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  • Jonathan Ames : Il S'Appelait Doll. Pièces détachées.

    jonathan ames,il s’appelait doll,joelle losfeld editionsDans la littérature noire, l'archétype du détective qu'il soit d'ailleurs privé ou policier est indissociable de la ville dans laquelle il évolue avec des lieux et des personnages qui sont devenus légendaires à l'instar de Philip Marlowe véritable icône de Los Angeles, ceci même si Raymond Chandler se plaisait à insérer des localités fictives dans la périphérie de cette mégalopole californienne. Plus ancré dans un réalisme aux connotations historiques, on a arpenté les rues de la cité avec James Ellroy en croisant notamment le déjanté sergent Lloyd Hopkins traquant une cohorte de tueurs plus dingues les uns que les autres. Dans un registre similaire, mais un peu plus récent, on découvrait certains quartiers méconnus de cette ville tentaculaire en suivant les péripéties du détective Hyeronimus Bosch qui connait les lieux comme sa poche. Même s'il vient de Ney-York qui n'est pas vraiment en reste d'enquêteurs emblématiques de tous types, Jonathan Ames a donc également choisi de planter son décor dans la Cité des Anges pour mettre en scène Happy Doll, un détective privé au profil décalé et que l'on découvre dans Il S'Appelait Doll, premier roman de ce qui apparaît déjà comme une série puisque que le second opus est déjà paru aux Etats-Unis. Egalement scénariste et producteur, Jonathan Ames a écrit une dizaine de romans dont certains sont imprégnés de noirceur à l'instar de Tu N'As Jamais Eté Là (Joëlle Losfeld 2013) qui a été adapté au cinéma sous le titre A Beautiful Day avec une interprétation assez époustouflante de Joaquin Phoenix et qui obtient le prix d'interprétation à Cannes tandis que sa réalisatrice Lynne Ramsey y remporte le prix du meilleurs scénario.

    En tant que détective privé à Los Angeles, on ne peut pas dire que Happy Doll qui préfère qu'on l'appelle Hank, soit débordé par le travail, raison pour laquelle ce vétéran de la Navy, ancien officier de la police au LAPD, officie également comme vigile au Miracle Thaï Spa, garantissant la protection des filles qui y travaillent. Mais tout part en vrille lorsqu'il doit abattre un client irascible qui tentait d'étrangler une des masseuses avant de foncer sur lui armé d'un couteau de chasse. Puis en rentrant chez lui, dans sa petite maison de Glen Adler, le répit en compagnie de son chien George est de courte durée, puisque son ami Lou Shelton débarque devant son domicile, blessé par balle, afin de lui confier un diamant d'une certaine valeur pour ensuite mourir dans ses bras. L'événement est d'autant plus éprouvant que son ami l'avait sollicité la veille afin d'obtenir un rein pouvant lui sauver la vie, avant de changer d'avis en lui confiant qu'il avait trouvé un autre moyen de dégoter l'organe convoité. Bien décidé à traquer ceux qui s'en sont pris à Lou, Hank va se retrouver embringué dans une succession de péripéties qui vont mettre à mal sa santé tant mentale que physique.

     

    L'une des particularités de Jonathan Ames c'est son côté perché nous rappelant, à certains égards, l'univers des frères Cohen  dans lequel on baignait notamment dans The Big Lebowski avec cet humour décalé et ces personnages à la marge évoluant dans une atmosphère surannée imprégnée de nostalgie. On trouve donc tout cela dans Il S'appelait Doll qui prend également l'allure d'un hommage aux grands maîtres du roman noir hard-boiled même si Happy "Hank" Doll fait preuve d'une plus grande fragilité ce qui le rend plus humain et plus vulnérable comme on le découvrira tout au long d'un récit azimuté nous entraînant dans un Los Angeles de carte postale que l'on prend plaisir à découvrir à l'instar du Dresden, un véritable bar emblématique de la ville ou du quartier de Glen Adler avec ses maisons hispaniques accrochées au flanc de la colline. La singularité d'un personnage tel que Hank Dol réside dans le fait que l'on connaît très rapidement les aléas de son parcours de vie par le biais de la thérapie qu'il a entamée depuis quatre suite à une tentative de suicide révélant ainsi ses failles et auquel on s'attache très rapidement. A partir de là, Jonathan Ames met en place une intrigue policière assez décapante où les morts s'enchainent à un rythme soutenu révélant les méandres d'une organisation criminelle s'adonnant à un trafic odieux qui laissera quelques stigmates à un détective privé se révélant parfois complètement dépassé voire vulnérable tout en s'opposant aux forces de l'ordre pour lesquelles il n'a guère confiance. Pour s'en sortir, Hank Doll trouvera de l'aide auprès de Monica, la barmaid du Dresden bar qui ne va pas être épargnée par les événements. On le dit très franchement, le récit prend parfois une allure burlesque, presque irréaliste, ce qui n'en diminue pas sa qualité, bien au contraire, puisque l'on apprécie cette tension permanente et cette atmosphère glauque, ponctuées de quelques traits de dérisions qui confèrent à l'ensemble d'un texte solide, un bel équilibre en terme de narration. Ainsi, au-delà de tous les codes du roman noir hard-boiled qu'il convoque au gré d'un roman captivant, Jonathan Ames déconstruit le profil si référencé du détective privé solitaire pour nous présenter, avec Il S'Appelait Doll, un individu bourré de charme et d’humanité, charriant les aléas de son existence du mieux qu'il le peut et que l'on se réjouit de retrouver prochainement, espérons-le. Un véritable plaisir de lecture.

     

    Jonathan Ames : Il S'Appelait Doll (A Man Named Doll). Joëlle Losfeld Editions 2024. Traduit de l'anglais (Etats-Unis), par Lazare Bitoun. 

    A lire en écoutant : Sandy's Necklace de Jonny Greenwood. Album : You Were Never Really Here (Original Motion Picture Soundtrack). 2018 Invada Records UK.