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France - Page 2

  • OLIVIER ROLLER : BATACLAN MEMOIRES. PHOTOGRAPHIES, RECITS, TATOUAGES.

    la manufacture de livres,bataclan mémoires,olivier coller,récit,témoignages,attentats 13 novembre,chronique littéraire"Ça fait partie de nous. C’est en nous. Pour ceux qui ont été blessé, c’est dans leur chair. Pour nous, les images sont toujours dans notre cerveau. Et on ne peut pas les oublier. C’est impossible de les oublier."

     

    C'est assez délicat de parler d'un livre pareil, parce qu'après l'avoir refermé, on reste forcément sans voix au terme de la lecture marquante des vingt-et-un témoignages de ces rescapés du Bataclan au soir des attentats du 13 novembre 2015 qui ont ravagé les rues de Paris.

    Publié en 2022, l'ouvrage en grand format se définit tout d'abord dans la dignité d'une couverture sobre où l'on trouve sur le dos le nom de ces hommes et de ces femmes qui se sont confiés auprès du photographe Olivier Roller qui a pris soin de faire leurs portraits en mettant l'accent sur leurs tatouages respectifs, souvenirs de ces instants où tout a basculé au cours de cette tragédie dont ils dépeignent les événements, mais qui évoquent également ce difficile chemin de l'après.

    la manufacture de livres,bataclan mémoires,olivier coller,récit,témoignages,attentats 13 novembre,chronique littéraireDu fait d'une certaine méfiance vis à vis de tous les médias en quête de sensation avec les abus qui en découlent, la démarche n'a rien eu d'une évidence pour le photographe qui s'est employé à instaurer auprès de ces membres de Life of Paris, un climat de confiance que l'on ressent tout au long de la lecture de ces textes sensibles.

    Comme un mémorial, on soulignera le soin apporté à ce livre pour mettre en valeur cette sensibilité des témoignages où émerge l'émotion mais également la  délicatesse de ces entretiens qui vont nous plonger dans l'enfer de cette soirée du Bataclan.

    La beauté d'un livre pour contenir l'horreur du déroulement de cette tragédie se conjuguant avec cette étincelle d'humanité que l'on décèle dans chacune des personnalités de ces témoins et qui rejaillit sur l'ensemble d'une horreur indescriptible dont ils parviennent pourtant à nous en restituer l'ampleur.

    Et il faut bien admettre que lorsque l'on a parcouru les récits de Jean-Claude, Helen, Stéphanie, Marilyn, Alix, Nicolas, Sylvie, Natasha, Frank, Stéphane, Camille, Alix N., Coralie, Gabin, Christophe, Marie-Pierre, Clotilde, Julien, Benoît, Florence et Guillaume, tout le reste des oeuvres consacrées aux attentats du 13 novembre 2025, que ce soit des romans comme Terrasses de Laurent Gaudé, ou des films comme Novembre de Cédric Jimenez apparaissent comme dénué de substance tant la force de chacun de ses récits dilue toutes les autres démarches, aussi louables soient-elles, pour retranscrire le déroulement de cette soirée d'automne qui a foudroyé la destinée d'une multitude de personnes, dont certaines livrent leurs témoignages.

    Le moins que l'on puisse faire, c'est de les écouter ou de les lire.

    Alors à l'occasion des dix ans de cette série d'attentats, les éditions de La Manufacture de livres nous proposent Mémoires Du Bataclan où vous retrouverez l'ensemble de ces récits uniques, dénués de l'image, qu'il importe de découvrir pour prendre la mesure de ces événements qui continuent de nous hanter. 

     

    Olivier Roller : Bataclan Mémoires. Photographie Récits Tatouages. Editions La Manufacture de livres 2022.

    Olivier Roller : Mémoires du Bataclan. Editions La Manufacture de livres 2025.

    A lire en écoutant : Mille Vagues de Feu! Chatterton. Album : Labyrinthe. 2025 Univers Em Fogo.

  • Pascal Garnier : La Place Du Mort. Sortie de route.

    Capture d’écran 2025-11-09 à 15.35.29.pngIl est l'auteur de près d'une vingtaine de romans noirs publiés initialement dans des collections dédiées au mauvais genre telle que Fleuve Noir avant d'intégrer la maison d'éditions Zulma qui a eu la bonne idée de rééditer très récemment certains de ses écrits afin que l'on n'oublie pas l'humour acide qui imprègne les textes de ce romancier qui est décédé en 2010 alors qu'il avait à peine 60 ans. Après avoir quitté l'école à l'âge de 15 ans débouchant sur une carrière professionnelle faite d'errance et de petits boulots ainsi qu'une tentative très brève dans le domaine du rock français en tant que parolier, il rédige quelques nouvelles avant de se consacrer définitivement à l'écriture de romans noirs. On lui doit également toute une multitude d'ouvrages dédiés à la jeunesse ainsi que plusieurs recueils de nouvelles ce qui ne m'a pas empêché de découvrir cet écrivain que très tardivement à l'occasion de ce #bookclub du #prixbookstagram consacré à la littérature noire, sous l'appellation #leromannoir. Et c'est en consultant la multitude de romans noirs proposés au sein de ce club de lecture qu'émerge La Place Du Mort l'un des livres représentatifs du talent de Pascal Garnier que l'on considérera sans hésitation comme l'une des belles découvertes de l'année et dont on se réjouit déjà à l'avance de savourer l'intégralité d'une oeuvre qui semble s'inscrire dans un style à la fois tendre et cinglant s'articulant autour de faits divers révélant toute la misère humaine d'individus dont les comportements décalés nous entrainent dans le sillage d'intrigues flirtant avec l'absurde.

     

    la place du mort,pascal garnier,éditions zulmaAprès avoir séjourné quelques jours chez son père, Fabien prend son train pour rentrer à Paris. Il n'a pas manqué de ramener une lilas pour son épouse Sylvie qui a sans doute accompagné son amie Laure au cinéma, comme elle le fait parfois lorsqu'il est absent, ce qui fait qu'il retrouve l'appartement vide. Mais c'est en consultant le répondeur du téléphone que Fabien apprend, par l'entremise de l'hôpital de Dijon, que Sylvie a eu un accident de voiture et qu'il est désormais veuf. En se demandant ce que faisait sa femme du côté de Dijon, il apprend incidemment que celle-ci avait un amant qui conduisait le véhicule et qui est également décédé lors de cette embardée mortelle. La nouvelle a de quoi vous bouleverser à plus d'un titre, mais Fabien, en apprenant que l'amant était également marié, décide d'épier cette femme et de la séduire afin de pouvoir se targuer de lui rendre la pareille. Un quête virant à l'obsession, ce qui fait que Fabien ne perçoit pas le guêpier dans lequel il s'est fourré. Il va bien rapidement l'apprendre à ses dépens.


    Second roman noir de Pascal Garnier, publié en 1997 chez Fleuve Noir, La Place Du Mort apparaît en format poche dans la collection roman noir aux éditions Point avant d'être réédité en grand format chez Zulma en 2013 qui le remettra au goût du jour au sein de leur catalogue en 2025, dans une version poche également. Avec à peine 160 pages au compteur, on dira qu'il s'agit d'un texte extrêmement dépouillé, d'une redoutable sobriété où le jugement n'est jamais de mise pour se décliner sur une logique béhavioriste, rappelant à bien des égards les intrigues de Jean-Patrick Manchette, en suivant le parcours de Fabien, homme assez ordinaire se laissant littéralement porter par les événements qui se présentent à lui jusqu'au moment où il s'achemine vers une démarche de vengeance dérisoire illustrant parfaitement le désarroi du personnage. Et c'est peut-être bien là que réside le talent de Pascal Garnier à mettre en place cette structure narrative redoutable où l'on observe les interactions avec Martine que Fabien s'est mis en tête de séduire tout en composant avec sa meilleure amie Madeleine qui se méfie de lui. Autant dire que la démarche va prendre une tournure tragique avec quelques éclats d'une violence aussi brève qu'efficace et plutôt déroutante tout en se conjuguant avec ce regard caustique dans lequel Pascal Garnier se distingue véritablement au gré de cette comédie douce amère qui va basculer dans une dimension de fait divers sordide. Il n'y a donc aucun mot de trop dans cette intrigue d'une intense noirceur, parfois terriblement drôle, parfois d'une sensibilité délicate, où l'on observe les affres et la banalité d'individus peu à peu rongés par cette dépression insidieuse qui va bousiller leurs vies respectives jusqu'à en faire, pour certains d'entre eux, de terribles monstres ordinaires que Pascal Garnier dépeint dans un équilibre de férocité et de tendresse qui accentue encore davantage la dynamique tragique de La Place Du Mort, véritable démonstration de ce qui se fait de mieux dans le registre du roman noir. 

     


    Pascal Garnier : La Place Du Mort. Editions Zulma 2025.

    A lire en écoutant : I Want You de The Divine Comedy. Album : Rainy Sunday Afternoon. 2025 Divine Comedy Records.

  • MICHELE PEDINIELLI / VALERIO VARESI : CONTREBANDIERS. POUR UNE POIGNEE DE CIGARETTES.

    michèle pedinielli,valério varesi,contrebandiers,éditions pointsIl est paru au début de l'année, à l'occasion du festival des Quais du Polar à Lyon où les organisateurs, en collaboration avec les éditions Points, mettent en place, depuis plusieurs années, des projets d'écriture à quatre mains entre deux auteurs de deux pays différents afin de mettre en exergue les différences culturelles dont on découvre certains aspects dans une alternance de chapitres qui s'inscrivent dans un genre policier bien évidemment. Pour les éditions précédentes on s'aventurait entre Lyon et Manchester avec Le Steve McQuenn (Points 2024) de Tim Willocks et Cary Ferey, entre la France et l'Allemagne avec Terminus Leipzig (Points 2022) de Jérôme Leroy et Max Annas,  entre la Roumanie et la France avec Le Coffre (Points 2019) de Jacky Schwartmann et Luician-Dragos Bogdan et pour finir entre Barcelone et Lyon avec L'Inconnue Du Port (Points 2023) d'Olivier Truc et Rosa Montero. Pour cette année, ce sont deux grandes figures de la littérature noire, à savoir Michèle Pedinielli et Valério Varesi qui nous ont concocté avec Contrebandiers, une intrigue prenant pour cadre cette région frontalière des Alpes entre la France et l’Italie. La nouvelle est d’autant plus réjouissante qu’à la lecture de leurs œuvres respectives que ce soit la série Boccanera Pour Michèle Pedinielli ou la série Soneri pour Valério Varesi, on perçoit une affinité évidente entre ces deux écrivains engagés, rejaillissant dans cette admiration réciproque qui était manifeste durant le festival Toulouse Polar du Sud où ils étaient tous deux présents en tant que marraine et le parrain de cette édition 2025.

     

    michèle pedinielli,valério varesi,contrebandiers,éditions pointsC'est un peu l'effervescence sur le versant italien des Alpes, avec la découverte du corps sans vie d'un individu que la police identifie rapidement comme étant le nommé Léonardo Morandi, malgré le fait qu'il a été sauvagement défiguré. On signale également dans plusieurs bergeries des environs, des stocks importants de cigarettes de contrebande. Au même moment, du côté français, Suzanne Valadon, une accompagnatrice de montagne chevronnée, retrouve un jeune ressortissant du Burkina Faso complètement frigorifié qui tentait étrangement de retourner en Italie. Tant bien que mal, elle parvient à porter sur son dos le jeune réfugié, à moitié inconscient, pour se rendre au refuge tenu par Fabien. Le garçon aurait-il quelque chose à voir avec le meurtre qui vient de se produire ? De part et d'autre de la frontière, chacun s'évertue à faire la lumière sur ces événements le plus rapidement possible car les premières neiges s'abattent sur la montagne ce qui rend les investigations bien plus périlleuses dans un environnement où les contrebandiers croisent la route des réfugiés ce qui suscite bien des tensions.

     

    Que ce soit dans La Main De Dieu (Agullo 2022) de Valério Varesi ou Après Les Chiens  (Aube noire 2021) de Michèle Pedinielli, il était déjà question de cet environnement montagnard que l'on retrouve donc dans Contrebandiers où apparaissent les thèmes sociaux de la migration ainsi que les aspects peu reluisant de la contrebande, bien éloignée de l'image folklorique que l'on a pu s'en faire avec un personnage comme Farinet que Ramuz a mis en scène dans son roman éponyme. Ce qu'il émane donc d'un récit comme Contrebandiers c'est cette avidité du gain illicite permettant d'améliorer l'ordinaire de certains montagnards d'une région où l'on perçoit quelques aspects du désarroi économique, plus particulièrement en ce qui les exploitations agricoles qui deviennent le paravent d'un trafic international, mondialisation oblige. Et puis il est également question de ces migrants contraints, avec le verrouillage des postes de la frontière, de franchir les cols escarpés de ces montagnes hostiles en affrontant les intempéries pour y laisser parfois la vie tant ils ne sont pas équipés pour y faire face. Là également, on distingue le comportement odieux des passeurs qui n'hésitent pas à exploiter cette détresse humaine pour optimiser le passage périlleux de la marchandise illicite qu'ils font également transiter dans le même temps. Tout cela se décline donc sur cette alternance de chapitres entre deux auteurs que l'on sent véritablement inspirés au gré de cette brève intrigue ponctuée de nombreux personnages qui gravitent dans cette contrée alpestre et d'où émerge des personnalités attachantes comme Suzanne Valadon, une femme de caractère nous rappelant des traits de caractère de Ghjulia Boccanera avec cette humour mordant qui imprègne le texte tandis qu'avec l’adjudant Rapetti et le tenancier du refuge Remo Brusotti on retrouve cette mélancolie propre au commissaire Soneri. Ainsi, si l’enjeu de l’identification du meurtrier demeure primordial avec une enquête compacte et riche en rebondissements, Contrebandiers nous laisse à voir ce caractère engagé de deux romanciers qui s’emploient à mettre en lumière l’âpreté de cet environnement alpin d’où émerge pourtant quelques notes d’espoir et de solidarité au gré d’un texte cohérent et d’excellente facture. 

    Michèle Pedinielli/Valério Varesi : Contrebandiers. Editions Points 2025. Traduit pour la partie italienne par Serge Quadrupanni.

    A lire en écoutant : Torn Inside de Gary Moore. Album : The Power of the Blues. 2004 Orionstar Ltd.

  • LAURENT MAUVIGNIER : HISTOIRE DE LA NUIT. L'EFFACEMENT.

    histoires de la nuit,laurent mauvignier,les éditions de minuitCe qui est amusant avec ces auteurs et ces romancières qui s’aventurent dans les lisières du mauvais genre, ce sont les gesticulations de certains intellectuels du microcosme de la littérature blanche parisienne et des autres régions d’ailleurs, qui vont vous expliquer que celle ou celui qu’ils adulent s’inscrit dans la « grande tradition romanesque » en soulignant le caractère social du texte qui va bien au-delà du "simple" roman policier ou encore pire, du "vulgaire" thriller. Laurent Mauvignier n’échappe pas à ces effets de manche quand bien même l’auteur assume pleinement le registre dans lequel il s’inscrit puisqu’à l’occasion de la sortie de son roman Histoire De La Nuit, on remarquait sa présence en 2021 au festival Toulouse Polar du Sud où il débattait justement sur le thème de la frontière poreuse entre les différents genres littéraires en compagnie de Tiffany Tavernier qui s’est également distinguée dans un registre similaire avec L’Ami (Sabine Wespieser Editeur 2021) dont il faudra également évoquer cette intrigue singulière qui s’articule autour de la personnalité d’un tueur en série en adoptant le point de vue de son voisin qui s’est lié d’amitié avec celui qu’il côtoyait quotidiennement. Et si l'on observe une porosité dans le clivage des genres, il faut souligner que la présence de l'ancien pensionnaire de la Villa Médicis, publié au sein d'une des grandes maisons de l'édition française, n'a rien d'anodin alors que bon nombre d'attachés de presse et d'éditeurs des collections blanches rechignent encore à ce que leurs auteurs fréquentent des festivals dédiés à la littérature noire qui pourraient ternir leur réputation. On en est encore là dans un milieu littéraire qui, paradoxalement, est assez prompt à fustiger les discriminations régissant notre monde. Romancier reconnu, multi récompensé et promis à d'autres nouvelles distinctions à l'occasion de la sortie de son treizième roman, La Maison Vide (Les Editions de Minuit 2025), où l'on retrouve la richesse d'une écriture qui s'étire d'une manière singulière, Laurent Mauvignier semble se passionner pour le théâtre et le mouvement de la mise en scène qui en découle et dont on retrouve toute la quintessence dans Histoires De La Nuit au gré d'une intrigue s'étalant sur un jour et une nuit en prenant pour cadre le hameau perdu d'une région sans nom. Et si d'aventure vous prenez le temps de consulter le site de l'auteur, vous trouverez cette citation de Kafka : « Si un livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? » nous renvoyant à ce thriller magistral où l'on en prend plein la gueule.

     

    histoires de la nuit,laurent mauvignier,les éditions de minuitDu côté de La Bassée, il y a le hameau "des trois filles seules" où vit depuis toujours Bergogne, un éleveur qui a repris le domaine familial tandis que sa femme Marion travaille au sein d'une imprimerie et qu'ils élèvent leur fille Ida fréquentant le lycée de la région. Dans la maison voisine, on trouve Christine, une artiste peinte vieillissante qui a quitté Paris il y a de cela des années pour fuir l'agitation citadine en privilégiant la quiétude que lui offre cette contrée rurale. Mais il y a ces lettres anonymes que l'on dépose désormais devant sa porte, ceci depuis plusieurs semaines et qui l'incite à se rendre à la gendarmerie, accompagnée de Bergogne qui, en bon voisin, lui sert de chauffeur, pour savoir ce qu'il convient de faire. Ce n'est pourtant pas ces événements qui assombriront cette journée davantage dédiée aux préparatifs de l'anniversaire de Marion qui fête ses quarante ans. Et tandis que chacun vaque à ses occupations, il y a ces inconnus qui rôdent autour du hameau. Que peuvent-ils bien vouloir ?

     

    A une époque normée, calibrée, où la phrase doit être aussi brève que le chapitre, il convient de souligner que Laurent Mauvignier détonne radicalement dans ce marasme littéraire où l'escroquerie des grands groupes éditoriaux consiste à parier sur un pseudo manque d'intelligence des lecteurs tout en se réclamant d'un courant populaire destiné au plus grand nombre. Alors oui, il faut dompter la langue de Laurent Mauvignier, se l'accaparer et se laisser entraîner dans la sinuosité d'une longue scansion magistrale où chaque mot compte pour décortiquer par le menu détail cette journée et cette soirée sous haute tension s'étalant sur plus de 600 pages que l'on se prend à faire défiler à une allure vertigineuse, pour découvrir ce qu'il va advenir de Bergogne, Marion, Ida et Christine confrontés à la venue d'individus inquiétants qui semblent vouloir que l'on leur rendent compte de  certains événements du passé. Si la phrase s'étire dans une sorte d'outrance savoureuse, il faut bien prendre conscience qu'elle n'est pas faite pour faire joli mais qu'elle se met au service du récit avec cette sensation d'examiner la pellicule d'un long plan séquence qui survole chacun des protagonistes en captant certains aspects les plus intimes de leur vie dont les révélations vont alimenter une intrigue prenant effectivement l'allure d'un thriller se révélant paradoxalement à l'antithèse des codes d'écriture propre au genre. A partir de là, on parlera bien d'une mise en scène extrêmement travaillée qui s'articule autour de cette confrontation dont l'enjeu consiste à savoir auprès de qui elle s'adresse véritablement et qu'elles en sont les raisons qui vont nous être révélées au gré de scènes d'une impressionnante intensité qui s'inscrivent pourtant dans toute leur simplicité et, ce qui importe le plus, dans tout le réalisme de parcours de vies ordinaires qui se fissurent peu à peu à mesure que l'on progresse dans cette journée basculant dans la noirceur de la nuit pour s'achever sur une scène remarquable oscillant dans cet équilibre subtil de violence et de tragédie. Mais Histoires De La Nuit, c'est également une étude de caractère extrêmement fouillée où émerge, en côtoyant chacun des personnages, des thèmes comme la précarité des conditions rurales dans le domaine de l'agriculture avec Bergogne, le harcèlement au travail avec Marion, tandis qu'avec Christine il s'agira de prendre la mesure du rapport à l'art et de son aspect trépident auquel on peut vouloir se soustraire alors qu'avec Ida on explorera cette peur primaire qui nous habite en se diluant sur l'ensemble des protagonistes pour alimenter cette oppression qui imprègne ce roman d'une intensité remarquable dont on se réjouit de découvrir l'adaptation au cinéma pour une sortie prévue en 2026 avec Léa Mysius à la réalisation et Hafsia Herzi, Bastien Bouillon, Monica Bellucci ainsi que Benoît Magimel au casting. Ainsi, Histoires De La Nuit se révèle donc être une véritable  démonstration époustouflante de ce qui peut se faire de mieux dans le domaine du thriller où se conjugue la grâce d'une écriture onduleuse qui nous ensorcelle afin de nous entraîner dans le coeur et la beauté d'un récit d'une noirceur à la fois troublante et époustouflante qui nous laisse sans voix.


     

    Laurent Mauvignier : Histoires De La Nuit. Les Editions de Minuit 2020.

    A lire en écoutant : Suites pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach interprétées par Anne Gastinel. Album : 6 Suites Pour Violoncelle. 2008 naïve.

     

  • Benjamin Dierstein : L'Etendard Sanglant Est Levé. Faut qu'ça saigne.

    benjamin dierstein,l’étendard sanglant est levé,éditions flammarion

    Service de presse.

    Même si l'équipe marketing de la maison d'éditions hurlera de désespoir, il ne faut pas compter pouvoir entamer ce pavé de plus de 900 pages sans avoir digéré les 763 feuillets de l'ouvrage précédent, composant ce qui apparaît comme une trilogie à venir de cette fresque dantesque du déclin du règne de Giscard de la fin des années 70 à l'avènement de l'ère de Mitterand des années 80 et de l’ensemble des affaires troubles qui jalonnent cette période. Mais que l'on ne s'inquiète pas trop car avec Benjamin Dierstein, la lecture file à une allure proche de la vitesse de la lumière lorsque l'on se plonge dans Bleus, Blancs, Rouges (Flammarion 2025) paru au début de l'année 2025, en allant à la rencontre de Jackie Lienard et de Marco Paolini, deux flics novices que tout oppose, tout en croisant également la route du brigadier Jean-Louis Gouvernnec, infiltré dans les groupuscules gauchistes proches d'Action directe et du mercenaire Robert Vauthier qui fraye avec les officines de droite en montant des coups tant en Afrique que dans le milieu des nuits parisiennes. Et c'est autour de ces quatre destins que la fiction s'agrège à la succession d'événements historiques ponctuant cette époque chaotique dans un jeu habile de fiction et de réalité prenant l'allure d'une intrigue policière survoltée s'entremêlant à ce qui se révèle être une espèce de jeu de pouvoir politique cruelle où la raison d'état légitime les actions les plus infâmes. Avec une aisance assez déconcertante, le lecteur va donc retrouver tout cela dans L'Etendard Sanglant Est Levé qui, après une brève incursion en 1965, nous embarque dans ce moment de bascule entre 1980 et 1982, de la campagne présidentielle à la prise de pouvoir des socialistes en bousculant la destinée de ce quatuor de flics et de barbouze toujours en quête de ce trafiquant d'arme qui alimente tous les réseaux des groupuscules révolutionnaire qui sévissent tant en France que dans le reste du monde. 

     


    benjamin dierstein,l’étendard sanglant est levé,éditions flammarionEn janvier 1980, c'est le marasme en France qui s'enfonce dans la crise économique en disant adieu aux trente glorieuses tandis que tous les services de police sont focalisés sur la traque des membres des groupuscules révolutionnaires qui sévissent dans le pays. Désormais infiltré dans le noyau dure d'Action Directe, le brigadier Jean-Louis Gouvernnec tente d'approcher Geronimo, ce marchand d'arme formé par les libyens et qui alimente tous les réseaux terroristes d'extrême gauche. C'est Jacquie Lienard, son officier traitant au RG qui est à la manoeuvre tandis que Marco Paolini, jeune flic intrépide de la BRI, tente également de soustraire tous les renseignements possibles pour localiser et identifier le mystérieux trafiquant d'arme. Mais tandis que la campagne présidentiel bat son plein, les deux inspecteurs vont devoir également compter avec Robert Vauthier, mercenaire de son état reconverti dans le milieu de proxénétisme et qui enflamme le monde de la nuit parisienne et de la jet set avec son dancing ultra sélect servant de couverture pour ses trafics destinés à alimenter l'armée de barbouzes sévissant au Tchad afin de traquer Geronimo qui a ses entrées auprès de la dictature de Kadhafi en pleine ébullition. Mais les événements vont prendre une autre tournure lorsque le terroriste Carlos débarque en France bien décider à imposer sa loi par tous les moyens en entraînant Jacquie Lienard, Jean-Louis Gourvennec, Marco Paolini et Roger Vauthier dans un univers impitoyable de violence et de corruption qui sévit jusqu'au plus haute instance d'un état de droit qui n'en a plus que le nom. 

     

    On retourne donc au charbon avec ce quatuor d'individus écorchés vifs que l'on accompagne avec une certaine fébrilité dans cet amoncellement d'affaires troubles qui marquent cette période à la fois explosive et porteuse d'espoir, mais dont on connaît déjà l'immense déception qu'elle va engendrer par la suite avec l'avènement d'un président Mitterand à la personnalité complexe qui s'ingénie dans les manoeuvres machiavéliques accompagné en cela de son bras droit, François de Grossouvre qui apparaît tout au long de cette intrigue se révélant encore plus dantesque que la précédente. C'est dans cette atmosphère fiévreuse que Benjamin Dierstein nous entraîne au gré d'un récit d'une grande tenue qui transcende ce schéma narratif si cher à James Ellroy avec ces encarts de titres de la presse de l'époque, ces extraits d'écoutes téléphoniques et ces retranscriptions de procès-verbaux, prémisses des intrigues dans lesquelles il va mettre en scène les quatre personnages fictifs qui vont alimenter la perspective des événements historiques de cette époque foisonnante où l'on croise, outre les politiques et autres hauts fonctionnaires de police, toute une galerie de personnalité de la jet set que ce soit Alain Delon, Thierry Ardisson, Jean-Paul Belmondo, Mireille Dara, Serge Gainsbourg et Jane Birkin pour n'en citer que quelques unes. Mais avec la tuerie d'Auriol ou l'attentat de la rue Marbeuf, ce sont également des individus inquiétants qui apparaissent dans les dédales de cette fresque historique, tels que Carlos, Jean-Marc Rouillan et Nathalie Mérnigon, Pierre Debizet et Jacques Massié ainsi que la cohorte de d'individus de la pègre qui vont s'entredéchirer dans des règlements de compte explosifs donnant tout son sens à ce titre du roman, L'Etendard Sanglant Est Levé. Tout cela, Benjamin Dierstein le décline avec cette habilité qui le caractérise désormais, au rythme d'une écriture serrée d'où émerge toute cette tension permanente alimentant un texte de haute tenue que l'on s'accaparera littéralement avec une certaine fébrilité à mesure que l'on progresse dans cet ensemble d'intrigues parallèles toutes aussi passionnantes les unes que les autres tout en guettant ces instants explosifs où le récit va basculer dans un déchainement d'une violence sans égale. Et puis, il faut bien admettre que l'on demeure assez impressionné par cette capacité de l'auteur à digérer une documentation conséquente qu'il restitue avec cette aisance saisissante, dans le cours d'une fiction qui se conjugue parfaitement avec les événements historiques qui prennent un tout autre éclairage, ce d'autant plus avec l'actualité du présent où un ancien président de la République vient d'être condamné pour des faits d'association de malfaiteur en lien avec des financements libyens. Autant dire que L'Etendard Sanglant Est Levé tient donc toutes ses promesses amorcées avec le premier volume et que l'on attend avec une impatience fiévreuse, le troisième ouvrage, dont on sait déjà qu'il s'intitulera 14 Juillet et qu'il paraîtra au mois de janvier 2026. 

     

     

    Benjamin Dierstein : L'Etendard Sanglant Est Levé. Editions Flammarion 2025.

    A lire en écoutant : Traffic de Bernard Lavilliers. Album : Métamorphose. 2023 Barclay.