Jacky Schwartzmann : Bastion. Fachosphère lyonnaise.
Bon, c'est vrai que l'on apprécie plus que jamais ses répliques hilarantes et décoiffantes qui ponctuent ses récit en faisant en sorte que la noirceur de l'intrigue prend une tournure encore plus acide s'inscrivant toujours dans cette logique de critique sociale qui prévaut dans l'ensemble de ses romans. Mais ce qui fait le succès de Jacky Schwartzmann, c'est cette capacité à mettre en scène cette marginalité du pays qu'il décline au détour d'intrigues singulières qui flinguent la bienséance et la bienveillance à coup de rafales cinglantes jalonnant des textes d'une grande tenue. Bref, autant vous dire que le bonhomme s'entend pour vous raconter une histoire avec l'efficacité qui le caractérise en le démontrant également en tant que scénariste pour Habemus Bastard (Dargaud 2024), titre sans équivoque d'une BD en deux parties, superbement illustrée par Sylvain Vallée, qui s'articule autour du parcours d'un tueur à gage qui endosse une soutane et la fonction qui en découle afin de s'extirper des difficultés en lien avec sa profession en se soustrayant ainsi à ses anciens commanditaires bien décidés à lui faire la peau et qui nous rappelle, à certains égards, la série BD Soda, diminutif de Solomon David, lieutenant au NYPD qui dissimule ses activités à sa mère trop émotive qui est persuadée qu'il est prêtre. S'il a écrit plusieurs romans avant, le style corrosif de Jacky Schwartzmann émerge avec Mauvais Coûts (Seuil/Cadre Noir 2016) se rapportant à son expérience de travail au sein d'une multinationale qu'il retranscrit au gré du parcours de Gaby Aspinall, employé misanthrope et cynique s'inscrivant résolument dans l'amoralité "ordinaire" de son entreprise. On reste sur un registre similaire avec Demain C'est Loin (Seuil/Cadre Noir 2017) et Pension Complète (Seuil/Cadre Noir 2018) qui nous entraîne dans le milieu du camping, dernier enfer sur terre où Dino Scala y trouve refuge suite à des déconvenues financières le privant du faste luxueux de son environnement luxembourgeois. Et puis c'est du côté de ses terres d'origine de Besançon que l'on s'aventure avec Kasso (Seuil/Cadre Noir 2021) en partant à la rencontre de Jacky Toudic, escroc à la petite semaine, faisant du business en profitant du fait qu'il est le sosie parfait de Mathieu Kassowitz tandis que l'on explore dans Shit ! (Seuil/Cadre Noir 2023) le quartier sensible de Planoise où l'opportunité de la reprise "accidentelle" d'un trafic de drogue devient la planche de salut pour les multiples associations bénévoles au service d'une communauté précarisée. Mais si l'on observe cette radicalité outrancière et ce pragmatisme extrême qui définissent l'ensemble des personnages centraux des romans de Jacky Schwartzmann, il ne faut pas se leurrer et prendre conscience que les thèmes sociaux qu'il aborde avec cette redoutable clairvoyance, toujours imprégnée d'une humanité coupable, nous renvoie à nos propres travers au détour d'un quotidien qui se disloque dans la nébulosité de leurs démarches jusqu'au-boutistes qui frisent l'absurde. C'est tout cela que l'on retrouve dans Bastion, nouveau récit du romancier qui explore le milieu de l'extrême-droite lyonnaise avec autant de gravité que d'humour. Et autant dire que l'auteur n'a rien d'un rigolo de service.
Le lundi, il écume les rayons avec cette aisance de l'habitué qui connaît les moindres recoins du supermarché ainsi que le prénom de chacune des caissières. Pas de doute, Jean-Marc Balzan, célibataire sans enfant, est en préretraite et profite de chaque instant de cette période d'oisiveté bien méritée. Une petite vie pépère sans aspérité où l'on savoure les bonnes petites bouffes au resto et les voyages sympas qui vous donnent ce sentiment de liberté. Mais il y a Bernard, son meilleur ami qu'il connaît depuis l'enfance, un véritable frère d'arme qu'il tire régulièrement des guêpiers dans lesquels il a l'habitude de se fourrer. Il faut dire que si Bernard est un gars intelligent, il peut se révéler extrêmement con. Pour preuve, cette idée saugrenue qu'il a de s'engager dans l'équipe de campagne d'Eric Zemmour pour la présidentielle 2027 suscitant l'inquiétude de Jean-Marc craignant le pire et qui décide, à son corps défendant, d'accompagner son pote de toujours afin de le protéger. Et voilà que Jean-Marc se retrouve à côtoyer toute la galaxie de l'extrême-droite lyonnaise, des skinheads bas du plafond aux entrepreneurs ambitieux et plus ou moins véreux et des ultras qui préparent un attentat qu'il va tenter de déjouer en devenant l'indic des gendarmes tout en rencontrant le fameux Eric Z, icône de cette mouvance politique foireuse.
Bastion débute sur cette scène de mœurs et coutumes de retraités évoluant dans un supermarché qu'un sociologue, disciple de Bourdieu et sous protoxyde d'azote, n'aurait pas renié tant le regard y est à la fois drôle et pertinent. C'est de cette manière que nous faisons la connaissance de Jean-Marc Balzan, homme de la classe moyenne qui se complait dans un quotidien d'heureux retraité que rien ne saurait bousculer hormis les frasques de son ami Bernard qui s'est mis en tête de soutenir la campagne présidentielle d'un certain Eric Zemmour dont il décline tous les bienfaits qu'il pourra apporter à une France déliquescente. On perçoit ainsi le mécanisme pernicieux de celles et ceux qui se tournent vers l'extrémisme, ultime voie de recours pour faire face à leurs problèmes dont l'étranger est forcément la cause et que Jacky Schwartzmann décline dans le contexte de l'apéro où les deux amis se confrontent au gré de leurs convictions respectives avec quelques réflexions hilarantes, dignes d'une politique de comptoir où émerge un certain désarroi. A partir de là, infiltré dans cette mouvance d'extrême-droite, Jean-Marc nous donne à voir toutes les nuances de l'univers fasciste dans lequel on retrouve Didier riche entrepreneur qui met en avant un racisme pragmatique d'opportunité pour la conduite de ses affaires, tandis qu'un individu de basse extraction comme Kevin s'inscrit dans un racisme rageur dont il peine à saisir la portée, hormis d'aider son prochain, qu'il soit blanc comme lui, afin de lui offrir refuge au sein de Bastion, centre d'accueil pour SDF situé du côté de Gerland, repaire des ultras, tout en cassant la gueule des antifas qui se présentent à lui. On notera, à l'occasion de son apprentissage de solidarité fasciste, cette déconvenue lorsque Kevin découvre que les sdf tchétchènes, s'ils sont blancs, sont de confession musulmane et n'apprécient donc guère les repas à base de porc. Une scène hilarante parmi tant d'autres au détour de cette atmosphère lyonnaise électrique émanant d'un texte oscillant entre le polar et le thriller aux entournures politiques qui s'achève du côté de Paris. Avec Bastion on perçoit ainsi, dans ce passage en revue sans concession de l'extrême-droite française, une lueur d'humanité émergeant de certains protagonistes se révélant plus con que méchant, tandis que d'autres parmi les plus nantis font preuve d'un cynisme destructeur pour assouvir leur soif de pouvoir dont la finalité est de s'emparer des plus hautes instances gouvernementales et que le romancier décline sur le registre d'un complot tonitruant qui n'est pas dénué de tension. De l'instrumentalisation, des magouilles et des coups foireux se mettent donc en place dans une succession de scène, parfois véritablement cocasses, autour de l’entourage du fameux Z faisant une apparition furtive et pathétique dans le cours d'une intrigue décapante aux allures de comédie noire qui font de Bastion un roman au style unique où l'on se marre sérieusement, ce qui nous fait vraiment du bien.
Jacky Schwartzmann : Bastion. Editions du Seuil/Collection Cadre noir 2025.
A lire en écoutant : A Hero's Death de Fontaine D.C. Album : A Hero's Death. 2020 Partisan Records.
Lors de la tenue de festivals tels que celui des Quais Du Polar à Lyon, il y a ces moments magiques où l'on se livre à quelques considérations autour de la littérature noire avec tout ce petit monde du livre, en partageant le verre de l'amitié et en dégustant les spécialités de la région quand les restaurateurs daignent bien vouloir nous servir ce qui n'a rien d'une évidence dans la Capital des Gaules où l'accueil se révèle parfois légèrement bancal dans ce domaine. Quoiqu'il en soit, c'est l'occasion de belles rencontres comme celle avec Lionel Destremau qui a officié dans le monde de l'édition parisienne durant une vingtaine d'années avant de retourner à Bordeaux, ville de ses origines, où il dirige notamment le fameux festival Lire en Poche de Gradignan qui est le premier événement littéraire français exclusivement dédié à ce format et qui célèbre ses vingt ans d'existence. Mais outre ses activités dans les univers de l'édition et des manifestations littéraires, Lionel Destremau a publié trois recueils de poésie chez Tarabuste éditions, entreprise indépendante officiant depuis quarante ans dans la région du Centre-Val de Loire. On notera également la part active qu'il prendra à l'élaboration, durant cinq ans, de la revue de critique littéraire Prétexte qu’il a animé en collaboration avec Jean-Christophe Millois, et dans laquelle on trouve notamment quelques dossiers dédiés au mauvais genre comme Les marges du polar, littérature blanche ou noire ? C'est d'ailleurs probablement dans cette marge que s'installe Lionel Destremau publiant son premier roman noir, Gueules D'Ombre (La Manufacture de livres 2022) prenant pour cadre un pays fictif dans lequel évolue, au milieu des décombres d'une guerre sans nom, un enquêteur chargé de découvrir l'identité d'un soldat plongé dans le coma. Un récit décalé à l'image de la superbe couverture de l'ouvrage tout comme celle ornant Jusqu'à La Corde (La manufacture de livres 2023), second livre de l'auteur qui s'inscrit dans le même registre insolite de la ville fictive de Caréna. Mais c'est dans l'agglomération bien réelle de Lyon, durant les années trente, que se déroule Un Crime Dans La Peau, son troisième ouvrage que l'on peut définir comme le récit d'un fait divers au procédé narratif déconcertant puisque Lionel Destremau navigue une nouvelle fois à la marge des genres entre fiction et réalité de l'époque qu'il restitue avec une impressionnante habilité.
A l'occasion de la visite du musée des Techniques policières d'Edmond Locard à Lyon, le jeune officier de police en devenir Eric Mailly, passionné de tatouage, découvre deux ouvrages qui ont été retirés de la vente aux enchères d'une collection privée. Il s'agit notamment d'une étrange pochette ayant appartenu au médecin légiste et criminologue Jean Lacassagne qui présente la particularité d'avoir intégré dans sa reliure la peau tatoué d'un homme, ce qui en interdit toute commercialisation. En se penchant sur les origines de l'ouvrage, Eric Mailly découvre que le tatouage ornait le corps de Louis Rambert, coupable de l'effroyable double meurtre de deux personnes âgées, crime qui avait défrayé la chronique judicaire lyonnaise des années trente. Et en poursuivant ses recherches, le jeune élève de l'école de police constate avec stupeur que le complice prénommé Gustave porte le même nom que lui. Se pourrait-il qu'il s'agisse d'un de ses aïeuls ? ainsi, en se plongeant dans les archives, dont celles de la presse qui a relaté le procès, Eric Mailly va découvrir certains pans de la vie tumultueuse de Louis Rambert et de Gustave Mailly, deux vauriens qui ont fini par commettre l'irréparable. S'agit-il d'un parcours prédestiné ? Et que sont-ils devenus après avoir été condamnés ?
Maison d'éditions indépendante fondée et dirigée par Pierre Fourniaud, La Manufacture de livres s'enorgueillit désormais d'une collection un peu à part, intitulée
La Petite Gauloise.
La Petite Fasciste.
"Il y a un moment que je sais que tu t'es envolé dans les espaces supérieurs"
En 1954, alors qu'il patrouille de nuit, sur les routes enneigées des contrées désertiques du comté du Garfield dans l'Utah où il officie comme shérif, Nick Corey tombe sur une Hudson Sedan verte abandonnée qui pourrait bien être le théâtre d'un crime. Tout à coup, il distingue un avion de chasse Sabre qui vole à basse altitude avant d'atterrir en catastrophe sur ce plateau aride, sans aucune lumière et surtout sans aucune présence du pilote. Après avoir avisé les autorités, l'armée débarque avec toute sa logistique pour récupérer l'avion, tandis que le FBI tente de faire la lumière sur cet événement sans précédent. On parle d'une manigance des russes ou des extra-terrestres. Pour ce qui concerne Nick Corey, il se retrouve à enquêter sur le conducteur de la voiture abandonnée qui pourrait bien être le tueur en série responsable de la mort de ses parents alors qu'il était enfant et qui a donc gâché son existence. Il se lance ainsi à sa poursuite en étant secondé par un haut cadre du FBI en quête du chargement disparu de l'avion qui pourrait causer des dommages irréversibles au pays.
Si elle a endossé le rôle d'actrice et de scénariste, c'est la réalisation de deux documentaires portant sur des faits divers qui lui ont inspiré l'écriture de son premier roman récompensé en 2021 par le prestigieux Grand Prix de Littérature Policière saluant cette analyse des violences intrafamiliales dont elle décortique les mécanismes impitoyables conduisant au meurtre. Il faut dire qu'avec