SEBASTIEN BARRY : AU BON VIEUX TEMPS DE DIEU. CRIMEN PESSIMUM.
Aux éditions Joëlle Losfeld, on aborde parfois le genre policier avec un certain bonheur comme à la lecture des romans de Richard Morgiève nous entraînant du côté de l'Utah avec Le Cherokee (Joëlle Losfeld 2019) ou du Texas avec Cimetière D'Etoiles (Joëlle Losfeld 2021) au gré de récits d'une intensité peu commune qui pourront déconcerter certains lecteurs de polars qui n'apprécieraient pas d'être un peu bousculé. Cette intensité on la retrouve sans nul doute chez Sebastian Barry, romancier irlandais, mais également dramaturge et poète qui aborde dans son dernier roman Au Bon Vieux Temps De Dieu, le thème de la pédophilie des prêtes en Irlande avec un récit aux allures de roman policier se concentrant autour des souvenirs défaillants d'un policier retraité qui se voit contraint de se remémorer son passé à son corps défendant. Récipiendaire à deux reprises du Costa Book Award, prix prestigieux distinguant les grands auteurs du Royaume Uni comme Salman Rushdie ou Philipp Pullman, Sebastian Barry se distingue dans son écriture de haute volée avec un texte au lyrisme envoûtant, nécessitant une attention particulière pour appréhender la densité de la personnalité de Tom Kettle qui nous entraîne dans les méandres échevelés de ses pensées.
C’est du côté de Dalkey, petit village côtier situé à la périphérie de Dublin, que Tom Kettle a choisi de passer sa retraite en emménageant dans la modeste annexe de Queenstown Castel que le propriétaire, Mr Tomelty, a divisé en plusieurs logements. Ayant perdu sa femme June ainsi que ses deux enfants Winnie et Joseph et hormis ses voisins qu'il croise de temps à autre, cet ancien policier décline sa solitude en contemplant la mer et la faune depuis son fauteuil en rotin délavé. Engoncé dans ses souvenirs, Tom Kettle ne s'attendait pas à la visite de deux policiers venus lui demander son avis sur un ancien dossier d'abus sexuel au sein de l'Eglise en faisant ressurgir ainsi un passé douloureux qu'il tente d'occulter ce d’autant plus que l’affaire a été enterrée. Mais difficile d'effacer les années de maltraitance des prêtre de l'orphelinat et surtout les viols successifs dont June a été victime lorsqu'elle n'était qu'une enfant. Et ce nom du bourreau qui revient sans cesse : Le père Matthews dont on a retrouvé le corps dans les landes. Et tandis qu’un témoin affirme qu’il était présent aux abords des lieux du crime, Tom Kettle passe soudainement du statut de consultant au rôle de suspect.
Avec Au Bon Vieux Temps De Dieu il n'y aura pas à proprement parler d'enquête policière mais une plongée assez immersive dans les pensées de Tom Kettle se remémorant, d'une manière quelque peu chaotique, le courant de sa vie déclinante au seuil de la vieillesse, en convoquant quelques fantômes qui semblent l'accompagner en permanence. Situé à la période des années 90, au moment où une commission d'enquête faisait la lumière sur la situation endémique des abus sexuels au sein des institution catholiques du pays, Sebastian Barry aborde donc ce sujet sensible avec une délicatesse saisissante, en évoquant plus particulièrement cette loi du silence qui protégea les diocèses durant tant d'années ainsi que les meurtrissures des victimes mais également des proches qui ne se sont jamais remis de ces événements tragiques. Il faudra donc tout d'abord dompter ce flot de souvenirs submergeant un Tom Kettle désarçonné dont la raison oscille entre sa projection de la réalité et les faits qu'on lui rapporte tandis qu'il se remémore les circonstances terribles de la disparition de ses proches dont il distingue portant la présence dans ce cadre magnifique de Dalkey que Sebastian Barry dépeint avec la pointe de nostalgie émanant d'un lieu qu'il a fréquenté durant son enfance. Une fois que l'on a dompté le mode de pensée de Tom Kettle, on se laisse littéralement emporter dans le courant de cette écriture au lyrisme envoûtant pour s'insinuer au coeur de la trajectoire de ce policier vieillissant qui remet à jour les fragments d'une mémoire défaillante. C'est ainsi que l'on prend la pleine mesure de ce scandale dont Sebastian Barry se garde bien de nous en faire l'étalage sordide pour se concentrer sur la douleur des victimes et de leur entourage en faisant également ressurgir cette colère sourde qui imprègne l'ensemble du texte avec cette certitude foudroyante que rien ne pourra jamais être réparé et dont il ne reste qu'à en faire le compte-rendu pour mettre à jour des décennies de souffrance. Et malgré cette douleur sous-jacente, il émane de ce roman une beauté indicible qui nous saisira tout au long de cette lecture éprouvante s’achevant de manière magistrale sur une scène aux contours surréalistes à l’image d’un récit à la fois flamboyant et mélancolique. Sebastian Barry incarne sans nul doute cette magie de l’écriture.
Sebastien Barry : Au bon Vieux Temps De Dieu ( Old God's Time). Joëlle Losfeld Editions 2023. Traduit de l'anglais (Irlande) par Laetitia Devaux.
A lire en écoutant : Kol Nidrei, Op. 47 de Max Bruch - Steven Isserlis, Olivia Jaggeurs et Connie Shih. Album : A Golden Cello Decade, 1878-1888: Dvorák, R. Strauss, Bruch, Le Beau. Steven Isserlis, Connie Shih. 2022 Hyperion Records Limited.
On se souvient encore de cet engouement général pour
Chroniqueur et écrivain ayant publié chez Rivages deux romans noirs aux entournures dystopiques, abordant le thème de la transparence avec La Transparence Selon Irina (Rivages/Noir 2019) et Le Silence Selon Manon (Rivages/Noir 2021) et dont on attend, avec une certaine impatience, le dernier ouvrage clôturant cette trilogie annoncée, Benjamin Fogel dirige la maison d’éditions Playlist Society comptant une quarantaine de livres reconnaissables à leurs couvertures spécifiques prenant des allures de dossier contenant des essais, des entretiens et des monographies traitant de sujets en lien avec le cinéma, les séries et la musique. On pourra ainsi découvrir des cinéastes comme Christopher Nolan, Lucas Belvaux et Michael Mann, des séries comme Mad Men et The Leftover, ainsi que des musiciens à l’instar de Tricky et Kanye West pour n’en citer que quelques uns. Pour sa première incursion dans le domaine littéraire, c’est la journaliste Élise Lépine qui est au commande d’un entretien avec DOA, l’une des grandes figures du polar français cultivant une certaine discrétion qui, paradoxalement, suscite un indéniable sentiment de curiosité. Rattachée à la rubrique culture du magazine Le Point, on retrouve également Elise Lépine sur l'émission Mauvais Genre de François Angelier avec qui elle collabore au gré d'interviews et de chroniques se rapportant à la littérature noire tout en rédigeant également des articles pour la revue 813 s'adressant aux amateurs de polars et de romans noirs. On notera qu'Elise Lépine et DOA s'étaient déjà rencontrés sur l'émission Mauvais Genre à l'occasion de la sortie de Rétiaire(s), où la journaliste démontrait son intérêt pour l'oeuvre du romancier en évoquant notamment son premier roman Les Fous D'Avril dont elle possédait un exemplaire qui n'est plus disponible en librairie mais que l'on peut trouver sur le marché de l'occasion.
Il y a une sorte d'errance et de fragilité qui caractérisent l'ensemble des personnages traversant l'oeuvre d'Emily St. John Mandel avec cette part obscure et mystérieuse émanant de romans noirs tels que Dernier Jour A Montréal (Rivages/Noir 2012), On Ne Joue Pas Avec La Mort (Rivages/Noir 2013) et Les Variations Sebastian (Rivages/Noir 2015) où la trame centrale des trois récits s'articule autour du thème de la perte et de la quête qui en découle. L'autre particularité de la romancière s'inscrit dans sa propension à dépasser les limites du genre noir dans laquelle on l'a tout d'abord cantonnée, ceci particulièrement en France, avant qu'elle n'obtienne reconnaissance du public et succès avec le vertigineux
Après plus d’une décennie à décortiquer la littérature noire au sein des pages du blog
roi Louis XIV qui dépeint les médocains en disant d’eux « qu’ils étoient plus barbares et inhumains que les plus grands barbares » et qui figurera parmi les personnages historiques jalonnant l’intrigue de Pour Mourir, Le Monde. Et puis, toujours dans Presqu’îles, il y a cette nouvelle où un vieillard arpente la plage pour contempler l’épave du navire échoué qui l’a conduit en France pour fuir l’Espagne fasciste de l’époque. Déjà une histoire de naufrage. Avec Pour Mourir, Le Monde, il en est justement question car Yan Lespoux s’est librement inspiré du récit de l’écrivain dom Francisco Manuel de Melo, publié en 1660 et de celui du capitaine des galions,
sur les côtes d'Arcachon et de Saint-Jean-de-Luz (1627)