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MON ROMAN ? NOIR ET BIEN SERRE ! - Page 23

  • Nicolas Verdan : La Récolte Des Enfants. Pédomazoma.

    Capture d’écran 2023-11-06 à 20.40.39.pngPartageant ses origines entre la Suisse où il est né, et la Grèce où il séjourne régulièrement, le journaliste Nicolas Verdan emprunte la plume du romancier pour poser, avec Le Mur Grec (Bernard Campiche 2015) les enjeux de la frontière et des drames qui en découlent en 2010, dans la région de l'Evros désormais bordée d'une clôture de fer et de barbelé, financée par l'Union européenne. Publié en 2015, bien avant que l'on ne s'alarme sur les conditions de réfugiés parqués dans des camps insalubres, et bien avant que l'on ne dénonce les dérives de l'agence Frontex, Le Mur Grec met en lumière, sous l'allure d'un roman policier, l'incurie d'un gouvernement dépassé par le flux migratoire qu'elle ne peut contrôler tandis que plane, en arrière-plan, les préludes d'un crise financière structurelle qui va ravager le pays. C'est dans ce contexte que l'on fait donc la connaissance d'Evangelos Moutzouris un enquêteur rattaché auprès du service des renseignements, proche de la retraite, mais bien plus opiniâtre qu'il n'y parait alors qu'il s'apprête à devenir grand-père. Salué unanimement par la critique romande, traduit en anglais et en italien, Le Mur Grec suscite un intérêt marqué en France en faisant l'objet d'une réédition au sein de la collection Fusion des éditions l'Atalante en 2022 puis d'un  retour, après huit ans de silence, d'Evangelos Moutzouris que l'on retrouve dans La Récolte Des Enfants, dernier roman de Nicolas Verdan. 

     

    C'est donc bien décidé, au terme des Fête de fin d'année, Andromède, la fille d'Evangelos Moutzouris, quitte Zürich pour retourner définitivement en Grèce avec son mari et sa fille Zoi, âgée de 15 ans. Une joie pour ce vieux flic retraité à qui l'on confie la voiture familiale de luxe afin de la rapatrier au pays. Mais alors qu'il fait un détour en Albanie et qu'il essaie de se frayer un chemin sur les routes sinueuses des monts Gramos balayés par une tempête de neige, Evangelos apprend que sa petite-fille a disparu à la sortie de l'école. Des Balkans où il croise la route de ceux qui veulent rejoindre le califat de Daech, à Zürich où il tente de retracer le parcours de Zoi avant qu'elle ne disparaisse, Evangelos va retrouver ses réflexes de policier pour affronter toute une gamme de prédateurs déterminés qui entraînent les enfants dans leur folie.

     

    On commençait à se languir de Nicolas Verdan qui n'avait plus donné de ses nouvelles depuis cinq ans, après la publication de La Coach qui obtenait le prix du polar romand en 2018. Et puis voilà qu'apparaît coup sur coup Cruel (BSN Press/Okama 2023), un roman noir féroce autour d'un rapt d'enfant et de bien d'autres crimes se déroulant en Suisse romande ainsi que La Récolte Des Enfants qui s'inscrit dans un registre similaire avec ce qui apparaît désormais comme une série mettant en scène l'attachant personnage d'Evangelos Moutzouris dont on découvre certains traits de sa personnalité au gré d'une intrigue policière prenant la forme d'un road-trip entre Zürich et Athènes en passant par l'Albanie et la région des monts Gramos, bastion communiste durant la Guerre civile grecque en 1949. Le lieu n'a rien d'anodin, puisque Nicolas Verdan va développer toute une thématique en lien avec l'enlèvement d'enfants dans le cadre des rafles d'autrefois en évoquant la dictature des colonels ainsi que cette fuite de plusieurs milliers d'enfants grecs qui ont émigré, plus ou moins contraints, dans les contrées du bloc de l’est avec ce système de Pédomazoma en grec ou Devshirme en turc pour désigner une pratique odieuse sévissant déjà au sein l'empire Ottoman. Autour de cette résurgence de l’histoire, Nicolas Verdan nous renvoie vers le présent où l’on croise, sur cette route des Balkans, une mère entrainant son jeune fils vers les territoires occupés par l’Etat islamique tout en abordant le thème de l’influence parfois néfaste des réseaux sociaux sur les jeunes pour finalement revenir vers le passé, mais cette fois-ci en Suisse, afin de parler des internements forcés de mineurs au sein d’institutions douteuses. On le voit, Nicolas Verdan dépeint ainsi un large panorama de la maltraitance des enfants, en évitant tous les aspects racoleurs propre à un tel sujet, au risque parfois de se perdre dans les méandres d'une intrigue foisonnante et riche en péripéties mais qu'il parvient pourtant à contenir en se concentrant sur les réflexions et le point de vue d'Evangelos ainsi que sur son rapport avec sa petite fille Zoi dont la disparition va devenir le fil conducteur d'un récit extrêmement dense révélant quelques aspects de la jeunesse de son personnage central comme son incorporation dans les rangs de la police militaire de la junte des colonels où il croise l'une des victimes de la fusillade de l'école de polytechnique à Athènes en 1973. On se laisse ainsi balloter sur cette route tumultueuse des Balkans au gré de ces rencontres impromptues ponctuant ce roman d'une atmosphère nostalgique indicible, émanation d'un périple méditerranéen au charme indéniable que l'auteur a sans nul doute parcouru à maintes reprises en croisant toute une population de migrants turcs, albanais et grecs en quête de retrouvailles dans leur pays d’origine. Ainsi, autour d'une intrigue policière savamment orchestrée, aux contours sociaux et historiques captivants, Nicolas Verdan signe son grand retour avec La Récolte Des Enfants en nous permettant de retrouver Evangelos Moutzouris, vieil enquêteur humaniste grec, dont les investigations s'inscrivent désormais dans le cadre d'une série prometteuse. 

     

    Nicolas Verdan : La Récolte Des Enfants. Editions L'Atalante/Collection Fusion 2023.

    A lire en écoutant : Kindertotenlieder interprétés par Lauren Newton. Album : Kindertotenlieder de Gustave Mahler - Henning Schmiedt - Wolfgang Schmiedt - feat. Jörg Luke - Ulrich Moritz. 2005 KangRäume.

  • PIERRE PELOT : LOIN EN AMONT DU CIEL. DU SANG ET DE LA BOUE.

    loin en amont du ciel, pierre pelot, éditions gallimard, collection la noireA la fin des années 60, Sergio Leone règne en maître dans le domaine du western avec des films emblématiques et légendaires comme Le Bon, La Brute Et Le Truand ou Il Etait Une Fois Dans L'Ouest qui marqueront d'une manière indélébile l'histoire du cinéma. La BD francophone n'est pas en reste puisque l'on assiste à l'émergence du Lieutenant Blueberry scénarisé par Charlier et dessiné par Giraud tandis qu'au début des années 70, Hermann se lance, avec Greg au scénario, dans la série Comanche et que Michel Blanc-Dumont et Laurence Harlé mettent en scène les aventures de Jonathan Cartland et puis qu'apparait le personnage de Buddy Longway créé par Derib. A la même époque, s’inscrivant dans cette effervescence du genre, il faut également compter sur Pierre Pelot débutant sa carrière de romancier avec une série mettant en scène Dylan Stark un métis moitié cherokee, moitié français qui, au terme de la guerre de sécession, se jette à corps perdu dans une longue quête de vengeance après avoir découvert, en revenant au pays, que toute sa famille a été massacrée. Au gré des 22 ouvrages publiés, on remarquera que certains d'entre eux sont illustrés par Hermann tandis que dans d'autres publications on trouvera les dessins de Michel Blanc-Dumont ou de Michel Auclair, autre auteur de BD, qui se distinguera avec les aventures de Simon Du Fleuve, dans un genre post-apocalyptique aux allures de western. On notera que l'ensemble de la série Dylan Stark n'est malheureusement plus disponible mais que l'on peut les retrouver sur le marché de l’occasion, en constatant d'ailleurs que le 17ème volume, Le Tombeau De Satan (Marabout 1969), est préfacé par Hergé. Après cette incursion notable dans le western, il sera difficile de résumer la suite de la carrière littéraire de Pierre Pelot s'étalant sur plus de cinq décennies en publiant pas moins de deux cents ouvrages pour s'aventurer sur des registres variés tels que la science-fiction, le polar, le roman noir mais également du côté de la littérature blanche avec ces phrases redoutables, presque sans fin qui envoûtent le lecteur en l’entrainant dans la splendeur d'un récit tel que Braves Gens Du Purgatoire (Héloïse d’Ormesson 2019) dont on retrouvera les caractéristiques dans Loin En Amont Du Ciel, dernier ouvrage de l'auteur qui renoue avec le western aux accents crépusculaires où apparaît, de manière lointaine, la silhouette de Dylan Stark dont la trajectoire s’insinue dans celle de trois sœurs se lançant à la poursuite de la bande de renégats qui ont pillé leur ferme et assassiné leurs proches.

     

    Si la guerre de Sécession a pris fin et que le pays se reconstruit peu à peu, on voit apparaître des anciens combattants qui se sont reconvertis dans le meurtre et le pillage en formant des bandes de hors-la-loi sans foi ni loi. L'une d'entre elles est commandée par Captain Sangre de Cristo qui peut notamment compter sur l'appui d'une sorcière sanguinaire que ses comparses surnomment Mother. Déferlant désormais dans la vallée des Orzak, cette horde de pillards sèment terreur et désolations en s'en prenant plus particulièrement aux fermes isolées, dont celle appartenant à la famille McEwen après avoir massacré les parents ainsi que la cadette des filles sous le regard impuissant des trois sœurs survivantes. Bien décidées à se venger, Enéa McEwen ainsi que les deux jumelles Aïleen et Erin vont traquer sans relâche chaque membre de cette bande de renégats qui poursuivent leurs exactions dans tous les recoins des états du Sud. Ainsi, au fil de leur périple, les sœurs McEwen croisent d'autres femmes, également victimes de cette horde sauvage, qui se joignent à leur croisade vengeresse où le fracas des armes rugira pour solde de tout compte.

     

    Dans la collection La Noire on trouve notamment Méridien De Sang (Gallimard/La Noire 1992) de Cormac McCarthy et Deadwood (Gallimard/La Noire 1994) de Peter Dexter, représentatifs de ce fameux courant western gothique caractérisant ces deux romans légendaires. Il y a donc une cohérence certaine à ce que Pierre Pelot intègre cette collection mythique avec ce western aux accents âpres et crépusculaires dont il décline l'atmosphère à la fois lourde et violente au détour d'un texte tempétueux et d'une saisissante intensité s'articulant autour de la destinée des trois soeurs McEwen bien décidées à faire payer le prix fort à tous ceux qui ont massacré leur famille. Et puis, comme une mise en abime vertigineuse, on observe également le parcours d'Anton Deavers, journaliste pour The True Republican New Chronicle et qui a déjà rédigé les aventures du lieutenant Dylan Stark pour s'intéresser désormais au devenir de ces trois femmes qui ont pris les armes pour former une milice comptant de nombreuses comparses qui s'abattent sur leurs adversaires avec une farouche détermination. Et comme pour donner davantage d'assise et de réalisme au récit, Pierre Pelot convoque la personnalité historique de William Quantrill qui dirigea une horde déchaînée de hors-la-loi sévissant dans le Missouri et le Kansas et dont certains membres formèrent par la suite le redoutable gang James-Younger. Avec un tel personnage, l'auteur s'inspire de cette sauvagerie, propre à l'époque, pour mettre en scène les exactions de Captain Sangre De Cristo, ancien membre de la bande Quantrill, et de Mother, une furie sanguinaire qui éprouve une certaine prédilection à éventrer tous les individus qu'elle croise, en lançant quelques imprécations furieuses pour invoquer tous les démons de l'enfer. Tout cet ensemble s'embrase au détour d'un texte aux longues phrases tumultueuses que l'auteur façonne avec cette passion sans égale du mot juste dont il reprend parfois à son compte la signification pour l'insérer parfaitement dans la scène qu'il dépeint, que ce soit ces paysages majestueux, ces recoins sordides et bien évidemment ces éclats d'une violence flamboyante et outrancière comme en témoigne le pillage de la ferme McEwen ou le règlement de compte entre Enéa et Mother prenant une allure dantesque au cour d'un affrontement déchainé entre bandes rivales s'affrontant au sein d'un saloon ravagé par la multitude de coups de feu qui éclatent de toute part. Ainsi, Pierre Pelot, en pleine maitrise de la langue et du récit, vous entraine dans la sauvagerie de cette période tumultueuse au gré d'une succession d'événements d'une envergure peu commune vous coupant le souffle et vous laissant sans voix au milieu de ces éclats de boue et de sang qui semblent toujours vous coller à la peau même une fois l'ouvrage terminé.

     

    Pierre Pelot : Loin En Amont Du Ciel. Editions Gallimard/Collection La Noire 2023.

    A lire en écoutant : You Will Be My Ain True Love de Alison Krauss. Album : A Hundred Miles Or More: A Collection. 2007 Rounder Records.

  • David Grann : Killers Of The Flower Monn/La Note Américaine. Les coyotes.

    Capture d’écran 2023-10-24 à 15.50.15.pngC’est cette obsession du détail véridique et cette manière si particulière de nourrir sa narration sous une forme romancée qui font du journaliste et écrivain David Grann un auteur emblématique de ce que l’on désigne comme de la narrative nonfiction, ou en français de l’enquête littéraire, trouvant notamment sa place dans les colonnes du prestigieux magazine New Yorker où il travaille toujours. Mais ce sont bien évidemment autour de ses ouvrages que David Grann connaît une certaine notoriété, ce d’autant plus que bon nombre d’entre eux font l’objet d’adaptations au cinéma à l’instar de Trial By Fire (Allia 2010) réalisé par David Lowery ainsi que La Cité Perdue De Z (Points 2020) mis en scène par James Grey. Mais l’actualité de David Grann se focalise autour de deux événements que sont la sortie de son dernier ouvrage Les Naufragé du Wager (Sous-sol 2023) dont on annonce l’adaptation par Martin Scorsese qui vient de réaliser Killers Of The Flower Moon inspiré de l’avant-dernier récit de l’auteur. A l’occasion de la sortie sur les écrans de cet événement cinématographique, les éditions Globe ont donc réédité La Note Américaine en reprenant son titre original, Killers Of The Flower Moon, faisant référence aux fleurs tapissant les immenses prairies de ces contrées appartenant aux indiens Osages, objets de toutes les convoitises après la découverte de champs pétrolifères au début du XXème siècle, mais également aux meurtriers qui se sont employés à dépouiller les membres de cette communauté autochtone de toutes leurs richesses.

     

    Alors qu'ils vivaient sur des terres situées dans les états du Kansas, de l'Arkansas et du Missouri, les indiens Osages sont finalement parqués sur un territoire aride de l'Oklahoma afin de laisser leur place aux colons bénéficiant de l'appui du gouvernement dans le cadre d'une conquête de l'ouest débridée. Famines et maladies déciment cette population autochtone. Pourtant avec la découverte du plus grand gisement de pétrole des Etats-Unis au début du XXème siècle, les chose changent pour les Osages qui détiennent désormais une véritable fortune leur permettant d'acquérir des biens matériels considérables, d'envoyer leurs enfants faire des études dans les universités les plus prestigieuses et d'employer une cohorte de domestiques blancs qui sont à leur service. Mais en 1921, certains membres de la communauté disparaissent dans des conditions dramatiques. Empoisonnements, exécutions par arme à feu, attentat à l'explosif, les meurtres s'enchainent sans qu'aucune enquête sérieuse ne vienne mettre un terme à cette terrible série noire. C'est le règne de la terreur qui régit désormais le quotidien de ces riches Osages terrorisés allant jusqu'à demander de l'aide auprès du président afin que cesse ces exactions meurtrières. Le dossier est finalement confié au Bureau of Investigation dirigé par un jeune fonctionnaire ambitieux Edgar J Hoover qui voit là une opportunité de mettre en avant ce service de police qui deviendra en 1935 le fameux Fédéral Bureau of Investigations (FBI). C'est donc une équipe d'enquêteurs aguerris qui va débarquer dans le comté d'Osage afin de démasquer les auteurs de ces crimes abominables.

     

    Il fallait bien un film d'une durée de plus de trois heures à la mise en scène solide pour restituer certains aspects de cette enquête magistrale évoquant la série de meurtres qui a secoué la communauté des indiens Osages au début du XXème siècle. Une belle adaptation donc avec quelques acteur formidables tels que Lilly Gladstone et Jesse Plemons devant absorber les interprétations parfois outrancières d'un Robert De Niro plutôt inspiré et d'un Leonardo Di Caprio qui a tendance à surjouer avec à la clé toute une série de mimiques devenant rapidement insupportables. Difficile néanmoins d'intégrer tout les éléments d'un récit d'une densité peu commune que David Grann décline avec une véritable maestria en décortiquant les moindres détails d'une époque trouble qu'il restitue avec une précision peu commune. Il faut donc saluer cette initiative toute commerciale des éditions Globe pour remettre au goût du jour Killers Of The Flower Moon/La Note Américaine publié et 2018 et désormais orné d'une nouvelle couverture et d'un bandeau faisant la promotion d'un film qui reprend la première chronique d'un ouvrage en comptant trois. Cette première chronique prend véritablement l'allure d'une intrigue policière qui s'articule autour de la personnalité de Molly Burkhart témoin impuissante des débuts du Règne de la terreur entrainant la disparition de ses proches. Qui donc commet ces meurtres ? A qui profite le crime ? C'est autour de ces questions que David Grann dresse le contexte social de l'époque tout en déclinant la trajectoire  historique du peuple Osage et de ses richesses nouvellement acquises avec la découverte de cette manne pétrolière que l'on se transmet par héritage au sein des familles autochtones. Pour s'emparer de ses richesses ou au moins en contrôler le flux, les Blancs mettent en place un système inique de tutelle auquel chaque Osage est soumis, tandis qu'une faune de gens peu scrupuleux gravitent autour d'eux afin de faire main basse sur leur fortune. On prend ainsi la mesure du choc des cultures et des crimes odieux qui se perpétuent dans un contexte rendu encore plus délétère par la prohibition dont on contourne allègrement les règles. Il émane ainsi une atmosphère sauvage de non droit rendue encore plus prégnante par des autorités incompétentes et pour la plupart du temps complètement corrompues. La seconde chronique dresse le portrait de Tom White, chargé par Hoover de faire enfin la lumière sur les meurtres qui déciment la communauté des Osages donnant l'occasion à David Grann de nous expliquer les arcanes politiques de ces investigations permettant de mettre en avant les compétences du Bureau of Investigation, ancêtre du légendaire FBI. Pressions et déterminations sont les moteurs de cette enquête d'envergure et des procès qui s'ensuivent en mettant en exergue les jeux d'intimidations de la partie adverse bien décidée à tout faire pour éliminer les témoins gênants. En nous projetant dans le présent, la dernière chronique s'intéresse au devenir des descendants des différents protagonistes qui ont joué un rôle dans ce Règne de la terreur avec ce sentiment indicible de gâchis qui imprègne encore les membres de la communauté Osage qui n'a rien oublié de cette terrible époque. Mais bien plus qu'un fait divers qui mettrait en cause quelques individus abjects David Grann met en lumière une machinerie institutionnelle odieuse destinée à spolier, de manière systémique, les avoirs des indiens Osages. 

     

    Ainsi, Killers Of The Flower Moon/La Note Américaine, dresse le portrait d'une Amérique inique prête à tout pour s'emparer des richesses des autochtones dans un climat de terreur et de violence qui perdure à travers le temps, comme une espèce d'ADN immuable phagocytant l'ensemble des communautés qui composent le pays. Une enquête d'une impitoyable clairvoyance.

     

     

    David Grann : La Note Américaine (Killers Of The Flower Moon). Editions Globe 2023. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Cyril Gay.

    A lire en écoutant : Still Standing de Robbie Robertson. Album : Killers Of The Flower Monn (Soundtrack from the Apple Original Film). 2023 Masterworks, a label Of Sony Music Entertainment.

     

     

  • SEBASTIEN BARRY : AU BON VIEUX TEMPS DE DIEU. CRIMEN PESSIMUM.

    Capture d’écran 2023-10-15 à 17.58.25.pngAux éditions Joëlle Losfeld, on aborde parfois le genre policier avec un certain bonheur comme à la lecture des romans de Richard Morgiève nous entraînant du côté de l'Utah avec Le Cherokee (Joëlle Losfeld 2019) ou du Texas avec Cimetière D'Etoiles (Joëlle Losfeld 2021) au gré de récits d'une intensité peu commune qui pourront déconcerter certains lecteurs de polars qui n'apprécieraient pas d'être un peu bousculé. Cette intensité on la retrouve sans nul doute chez Sebastian Barry, romancier irlandais, mais également dramaturge et poète qui aborde dans son dernier roman Au Bon Vieux Temps De Dieu, le thème de la pédophilie des prêtes en Irlande avec un récit aux allures de roman policier se concentrant autour des souvenirs défaillants d'un policier retraité qui se voit contraint de se remémorer son passé à son corps défendant. Récipiendaire à deux reprises du Costa Book Award, prix prestigieux distinguant les grands auteurs du Royaume Uni comme Salman Rushdie ou Philipp Pullman, Sebastian Barry se distingue dans son écriture de haute volée avec un texte au lyrisme envoûtant, nécessitant une attention particulière pour appréhender la densité de la personnalité de Tom Kettle qui nous entraîne dans les méandres échevelés de ses pensées.

     

    C’est du côté de Dalkey, petit village côtier situé à la périphérie de Dublin, que Tom Kettle a choisi de passer sa retraite en emménageant dans la modeste annexe de Queenstown Castel que le propriétaire, Mr Tomelty, a divisé en plusieurs  logements. Ayant perdu sa femme June ainsi que ses deux enfants Winnie et Joseph et hormis ses voisins qu'il croise de temps à autre, cet ancien policier décline sa solitude en contemplant la mer et la faune depuis son fauteuil en rotin délavé. Engoncé dans ses souvenirs, Tom Kettle ne s'attendait pas à la visite de deux policiers venus lui demander son avis sur un ancien dossier d'abus sexuel au sein de l'Eglise en faisant ressurgir ainsi un passé douloureux qu'il tente d'occulter ce d’autant plus que l’affaire a été enterrée. Mais difficile d'effacer les années de maltraitance des prêtre de l'orphelinat et surtout les viols successifs dont June a été victime lorsqu'elle n'était qu'une enfant. Et ce nom du bourreau qui revient sans cesse : Le père Matthews dont on a retrouvé le corps dans les landes. Et tandis qu’un témoin affirme qu’il était présent aux abords des lieux du crime, Tom Kettle passe soudainement du statut de consultant au rôle de suspect.

     

    Avec Au Bon Vieux Temps De Dieu il n'y aura pas à proprement parler d'enquête policière mais une plongée assez immersive dans les pensées de Tom Kettle se remémorant, d'une manière quelque peu chaotique, le courant de sa vie déclinante au seuil de la vieillesse, en convoquant quelques fantômes qui semblent l'accompagner en permanence. Situé à la période des années 90, au moment où une commission d'enquête faisait la lumière sur la situation endémique des abus sexuels au sein des institution catholiques du pays, Sebastian Barry aborde donc ce sujet sensible avec une délicatesse saisissante, en évoquant plus particulièrement cette loi du silence qui protégea les diocèses durant tant d'années ainsi que les meurtrissures des victimes mais également des proches qui ne se sont jamais remis de ces événements tragiques. Il faudra donc tout d'abord dompter ce flot de souvenirs submergeant un Tom Kettle désarçonné dont la raison oscille entre sa projection de la réalité et les faits qu'on lui rapporte tandis qu'il se remémore les circonstances terribles de la disparition de ses proches dont il distingue portant la présence dans ce cadre magnifique de Dalkey que Sebastian Barry dépeint avec la pointe de nostalgie émanant d'un lieu qu'il a fréquenté durant son enfance. Une fois que l'on a dompté le mode de pensée de Tom Kettle, on se laisse littéralement emporter dans le courant de cette écriture au lyrisme envoûtant pour s'insinuer au coeur de la trajectoire de ce policier vieillissant qui remet à jour les fragments d'une mémoire défaillante. C'est ainsi que l'on prend la pleine mesure de ce scandale dont Sebastian Barry se garde bien de nous en faire l'étalage sordide pour se concentrer sur la douleur des victimes et de leur entourage en faisant également ressurgir cette colère sourde qui imprègne l'ensemble du texte avec cette certitude foudroyante que rien ne pourra jamais être réparé et dont il ne reste qu'à en faire le compte-rendu pour mettre à jour des décennies de souffrance. Et malgré cette douleur sous-jacente, il émane de ce roman une beauté indicible qui nous saisira tout au long de cette lecture éprouvante s’achevant de manière magistrale sur une scène aux contours surréalistes à l’image d’un récit à la fois flamboyant et mélancolique. Sebastian Barry incarne sans nul doute cette magie de l’écriture. 

     


    Sebastien Barry : Au bon Vieux Temps De Dieu ( Old God's Time). Joëlle Losfeld  Editions 2023. Traduit de l'anglais (Irlande) par Laetitia Devaux.

    A lire en écoutant : Kol Nidrei, Op. 47 de Max Bruch - Steven Isserlis, Olivia Jaggeurs et Connie Shih. Album : A Golden Cello Decade, 1878-1888: Dvorák, R. Strauss, Bruch, Le Beau. Steven Isserlis, Connie Shih. 2022 Hyperion Records Limited.

  • Laurent Petitmangin : Les Terres Animales. Ceux qui restent.

    laurent petitmangin,les terres animales,la manufacture de livresOn se souvient encore de cet engouement général pour Ce Qu’il Faut De Nuit (La Manufacture de livres 2020), premier roman de Laurent PetitMangin qui raflait une vingtaine de prix de la rentrée littéraire de 2020. Oscillant entre la chronique sociale et le roman noir en se déroulant dans la région de sa Lorraine natale, on relevait cette pudeur et cette émotion que l’auteur distillait autour des relations entre un père cheminot aux convictions syndicales bien ancrées et un fils tenté par les dérives de l’extrémisme de droite, en s’inscrivant ainsi sur certains thèmes abordés par Nicolas Mathieu issu de ces mêmes contrées lorraines. Écrivant depuis au moins une dizaine d’année sans jamais être publié, Laurent Petitmangin proposait aux éditeurs, en même temps que Ce Qu’il Faut De Nuit, un texte intitulé Ainsi Berlin (La Manufacture de livres 2021) en changeant totalement de registre puisqu’il abordait le genre de l’espionnage de l’après-guerre autour d’une relation amoureuse. Publié au début de l’année 2021, la visibilité de ce roman fut probablement quelque peu occultée par la continuité du succès du premier ouvrage dont on parle encore aujourd’hui. Les aléas du succès sans doute. Mais il est temps de se tourner vers Les Terres Animales, nouveau roman de Laurent Petitmangin qui change une nouvelle fois de genre avec un récit dystopique où l’on rencontre une petite communauté persistant à rester dans une région irradiée suite à l’explosion d’une centrale nucléaire, en s’inspirant notamment d’un reportage s’intéressant à ces personnes âgées voulant à tout prix continuer à vivre à Fukushima en dépit des risques engendrés.

     

    Ça a finit par arriver. La centrale a explosé. L’équivalent de dix Fukushima avec une région qu’il a fallu évacuer pour fuir les radiations. Une zone condamnée, silencieuse où certains ont pourtant choisi de rester malgré tout, attachés qu’ils sont par les souvenirs. Et puis il y a le corps de Vic qui repose dans cette terre contaminée, la fille que Sarah et Fred ont perdu bien avant l’accident de la centrale. Un attachement viscéral auquel s’associe les amis de longue date que sont Marc et Lorna, ainsi qu’Alessandro. Ils forment un groupe soudé qui leur permet de survivre sur ce territoire empoisonné où ils côtoient quelques anciens ainsi qu’une douzaine de migrants estimant que pour eux il n’y a pas d’ailleurs que cette terre animale et désormais indomptable. L’avenir est donc tout tracé pour ces femmes et ces hommes qui vont pourtant devoir remettre en cause leurs certitudes à la survenue d’un événement qui va bouleverser leur existence. 

     

    On recommandera tout d'abord d'éviter de s'attarder sur le résumé du quatrième de couverture dévoilant trop d'éléments de l'intrigue. Tout comme Ce Qu'il Faut De Nuit, on constatera que Les Terres Animales est un roman assez bref où Laurent Petitmangin ne s'embarrasse pas de détails. Ainsi, hormis la beauté vénéneuse du paysage et ce sentiment de liberté qui s'en dégage malgré tout, on ne saura rien de l'aspect géographique de la région dans laquelle évolue cette communauté qui fait le choix de rester dans cette atmosphère irradiée, tout comme l'on ignorera les circonstances de l'accident de cette centrale nucléaire ainsi que l'évacuation qui s'ensuit à l'exception de quelques détails en rapport avec les maisons abandonnées comme figées par la catastrophe. Essentiellement concentré sur l'humain, Laurent Petitmangin décline son récit sur une alternance des points de vue de Fred et de Sarah en définissant ainsi leur quotidien ainsi que les rapports qu'ils entretiennent avec Alessandro et l'autre couple que forme Marc et Lorna en prenant également la mesure des raisons tout de même insensées qui les poussent à vivre ou plutôt survivre au coeur de ce territoire empoisonné qui ne laisse que peu d'espoir quant à leur devenir. Devant l'absence de rationalité d'une telle décision, on ne peut donc raisonnablement pas vraiment s'attacher à ces personnages qui nous bouleversent tout de même au gré des événements auxquels ils vont devoir faire face en bousculant leur périlleuse routine, tout en remettant en cause leurs motivations respectives qui les ralliaient plus particulièrement autour de la destinée de Sarah. Avec cette belle écriture poétique qui caractérise son texte, Laurent Petitmangin met en place cette espèce de léthargie qui enveloppe ce groupe engoncé dans des certitudes ataviques qui perdent brutalement tout leur sens, au rythme d'une succession de drames dont on prendra toute la mesure au terme d'un épilogue chargé d'une émotion parfaitement contenue ce qui la rend d'autant plus poignante. L'intrigue prend également une forme admirable autour des non-dits et plus particulièrement du vertige des ellipses temporelles entre les chapitres qui ne font que renforcer l'intensité des péripéties qui vont marquer les membres de ce groupe qui se révélera beaucoup plus fragile qu'il ne le laisse paraître en révélant toutes les failles de ces personnages qui se révéleront dans tout le poids de leur humanité tragique et que le regard extérieur des membres de cette communauté d'Ouzbeks qu'il côtoient ne fait que renforcer, en devenant ainsi les témoins impavides des malheurs qui frappent ces terres animales. Avec Les Terres Animales, Laurent Petitmangin dépeint, de manière remarquable, cet attachement viscéral au territoire autour de l’amitié qui se désagrège dans les entrelacs de la déraison et des certitudes aveugles.

     

    Laurent Petitmangin : Les Terres Animales. Editions de la Manufacture de livres 2023.

    A lire en écoutant : Lullaby For Caïn de Shinead O'Conor et Gabriel Yared. Album : The Talented Mr. Ripley (Music from th Motion Picture). 1999 Sony Music Entertainment.