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  • Cyril Herry : Nos Secrets Jamais. Couleur sépia.

    Capture d’écran 2020-07-14 à 19.10.58.pngCe qu'il y a de réjouissant en évoquant le parcours de Cyril Herry c'est de voir l'influence de son environnement, de ses passions et de ses rencontres avec des auteurs autrefois méconnus qu'il a croisé alors qu'il dirigeait sa petite maison d'éditions Ecorce et la collection Territori de la Manufacture de Livre. Centré sur la région du Limousin où il vit, l'éditeur publiait les récits de Franck Bouysse et d'Antonin Varenne que l'on ne présente plus, ainsi que ceux de Patrick K Dewney (Crocs, Manufacture de livres 2016) et Séverine Chevalier (Clouer L'Ouest, Manufacture de livres 2015) que je vous recommande de découvrir si cela n'est pas déjà fait. Mais à force de parcourir les forêts et de bâtir des cabanes, il fallait bien un jour que Cyril Herry se lance dans l'écriture d'un roman, ce qu'il fit en 2018 en publiant Scalp (Seuil/Cadre Noir 2018) où il est justement question de forêts et de campements avec un récit lumineux qui prend tout de même quelques entournures noires comme on les apprécie dans ce contexte rural. De ruralité, il est encore question avec Nos Secrets Jamais qui fait la part belle à une autre passion de l'auteur, la photographie qui devient le point central d'un texte nous entrainant dans les méandres d'un petit village perdu dans la campagne qui recèle de bien trop lourds secrets.

     

    Elona connait bien cette vieille maison familiale qu'elle a dessinée tant de fois lorsqu'elle était enfant. Pourtant elle n'y a jamais mis les pieds jusqu'à ce jour où elle se découvre héritière de la demeure que sa grand-mère maternelle, qu'elle pensait disparue depuis bien longtemps, vient de lui léguer. La jeune femme s'installe donc dans cette vieille bâtisse qui ploie sous les secrets et dont le silence est troublé par quelques craquements, manifestations de vieux fantômes erratiques qui semblent prêts à livrer tous leurs secrets. Et c'est au travers des photographies de ses ancêtres qu'elle découvre dans les pièces de la maison, qu'Elona met à jour un drame familial tout en essayant de recueillir les témoignages de villageois plutôt méfiants et mutiques qui ne souhaitent pas évoquer les vieilles histoires d'autrefois.

     

    C'est avant tout dans l'écriture en tant que telle que l'on apprécie les romans de Cyril Herry, avec cette précision d'orfèvre qui nous offre un texte à la fois intense et marquant se focalisant sur cet ancien café abandonné devenant le point névralgique d'une intrigue délicate prenant la forme d'un labyrinthe à l'image du bâtiment recelant couloirs et pièce secrètes dans lesquels évolue Elona cette héroïne atypique qui s'imprègne de l'atmosphère des lieux. L'autre aspect du récit tourne bien évidemment autour de la photographie, avec cette jeune femme qui a embrassé la profession tout comme l'un de ses aïeuls qui a laissé un nombre conséquent de clichés devenant les pièces d'un puzzle complexe dans lequel on évolue sans trop savoir où tout cela va bien nous mener. Il émane donc de l'ensemble une sensation de huis-clos assez inquiétant agrémenté d'une impression d'étrangeté avec les ancêtres d'Elona qui imprègnent cet endroit silencieux. Des ascendants qui semblent influencer le comportement d'une jeune héroïne plutôt solide mais révélant tout de même quelques fragilités au fil de l'intrigue à l'exemple de sa propension à consommer de l'alcool avec excès.

     

    Dans cette exploration du passé, Elona va s'interroger sur le comportement de sa mère qui n'a jamais voulu revenir dans son village natal et qui s'est suicidée en se tirant une balle dans la tête, mais également sur d'autres membres de sa famille comme sa grand-mère qu'elle n'a jamais connue. Mais outre l'exploration de la maison familiale, c'est en interrogeant les habitants du village qu'elle trouvera des réponses dans l'ensemble de mystères qui entourent les membres de sa famille. C'est l'occasion pour l'auteur de nous offrir une galerie de personnages mutiques comme Emilien ce vieux paysan renfrogné qui observe le comportement de sa nouvelle jeune voisine, ou John, un vieillard étrange, passionné de western, qui en sait plus long qu'il ne veut bien le dire sur les drames qui ont marqué le village, particulièrement durant la seconde guerre mondiale et bien évidemment Annie, la patronne de l'unique bar du village, possédant une télé étrange bloquée sur une chaîne musicale diffusant des clips des années 80.

     

    Oscillant entre le huis-clos d'une maison sombre et cette évasion dans une nature foisonnante entourant le village, on apprécie avec Nos Secrets Jamais, le juste équilibre d'un récit subtil, intelligemment mené nous conduisant vers la découverte de drames qui ont marqué cette famille qu'Elona apprend à connaître afin de s'émanciper d'un passé qui semble l'avoir marquée plus qu'elle ne saurait l'admettre.  Tout en délicatesse et en puissance, un récit envoûtant.

     

     

    Cyril Herry : Nos Secrets Jamais. Editions du Seuil/Cadre Noir 2020.

    A lire en écoutant : Les Nuits Blanches de Daran & Les Chaises. Album : Huit Barré. 1994 WEA Music.

  • Jacky Schwartzmann : Pension Complète. Sévices compris.

    jacky schwartzmann,pension complète,seuil,cadre noirSeule une actualité chargée en événements peut expliquer le fait que l’on ait quelque peu occulté la nouvelle littéraire de l’année avec l’attribution du prix des chroniqueurs 2019 Toulouse Polars du Sud pour Pension Complète de Jacky Schwartzmann célébrant ainsi cet humour mordant qui ponctue les récits d’un auteur maîtrisant parfaitement les codes du roman noir pour mieux les détourner avec quelques portraits sans complaisance de personnages qui n’en demeurent pas moins extrêmement attachants. Mais bien loin de la simple gaudriole, Jacky Schwartzmann s’emploie à dépeindre ce mélange explosif d’univers sociaux dissemblables dont les antagonismes vont alimenter une succession de situations à la fois rocambolesques et hilarantes qui viendront surprendre le lecteur au détour d’une comédie noire au mauvais esprit décapant qu’il faut prendre au deuxième ou voire même au troisième degré.

     

    Dino a trouvé le salut au Luxembourg en tombant amoureux de Lucienne, son aînée de 32 ans qui est en mesure de l’entretenir avec ses millions, même si pour cela, il faut supporter la mère acariâtre de sa dulcinée. Pour un gars issu d’un milieu modeste en ayant toujours vécu dans une triste banlieue lyonnaise, la situation pourrait être supportable si l’entourage de Lucienne ne lui rappelait pas sans arrêt sa condition de gigolo et sa nationalité française qui semble être un défaut majeur. Après avoir cassé la gueule au banquier belge de sa fiancée, qui lui a manqué de respect, Dino est contraint de s’exiler et de passer l’été sur un yacht amarré dans le sud de la France. Mais sur le chemin, une panne de voiture l'oblige à résider quelques jours dans un camping de La Ciotat. Entouré d’une masse de touristes anglais, hollandais et belges, Dino fait la connaissance de Charles, un auteur à succès goncourisé qui s’est mis en tête d’observer les vrais gens afin de nourrir l’intrigue de son prochain roman. Mais au camping de la Naïade, Dino va rapidement constater que les morts suspects s’accumulent et que les victimes ont la fâcheuse tendance à être celles qui l’insupportent.

     

    Qui n'a jamais rêvé parfois de trucider quelques abrutis odieux que l'on ne pouvait plus supporter ? Un rêve que Jacky Schwartzmann a couché sur papier dans ce qui apparaît comme un récit jubilatoire où l'on éprouve une certaine forme de sympathie pour des meurtriers œuvrant dans le cadre d'une mission salutaire de salubrité sociale. C'est bien là que réside toute la force de ce regard féroce et drôle à la fois avec ce terrible sentiment d'empathie qui vous submerge entre deux crises de fous rire en suivant l'exil de Dino, gigolo à son corps défendant, qui se lie d'amitié avec Charles Desservy, un célèbre romancier à succès, en attendant de retrouver les bonnes grâces de sa chère et tendre Lucienne. Un exil prenant rapidement la forme d'un périple meurtrier hilarant au cœur de cette atmosphère estivale d'une Côte d'Azur blindée de touristes avec cette promiscuité infernale propice à tous les excès qui donnent lieu à des scènes aussi cruelles que comiques.  

     

    Rythmé, mordant et très incisif, Pension Complète aborde, au-delà de l'aspect comique, tous les thèmes en lien avec l'apparence et les préjugés dont on ne peut se départir quoique l'on fasse comme Dino va s'en apercevoir, lui qui subit l'avanie d'un entourage suffisant et bouffit d'orgueil au détour de considérations déplacées qu'il ne peut plus supporter. Mais lui-même n'adopte-t-il pas une attitude similaire lorsqu'il se retrouve dans ce camping de la Naïade, bien éloigné de son standing habituel ? Désemparé, Dino trouvera donc une forme d'émancipation et de rédemption salutaire et joyeusement meurtrière en côtoyant cet écrivain dont l'attitude, à la fois décalée et décomplexée, ne manquera pas de nous interloquer au détour d'une succession de règlements de compte désopilants qui peuvent parfois se révéler extrêmement réjouissants.

     

    Méchante farce politiquement incorrecte, Jacky Schwatrzmann parvient à nous interpeller, entre deux éclats de rire, avec un roman noir délicieusement vachard teinté d’un soupçon de bienveillance pour des personnages qui se révèlent bien plus attendrissants qu’il n’y paraît.

     

    Jacky Schwartzmann : Pension Complète. Editions du Seuil/Cadre noir 2018. Points policiers 2019.

    A lire en écoutant : Comme Un Boomerang interprété par Dani & Etienne Daho. Album : La Nuit Ne Dure Pas. 2016 Mercury Music Group.

  • KANAE MINATO : LES ASSASSINS DE LA 5e B. L’ECOLE DE LA VENGEANCE.

    les assassins de la 5e B, Seuil, Kanae Minato, polar japonais, école japonIl y a cette atmosphère étrange et parfois malsaine qui se dégage des romans asiatiques qui sied parfaitement à l’univers du noir en offrant de nouvelles perspectives narratives comme ce roman de la japonaise Kanae Minato reprenant avec Les Assassins de la 5e B, la structure si particulière de la nouvelle Dans le Fourré de son illustre compatriote,  Akutagawa Ryûnosuke. Chaque chapitre rapporte le point de vue des protagonistes de l’histoire dans une chorale sinistre et inquiétante. Outre la vision divergente, ce schéma narratif permet d’explorer la personnalité des différents acteurs face au drame auquel ils sont confrontés.

     

    les assassins de la 5e B, Seuil, Kanae Minato, polar japonais, école japon

    Dans son discours d’adieu à sa classe, Mme Moriguchi jette un froid en accusant, sans les nommer, deux de ses élèves d’avoir sciemment assassiné sa petite fille de 4 ans. Loin d’être désemparée, l’institutrice annonce avoir la ferme intention de se venger sans pour autant faire appel aux autorités. Dans un climat de suspicion et de non-dit on lira la lettre que la déléguée de classe adresse à son enseignante, puis le journal de la mère d’un des deux meurtriers. On prendra ensuite connaissance du témoignage du premier adolescent qui revit en flash-back des événements traumatisants de son enfance. On découvrira les sinistres desseins du second coupable, jeune génie du mal, qui trouveront une réplique surprenante avec un coup de téléphone de Mme Moriguchi.

     

    Une jeunesse délaissée et fascinée par la violence reste le thème majeur de l’ouvrage avec en toile de fond cette attirance pour la mort et le suicide, dans un pays industrialisé qui possède l’un des plus forts taux pour ce type de mortalité. L’atmosphère est pesante dans un univers scolaire qui semble en complet décalage à l’instar de ce professeur qui ne parvient pas à prendre la mesure du drame qui se joue autour de lui. La pression sociale et la solitude sont également deux aspects qui entraînent ces jeunes adolescents dans des dynamiques destructrices parfois surprenantes. On perçoit également l’absence du père qui consacre tout son temps au travail en dormant d’ailleurs fréquemment au bureau. Tout repose sur les épaules d’une mère traditionaliste qui ne peut accepter un éventuel dysfonctionnement de sa progéniture. Dans un aveuglement sans commune mesure, cette femme surprotège son fils en acceptant qu’il n’aille plus à l’école, sans pour autant en faire part à son mari et à sa fille aînée. Le drame se joue donc désormais dans une dissimulation meurtrière. Le second meurtrier évolue également dans un cadre de dysfonctionnement familial avec cet abandon maternel qu’il ne peut accepter. Sa logique meurtrière s’inscrit donc dans une recherche de visibilité et de reconnaissance que personne ne semble être en mesure de lui accorder. Cette attention il l’obtiendra finalement à son corps défendant dans une cruelle et abrupte confrontation finale.

     

    Les Assassins de la 5e B s’oriente d’une manière machiavélique sur une dynamique vengeresse qui prend des tonalités différentes selon la vision des intervenants avec des rebondissements surprenants en passant de l’empoisonnement à la stigmatisation pour s’achever dans une scène aussi surprenante qu'explosive. Un livre décoiffant et perturbant.

     

    Kanae Minato : Les Assassins de la 5e B. Editions Seuil/Policiers 2015. Traduit du japonais par Patrick Honnoré.

    A lire en écoutant : Past Mistake de Tricky. Album : Knowle West Boy. Domino Records 2008.

  • JOSEPH INCARDONA : ALLER SIMPLE POUR NOMAD ISLAND. LE GRAND VOYAGE.

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    Service de presse.

    Après 220 Volts, Joseph Incardona continue son exploration dans la veine littéraire du thriller avec son dernier ouvrage Aller Simple Pour Nomad Island qui vient de paraître aux éditions du Seuil. Il s’agit d’une obstination courageuse car l’on sait pertinemment que le genre est, depuis de nombreuses années, complètement dévoyé par des auteurs en mal de surenchères qui confinent parfois à l’absurde et au ridicule.

     

    Quoi de mieux pour ressouder un couple qui bat de l’aile que de se ressourcer en vacances sur une île paradisiaque. C’est sur cette impulsion qu’Iris, épouse de banquier suisse et mère de deux enfants décide d’emmener toute sa petite famille sur l’île de Nomad Island. Pourtant, dès leur arrivée à l’aérodrome, les Jensen sont confrontés à toutes sortes de dysfonctionnements inquiétants. Des indigènes aux résidents du resort en passant par le personnel, tous adoptent un comportement étrange qui ne fait qu’accentuer le sentiment de paranoïa gagnant certains membres de la famille qui tentent désespérément de conserver un brin de lucidité. Mais en séjournant sur une île qui n’est répertiorée sur aucune carte est-il encore possible de rester lucide.

     

    Une intrigue simple et un style concis, voici les deux éléments que Joseph Incardona maîtrise parfaitement, permettant ainsi aux lecteurs exigeants de se réconcilier avec le thriller. Cette simplicité et cette concision sont les principes tout à la fois subversifs et salutaires débarquant à point nommé au cœur d’un courant littéraire où les auteurs s’obstinent à prendre les lecteurs pour des imbéciles en leur faisant croire que leurs élucubrations aussi complexes que grotesques sont extraites de faits historiques réels, de faits scientifiques avérés ou de procédures policières réalistes.

     

    Aller Simple Pour Nomad Island peut se lire sur deux registres car, tout en adoptant une cadence soutenue propre aux codes narratifs du thriller, l’auteur dépeint, sur fond de satyre social, les affres du carcan d’une famille en déliquescence qui peine à communiquer et à trouver un sens à leur vie commune. C’est donc par petites touches subtiles que Joseph Incardona aborde certaines grandes carences de notre société sans pour autant tomber dans les travers d'un ton moralisateur. Bien évidemment, les personnages qui composent la famille Jensen sont totalement stéréotypés permettant à l’auteur de mettre rapidement en exergue les problèmes de communication des principaux protagonistes du roman. De cette manière l’auteur privilégie une intrigue serrée qui ne manque pas de rythme et de suspense.

     

    Capture d’écran 2014-11-12 à 23.31.15.pngL'île sur laquelle séjourne la famille devient au fil du récit une entité mystérieuse et monstrueuse qui n'est pas sans rappeler la série L'Ile Fantastique où les deux personnages principaux, bien que pleins de bienveillances n'en demeuraient pas moins inquiétants à l'instar des habitants de Nomad Island.

     

    Avec un épilogue abrupt qui ne donne pas toutes les réponses, Joseph Incardona fait le choix de laisser aux lecteurs une liberté d’interprétation qui pourra dérouter certains d’entre eux mais qui séduira le plus grand nombre en offrant la possibilité d’une seconde lecture avec de nouvelles perspectives au niveau de la trame narrative.

     

    Il faut saluer Joseph Incardona qui devient avec Aller Simple Pour Nomad Island  une des nouvelles références incontournables du thriller.

     

      

     

    Joseph Incardona : Aller Simple Pour Nomad Island. Editions du Seuil 2014.

     

    A lire en écoutant : Est-Ce Ainsi Que Les Hommes Vivent (Aragon/Ferré) interprété par Bernard Lavillier. Album : O Gringo. Barclay 1980.

  • TIM GAUTREAUX : NOS DISPARUS. AU CONFLUENT DE LA VENGEANCE.

    Capture d’écran 2014-10-26 à 19.22.17.pngNos Disparus de Tim Gautreaux est indéniablement un roman déconcertant qui oscille entre le roman d’aventure, le roman noir et le polar. Bien plus qu’un mélange, l’auteur transcende et restitue dans un subtile équilibre tous les codes des genres énumérés pour nous livrer un récit d’une délicate magnifiscence. Joseph Conrad, pour le fleuve ; Mark Twain pour le steamer ; tous les auteurs sudistes pour la Louisiane, finalement on outrepassera ces références de renom certes, pour se contenter d’apprécier ce romancier au style bien affirmé.

     

    Sam Simoneaux est un jeune cajun que l’on surnomme « Lucky » peut-être parce qu’il a survécu, tout bébé, au massacre de sa famille ou parce qu’en débarquant à Saint-Nazaire un certain jour de novembre 1918 pour se battre dans les tranchées, il apprend que l’armistice vient de conclure les hositilités. Des champs de bataille il ne connaîtra que le tragique déminage qui frise à chaque instant la catastrophe. Car si les hommes savent faire la guerre, ils ont plus de peine à la défaire. De retour à la Nouvelle-Orléan, il aspire à une vie tranquille et trouve un emploi de surveillant dans un  grand magasin de la ville. Mais ne pouvant empêcher l’enlèvement d’une fillette, il va être licencié tout en étant contraint par les parents de retrouver leur progéniture. Sam Simoneaux va donc s’embarquer sur l’Ambassador, un steamer d’excursion qui emploie la famille de la fillette disparue. Tout en tentant de détecter une trace des ravisseurs, le jeune homme va officier comme troisième lieutenant pour maintenir l’ordre sur ce navire qui sillonne le grand Mississipi au rythme d’un jazz tonitruant et de bagarres dantesques.

     

    Nos Disparus surprendra le lecteur avec un texte résolument moderne qui s’emploie à mettre en scène cette fresque des années 20 dans un contraste saisissant où chaque mot semble avoir été pesé. Cet économie des mots est particulièrement frappante lorsque l’auteur évoque en quelques paragraphes les différentes étapes de la rénovation du steamer qui devient une entité propre au cœur de laquelle résonne l’hommage que l’auteur rend, avec une belle émotion, à son père, capitaine de remorqueur et à son  grand-père qui travailla sur un bateau à roue à aube en tant que machiniste.

     

    Tim Gautreaux est parvenu à façonner, avec un grand talent, un personnage principal emprunt d’une grande humanité qui se traduit par l’imperfection de ses choix, donnant ainsi une autre perspective à un récit qui ne cessera de rebondir d’une façon parfois inattendue. C’est ainsi que les thèmes de l’impuissance et de la vengeance seront traîtés tout au long du roman avec une dynamique dramaturgique qui sort des sentiers battus et qui donnera finalement raison à cet oncle plein de sagesse décrétant que « le pêcheur se punit tout seul ». C’est finalement ainsi que Sam Simoneaux s’émancipera de cette destinée qu’il semblait hésiter à emprunter. Le salut par le renoncement c’est ce qu’il retirera de toute cette aventure pour enfin vivre sa propre destinée.

     

    Avec Nos Disparus vous allez découvrir l’épopée fantastique d’un monde entre deux eaux, entre deux âges dont la soif inextingible de vivre et de s’émanciper du taylorisme abrutissant des entreprises qui fleurissent au bord du grand fleuve, laissent échapper, pour un temps seulement, cette cohorte d'hommes et de femmes qui vont trouver refuge sur cette fragile embarcation afin de tournoyer dans ce bal ahurissant rythmé au son d’une musique en pleine mutation.

     

     

    Tim Gautreaux : Nos Disparus. Editions du Seuil 2014. Traduit de l’anglais (USA) par Marc Amfreville.

     

    A lire en écoutant : We Come to Party de Rebirth Brass Band. Album : We Come to Party. Sanachie Records 1997.