Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : lance Weller

  • BERNARD YSLAIRE/JEAN-LUC FROMENTAL/GEORGES SIMENON : LA NEIGE ÉTAIT SALE. ROMAN DUR.

    bernard yslaire,jean-luc fromental,georges simenon,la neige était sale,éditions dargaudEtonnement, les adaptations BD de l'œuvre de Georges Simenon sont plutôt rares si l'on fait exception de Loustal, étroitement associé au célèbre auteur belge, qui a illustré plusieurs de ses romans et notamment l'ensemble des dix couvertures composant l'intégrale des enquêtes du commissaire Maigret publié aux éditions Omnibus pour nous proposer, en collaboration avec les scénaristes Jean-Luc Fromental et José-Louis Bocquet, Simenon, L'Ostrogoth (Dargaud 2023), un roman graphique se penchant sur la période où ce romancier déjà prolifique s'apprête à se lancer dans l'écriture des premiers ouvrages mettant en scène le célébrissime policier. Mais à l'occasion des 120 ans de la naissance de Georges Simenon, les éditions Dargaud publient deux adaptations de ses fameux romans "durs" désignant les 117 récits dans lesquels le commissaire Maigret n'apparaît pas. Ainsi, on retrouve une nouvelle fois le scénariste José-Louis Bocquet s'associant au dessinateur Christian Cailleaux pour mettre en image Le Passager Du Polarlys qui n'est pas le plus connu des romans de l'auteur belge et dont l'intrigue prend l'allure d'un thriller maritime tout en tension nous entrainant le long des côtes norvégiennes jusqu'au cercle arctique. De son côté, Jean-Luc Fromental s'est tourné vers Bernard Yslaire pour adapter La Neige Était Sale, le fameux roman existentialiste de Simenon qui fait partie des ouvrages emblématiques de son œuvre pour ce qui donne lieu à une rencontre au sommet entre deux grandes figures de la BD et l'un des maîtres de la littérature noire. Pour ceux qui ne sont guère familier avec l'univers du 9ème art, on présentera Jean-Luc Fromental, outre son travail de scénariste collaborant avec des dessinateurs renommés à l'instar de Floc'h, comme un éditeur dirigeant notamment la collection Denoël Graphic recelant quelques œuvres singulières telles que celles de Posy Simmonds et de Joann Sfar. A une époque où les lecteurs du journal Spirou sont plus coutumier de séries dynamiques comme Jess Long, Yoko Tsuno, Tif et Tondu ou les Tuniques Bleues, il faut bien admettre que Bidouille et Violette a de quoi surprendre avec cette histoire d'amour entre deux adolescents inaugurant pourtant l'incontestable talent de Bernard Yslaire qui va se lancer dans la fameuse série Sambre dont la dimension intergénérationnelle s'étalant entre 1768 et 1847 va également se décliner autour de la série La Guerre Des Sambres. Avec un style extrêmement affirmé au caractère à la fois sombre et intense, le choix de Bernard Yslaire apparaît comme une évidence pour cette somptueuse adaptation graphique de La Neige Était Sale qui fait figure d'événement autour de cette conjonction de talents à l'état pur.

     

    Au temps d'une guerre indéterminée, à une époque sans date, dans une ville occupée sans nom, Frank Friedmaier, à peine âgé de 18 ans, profite de l'oisiveté que lui procure son statut d'enfant gâté par sa mère Lotte, tenancière d'une maison close locale et fort rentable lui permettant également d'assouvir ses désirs en côtoyant les pensionnaires du bordel. De plus, il se rend bien compte que Sissy Holst, sa charmante petite voisine, est follement amoureuse de lui. Franck a également ses habitudes au bar-restaurant de Timo où il fraie avec quelques personnages louches comme Fred Kromer, crapule de bas étage se vantant régulièrement de ses crimes odieux. Par défi comme par jeu, au détour d'une ruelle sombre, Frank va égorger un officier de l'armée d'occupation et lui voler son revolver. Un acte gratuit qui sera suivi d'autres forfaits tout aussi abjects qu'immoraux. Frank se lance donc volontairement dans une longue descente aux enfers qu'il assume avec un redoutable cynisme. Dans une telle optique peut-on trouver la rédemption ?

     

    C'est cette simplicité narrative qui caractérise les récits de Georges Simenon où rejaillit ainsi la quintessence des thèmes qu'il aborde avec une acuité redoutable se déclinant autour de la personnalité complexe de ses personnages. Rédigé en 1948 alors que l'auteur séjourne à Tucson en Arizona, La Neige Était Sale prend une forme singulière avec ces lieux et cette époque complètement désincarnés comme pour mieux saisir l'universalité de cette atmosphère à la fois poisseuse et lourde nous rappelant paradoxalement la période trouble de l'Occupation durant la seconde guerre mondiale. Tout cela, Jean-Luc Fromental le restitue parfaitement dans une mise en scène soignée où les dialogues résonnent avec justesse tandis que les scènes cruciales du récit se déclinent au gré des réflexions de Frank Friedmaier en adoptant une narration à la deuxième personne avec cette sensation de malaise tandis que l'on observe ce personnage sombrer dans l'abjection la plus totale avec ce côté impavide saisissant, ceci tout en prenant soin de respecter la structure du roman se déclinant en trois parties comme autant de phases ponctuant sa destinée en passant de l'acte primaire odieux qu'il commet pour l'entraîner dans une escalade de crimes ignominieux s'achevant sur une ultime résurgence prenant la forme d'une rédemption le laissant en paix avec lui-même. Et puis il y a la richesse de la mise en image de Bernard Yslaire, ses cadrages élaborés ainsi que la nuance des couleurs restituant cette ambiance à la fois pesante et malsaine qui émane de l'intrigue tout en rendant hommage à Georges Simenon que l'on croise d'ailleurs au début du récit parmi la clientèle du bar-restaurant de Timo. On apprécie notamment ce soin que le dessinateur apporte à chaque détail que ce soit par exemple le papier peint des intérieurs, les éclairages des rues enneigées de cette ville sans nom ainsi que les costumes de cette galerie de personnages tourmentés aux traits si savamment travaillés. On en prend la pleine mesure en observant plus particulièrement les contours angéliques du visage de Frank Friedmaier nous permettant de saisir le contraste encore plus marqué de son avilissement lors de son parcours meurtrier avant qu'il n'aborde les stigmates des coups des passages à tabac successifs, incarnations de ce long chemin douloureux vers la rédemption au gré d'une espèce d'amour ultime que la neige recouvrira de son linceul immaculé. Une belle convergence de talents pour un album aux allures de roman noir aussi remarquable que saisissant.

     

    Bernard Yslaire/Jean-Luc Fromental/Georges Simenon : La Neige Était Sale. Editions Dargaud 2024.

    A lire en écoutant : La Neige de Claude Nougaro. Album : Sœur Âme. 1971 Mercury Music Group.

  • Christian Roux : Fille De. L'effacement.

    IMG_6211.jpeg

    Service de presse.

     

    Après avoir suivi une formation de pianiste et effectué une multitude de métiers, on dit de lui désormais qu'il est un intermittent du spectacle, expression visant à définir la passion de Christian Roux pour la musique, la danse, le théâtre, le cinéma et bien évidemment la littérature, autant de domaines où il exerce désormais en mettant en place des projets artistiques dont on découvre certains aspects sur son site Nicri Productions. En ce qui concerne l'écriture, que ce soit tant pour la jeunesse que pour les adultes, Christian Roux a fait du roman noir, son genre de prédilection en mettant en scène des individus en rupture ou à la marge des valeurs et normes sociales afin de dénoncer l'exclusion et le rejet dont ils sont victimes. Avec des ouvrages édités principalement par la maison Rivages, on croise ainsi le parcours de Larry dans L'Homme A La Bombe (Rivages/Noir 2012) où ce chômeur désespéré se lance dans une série de braquages plutôt que de continuer à subir des entretiens d'embauche stériles et humiliants tandis que dans Kadogos (Rivages/Noir 2009) on découvre l'activité atypique de Marnie exécutant des malades en phase terminale. Puis en conciliant littérature et musique, Christian Roux publie Adieu Lili Marlène (Rivages/Noir 2015) où l'on rencontre de Julien, pianiste dans un restaurant qui doit jouer régulièrement cette emblématique chanson allemande des années 50 à la demande d'une cliente âgée disparaissant subitement du jour au lendemain, tandis que son passé de trafiquant le rattrape soudainement. Dans Que La Guerre Est Jolie (Rivages/Noir 2018), on assiste à l'opposition des habitants d'un quartier populaire dont une ancienne usine investie par un collectif d'artistes qui doivent faire face à une municipalité bien déterminée à implanter un ensemble résidentiel haut de gamme en employant des moyens plus illégaux les uns que les autres. De manière sous-jacente, Christian Roux explore ainsi cette confrontation à la violence insidieuse d'une société sans pitié à laquelle ces personnages acculés, répondent de manière parfois brutale et dont on découvre d'autres aspects au sein d'un cercle familiale dysfonctionnel de braqueurs avec Fille De, nouveau roman de l'auteur. 

     

    Samantha, 26 ans, que tout le monde surnomme Sam, est une mécanicienne experte qui tient un garage sur les hauteurs de Cassis. Une vie bien réglée et sans histoire qui bascule avec l’arrivée de Frank lui rappelant son adolescence où elle intégrait la bande de braqueurs dirigée par son père Antoine avec qui elle a coupé les ponts alors qu’elle avait 20 ans. Mais juste après les avoir quittés, ils ont mis au point un dernier coup qui a mal tourné contraignant Antoine à planquer le butin tandis que Frank se faisait alpaguer. Mais après avoir purgé sa peine, Frank désire récupérer sa part légitime du butin. Néanmoins, en retrouvant Antoine dans un centre médicalisé, il constate que le vieil homme a perdu un grand partie de sa mémoire à la suite d’une crise cardiaque. Afin qu’il recouvre ses sens, Frank contraint Sam à accompagner son père sur les différents lieux où ils ont vécu durant leur passé tumultueux. Elle entame donc un périple incertain sur les routes de France avec celui dont elle ne voulait plus entendre parler. Mais peut-on renoncer aussi facilement à être la « fille de » ?

     

    Les récits de Christian Roux sont à l'image de la déflagration d'un coup de feu, à la fois brefs et cinglants tout en prenant soin de tout décimer sur leur passage avec ce sentiment de chute sans fin, ponctuée d'éclats d'une violence qui devient un exutoire ultime comme c'est le cas pour Fille De où les retrouvailles entre un père et une fille ne vont pas se dérouler comme l'on pourrait s'y attendre. Certainement en partie dû à son activité de scénariste (il a adapté deux de ses romans pour la télévision et pour le théâtre), Christian Roux possède également ce sens inné de la narration qui nous saisit immédiatement en nous entraînant sur des registres dans lesquels on se laisse irrémédiablement surprendre à l'instar de cette confrontation entre Sam, son père Antoine et Frank son inséparable complice. Au détour d'une écriture aussi sobre qu'efficace comme le démontre d’ailleurs ces quelques scènes de braquages que Donald Westlake ne renierait pas, Christian Roux nous donne l'occasion d'explorer cette cellule familiale étrange, comme retirée du monde, dans laquelle Sam a baigné durant toute son enfance et son adolescence. A son corps défendant, cette jeune femme de caractère va donc revivre les moments tragiques de son passé et découvrir quelques secrets de famille entourant tant la mort de sa mère dans des circonstances terribles que la disparition odieuse de son amour de jeunesse. Ponctuée d'une bande-son signée Tom Waits, l'intrigue s'articule donc autour des rapports tendus entre ces trois personnages en quête du dernier coup à jouer qui prend soudainement une toute autre tournure avec cet enjeu sous-jacent de trahison devenant l'un des thèmes majeurs du récit. Mais au-delà du fracas des rapports qui s'instaurent entre les différents protagonistes, Fille De se construit également autour de cette relation entre un père dont la mémoire s'efface peu à peu et une fille qui aspire à se reconstruire, voire à renaître dans une démarche rédemptrice non dénuée d'émotion mais sans pour autant sombrer dans le pathos et avec cette notion de transmission imprégnant l'ensemble d'un texte d'une redoutable intensité. 

     

     

    Christian Roux : Fille De. Editions Rivages/Noir 2024.

    A lire en écoutant : Blue Valentine de Tom Waits. Album : Blue Valentines. 1978 Asylum Records.

  • Abir Mukherjee : Les Ombres De Bombay. Infiltration.

    abir mukherjee,éditions liana levi,les ombres de bombayAu rythme d'une parution annuelle, on a fini par rattraper les lecteurs anglophones, ce d'autant plus qu'Abir Mukherjee marque une pause dans l'écriture de la série des enquêtes du capitaine Wyndham et du sergent Banerjee qui a fait sa renommée, en proposant, tout récemment, un thriller intitulé Hunter se déroulant à notre époque dans des contrées bien éloignées de l'Inde du Raj et de la période historique de la décolonisation devenant l'arche narrative à l'ensemble des récits déjà parus. Pour ce romancier britannique, natif de Londres qui a grandi en Ecosse, il importait d'évoquer ses origines indiennes et plus particulièrement la ville de Calcutta, en se lançant dans un projet ambitieux puisqu'il s'est mis en tête de décliner, pour chacune des années de cette époque mouvementée, une intrigue policière s'imbriquant dans les interstices de l'Histoire. Quand on sait que L'Attaque Du Calcutta-Darjeeling (Liana Levi 2019), premier opus de la série, débute en 1919 et que l'indépendance de l'Inde a été proclamée en 1947, on mesure l'ampleur de l'œuvre à venir en s'interrogeant sur la manière dont Abir Mukherjee va y parvenir en tenant compte du fait, comme il le souligne non sans humour, que l'espérance de vie du côté de Glascow où il vit désormais n'est guère élevée. Quoiqu’il en soit, le succès de la série réside dans le fait qu'Abir Mukherjee parvient à se renouveler continuellement en nous permettant de partir à la découverte d’une multitude de régions composant le pays à l'instar de ce royaume d'un maharadjah que l'on explore dans Les Princes De Sambalpur (Liana Levi 2020) au gré d'un whodunit intriguant, genre qu'il reprendra dans Le Soleil Rouge de l'Assam (Liana Levi 2023), alors qu'Avec La Permission De Gandhi (Liana Levi 2022) se décline sur un registre empruntant quelques codes du thriller nous permettant de parcourir les rues de Calcutta. À la lecture des quatre volumes qu’il est recommandé de lire dans l’ordre, on comprend que le capitaine Sam Wyndham et le sergent Satyenda Banerjee sont l’incarnation des deux facettes composant la culture d’Abir Mukherjee avec cette dualité entre l’Angleterre et l’Inde alors que l’on observe une évolution des rapports qu’entretiennent ces deux personnages centraux à mesure que le rejet du colonialisme britannique prend de l’ampleur. Ainsi, dans Les Ombres De Bombay on appréhende une nouvelle forme de narration avec une alternance des points de vue entre les deux enquêteurs ce qui donne encore davantage d’importance à la personnalité du sergent Satyenda Banerjee qui n’a plus rien du faire-valoir que pourrait lui conférer son rôle d’adjoint.

     

    A Calcutta, en 1923, les communautés religieuses sont à couteau tiré tandis que Gandhi croupi dans les cachots d'une prison. Et la tension est à son comble à l'annonce de la mort d'un célèbre homme de lettre hindou qui s'est fait assassiner lors d'une rencontre dans le quartier musulman. Pour la police, il faut tout faire pour dissimuler les circonstances de ce meurtre, ce d'autant plus que le sergent Banerjee, rapidement présent sur les lieux, devient le principal suspect. Mais la rumeur enfle et soudainement, la ville devient la proie de violentes et sanglantes émeutes tandis que le policier indien se lance à la poursuite du meurtrier qu'il a vu prendre la fuite. En voyant son adjoint en si mauvaise posture, le capitaine Wyndham va tout faire pour l'innocenter en entamant lui aussi une course-poursuite qui vont finalement conduire les deux enquêteurs du côté de  Bombay où va se tenir sur le parvis de la mosquée de la ville un grand meeting rassemblant les fidèles musulmans de tout bord alors que le climat politique prend l'allure une véritable poudrière.  

     

    Pour ce cinquième opus, on ne change pas de registre au gré d'une enquête policière prenant davantage l'allure d'un thriller avec son aspect trépident pour osciller parfois dans le domaine du récit d'aventure épique où nos deux héros empruntent tous les modes de transport imaginables de l'époque pour parcourir les rues de Calcutta en ébullition ou se rendre à Bombay en utilisant notamment l'avion, ce qui n'a rien d'une évidence dans les années 20, en faisant ainsi l'objet d'une scène mémorable imprégnée de cet humour "so british", si particulier qui caractérise le style d'Abir Mukherjee. Avec Les Ombres De Bombay, on notera la prépondérance du rôle du sergent Satyendra Banerjee tout au long d'une intrigue mouvementée tandis que son supérieur et ami, le capitaine Sam Wyndham figure presque en retrait, ce qui nous permet d'appréhender le tiraillement de ce natif de Calcutta dont allégeance à l'occupant britannique, dans le cadre de sa fonction de policier, lui vaut l'inimitié de sa famille et plus particulièrement de son père qui voit dans son engagement une forme de trahison vis-à-vis du peuple indien oppressé. Si le récit se décline sur un rythme assez effréné d'actions et de rebondissements tout en nous permettant d'apprécier l'atmosphère électrique de Calcutta et de Bombay que l'on découvre pour la première fois en fréquentant notamment le fameux Taj Mahal Palace, la mosquée de Haji Ali Dargah ou le monument de la Porte de l'Inde en cours de construction, il faudra se montrer particulièrement attentif aux enjeux de cette quête de l'indépendance qu'Abir Mukherjee insère en filigrane et de manière assez subtile, pour en faire le thème central du roman. De cette manière, on observe, au-delà de la figure fédératrice de Gandhi, les discordances parfois meurtrières entre les communautés musulmanes et indoues qu'alimentent les autorités britanniques soucieuses de conserver le contrôle du pays en divisant la population autochtone pour mieux régner. On distingue ainsi les accointances et les trahisons entre les différents mouvements et plus spécifiquement au sein des courants politiques hindous où les partisans d'actions plus radicales et plus musclées s'opposent à ceux qui prônent la voie de la non-violence. C'est donc autour de ses dissensions historiques qu'Abir Mukherjee bâtit un trame narrative passionnante, comme toujours, ce d'autant plus que les personnages évoluent constamment en fonction de la tournure des événements dont ils sont les témoins, dans le contexte de cette Inde coloniale en déclin, comme le démontre cet ultime chapitre où l'on devine que l'existence de l'un d'entre eux va être passablement bouleversée ce qui fait que l'on attend le prochaine ouvrage des aventures de Wyndham et Banerjee avec une certaine fébrilité. 


    Abir Mukherjee : Les Ombres De Bombay (The Shadow Of Men). Editions Liana Levi 2024. Traduit de l'anglais par Emmanuelle et Philippe Aronson.

    A lire en écoutant : Chakkar de John Mayer's Indo - Jazz Fusions. Album : Asian Airs. Fusion 1996.

  • PIERRE PELOT : LOIN EN AMONT DU CIEL. DU SANG ET DE LA BOUE.

    loin en amont du ciel, pierre pelot, éditions gallimard, collection la noireA la fin des années 60, Sergio Leone règne en maître dans le domaine du western avec des films emblématiques et légendaires comme Le Bon, La Brute Et Le Truand ou Il Etait Une Fois Dans L'Ouest qui marqueront d'une manière indélébile l'histoire du cinéma. La BD francophone n'est pas en reste puisque l'on assiste à l'émergence du Lieutenant Blueberry scénarisé par Charlier et dessiné par Giraud tandis qu'au début des années 70, Hermann se lance, avec Greg au scénario, dans la série Comanche et que Michel Blanc-Dumont et Laurence Harlé mettent en scène les aventures de Jonathan Cartland et puis qu'apparait le personnage de Buddy Longway créé par Derib. A la même époque, s’inscrivant dans cette effervescence du genre, il faut également compter sur Pierre Pelot débutant sa carrière de romancier avec une série mettant en scène Dylan Stark un métis moitié cherokee, moitié français qui, au terme de la guerre de sécession, se jette à corps perdu dans une longue quête de vengeance après avoir découvert, en revenant au pays, que toute sa famille a été massacrée. Au gré des 22 ouvrages publiés, on remarquera que certains d'entre eux sont illustrés par Hermann tandis que dans d'autres publications on trouvera les dessins de Michel Blanc-Dumont ou de Michel Auclair, autre auteur de BD, qui se distinguera avec les aventures de Simon Du Fleuve, dans un genre post-apocalyptique aux allures de western. On notera que l'ensemble de la série Dylan Stark n'est malheureusement plus disponible mais que l'on peut les retrouver sur le marché de l’occasion, en constatant d'ailleurs que le 17ème volume, Le Tombeau De Satan (Marabout 1969), est préfacé par Hergé. Après cette incursion notable dans le western, il sera difficile de résumer la suite de la carrière littéraire de Pierre Pelot s'étalant sur plus de cinq décennies en publiant pas moins de deux cents ouvrages pour s'aventurer sur des registres variés tels que la science-fiction, le polar, le roman noir mais également du côté de la littérature blanche avec ces phrases redoutables, presque sans fin qui envoûtent le lecteur en l’entrainant dans la splendeur d'un récit tel que Braves Gens Du Purgatoire (Héloïse d’Ormesson 2019) dont on retrouvera les caractéristiques dans Loin En Amont Du Ciel, dernier ouvrage de l'auteur qui renoue avec le western aux accents crépusculaires où apparaît, de manière lointaine, la silhouette de Dylan Stark dont la trajectoire s’insinue dans celle de trois sœurs se lançant à la poursuite de la bande de renégats qui ont pillé leur ferme et assassiné leurs proches.

     

    Si la guerre de Sécession a pris fin et que le pays se reconstruit peu à peu, on voit apparaître des anciens combattants qui se sont reconvertis dans le meurtre et le pillage en formant des bandes de hors-la-loi sans foi ni loi. L'une d'entre elles est commandée par Captain Sangre de Cristo qui peut notamment compter sur l'appui d'une sorcière sanguinaire que ses comparses surnomment Mother. Déferlant désormais dans la vallée des Orzak, cette horde de pillards sèment terreur et désolations en s'en prenant plus particulièrement aux fermes isolées, dont celle appartenant à la famille McEwen après avoir massacré les parents ainsi que la cadette des filles sous le regard impuissant des trois sœurs survivantes. Bien décidées à se venger, Enéa McEwen ainsi que les deux jumelles Aïleen et Erin vont traquer sans relâche chaque membre de cette bande de renégats qui poursuivent leurs exactions dans tous les recoins des états du Sud. Ainsi, au fil de leur périple, les sœurs McEwen croisent d'autres femmes, également victimes de cette horde sauvage, qui se joignent à leur croisade vengeresse où le fracas des armes rugira pour solde de tout compte.

     

    Dans la collection La Noire on trouve notamment Méridien De Sang (Gallimard/La Noire 1992) de Cormac McCarthy et Deadwood (Gallimard/La Noire 1994) de Peter Dexter, représentatifs de ce fameux courant western gothique caractérisant ces deux romans légendaires. Il y a donc une cohérence certaine à ce que Pierre Pelot intègre cette collection mythique avec ce western aux accents âpres et crépusculaires dont il décline l'atmosphère à la fois lourde et violente au détour d'un texte tempétueux et d'une saisissante intensité s'articulant autour de la destinée des trois soeurs McEwen bien décidées à faire payer le prix fort à tous ceux qui ont massacré leur famille. Et puis, comme une mise en abime vertigineuse, on observe également le parcours d'Anton Deavers, journaliste pour The True Republican New Chronicle et qui a déjà rédigé les aventures du lieutenant Dylan Stark pour s'intéresser désormais au devenir de ces trois femmes qui ont pris les armes pour former une milice comptant de nombreuses comparses qui s'abattent sur leurs adversaires avec une farouche détermination. Et comme pour donner davantage d'assise et de réalisme au récit, Pierre Pelot convoque la personnalité historique de William Quantrill qui dirigea une horde déchaînée de hors-la-loi sévissant dans le Missouri et le Kansas et dont certains membres formèrent par la suite le redoutable gang James-Younger. Avec un tel personnage, l'auteur s'inspire de cette sauvagerie, propre à l'époque, pour mettre en scène les exactions de Captain Sangre De Cristo, ancien membre de la bande Quantrill, et de Mother, une furie sanguinaire qui éprouve une certaine prédilection à éventrer tous les individus qu'elle croise, en lançant quelques imprécations furieuses pour invoquer tous les démons de l'enfer. Tout cet ensemble s'embrase au détour d'un texte aux longues phrases tumultueuses que l'auteur façonne avec cette passion sans égale du mot juste dont il reprend parfois à son compte la signification pour l'insérer parfaitement dans la scène qu'il dépeint, que ce soit ces paysages majestueux, ces recoins sordides et bien évidemment ces éclats d'une violence flamboyante et outrancière comme en témoigne le pillage de la ferme McEwen ou le règlement de compte entre Enéa et Mother prenant une allure dantesque au cour d'un affrontement déchainé entre bandes rivales s'affrontant au sein d'un saloon ravagé par la multitude de coups de feu qui éclatent de toute part. Ainsi, Pierre Pelot, en pleine maitrise de la langue et du récit, vous entraine dans la sauvagerie de cette période tumultueuse au gré d'une succession d'événements d'une envergure peu commune vous coupant le souffle et vous laissant sans voix au milieu de ces éclats de boue et de sang qui semblent toujours vous coller à la peau même une fois l'ouvrage terminé.

     

    Pierre Pelot : Loin En Amont Du Ciel. Editions Gallimard/Collection La Noire 2023.

    A lire en écoutant : You Will Be My Ain True Love de Alison Krauss. Album : A Hundred Miles Or More: A Collection. 2007 Rounder Records.

  • ANTONIN VARENNE : TROIS MILLE CHEVAUX VAPEUR. LA PISTE DE SANG.

    antonin varenne, trois mille chevaux vapeur, albin michelIl existe des ouvrages qui rôdent autour de vous, précédés d’une réputation plutôt flatteuse, que vous tardez pourtant à acquérir, miné que vous êtes, par un temps désespérément trop court pour aborder l’ensemble des publications qui vous tentent et qui déferlent avec une constance excessive mais permanente dans les librairies. D’où ce sentiment de regret qu’il faut parfois surmonter en vous disant que vous trouverez bien l’occasion de vous plonger dans le récit convoité. Vaines illusions ? Pas toujours, comme c’est le cas avec Trois Mille Chevaux Vapeur publié chez Albin Michel en 2014 et qui fut l’un des ouvrages qui forgea la réputation d’Antonin Varenne en tant que narrateur talentueux comme il le démontra avec Battues (La Manufacture de Livres/Territori 2015) et Cat 215 (La Manufacture de Livres/Territori 2016).

     

    En 1852, le sergent Arthur Bowman est un soldat impitoyable qui se bat pour le compte de l’East India Compagny. Durant une campagne sanglante de la seconde guerre anglo-birmane, on lui confie une obscure mission. Il doit remonter le cours d’un fleuve pour s’enfoncer dans la jungle birmane. Mais l’expédition tourne mal et les hommes sont capturés et doivent subir les brimades et tortures de leurs gardiens durant de nombreux mois. Seuls dix d’entre eux parviendront à s’extirper de cet enfer. En 1858, à Londres où il est devenu vigile pour la compagnie, le sergent Bowman étouffe ses cauchemars dans les vapeurs d’alcool et les nuages d’opium. Mais dans un égout de la ville, il découvre un cadavre portant des stigmates similaires à ceux que lui ont infligé ses geôliers birmans. L’auteur de ce crime atroce ne peut-être que l’un de ses anciens compagnon d’infortune et Bowman se lance à sa poursuite d’autant plus que l’assassin semble poursuivre ses sombres activités sur un continent américain en pleine expansion.

     

    Oscillant sur le mode du roman d’aventure, du western et du thriller, Trois Mille Chevaux Vapeur entraînera le lecteur sur ces différentes thématiques que l’auteur aborde avec une aisance peu commune par l’entremise d’un texte dont la fluidité permet d’évoquer sans aucune lourdeur tous les grands changements du XIXème siècle. Ainsi Antonin Varenne aborde les manœuvres navales de la guerre anglo-birmane ; l’effondrement de la Compagnie des Indes ; les bas-fonds de Londres en pleine période de sécheresse, les grèves ouvrières à New-York et bien évidemment la grande conquête de l’Ouest, le tout sur fond d’industrialisation et de progrès notables qui se font sur le dos d’une population exploitée et dont les sursauts de révoltes sont réprimés d’une sanglante manière. Très documenté, sans pour autant en faire un étalage pénible, Trois Mille Chevaux Vapeur évoque également tout le contexte historique et social d’événements intenses dans lesquelles le protagoniste principal se retrouve mêlé au gré de son périple qui fera de lui un autre homme.

     

    On suit donc le parcours d’Arthur Bowman, personnage frustre et cruel qui se révèle plutôt antipathique mais dont l’humanité se révélera au fil des rencontres qu’il fera lors de cette quête rédemptrice. Mais rien n’est simple avec Antonin Varenne, les stéréotypes d’une histoire convenue disparaissent au travers de personnages qui se révèlent bien plus complexes qu’ils n’y paraissent. Ainsi, l’auteur met régulièrement de côté la traque d’un tueur qui devient le fil conducteur d’un récit qui se concentre sur les aspects d’un monde en pleine mutation. D’ailleurs les crimes qui jalonnent le roman sont toujours relégués au second plan en se dispensant par exemple de tout l’aspect sanglant de meurtres qui ne servent qu’à relancer l’intrigue.

     

    Conteur hors pair, Antonin Varenne concilie donc avec maestria tous les ingrédients d’une époque dantesque où les mondes s’écroulent tandis que d’autres prennent naissance pour nourrir une intrigue fourmillant de péripéties et de rebondissements parfois spectaculaires dans lesquelles apparaissent une myriade de protagonistes qui vont influencer la trajectoire et la destinée d’Arthur Bowman. Il rencontrera, entre autre, des soldats déboussolés par une guerre sauvage, une femme de caractère aux convictions utopistes, un indien tiraillé entres ses différentes origines et un prêcheur à la foi chamboulée, autant de personnages façonnés par l’imagination fertile d’un auteur qui parvient à déjouer tous les stéréotypes que l’on pourrait conférer à ce type d’individus que l’on a croisé dans tant d’autres récits.

     

    Mené avec la force tranquille de l’un de ces paquebots traversant l’Atlantique et dont la puissance donne son nom au roman, Trois Mille Chevaux Vapeur est un récit qui conjugue donc, avec un bel équilibre, l’imaginaire foisonnant d’un auteur et le contexte historique d’une période chargée en événement pour nous livrer un roman dantesque qui ne manquera pas de laisser le lecteur avec le souffle coupé. Un ouvrage impressionnant.

     

    Antonin Varenne : Trois Mille Chevaux Vapeur. Editions Albin Michel 2014.

    A lire en écoutant : In God’s Country de U2. Album The Joshua Tree : Island Records 1987.

  • Ikeido Jun : La Fusée De Shitamachi. Le souffle du crash.

    Capture d’écran 2018-02-04 à 15.24.27.pngComme je vous l’avais promis en ce début d’année, il m’importait de me tourner davantage vers la littérature noire asiatique afin de me laisser surprendre par les nouvelles perspectives d’un genre particulier que les auteurs de ces contrées lointaines abordent avec un regard bien différent de celui que peut nous offrir nos romanciers occidentaux. Ainsi, le monde de l’entreprise a fait l’objet, dans nos régions francophones, de nombreux romans noirs pointant disfonctionnements managériaux et autres disparités sociales tandis qu’au Japon, Ikeido Jun aborde le thème en empruntant des éléments narratifs propres aux thrillers et aux récits d’aventure avec un roman intitulé La Fusée De Shitamachi qui nous entraîne dans le sillage d’une PME nippone de pointe de l’arrondissement d’Ôta à Tokyo, devant faire face à une concurrence aussi féroce qu’impitoyable.

     

    Ingénieur de renom Tsukuda Kôhei a participé à l’élaboration du moteur d’une fusée dont le lancement s’est révélé être un fiasco. Contraint de démissionner, il a repris la petite entreprise familiale de machine-outil qu’il a transformée en usine de pointe, spécialisée dans les composants de moteurs de haute précision. Mais diriger une PME d’excellence telle que la Tsukuda Seisakusho n’est pas une sinécure. Une entreprise qui annule brutalement son carnet de commande tandis qu’une autre l’attaque pour des questions de brevet et ce sont les investisseurs qui vous lâchent. Il faut donc faire face à l’adversité et Tsukuda Kôhei qui n’a jamais renoncé à ses rêves de succès dans le domaine de l’aérospatial, se lance dans la conception d’un modèle de valves destinées à équiper la fusée d’une grande compagnie industrielle ne pouvant supporter de dépendre d’une entreprise aussi insignifiante que la Tsukuda Seisakusho. Dans un contexte de rivalité extrême, nombreux seront les obstacles et trahisons en tout genre pour mettre à mal le projet de cet entrepreneur audacieux.

     

    Premier roman traduit en français pour cet auteur qui a commis une vingtaine d’ouvrages dont plusieurs polars, Ikeido Jun est un romancier à succès dans son pays d’origine ce qui explique sans doute cette écriture très classique, répondant aux standards du best-seller international. Il n’empêche, l’efficacité du texte ne saurait être remise en question lorsque l’on constate que des sujets à priori arides comme le financement des entreprises, les dépôts de brevets ou les processus de fonctionnement d’un moteur de haute précision deviennent les éléments centraux d’une intrigue riche en tensions narratives qui se mettent en place dans un climat de compétitivité exacerbée par les dissensions internes et les rivalités entre modestes PME et grandes compagnies. Emprunt d’une certaine forme de théâtralité, La Fusée De Shimatachi décrypte les multiples services composant une entreprise japonaise que l’on découvre par l’entremise de Tsukuda Kôhei, un ingénieur devenu patron qui se concentre davantage sur les concepts d’une technologie de pointe que sur les aspects stratégiques et financiers de ses affaires. Le lecteur fait ainsi la connaissance d’un entrepreneur dont les rêves de conquête dans le domaine de l’aérospatial deviennent les enjeux d’un récit où les défît entrepreneuriaux font l‘objet de trahisons en tout genre, d’embûches financières et technologiques pouvant faire capoter le projet à tout instant. Les rêves de l’entrepreneur face à la réalité du marché, la petite PME devant lutter contre les desseins d’une grande compagnie, l’employé réticent se ralliant finalement au projet, l’auteur s’appuie sur des schémas narratifs manichéens assez convenus pour alimenter les différents ressorts d’une intrigue qui n’en demeure pas moins passionnante.

     

    Même s’il n’a pas pour vocation de dénoncer les dysfonctionnements du monde de l‘entreprise nippone, La Fusée De Shitamachi permet d’appréhender un univers hiérarchisé, codifié à l’extrême, où le collectif ne laisse aucune place à l’individualisme. Et bien au-delà du maintien de l’emploi ou des questions salariales, c’est la fierté de la réussite des projets de l’entreprise qui importe avant tout, ceci au prix de tous les sacrifices. Ainsi les lecteurs attentifs pourront s’interroger sur les rythmes de travail effrénés de ces « salaryman » consacrant la majeure partie de leur temps au labeur quant ils ne se retrouvent pas, le soir venu, dans des izakaya, ces bars japonais où se déroulent les nomikai, « réunions pour boire », permettant de discuter encore du travail entre collègues et qui deviennent un véritable phénomène de société avec cette image de salariés ivres morts, titubants dans les rues ou affalés sur les sièges des métros. Egalement à charge, c’est le monde de la finance comme les banques mais également les société d’investissement et leurs rapports ambivalents à l’entreprise qu’Ikeido Jun, ancien employé bancaire, se charge de disséquer au gré d’une histoire entremêlant son expérience professionnelle à la fiction d’un récit riche en péripétie où l’innovation des technologies de pointe se heurte à l’absence de vision et au manque d’audace des financiers.

     

    Dépaysant, autant dans sa forme que du point de vue exotique, La Fusée De Shitamachi, est un pur roman populaire, mettant en scène l’aventure palpitante d’un entrepreneur audacieux et innovant confronté aux aléas des financements et de la concurrence tout en disséquant, avec une acuité redoutable, les différentes strates hiérarchiques qui compose un univers du travail où employés et cadres se dévouent corps et âmes et surtout, sans compter leur temps, au bon fonctionnement de l’entreprise. Surprenant et édifiant.

     

    Ikeido Jun : La Fusée De Shitamachi (Shitamachi Rocket). Traduit du japonais par Patrick Honnoré. Books Editions 2012.

    A lire en écoutant : Come Close (feat. Common) de Indigo Jam Unit. Album : re : common from Indigo Jam Unit. Rambling Records 2009.

     

     

  • James Crumley : Fausse Piste. Sur les traces de la voie lactée.

    Capture d’écran 2017-02-18 à 00.51.39.pngUne nouvelle traduction de Jacques Mailhos agrémentée d’illustrations en noir et blanc de Chabouté, toutes les occasions sont bonnes pour revisiter l’œuvre de James Crumley comme nous le propose les éditions Gallmeister avec Fausse Piste, premier roman de la série consacrée au détective Milo Milodragovitch. Au-delà d’une traduction plus contemporaine, il s’agit de découvrir ou redécouvrir l’une des voix marquantes du roman noir américain qui fut paradoxalement l’un des écrivains les plus méconnu de ce fameux courant « nature writing » issu de la ville de Missoula dans laquelle James Crumley a toujours séjourné en côtoyant James Lee Burke et Jim Harrison.

     

    A Meriwether dans le Colorado c’en est fini des flagrants délits d’adultère pour le détective privé Milo Milodragovitch qui se morfond désormais dans son bureau depuis que l’on a réformé la loi sur les divorces en le privant ainsi de sa principale source de revenu. Alors que ses finances sont au plus mal, il passe en revue les ruines de sa vie sentimentale entre deux cuites avec ses camarades de beuverie. Une existence bancale sans grandes interférences jusqu’à ce que débarque la belle Helen Duffy à la recherche de son petit frère disparu. Pour les beaux yeux de cette femme séduisante, Milo se lance maladroitement sur les traces du jeune étudiant amateur de tir au revolver au dégainé rapide. Mais l’enquête va se révéler plus chaotique qu’il n’y paraît.

     

    Une écriture généreuse, sincère, dotée d’un humour vachard, c’est la marque de fabrique de James Crumley qui reprend tous les canons du roman noir et du polar en les assaisonnant d’une tension confuse parfois décousue mais qui se révèle au final d’une étonnante maîtrise en embarquant le lecteur dans les tréfonds de l’âme tourmentée de ce détective qui sort vraiment de l’ordinaire. A bien des égards, Milo Milodragovitch présente de nombreuses similitudes avec son auteur dans sa propension à s’imbiber généreusement d’alcool en alternant des périodes de morosité et de gouaille festive tout en s’investissant corps et âmes dans des enquêtes qui s’avèrent bien plus originales qu’on ne pourrait l'imaginer. Publié en 1975, Fausse Piste capte également le climat de révolution culturelle qui régnait à l’époque aux USA. Une période confuse où l’on croise des personnages atypiques comme ce travesti féru d’arts martiaux ou cet ancien avocat qui a renoncé au droit pour s’imbiber quotidiennement et méthodiquement d’alcool. Libéralisation des mœurs qui va de pair avec la consommation de drogues devenant une plaie sournoise et endémique renvoyant aux propres addictions de Milo Milodragovich et de son entourage proche et indirectement à l’auteur qui ne porte jamais de jugement de valeur mais qui témoigne magistralement de son temps.

     

    Parce qu’il ne faut pas s’y tromper, Fausse Piste, comme d’ailleurs la plupart des ouvrages de James Crumley, fait partie de la quintessence du polar en dépassant allégrement tous les codes du genre. On entre dans une autre dimension d’une incroyable facture tant sur le plan narratif que sur l’objet de l’intrigue et il serait vraiment regrettable de passer à côté de cette remise au goût du jour que nous propose les éditions Gallmeister qui a eu la bonne idée de l’agrémenter des illustrations percutantes de Chabouté parvenant à saisir l’atmosphère du roman avec une belle justesse.

     

    James Crumley nous présente donc des récits emprunts à la fois d’une violence crue et d’une grâce parfois émouvante, servis par la force de dialogues truculents et incisifs permettant de mettre en scène toute une galerie de personnages d’une singulière sensibilité, toujours délicieusement humains dans toutes leurs imperfections qu’ils dissimulent sous une somme d’excès et brutalités quelques fois extrêmement saisissante. Ainsi Milo Milodragovitch, ex shérif deputy corrompu et détective alcoolique se distancie des clichés usuels propre à ce type de personnage pour incarner ce qui se fait de mieux en matière de personnage à la fois torturé par ses démons tout en tentant de faire le bien du mieux qu’il peut autour de lui. Homme frustre, parfois très maladroit mais toujours sensible et obligeant, Milo résoudra une enquête pénible et compliquée car parsemée d’une myriade de fausses pistes et dont la conclusion se réalisera à ses propres dépens.

     

    Indéniablement Fausse Piste, comme tous les romans de James Crumley, constitue l’une des très grandes références dans le domaine du polar et du roman noir et s’inscrit dans deux séries emblématiques mettant en scène Milo Milodragovitch pour l’une et C.W. Sughrue pour l’autre, détective également mythique que l’on retrouve dans Le Dernier Baiser qui vient de paraître également au éditions Gallmeister. Et pour achever de vous convaincre de lire James Crumley, il faut bien prendre conscience que Fausse Piste n’est que le début d’une œuvre magistrale qui a révolutionné le genre. Indispensable et fondamental.

     

    James Crumley : Fausse Piste (The Wrong Case). Editions Gallmeister 2016. Traduit de l’anglais (USA) par Jacques Mailhos.

    A lire en écoutant : The Ghosts of Saturday Night de Tom Waits. Album : Asylum Years. Asylum 1986.

  • James Crumley : Le Dernier Baiser. L’ivresse du voyage.

    james crumley, le dernier baiser, éditions gallmeisterUn bon roman policier doit-il forcément être mal écrit ? Telle était la question que se posait un chroniqueur commentant un mauvais roman policier helvétique que je ne citerai pas. Pour y répondre, il suffit de recommander, parmi tant d’autres, toute l’œuvre de James Crumley qui ne laisse place à aucun doute quant à la qualité de l’écriture et du style d’un auteur qui n’a pourtant jamais bénéficié d’une grande notoriété, ce qui est fort regrettable. Afin de réparer cette injustice, les éditions Gallmeisters ont décidé de publier l’intégralité de ses romans en nous proposant une nouvelle traduction de Jacques Mailhos qui rend davantage justice aux textes originaux de ce romancier hors norme. Cette belle démarche éditoriale a débuté avec Fausse Piste et se poursuit avec Le Dernier Baiser qui met en scène, pour la première fois, les aventures du détective C. W. Sughrue.

     

    C’est n’est pas une sinécure lorsque le détective privé C. W. Sughrue doit se lancer à la poursuite de Trahaerne, une célèbre poète qui s’est mis en tête de fréquenter tous les bars de l’ouest du pays. Mais il faut admettre que la famille de l’écrivain s’est montrée plutôt généreuse, ceci d’autant plus que les notes de frais sont illimitées. De motels décatis en rades atypiques, le détective retrouve l’écrivain dans un bar miteux de la côte ouest et fait la connaissance de Rosie, une vieille barmaid, qui lui confie une nouvelle affaire. Il s’agit de retrouver sa fille Betty Sue Flowers qui n’a pas donné signe de vie depuis dix ans. En compagnie du poète alcoolique, Sughrue entame une longue quête fiévreuse afin de retrouver la jeune fille disparue. Un parcours chaotique, nimbé de violence, d’alcool et d’une pointe acide d’humour.

     

    Avec James Crumley, il faut toujours s’attendre à être quelque peu bousculé en s’embarquant à la suite de héros déjantés, portés sur la boisson. Et il faut bien l’avouer, l’auteur s’y connaît en la matière en distillant son goût immodéré pour la bibine au fil de pages qui exhalent de forts relents d’alcool tout en donnant le tournis. C’est d’ailleurs lorsqu’il se lance dans le descriptif de libations outrancières qu’il parvient à mettre en place des actions dantesques où la folie et la violence virent parfois au burlesque. Mais on aurait tord de s’arrêter uniquement sur l’aspect insensé d’un texte qui révèle davantage d’émotions qu’il n’y paraît. C’est ce qui transparaît de manière particulièrement flagrante avec Le Dernier Baiser où l’on fait la connaissance de Chauncey Wayne Sughrue qui, tout comme Milo Milodragovich, officie en tant que détective privé dans la petite ville de Meriwether. Probablement moins extraverti que son collègue, ceci particulièrement lorsqu’il perd le contrôle après un excès de boisson, Sughrue possède une sensibilité à fleur de peau qui le pousse à s’impliquer plus qu’il ne le devrait dans une enquêtes pour laquelle sa fascination pour cette jeune femme disparue joue un rôle prépondérant, tout comme les autres personnages secondaires féminins qui prennent le contrôle d’une intrigue riche en péripéties. Émancipées, elles se révèlent parfois vulnérables mais également extrêmement redoutables aussi bien dans leur quête d’indépendance que dans le contrôle de leur entourage. James Crumley nous propose ainsi une galerie de portraits de femmes fortes, déterminées autour desquelles se met en place, de manière aussi subtile qu’insidieuse le drame qui clôturera le récit.

     

    Succédant à Chabouté, c’est Thierry Murat qui s’est chargé d’agrémenter Le Dernier Baiser avec une succession d’illustrations qui subliment un roman exceptionnel. De cette manière, le lecteur peut s’élancer sur la route des grands espaces de l’ouest américain que l’auteur s’emploie à dépeindre avec la force lyrique d’une écriture précise et soignée. Chaque mot semble avoir été considéré, pesé et travaillé afin de nourrir des phrases racées permettant d’illustrer, parfois de manière audacieuse, les paysages mais également les ressentis des personnages qui jalonnent le roman. Par l’entremise de dialogues à la fois incisifs et envoûtants, dotés de répliques percutantes, on perçoit une espèce de souffle épique et un certain romantisme nuancé par une sensation de désenchantement qui transparaît tout au long d’un roman qui se dispense de toute forme d’illusion. Car avec Le Dernier Baiser, James Crumley, en narrateur chevronné qu’il est, détient l’art redoutable de clouer le cœur du lecteur au travers d’un roman noir d’une puissance peu commune.

     

    James Crumley : Le Dernier Baiser (The Last Good Kiss). Editions Gallmeister 2017. Traduit de l’anglais (USA) par Jacques Mailhos.

    A lire en écoutant : Long Lonely Road de Valerie June. Album The Order Of Time. Concord Music Group, Inc 2017.

  • VALERIO VARESI : LA MAISON DU COMMANDANT. REVOLUTION PERDUE.

    Capture.PNGL'air de rien on s'achemine déjà vers le sixième volume des enquêtes du commissaire Soneri débutant avec Le Fleuve Des Brumes, un roman à l'atmosphère envoûtante se déroulant sur les bords du Pô. Ce roman signait, il y a de cela cinq ans, les débuts de la maison d'éditions Agullo en devenant ainsi le fer de lance de cette collection noire avec une série policière emblématique rivalisant avec Andrea Camilleri et son commissaire Montalbano appréciant tout comme Soneri la bonne chère ou Maurizio De Giovanni et son commissaire Ricciardi partageant la même aversion pour le fascisme ordinaire qui sévit aussi bien à Naples que du côté de Parme, ceci en dépit des années qui séparent les deux séries. Mais du point de vue social et philosophique, c'est du côté de Giorgio Scerbanenco que l'on s'achemine en repensant à sa formidable série de quatre titres mettant en scène Duca Lamberti, médecin déchu qui se reconvertit en détective privé en ne cessant pas de s'interroger sur les motivations qui poussent certains individus à commettre l'irréparable. Mais pour en revenir au commissaire Soneri, on retrouvera avec La Maison Du Commandant cette ambiance embrumée de la région de la bassa, la basse plaine d'un Pô en crue qui va révéler quelques secrets remontant à la Seconde Guerre Mondiale pour nous rappeler, par certains aspects, les paysages qui nous charmaient dans Le Fleuve Des Brumes.

     

    Le commissaire Soneri est l'un des rares policiers à connaitre la bassa, cette plaine gorgée de brume et d'eau en subissant régulièrement les débordements du Pô en crue. Outre des braquages de banque qui deviennent de plus en plus fréquents dans la région, le commissaire Soneri à fort à faire ceci d'autant plus que l'on découvre, partiellement immergé au bord du fleuve, le corps sans vie d'un pêcheur d'origine hongrois, tué d'une balle dans la tête. Et puis non loin de là c'est également le cadavre décomposé d'un ancien partisan que l'on retrouve dans sa maison où il vivait reclus. Des affaires en apparence sans lien qui trouveront peut-être leur origine autour d'une sombre histoire de trésor de guerre ou dans l'affrontement entre les autochtones et les pêcheurs venus de l'est. Sur fond de surexploitation des richesses que peut offrir le fleuve qui subit les rejets d'industriels sans scrupule, Soneri mesure le désarroi d'une population qui a perdu toutes ses illusions.

     

    Ancien journaliste, mais également professeur en philosophie, on perçoit tout au long de l'oeuvre de Valerio Varesi ces échanges philosophiques qui émaillent les rencontres du commissaire Soneri avec les protagonistes qui croisent son chemin. On le distingue tout particulièrement avec La Maison Du Commandant qui permet au policier de débattre sur la légitimité d'actions délictueuses dans un environnement étatique particulièrement corrompu. Ainsi au gré de ses discussion avec Nocio figure locale de cette région de la bassa ou de Carega, professeur à la retraite, le policier perçoit la détresse des habitants face à une situation environnementale dégradée qui va de pair avec un tissu économique sur le déclin. C'est donc autour de ce constat social désastreux que va s'articuler une enquête aux entournures troubles et marécageuses à l'image de cette région embrumée où le Pô s'épanche au gré des crues et décrues qui livrent quelques indices venant à point nommé pour Soneri qui dirige la grande partie de ses investigations par le biais de conversations téléphoniques avec ses adjoints qu'il dirige ainsi à distance tout en se déambulant sur les digues du fleuve en compagnie de la belle Angela avec qui il partage quelques repas savoureux au Stendhal, suivis d'étreintes à la fois passionnées et furtives. L'autre thème du roman aborde cette montée du fascisme incarné par de jeunes individus qui ont perdu leurs illusions en se tournant vers le repli sur soi et l'exclusion pour s'en prendre, entre autre, à ces pêcheurs venus de l'est qui ne respectent pas les normes imposées. Une injustice qui suscite incompréhension et fureur quand ce n'est pas le désarroi qui prend le pas sur ces sentiments contrastés. C'est également l'occasion pour Valerio Varesi d'évoquer une certaine désillusion dans les rangs des partisans, à l'image du commandant Manotti que l'on retrouve mort depuis plusieurs jours alors qu'il vivait reclus, abandonné de tous, dans une vieille demeure qui va livrer quelques secrets. 

     

    Nouvelle enquête mélancolique du commissaire Soneri, La Maison Du Commandant ne fait que confirmer le talent d'un auteur qui nous fascine à grand coup d'atmosphère embrumée et d'enquêtes tortueuses, révélant le malaise social qui mine cette attachante région de l'Emilie-Romagne tandis que le Pô draine le désespoir d'habitants désemparés.

     

     

    Valerio Varesi : La Maison Du Commandant (La Casa Del Commandante). Editions Agullo/Noir 2021. Traduit de l'italien par Florence Rigollet.

    A lire en écoutant : The Man Who Owns The Place de Balthazar. Album : Rats. 2012 Play it Again Sam PIARS.

  • Fred Vargas : Temps Glaciaires. La dure loi des séries.

    Capture d’écran 2015-04-11 à 13.15.36.pngDix ouvrages, pas un de plus. C’est le nombre de romans auquel l’auteur a droit pour développer un personnage récurent.  Cette règle, ce n’est pas moi qui l’énonce, mais John Harvey dans l’interview « en roue libre » de Velda dont vous découvrirez l’intégralité sur son blog que l’on peut considérer comme l’une des références dans l’univers des sites dédiés à la littérature policière. Dans cet entretien édifiant, l’auteur britannique se livre avec une franchise presque déconcertante sur l’aspect commercial de ces séries. La règle, qu’il n’a d’ailleurs pas respectée (et c’est bien dommage), se base sur les dix ouvrages mettant en scène Martin Beck dans le Roman d’un Crime. Même si cette série s’est achevée à la suite de circonstances tragiques, on s’accordera pour dire qu’il s’agit effectivement d’une règle parfaitement valable puisqu’elle fait référence à l’un des chefs-d’œuvre du roman policier. C’est peut-être à cause de la « règle des dix » que Fred Vargas a mis tant de temps à livrer Temps Glaciaires,  la onzième enquête du commissaire Adamsberg si l’on compte les trois affaires que l’on peut retrouver dans le recueil de nouvelles Coule la Seine. La crainte de fournir l’ouvrage de trop.

     

    C’est sur la base des intuitions d’un collègue commissaire que débute l’enquête d’Adamsberg qui se lance sur les traces d’un tueur qui maquille ses crimes en suicide, mais ne peut s’empêcher d’apposer un mystérieux signe en forme de « H ». L’équipe bringuebalante du commissaire peut s’accorder à faire des rencontres toujours aussi déroutantes que ce soit avec Marc le sanglier ou la réincarnation de Robespierre afin de résoudre cette série de meurtres. Elle en a vu d’autre. Mais parviendra-t-elle à accepter que leur chef de file quitte le commissariat pour se rendre en Islande parce qu’il estime avoir été convoqué par l’afturganga, une entité démoniaque du pays qui n’a rien de folklorique. Une îlot islandais embrumé, des reconstitutions historiques des assemblées de la Terreur, il n’y a qu’un homme comme Adamsberg pour percevoir les liens entre ces deux univers diamétralement opposés. Mais parviendra-t-il à convaincre son équipe de le suivre dans ses délires. Rien n’est moins sûr !

     

    Que l’on se rassure avec Temps Glaciaires, nous allons retrouver tous nos personnages hauts en couleur. Le commissaire Adamsberg reste toujours aussi décalé et rêveur, Danglard l’hypermnésique est toujours aussi porté sur la boisson et Veyrenc continue de déclamer ses alexandrins. Oui vous pouvez compter sur la présence de tous les personnages qui sont chers à votre cœur. Même le chat du commissariat fait son apparition. Au final, vous en aurez pour votre argent. Et c’est en cela que l’on rejoint les propos de John Harvey évoquant la facilité et l’absence de créativité. Le problème désormais de Fred Vargas est que son univers décalé est devenu, au fil des onze enquêtes de son commissaire fétiche, terriblement convenu. Il ne nous reste donc que l’intrigue et c’est peu dire qu’elle s’avère bringuebalante, tant l’auteur peine à conjuguer les deux univers que sont l’Islande et la reconstitution des périodes de la Terreur. L’enquête se déroule sur trois lieux à savoir Paris, Le Creux dans les Yvelines et l’Islande et si l’auteur admet n’avoir jamais « foutu les pieds » dans ce pays c’est paradoxalement la partie du roman la plus aboutie. On y retrouve le souffle du mystère et une atmosphère décalée qui fait particulièrement défaut lors de la partie parisienne de l’enquête. Ce qui faisait le charme de Vargas c’est qu’elle convoquait l’histoire au travers des lieux comme dans Pars Vite et Revient Tard ou L’Armée Furieuse et que l’aspect historique de la Terreur en est totalement dépourvu pour se concentrer sur le personnage de Château/Roberspierre qui manque terriblement d’épaisseur. On s’y ennuie à mourir et les anecdotes concernant ce fameux personnage historique n’amènent que très peu d’éléments pertinents pour compléter une intrigue assez bancale dont le dénouement  s’avérera peu convaincant. Sans vouloir dévoiler quoique ce soit de ce dénouement, je vous laisse imaginer Maigret dégommant ses adversaires à coup de flingue pour avoir une idée de l’incongruité de la confrontation finale.

     

    On pouvait espérer que l’auteur démonterait la mécanique bien huilée qui régit l’équipe du commissaire Adamsberg avec ce petit vent de contestation soufflant dans le commissariat. Mais ce vent s’avérera n’être qu’une légère brise qui n’interfèrera guère sur l’architecture des relations qui lie le personnage principal à ses acolytes. Il faut bien que la série continue sans mettre le lecteur dans un inconfort trop perturbant. Car l’enjeu est de taille. On a pu le percevoir avec la confrontation entre l’auteur et son ancienne éditrice Viviane Hamy lors du changement de maison d’édition orchestré par son agent François Samuelson. Car si l’auteur s’en défend, il y a tout de même une histoire de gros sous qui se cache derrière la série Adamsberg. Et à nouveau on peut mettre en perspective les propos de John Harvey évoquant les tentations financières des auteurs qui se retrouvent prisonniers de leurs personnages. Fred Vargas ne dit pas autre chose lorsqu’elle déclare à la presse «qu’elle n’en a pas finit avec Adamsberg ». On imagine la tête de l’équipe Flammarion si elle avait évoqué la conclusion de la série avec Temps Glaciaires. Mais que l’on se rassure, rien ne pourra perturber l’attente des lecteurs, pas même la couverture de l’ouvrage qui ressemble furieusement aux couvertures précédentes, des fois que le consommateur louperait la muraille de livre qui trône régulièrement en bonne place dans les librairies. Il va bien falloir les écouler ces centaines de milliers d’exemplaires … même si les moyens manquent parfois d'une certaine élégance.

     

    Capture d’écran 2015-04-11 à 13.19.37.pngCapture d’écran 2015-04-11 à 13.15.36.png

     

    Fred Vargas : Temps Glaciaires. Editions Flammarion 2015.

    A lire en écoutant : The Anchor Song de Bjork. Album : Début. One Little Indian 1993.