant le FN et ses groupuscules d’extrême droite sans pour autant tomber dans les clichés de convenance. Et si l’on se demande ce que sont devenus les différents acteurs de l’histoire il suffit d’inscrire Fasciste dans la perspective de la démarche de dédiabolisation du rassemblement bleu marine que l’on vit actuellement en France.

     

    Thierry Marignac : Fasciste. Editions ActuSF Hélios Noir 2015.

    A lire en écoutant : Come Out and Play. The Offspring. Album : Smash (Epitaph 1994).

  • DENNIS LEHANE : ILS VIVENT LA NUIT. L’ETHIQUE MYTHIQUE DES TRUANDS.

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    J’ai toujours eu un doute sur la qualité des œuvres auxquelles on attribuait des prix littéraires et cette règle n’échappe pas à l’univers du polar avec cet Edgar 2013 du meilleur roman décerné à Dennis Lehane pour son dernier roman Ils Vivent la Nuit. On est en droit de se demander si ce n’est pas pour ses ouvrages précédents comme Gone Baby Gone, Ténèbres Prenez-moi la Main, Shutther Island, Mystic River et Un Pays à l’Aube que Dennis Lehanne a été récompensé cette année. Mais alors n’aurait-il pas été plus judicieux de lui donner l’Edgar « Grand Maître » qui récompense l’ensemble d’une œuvre plutôt que lui octroyer une distinction pour un roman qui est certes assez bon, sans toutefois atteindre le niveau que l’on peut attendre de la part d’un des grands auteurs du polar américain.

     

    Avec Ils Vivent la Nuit, Dennis Lehane se penche à nouveau sur la fatrie Coughlin qu’il nous avait présenté dans Un Pays à l’Aube.  En 1926, période faste de la Prohibition, la ville de Boston est gangrénée par la corruption et les luttes de pouvoir intestine de la pègre. C’est dans ce milieu qu’évolue le plus jeune des frères Coughlin, prénommé Joe qui décide d’embrasser la carrière de gangster au grand dam de son père, officier de police respecté bien que corrompu. Après un séjour en prison où il fait ses classes auprès d’un vieux parrain de la Mafia, Joe va se rendre à Ybor en Floride pour mettre en place tout un empire clandestin qui prendra de plus en plus d’essort. Au gré des alliances, des trahisons Joe Coughlin va se faire une place dans ce monde interlope des trafiquants et découvrir, en toile de fond historique, par l’entremise de la belle Graciella, les prémices des remous révolutionnaire qui vont secouer l’île de Cuba.

     

    Avec l’annonce très rapide du rachat des droits du livre afin de l’adapter au cinéma on est en droit de se demander si ce roman, contrairement au trois adaptations précédentes (Mystic River, Gone Baby Gone et Shutter Island) n’a pas été rédigé en prenant en compte les canons d’Hollywood. Car Ils vivent la Nuit est  un roman extrèmement prenant sur le plan de l’intrigue et très percutant au niveau des dialogues admirablement bien ficelés qui se lit d’une traite sans que l’on ne s’en rende compte. Mais pour y parvenir, on ne peut s’empêcher d’avoir cette sensation de lissage qui se traduit notamment au niveau du personnage principal. Car Joe Coughlin est certes bien un truand, mais pour un gangster d’envergure le personnage est emprunt d’une morale et d’une éthique qui ne colle pas avec le cadre dans lequel il évolue. Joe bien trop noble, tue parfois des hommes, mais ceux-ci sont de tels véritables salauds que son honneur reste sauf et c’est bien dommage. Pas de dilemme ou de choix cornelien pour ce jeune héro qui n’aura donc pas l’envergure des nombreux personnages qui ont habité les histoires de Dennis Lehane. Où sont donc passés ces âmes torturées comme Jimmy Marcus ex-truand et père ravagé par la perte de sa petite fille dans Mystic River ou Teddy Daniels habité d’une sombre folie dans Shutter Island et même Patrick Kenzie contraint de prendre une décision douloureuse dans Gone Baby Gone ?

     

    Cette sensation de lissage on peut également la retrouver sur le plan historique où les heures sombres de la Prohibition sont abordées d’une manière plutôt édulcorée. Le récit y gagne peut-être en clarté au détriment de sa dimension dramaturgique. Tout y est trop simple, presque manichéen. Pour un peu l’auteur, plutôt que de déconstruire le mythe à la manière d’un James Ellroy, nous présenterait même les trafiquants d’alcool comme des gens ayant œuvrés pour la santé public du pays. Un roman plus simpliste donc qui tranche avec son précédent opus, Un Pays à l’Aube habité d’une part obscure et d’un souffle épique que l’on peine à retrouver dans ce dernier roman. On le ressent particulièrement lorsque l’auteur évoque les personnages réels qui peuplent son récit à l’instar d’un Lucky Luciano assez terne qui manque singulièrement d’envergure.

     

    De belles images de carte postal, de « braves » gentils et de « vilains » salopards, Ils Vivent la Nuit s’attache à respecter les codes des histoires de gangters et sera donc un roman facilement adaptable au cinéma, mais est-ce que cela sera suffisant pour en faire un bon film ? A force de côtoyer les sirènes d’Hollywood, Dennis Lehane n’est-il pas en passe de céder son âme au diable. Gageons qu’il n’en sera rien. Il ne reste plus à Ben Affleck, acquéreur des droits de Ils Vivent la Nuit, qu’à nous séduire comme il l’avait fait en réalisant Gone Baby Gone.

     

    Dennis Lehane : Ils vivent la nuit. Editions Rivages/Thriller 2012. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Isabelle Maillet.

     

    A lire en écoutant : Chan Chan. Buena Vista Social Club. World Circuit 1997.

     

     

     

     

  • CHESTER HIMES : LA REINE DES POMMES, HARLEM OU LE CANCER DE L’AMERIQUE

     

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    Si on regarde vers l'est, du haut des tours de Riverside Church, perchée au milieu des bâtiments universitaires, sur la rive haute de l'Hudson River, on voit tout en bas, dans la vallée, les vagues des toits gris, qui, comme celles de l'océan, faussent la perspective. Sous cette étendue mouvante, dans les eaux troubles des garnis crasseux, une population noire se convulse dans une frénésie de vivre, à l'image d'un banc grouillant de poissons carnassiers qui parfois, dans leur voracité aveugle, dévorent leurs propres entrailles. On plonge la main dans ce remous et on en retire un moignon.

    C'est Harlem.

    Plus on se porte à l'est plus la ville est noire.

     

    C'est peut-être en lisant ce court extrait que l'on peut comprendre qu'au delà d'une intrigue punchy, de dialogues truculents et de personnages charismatiques la Reine des Pommes de Chester Himes est considéré comme un des grands classiques du polar. Ex étudiant, ex liftier, ex taulard, l'auteur en mal de devenir fut contraint de s'exiler en France pour obtenir une considération littéraire qu'il ne trouvait pas dans une Amérique gangrenée par la ségrégation. Alors qu'il s'obstinait à écrire des romans sociaux, Marcel Duhamel, alors directeur de la prestigieuse collection Série Noire, lui conseilla de s'essayer au polar. En 1958, La Reine des Pommes fut donc publié pour la première fois en France et obtint un énorme succès salué entre autre par Giono, Sartre et Cocteau.

     

    Jackson est l'homme, le plus candide d'Harlem et pour combler sa garce de petite amie, prénommée Imabelle, il va faire fructifier son argent grâce aux « dons miraculeux » d'une bande de personnages très louches capable de transformer les billets de 10 dollars en billets de 100 dollars. Et lorsqu'il constate qu'il s'est fait spolier, cet apprenti croque- mort, transporté par une foi à toute épreuve et une naïveté qui confine à la stupidité, va tout faire pour récupérer son bien. Il sera aidé de son escroc de frère Chuck, qui pour survivre, se déguise en bonne sœur afin de voler les dévôts. L'histoire se réglera à coups de surins, de flingues et de bouteilles d'acide. Et parmi les personnages secondaires, apparaitront les flics les plus durs de Harlem, j'ai nommé Ed Cercueil Johnson et Fossoyeur Jones que l'on retrouvera dans les huit romans composant le cycle de Harlem.

     

    Un monde sans pitié que le Harlem de Chester Himes où il y dénonce cette politique de ségrégation que subissait les citoyens afro-américains, mais également les travers d'une population qu'il dépeignait sans concession. On y découvre un quatier sinistré, gangréné par la violence et la misère sociale. On est bien loin des images d'épinal véhiculées par l'Apollo Theater et autres boîtes de jazz. Le Harlem que Chester Himes décrit est un quartier soufrant des affres de la drogue et de la mortalité infantile, entre autre. Un univers sordide, truffé de taudis où les délinquants en tout genre sévissent au détriment d'une population tourmentée.

     

    Et si l'on veut se convaincre du lien entre l'étude sociale d'un quartier et le polar, il faut lire l'essai de Chester Himes, Harlem ou le Cancer de l'Amérique qui sert d'introduction au huit polars du Cycle de Harlem que l'on retrouve réunis pour l'édition Quarto/Gallimard. Il s'agit d'un texte édifiant qui dépeint de manière exhaustive l'historique et le contexte social de ce célèbre quartier. Là aussi vous découvrirez le regard sans concession de Chester Himes sur la vie des hommes et des femmes de ce quartier. Un texte dérangeant où l'auteur emploie à de multiples reprises le mot nègre comme pour mieux exorciser ce mal qui ronge encore l'Amérique.

     

    Lorsque l'on me proposa, avec Yves Patrick Delachaux et Valérie Solano, de faire une chronique de polars pour Radio Cité, ce fut cet ouvrage qu'il me vint à l'esprit d'évoquer. Par le biais de ce lien vous découvrirez la maquette de ce projet malheureusement avorté avant même sa mise en œuvre : Machine Gun Kelly. Un joli brouillon savamment monté et mixé par l'excellent Alexandre Marcellin et animé par la talentueuse Judith Repond.

     

    La Reine des Pommes c'est comme un morceau de be-bop que cracherait le saxo de Charlie Parker. Rapide, stylé, rythmé !!


    http://www.flicdequartier.ch/machine-gun-kelly/

     

    Bonne lecture et bonne écoute !

     

     

    Chester Himes : La Reine des Pommes. Editions Gallimard/Quarto 2007. Traduit de l'anglais USA par Minnie Danzas.

     

    A lire en écoutant : Across the 110th Street. Booby Woomack. Album : The Soul of Bobby Woomack/EMI Heart of Soul Series.