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  • Abir Mukherjee : Les Princes De Sambalpur. Les clés du pouvoir.

    Capture.PNG"Lire c'est voyager; voyager c'est lire" jamais la citation de Victor Hugo n'aura été aussi appropriée en ces temps quelque peu troublés où il ne nous reste plus que la lecture pour explorer d'autres horizons. Dans un tel contexte, on peut également profiter du voyage pour remonter dans le temps afin de nous retrouver à l'époque de l'Inde coloniale comme nous y a convié le romancier Abir Mukherjee avec son premier roman L'Attaque du Calcutta-Darjeeling en nous permettant ainsi de découvrir les aventures du capitaine britannique Sam Wyndham et de son acolyte indien, le sergent Satyendra Banerjee, officiant tous deux au sein de la police impériale du Bengale. Un dépaysement garanti que l'on retrouve avec Les Princes De Sampalpur, second opus de la série, qui prend pour cadre l'un des nombreux royaumes de l'Inde régit par les maharadjahs sous la haute autorité du vice-roi des Indes. Oscillant, dans un bel équilibre, entre le récit historique et l'intrigue policière on ne manquera pas d'apprécier cette intrigue nous rappelant les romans d'Arthur Conan Doyle et de son célèbre détective souffrant d'addiction tout comme Sam Wyndham qui fréquente assidument les fumeries d'opium afin de se remettre momentanément de son passé de vétéran de la Première guerre mondiale.

     

    Juin 1920. En visite à Calcutta, le prince de Sambalpur est assassiné alors qu’il était accompagné de son ancien camarade de classe, le sergent Banerjee et du capitaine Wyndham. Le meurtrier, un étrange homme religieux, est parvenu à prendre la fuite une fois son forfait accompli. Affecté par ce meurtre, les deux policiers accompagnent la dépouille du prince en étant persuadé de trouver le commanditaire du meurtre au sein du royaume suscitant bien des convoitises avec ses célèbres mines de diamants. Au terme du voyage, ils sont reçus par le vieux maharadjah de Sampalpur, extrêmement éprouvé par la disparition de son fils, qui décide de leur confier l’enquête concernant les circonstances entourant sa mort. En passant des rituels religieux funéraires à la chasse au tigre à dos d’éléphant, Wyndham et Banerjee vont tenter de démêler les multiples intrigues qui se nouent dans les couloirs du fastueux palais du maharadjah en essayant de découvrir les mobiles du meurtre qui leur permettront de démasquer l’assassin. Mais il leur faudra toute leur volonté, quitte à forcer les portes du zénana, le harem du maharadjah au sein duquel ils trouveront peut-être quelques réponses à leurs risques et périls.

     

    Au niveau de l’intrigue policière, Les Princes De Sambalpur prend l’allure d’un « whodunit » que ne renierait pas les amateurs de Sherlock Holmes, même si le capitaine Wyndham est doté d’un esprit de déduction bien moins alambiqué que son illustre homologue. L’enjeu du récit consiste donc à déterminer qui est le commanditaire du meurtre du prince en découvrant les mobiles de cet acte tout en constatant, au gré des investigations des deux policiers, que les raisons peuvent être multiples au sein d’un petit royaume où les convoitises sont nombreuses à l’instar de cette vente d’une mine de diamants dont le prix semble surévalué. C’est ainsi l’occasion de découvrir les multiples personnages qui composent ce petit microcosme qui a réellement existé au temps de la splendeur des maharadjahs dont la multitude de royaumes composaient avec l’occupant britannique en nous donnant une idée du fonctionnement qui régit ces deux entités dont l’instauration d’une institution telle que la Chambre des princes censée donner l’illusion d’une certaine autonomie desdits royaumes. On découvre ainsi tout l’aspect des enjeux politiques qui vont nous donner une idée des ambitions contradictoires des différentes factions que comptent le royaume de Sambalpur. C’est peut-être là que réside tout le génie de l’auteur qui parvient, au fil d’une intrigue policière bien menée, à intégrer les éléments du contexte historique de l’époque, ceci sans que l’on ne ressente une quelconque lourdeur. Et puis il faut bien avouer que l’on apprécie cette atmosphère exotique qu’Abir Mukherjee restitue avec une belle justesse conjuguée à un humour caustique que l’on ne manquera pas d’apprécier surtout lorsqu’il vient du sergent Banerjee qui porte une regard circonspect sur le monde qui l’entoure. Avec ce décalage entre la vision du capitaine Wyndham et celle du sergent Banerjee, c’est également l’occasion de mettre en lumière les différentes strates sociale qui composent l’Inde de l’époque à l’instar de cette scène où le personnage principal observe, depuis le luxueux compartiment du train du maharadjah qu'il occupe, une famille modeste qui attend sous la pluie battante de la mousson le train qu’ils doivent emprunter et dont l’arrivée semble incertaine. On observera également, au terme d’un récit dont l’épilogue surprendra plus d’un lecteur, la place faite aux femmes au sein d’un royaume de Sambalpur où le harem semble bien éloigné de l’image que l’on pourrait s’en faire avec des épouses et des concubines qui savent parfaitement composer avec leurs conditions pour parvenir à tirer les ficelles du pouvoir.

     

    Brillant second récit d’une série de romans policiers prometteurs, Les Princes De Sambalpur conjugue avec une belle maîtrise le récit historique et l’intrigue policière qui séduiront ainsi les lecteurs les plus exigeants en quête d’évasion. Exotique et caustique.

     

     

    Abir Mukherjee : Les Princes de Sambalpur. Editions Liana Levi 2020. Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Fanchita Gonzalez Batlle.

     

    A lire en écoutant : Prabhati de Yehudi Menuhin & Ravi Shankar. Album : Menuhin Meets Shankar. 1988 EMI Classic.

  • MAJ SJÖWALL & PER WAHLÖÖ : L’HOMME QUI PARTIT EN FUMEE. LE ROMAN D’UN CRIME.

    Capture d’écran 2020-12-06 à 18.13.57.pngDerrière l‘opulence d’un pays de cocagne régit par cet état-providence qui fait l’admiration de tous, la Suède devient le théâtre d’une série policière composée de dix romans mettant en scène Martin Beck, un policier placide dont les enquêtes mettent à mal ce fameux modèle suédois qui serait dépourvu d’inégalité sociale. Grattant la surface de ce tableau idyllique, l’ensemble des romans, rédigés entre 1965 et 1975 par Maj Sjöwall et Per Wahlöö, restent étonnamment modernes en dépit de l’absence de téléphones portables, d’ordinateurs et de prélèvements scientifiques. Il faut dire que sur la base de récits de procédural police assez lents, les deux auteurs abordent des thématiques sociales fondamentales qui restent toujours d’actualité à l’instar de Roseanna, premier roman de la série qui, au-delà de l’enquête sur sa disparition, évoquait la place de cette jeune femme émancipée et indépendante évoluant dans un monde machiste (on est en 1965) ne pouvant tolérer une certaine décomplexion qu’elle affiche notamment pour tout ce qui a trait à la sexualité. On découvre ainsi une enquête évoluant de manière incertaine sur plusieurs mois tant les indices sont peu nombreux alors que l’on fait la connaissance de policiers aux profils ordinaires dont fait partie Martin Beck. Second épisode de la série, L’Homme Qui Partit En Fumée a la particularité de se dérouler en grande partie au-delà du Rideau de fer, en Hongrie où le policier va parcourir les rues de Budapest à la recherche d’un journaliste disparu.

     

    Alors que la chaleur du mois d’août déferle sur Stockholm, Martin Beck rejoint sa famille sur une île de l’archipel en comptant bien profiter de ses vacances. Mais dès le lendemain, l’inspecteur doit retourner à la capitale pour une affaire urgente qui implique le ministère des affaires étrangères. En effet, le reporter suédois Alf Matsson a disparu en Hongrie alors qu’il effectuait un reportage pour le compte d’un magazine suédois qui a bien l’intention d’exploiter cette disparition en flairant un scoop. Mais pour les autorités, il n’est pas question d’avoir un incident avec un pays du bloc de l’est. Martin Beck doit donc se rendre à Budapest pour faire la lumière sur cette étrange disparition. Mais l’enquête s’avère difficile et à chaque nouvelle avancée, un obstacle infranchissable se dresse devant lui alors qu’il doit composer avec la police locale qui semble suivre chacun de ses pas. Qu’est-il advenu de ce journaliste dont on reste sans nouvelle ?

     

    L'homme Qui Partit En Fumée débute sur une scène de crime décrite par le menu détail avant de se rendre compte qu'il s'agit d'une photo que Martin Beck examine dans son bureau tandis que l'auteur du meurtre passe aux aveux dans une salle d'interrogatoire voisine. Un prologue d'autant plus surprenant qu'il s'enchaine sur quelques scènes estivales ordinaires où l'on suit le policier dans son quotidien tandis qu'il rejoint femme et enfants qui séjournent sur une île de l'archipel, dans une villa qu'il a louée pour les vacances. C'est une des particularités du cycle des romans de Maj Sjöwall et Per Wahlöö où le couple s'ingénie à mettre en exergue cette dichotomie entre la vie quotidienne et le processus du crime qui perturbe ce déroulement ordinaire. Bien loin d'être un prétexte, ledit crime s'inscrit dans le dysfonctionnement d'un modèle social-démocrate qui s'effrite en laissant entrevoir les carences des différentes strates sociales qui composent le pays. Avec L'Homme Qui Partit En Fumée, un titre qui n'aura jamais aussi bien convenu à l'intrigue que ce soit au propre tout comme au figuré, les deux auteurs se focalisent sur le milieu journalistique et sur les relations qu'entretiennent la Suède et la Hongrie se situant à l'époque derrière le Rideau de fer qui apparaît comme bien moins hermétique qu'il n'y paraît avec tout de même une police omniprésente s'employant à surveiller la diaspora des touristes qui se rendent notamment à Budapest. C'est d'ailleurs tout autour de cette surveillance que l'enjeu de l'intrigue fonctionne en se demandant ce qu'il a pu advenir d'Alf Matsson, un journaliste qui se révèle assez détestable avec cette propension à consommer de l'alcool plus que de raison et qui devient au fil de l'intrigue une victime pour laquelle on éprouve assez peu d'empathie. Comme pour Roseanna, Martin Beck se heurte aux aléas d'une enquête incertaine dont nous ne sommes pas sûr qu'elle puisse aboutir. A nouveau plongé dans le quotidien banal mais cette fois-ci d'une capitale d'un pays du bloc de l'est, on suit donc les pérégrinations d'un policier isolé qui goûte tout de même aux plaisirs touristiques que peut lui offrir la ville et notamment les bords du Danube jusqu'à une agression qui va faire basculer le déroulement de l'enquête. Des investigations d'autant plus incertaines qu'elles s'effectuent dans un climat de paranoïa assez inquiétant avec cette sensation permanente qu'a le policier d'être pris en filature sans savoir s'il s'agit de la police ou d'autres individus aux intentions hostiles. En ce qui concerne le milieu journalistique, il faut bien avouer que la profession est dépeinte sous un jour peu flatteur avec des journalistes qui s'adonnent davantage à la boisson qu'à leur métier et une rédaction qui semble plus soucieuse de réaliser un scoop que de savoir ce qu'il est advenu de son collaborateur. Un portrait de la corporation peu élogieux donc, ceci d'autant plus si l'on prend en considération le fait que Per Wahlöö a exercé le métier durant plusieurs années avant d'entamer sa carrière d'écrivain.

     

    Second volume du cycle du "Roman d'un crime", L'Homme Qui Partit En Fumée révèle toute la virtuosité d'un couple d'auteurs qui parvient à diffuser un climat de tension à partir d'une banale enquête de disparition dans le cadre d'une ville de Budapest dont le contexte se situe à l'époque pas si lointaine où le Rideau de fer divisait le monde en deux blocs.

     

    Maj Sjöwall & Per Wahlöö : L’Homme Qui Partit En Fumée (Mannen Some Gick Upp I Rök). Editions Rivages/Noir 2008. Traduit de l’anglais par Michel Deutsch.

     

    A lire en écoutant : Time And Again de Oscar Peterson Trio. Album : We Get Reguests. 2015 The Verve Music Group.