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Rechercher : lance Weller

  • Mary Anna Barbey : Swiss Trafic. Les gentianes de Rilke.

    Capture d’écran 2014-08-31 à 22.39.35.pngLa journaliste ou romancière qui met à jour les pires turpitudes en supplantant les services de police à l’image d’une Erica Falck a fait des ravages dans les rayonnages des librairies à un point tel que cela en devient indigeste. Lorsque je découvre ce type de personnage en résumé sur les quatrièmes de couverture, je ne peux m’empêcher de frisonner en adoptant une attitude des plus méfiantes. Si, comme moi, vous avez ce type d’a priori, il faudra vous en défaire pour découvrir l’excellent roman de Mary Anna Barbey intitulé Swiss Trafic.

     

    En découvrant un cadavre dans la piscine de l’hôtel d’une station thermale des Alpes où elle séjourne, Delphine pensait avoit encaissé sa dose d’émotions fortes. Pourtant c’est en reprenant son travail de responsable de la rubrique du courrier du cœur d’un grand magazine national qu’elle va débuter une mystérieuse correspondance avec l’auteur d’une lettre anonyme qui lui lance un appel au secours codé dénonçant les auteurs d’un odieux trafic d’être humain. Les menaces, intimidations et cadavres vont jalonner les investigations de cette journalite atypique.

     

    Avec Swiss Trafic, Mary Anna Barbey nous entraîne au cœur de la problématique des réfugiés en Suisse et particulièrement sur la condition tragique des femmes qui subissent les pires outrages afin d’alimenter les « clubs » et « dancing » que l’on retrouve dans les grandes villes du pays mais également dans des localités plus modestes. Même si le destin de ses personnages est poignant, l’auteur ne verse pas dans le pathos et se contente de rester dans le sillage du réalisme en expliquant avec une très grande maîtrise les mécanismes qui poussent ces femmes à entrer dans la clandestinité, devenant ainsi encore plus vulnérables.

     

    En mettant beaucoup d’elle-même dans le portrait de Delphine, Mary Anna Barbey est parvenue à créer un personnage extrèmement attachant et intéressant qui nous amuse parfois avec son petit côté décalé. On apprécie le côté frondeur de cette femme qui reste pourtant très fragile et très sensible en amenant au travers de ses introspections une épaisseur d’âme qui tranche avec les héroïnes formatées que l’on trouve dans la plupart des romans policiers. Vaudoise, née aux Etats-Unis, Delphine est une quinquagénaire, veuve qui, par le biais de la rubrique du courrier du cœur s’intéresse particulièrement au domaine de la santé sexuelle tout comme son auteure.

     

    L’autre intérêt du roman, réside dans l’atmosphère parfois sombre d’une Suisse qui sort de l’ordinaire et qui n’est pas sans rappeler l’œuvre fameuse de Mary Shelley, particulièrement lorsque son héroïne se rend à Rarogne pour découvrir la tombe du célèbre poète autrichien Rainer Maria Rilke. Ce sont ces instants délicieux qui donnent une belle tonalité à ce roman qui sort des sentiers battus. Il faut l’avouer, les scènes se déroulant dans le canton du Valais sont vraiment très réussies.

     

    Hitchcock l’avait dit : « Meilleur est le méchant, meilleur est le film » et il faut admettre que c’est peut-être le point faible du roman avec cet homme d’extrême-droite qui manque d’envergure et qui arrive un peu trop tardivement dans le fil de l’intrigue pour pouvoir être développé de manière correcte. Un peu trop manichéen, le personnage manque de substance au regard des autres protagonistes du roman.

     

    De très beaux portraits de femmes, une intrigue bien maîtrisée pleine de suspense, avec Swiss Trafic, Mary Anna Barbey va vous entraîner dans la sombre enquête d’une lumineuse et pétillante Delphine que l’on espère retrouver très prochaînement dans de nouvelles aventures qui nous permettront de découvrir les aspects peu reluisants d’une Suisse des plus surprenante.

     

    Mary Anna Barber : Swiss Trafic. Editions des Furieux Sauvages 2013.

    A lire en écoutant : Guggisberglied interprété par Stefan Eicher. Album : My Place. Barclay 1989.

     

     

  • JEAN-JACQUES BUSINO : UN CAFE, UNE CIGARETTE. LE ROMAND NOIR.

    jean-jacques busino, un café une cigarette, rivages, orphelinat naplesJ’ai connu Jean-Jacques Busino bien avant qu’il ne se lance dans l’écriture alors qu’il trônait derrière le comptoir de son magasin de disque ABCD qui se situait à proximité de la gare. Une époque bénie où l’on ne vendait pas du disque au kilo et où l’on prenait le temps de vous raconter des histoires. Car Jean-Jacques était déjà un conteur d’histoire qui vous déclamait son amour pour Frank Zappa et le Thallis Scholar en vous servant des cafés noirs et bien serrés. Un regard aussi sombre que sa chevelure vous évaluait en quelques secondes avant de vous dispenser ses conseils avisés dans les domaines musicaux les plus variée. Un passionné l’ami Busino que j’ai perdu de vue après la fermeture de son magasin.

     

    C’est en 1994, sur le présentoir d’une librairie que j’ai eu de ses nouvelles en découvrant son premier roman Un café, une cigarette qui se lit le temps de consommer l’un et l’autre en découvrant les tourments d’une bande de gamins écumant les ruelles de la ville de Naples. Un récit fulgurant qui vous sonne avec la brutalité d’une balle de 44 Magnum.

     

    Largué par sa fiancée qui lui a laissé leur fille à peine âgée d’un an, André quitte la Suisse pour retrouver son cousin napolitain qui se fait fort de lui remonter le moral. Car Massimo est un petit caïd de la ville haut en couleur qui survit en fourguant des couteaux suisses qu’André lui fait parvenir. Un commerce florissant qu’il partage avec une bande de gosses cabossés par la vie. Avec Massimo comme guide, André va percevoir les malheurs quotidiens de ces enfants perdus qui survivent comme ils peuvent dans cette ville tentaculaire qui broie les âmes sans aucune pitié. Loin de se résigner, le jeune suisse, tout aussi borderline qu’idéaliste, va monter avec l’aide de son cousin un orphelinat pour abriter cette jeunesse condamnée à assouvir les vices d’adultes sans scrupule. Mais pour mener à bien ce projet, les deux jeunes garçons devront livrer un combat sans merci contre la mafia. L’histoire d’une rédemption au travers d’une guerre perdue d’avance.

     

    Que l’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas d’un énième roman sur la mafia qui apparaît d’ailleurs de façon presque fantomatique tout au long du roman. Jean-Jacques Busino se focalise exclusivement sur ces enfants malmenés qui hantent les rues de Naples. Avec la rencontre de la Suisse et de l’Italie par le biais de la verve endiablée de Massimo et la réserve silencieuse d’André c’est tout d’abord cette dualité que l’on découvre tout au long de ce récit comme si l’auteur faisait remonter l’ambivalence de ses origines. Et puis il y a cette violence qui monte crescendo au fil des seize chapitres du roman. On la trouve dans les propos simplistes de Massimo qui parvient à résumer en quelques mots tout le fonctionnement d’une ville qui broie ses enfants perdus et fait écho à la révolte désespérée d’André qui ne peut accepter ce que son entourage considère comme une fatalité. Puis c’est au rythme de la fureur des tueries et du cri des armes à feu que l’on assiste à l’apothéose d’un final aussi brutal que trivial qui ne nous offre aucune concession.

     

    jean-jacques busino, un café une cigarette, rivages, orphelinat naplesL’Alfa Spider de Massimo, le 44 Magnum 12 pouces d’André, Jean-Jacques Busino s’attarde sur ces petits éléments à la manière d’un auteur comme Manchette auquel il emprunte également toute la noirceur et talentueuse simplicité d’un récit brutal.

     

    jean-jacques busino, un café une cigarette, rivages, orphelinat naples

    Un café, une cigarette c’est l’emblème même du roman noir dans toute sa splendeur que vous retrouverez dans ses quatre autres romans édités aux éditions Rivages car Jean-Jacques Busino est un artisan de l’écriture qui va à l’essentiel avec tout ce que cela signifie en regard de ces auteurs qui travaillent avec une pléthore de collaborateurs recherchistes pour nous pondre des récits alambiqués à la limite de l’incompréhension.

     

    Jean-Jacques Busino : Un café, une cigarette. Editions Rivages/Noir 1994.

    A lire en écoutant : Guarda Che Luna interprété par Petra Magoni & Ferrucio Spinetti. Album : Musica Nuda. Bonsaï Music 2004.

     

     

  • ZULU : LA DOULEUR TRAGIQUE DES TOWNSHIPS

     

    920779-gf.jpgUne plongée dans les townships d’Afrique du Sud avec ce polar de Caryl Férey où l’ombre sinistre de l’apartheid plane encore dans ses rues poussiéreuses chargées de misère.

     

    Avec Zulu, l’action débute comme une enquête classique où Ali Neumann, flic Zoulou, doit résoudre le meurtre abjecte d’une jeune fille blanche massacrée après qu’elle ait absorbé une drogue de synthèse aux propriétés effrayantes. Pourtant en marge de cette enquête résonne l’histoire de ce pays miné par la violence et le sida. Truffés de références historiques le récit n’en pas moins prenant et même terrifiant lorsque l’auteur évoque les expériences terribles du Dr Wouter Basson !

     

    Wouter Basson est un personnage réel, surnommé « Docteur La Mort ». Durant le régime de l’apartheid, il a été chargé de concevoir un programme d’armement chimique afin de contrer le concept de Mandela : Une voix – un vote. Pour inverser le processus démographique qui leur était défavorable les autorités chargèrent Basson de développer un projet afin d’éliminer les militants anti-apartheid et de réduire l’importance de la populations noire, ayant pour nom de code : Project Coast. Le nombre des victimes de ce personnage, considéré comme le Dr Mengele d'Afrique du Sud, est à ce jour encore inconnu. Avec son équipe composée d’environ 200 chercheurs il a élaboré, entre autre, des études pour stériliser les femmes noires via l’alimentation en eau, pour propager des maladies infectieuses. Arrêté alors qu’il était en possession de grosses quantité d’ecstasy, Wouter Basson sera accusé de meurtres, tentatives de meurtre, trafic et possession de drogue et fraude. Il sera acquitté des tous les chefs d’accusation et vit actuellement à Prétoria.

     

    C’est avec cette triste réalité que le roman de Caryl Férey prend une dimension tragique au travers de laquelle émerge, après la période de transition et de réconciliation, des secrets sinistres que l’on a peut-être voulu enterrer bien trop rapidement.

     

    Ali Neuman le personnage central du récit est un flic torturé au propre comme au figuré qui, dans sa jeunesse a dû fuir les milices de l’Inkatha qui était en guerre contre l’ANC. Avec sa mère, il est le seul survivant des tueries de ces milices. Aujourd’hui, chef de la police criminelle il est accompagné dans son enquête des inspecteurs africaner Brian Epkeen et de Dan Flectcher. Des personnages forts qui ne sortiront pas indemnes de toute cette terrible histoire.

     

    Une écriture et une construction classique (peut-être trop classique) qui contraste avec des descriptions très précises des mœurs et des paysages de ce pays qui, bien plus qu’un guide touristique, nous donne envie de découvrir ces contrées lointaines en toute connaissance de cause. La violence y est omniprésente et parfois un peu trop complaisante, mais elle n’enlève rien à la profondeur de la tragédie sociale que l’auteur a voulu décrire. Une Afrique du Sud qui doit encore relever de très nombreux défis si elle veut être cette nation arc-en-ciel si chère à Nelson Mandela et Desmond Tutu.

     

    Caryl Férey, grand voyageur qui a travaillé pour le guide du Routard, n’en est pas à son coup d’essai puisqu’il a écrit deux autres polars : Haka et Utu qui se déroulent en Nouvelle-Zélande et en Australie.

     

    Cary Férey : Zulu. Edition Série Noire / Gallimard 2008.

     

  • Joseph Knox : Somnambule. Retour de flamme.

    Capture d’écran 2020-11-30 à 18.37.36.pngJeune auteur britannique, Joseph Knox nous invite une nouvelle fois à partager l’atmosphère glauque de la patrouille de nuit composée de l’inspecteur borderline Aiden Waits et de son irascible acolyte Peter Sutcliff. Après avoir découvert le monde interlope de la nuit à Manchester et les écarts de ce flic atypique dans Sirènes (éditions du Masque 2018) on retrouvait ce personnage en mauvaise posture dans Chambre 413 (éditions du Masque 2019) où rejaillissait quelques pans de son passé tumultueux. Deux ouvrages qu’il est recommandé de lire avant d’entamer Somnambule, dernier opus d’une série où l’on retrouve quelques savoureux personnages secondaires à l’instar du superintendant Parrs, supérieur particulièrement retord qui manipule Aiden Waits pour les besoins de sa carrière alors que Zain Carver, caïd de la ville, a juré la perte de cet inspecteur déchu qu’il rend responsable de la mort de sa fiancée. Empêtré dans une affaire de chantage avec une policière corrompue, un règlement de compte avec un truand qui a juré sa perte et les basses manoeuvres d’une hiérarchie qui se déchire, Aiden Waits va devoir également composer avec une jeune coéquipière intègre qui semble vouloir rapporter tous ses faits et gestes au cours d’une enquête sur un fait divers vieux de dix ans qui défraie encore la chronique. 

     

    Martin Wick, surnommé le Somnambule, a toujours prétendu n’avoir aucun souvenir de la nuit où il a décimé toute une famille. Après dix années en prison, le meurtrier, atteint d’un cancer, n’en finit plus d’agoniser sur son lit d’hôpital alors qu’Aiden Waits est chargé de recueillir ses dernières confidences avec son collègue Peter Sutcliff. Mais Martin Wick ne se décide ni à mourir ni à parler. Et l’affaire tourne au fiasco lorsqu’un individu poignarde le planton avant de mettre le feu au lit de Martin Wick qui périt dans les flammes. Si Aiden Waits réchappe à l’attentat, son coéquipier, grièvement blessé est plongé dans le coma. Qui pouvait donc en vouloir au meurtrier ? S’agit-il d’une vengeance ? Est-on d’ailleurs bien sûr que Martin Wick était bien la cible de l’attentat ? Autant de questions auxquelles Aiden Waits n’est pas bien sûr d’obtenir la réponse. Une enquête qui va se dérouler sur le fil du rasoir. Aiden Waits en a l’habitude.

     

    Il faut bien avouer que c'est avec un certain plaisir sadique que l'on se prend à retrouver l'inspecteur Aiden Waits qui semblait emprunter la voie de la rédemption au terme du second roman de la série, Chambre 413. Mais que l'on se rassure, Aiden Waits reste l'éternel et incontrôlable chien fou qui se lance dans une contre-enquête où les apparences semblent plutôt trompeuses. A partir de ces éléments, les ressorts narratifs sont déjà connus et peuvent susciter un sentiment de déjà lu qui atténuera certains effets de surprise pour les lecteurs les plus aguerris. Mais avec un tel enquêteur au comportement si autodestructeur il faut tout de même s'attendre à un bouleversement d'une intrigue qui sort des sentiers battus au détour d'une kyrielle de circonstances qui font d'Aiden Waits, un homme aux abois qui se retrouve acculé de toute part. C'est principalement avec le chantage dont il est victime et auquel il ne peut se soustraire que l'on perçoit la tension à laquelle Aiden Waits est soumis ceci d'autant plus qu'il doit composer avec une coéquipière intègre, bien décidée à ne pas le lâcher d'une semelle. On appréciera donc les rapports conflictuels entre le personnage central en perdition et Naomi Black qui prend le relais de l'odieux Peter Sutcliff qui lutte entre la vie et la mort, victime collatérale d'un attentat dont on ignore s'il visait le détenu qu'il surveillait à l'hôpital ou Aiden Waits, affecté à la même mission de surveillance, qui semble être la cible d'une vengeance orchestrée par un vieil ennemi.

     

    Récit d’une grande noirceur, agrémenté de dialogues caustiques, Somnambule nous permet donc de retrouver un personnage charismatique dont le comportement autodestructeur donne du relief à une enquête qui sort définitivement de l’ordinaire au gré d’un récit prenant parfois l’allure d’un hard boleid déjanté.

     

    Joseph Knox : Somnambule (The Sleepwalker). Editions du Masque 2020. Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Jean Esch.

     

    A lire en écoutant : Fly Me To The Moon de Frank Sinatra (feat. Count Basie and His Orchestra). Album : Nothing But The Best (Remastered). 2008 Frank Sinatra Enterprises, LLC.

  • MARIE-CHRISTINE HORN : 24 HEURES. COMME UNE MECANIQUE BIEN HUILEE.

    bsn press,collection uppercut,24 heures,marie-christine hornDans le domaine de la littérature noire helvétique, on appréciera la cohérence de la maison d’édition BSN Press qui est parvenue à mettre en avant des auteurs d’horizons très variés intégrant de manière plus ou moins marquée quelques notions du roman noir, voire même du roman policier en y incorporant une dimension sociale. Dès lors, dans le cadre de sa collection Uppercut, abordant la thématique du sport sous la forme d’opuscules percutants, il n’est guère étonnant de retrouver Marie-Christine Horn qui signe son retour avec 24 Heures, un bref roman à suspense évoquant le milieu de la compétition automobile en rendant ainsi un hommage détourné à son père qui fut pilote de course.

     

    Dans la vie de Hugo Walter tout est question de compétition, de trajectoire et de timing pour cet ancien coureur de F3 qui a remporté tous les championnats. Mais les défaites ont également marqué cet homme qui a dû surmonter la terrible épreuve de la perte de sa femme Line au terme d’un long combat contre la maladie. Il ne lui reste plus que sa fille Marion qui ne donne plus signe de vie après une soirée passée avec sa meilleure amie. Une disparition inquiétante qui résonne comme une course contre la montre, contre la mort. Le chronomètre est enclenché et Hugo se lance dans la compétition la plus importante de son existence. Celle qu’il ne peut pas perdre.

     

    Avec Marie-Christine Horn, la notion du bien et du mal ne saurait se répartir sur un simple mode binaire et c’est bien cette ambivalence des personnages qui confère à l’ensemble du récit une espèce d’imprévisibilité où tout peut basculer au détour d’une quête haletante. Cette ambivalence on la perçoit également au niveau de la temporalité de l’intrigue qui s’étend sur 24 Heures tout en permettant de découvrir au gré d’analepses subtiles et savamment maîtrisées les parcours de vie de Hugo Walter et de son entourage en mettant ainsi en place tous les éléments du puzzle qui nous permettra de comprendre les tenants et aboutissants de la disparition de sa fille Marion. Mais au-delà d’un récit bien réglé, aux allures de thriller qui se déroule dans la torpeur d’un paysage hivernal, il faut s’attarder à la périphérie du roman pour en apprécier l’atmosphère et les tensions qui en émergent.

     

    C’est bien évidemment l’ambiance de ces courses de côte que Marie-Christine Horn restitue parfaitement avec 24 Heures tout en implémentant quelques réflexions au travers du personnage de Line, cette femme au caractère fort qui doit se positionner dans un univers sportif plutôt viril. Mais bien au-delà de ces apparences de femme forte et d’homme déterminé, on décèle également par le prisme de l’intimité du couple que forme Line et Hugo une certaine forme d’émotion et de vulnérabilité qui transparaît notamment dans leur volonté d’avoir un enfant à n’importe quel prix.

     

    La thématique du sport, et notamment l’esprit de compétition qui en découle, devient ainsi l’enjeu de ce récit trépident où Marie-Christine Horn s’emploie à décortiquer les pressions sociales pouvant s’exercer sur un couple qui ne saurait se résigner à accepter une quelconque défaite, ceci bien au-delà des joutes sportives. En partant de ce principe, 24 Heures distille, avec cette tonalité mordante propre à la romancière, toute l’ambiguïté de la victoire à tout prix dont on découvrira la mise en abîme au terme d’un épilogue singulier à l’impact cinglant. 

     

     Marie-Christine Horn : 24 Heures. BSN Press/Collection Uppercut 2018.

    A lire en écoutant : Blue Rondo a la Turk de Dave Brubeck. Album : Time Out.  Colombia Records 1959.

  • PIERRE PELOT : LOIN EN AMONT DU CIEL. DU SANG ET DE LA BOUE.

    loin en amont du ciel, pierre pelot, éditions gallimard, collection la noireA la fin des années 60, Sergio Leone règne en maître dans le domaine du western avec des films emblématiques et légendaires comme Le Bon, La Brute Et Le Truand ou Il Etait Une Fois Dans L'Ouest qui marqueront d'une manière indélébile l'histoire du cinéma. La BD francophone n'est pas en reste puisque l'on assiste à l'émergence du Lieutenant Blueberry scénarisé par Charlier et dessiné par Giraud tandis qu'au début des années 70, Hermann se lance, avec Greg au scénario, dans la série Comanche et que Michel Blanc-Dumont et Laurence Harlé mettent en scène les aventures de Jonathan Cartland et puis qu'apparait le personnage de Buddy Longway créé par Derib. A la même époque, s’inscrivant dans cette effervescence du genre, il faut également compter sur Pierre Pelot débutant sa carrière de romancier avec une série mettant en scène Dylan Stark un métis moitié cherokee, moitié français qui, au terme de la guerre de sécession, se jette à corps perdu dans une longue quête de vengeance après avoir découvert, en revenant au pays, que toute sa famille a été massacrée. Au gré des 22 ouvrages publiés, on remarquera que certains d'entre eux sont illustrés par Hermann tandis que dans d'autres publications on trouvera les dessins de Michel Blanc-Dumont ou de Michel Auclair, autre auteur de BD, qui se distinguera avec les aventures de Simon Du Fleuve, dans un genre post-apocalyptique aux allures de western. On notera que l'ensemble de la série Dylan Stark n'est malheureusement plus disponible mais que l'on peut les retrouver sur le marché de l’occasion, en constatant d'ailleurs que le 17ème volume, Le Tombeau De Satan (Marabout 1969), est préfacé par Hergé. Après cette incursion notable dans le western, il sera difficile de résumer la suite de la carrière littéraire de Pierre Pelot s'étalant sur plus de cinq décennies en publiant pas moins de deux cents ouvrages pour s'aventurer sur des registres variés tels que la science-fiction, le polar, le roman noir mais également du côté de la littérature blanche avec ces phrases redoutables, presque sans fin qui envoûtent le lecteur en l’entrainant dans la splendeur d'un récit tel que Braves Gens Du Purgatoire (Héloïse d’Ormesson 2019) dont on retrouvera les caractéristiques dans Loin En Amont Du Ciel, dernier ouvrage de l'auteur qui renoue avec le western aux accents crépusculaires où apparaît, de manière lointaine, la silhouette de Dylan Stark dont la trajectoire s’insinue dans celle de trois sœurs se lançant à la poursuite de la bande de renégats qui ont pillé leur ferme et assassiné leurs proches.

     

    Si la guerre de Sécession a pris fin et que le pays se reconstruit peu à peu, on voit apparaître des anciens combattants qui se sont reconvertis dans le meurtre et le pillage en formant des bandes de hors-la-loi sans foi ni loi. L'une d'entre elles est commandée par Captain Sangre de Cristo qui peut notamment compter sur l'appui d'une sorcière sanguinaire que ses comparses surnomment Mother. Déferlant désormais dans la vallée des Orzak, cette horde de pillards sèment terreur et désolations en s'en prenant plus particulièrement aux fermes isolées, dont celle appartenant à la famille McEwen après avoir massacré les parents ainsi que la cadette des filles sous le regard impuissant des trois sœurs survivantes. Bien décidées à se venger, Enéa McEwen ainsi que les deux jumelles Aïleen et Erin vont traquer sans relâche chaque membre de cette bande de renégats qui poursuivent leurs exactions dans tous les recoins des états du Sud. Ainsi, au fil de leur périple, les sœurs McEwen croisent d'autres femmes, également victimes de cette horde sauvage, qui se joignent à leur croisade vengeresse où le fracas des armes rugira pour solde de tout compte.

     

    Dans la collection La Noire on trouve notamment Méridien De Sang (Gallimard/La Noire 1992) de Cormac McCarthy et Deadwood (Gallimard/La Noire 1994) de Peter Dexter, représentatifs de ce fameux courant western gothique caractérisant ces deux romans légendaires. Il y a donc une cohérence certaine à ce que Pierre Pelot intègre cette collection mythique avec ce western aux accents âpres et crépusculaires dont il décline l'atmosphère à la fois lourde et violente au détour d'un texte tempétueux et d'une saisissante intensité s'articulant autour de la destinée des trois soeurs McEwen bien décidées à faire payer le prix fort à tous ceux qui ont massacré leur famille. Et puis, comme une mise en abime vertigineuse, on observe également le parcours d'Anton Deavers, journaliste pour The True Republican New Chronicle et qui a déjà rédigé les aventures du lieutenant Dylan Stark pour s'intéresser désormais au devenir de ces trois femmes qui ont pris les armes pour former une milice comptant de nombreuses comparses qui s'abattent sur leurs adversaires avec une farouche détermination. Et comme pour donner davantage d'assise et de réalisme au récit, Pierre Pelot convoque la personnalité historique de William Quantrill qui dirigea une horde déchaînée de hors-la-loi sévissant dans le Missouri et le Kansas et dont certains membres formèrent par la suite le redoutable gang James-Younger. Avec un tel personnage, l'auteur s'inspire de cette sauvagerie, propre à l'époque, pour mettre en scène les exactions de Captain Sangre De Cristo, ancien membre de la bande Quantrill, et de Mother, une furie sanguinaire qui éprouve une certaine prédilection à éventrer tous les individus qu'elle croise, en lançant quelques imprécations furieuses pour invoquer tous les démons de l'enfer. Tout cet ensemble s'embrase au détour d'un texte aux longues phrases tumultueuses que l'auteur façonne avec cette passion sans égale du mot juste dont il reprend parfois à son compte la signification pour l'insérer parfaitement dans la scène qu'il dépeint, que ce soit ces paysages majestueux, ces recoins sordides et bien évidemment ces éclats d'une violence flamboyante et outrancière comme en témoigne le pillage de la ferme McEwen ou le règlement de compte entre Enéa et Mother prenant une allure dantesque au cour d'un affrontement déchainé entre bandes rivales s'affrontant au sein d'un saloon ravagé par la multitude de coups de feu qui éclatent de toute part. Ainsi, Pierre Pelot, en pleine maitrise de la langue et du récit, vous entraine dans la sauvagerie de cette période tumultueuse au gré d'une succession d'événements d'une envergure peu commune vous coupant le souffle et vous laissant sans voix au milieu de ces éclats de boue et de sang qui semblent toujours vous coller à la peau même une fois l'ouvrage terminé.

     

    Pierre Pelot : Loin En Amont Du Ciel. Editions Gallimard/Collection La Noire 2023.

    A lire en écoutant : You Will Be My Ain True Love de Alison Krauss. Album : A Hundred Miles Or More: A Collection. 2007 Rounder Records.

  • ANTONIN VARENNE : TROIS MILLE CHEVAUX VAPEUR. LA PISTE DE SANG.

    antonin varenne, trois mille chevaux vapeur, albin michelIl existe des ouvrages qui rôdent autour de vous, précédés d’une réputation plutôt flatteuse, que vous tardez pourtant à acquérir, miné que vous êtes, par un temps désespérément trop court pour aborder l’ensemble des publications qui vous tentent et qui déferlent avec une constance excessive mais permanente dans les librairies. D’où ce sentiment de regret qu’il faut parfois surmonter en vous disant que vous trouverez bien l’occasion de vous plonger dans le récit convoité. Vaines illusions ? Pas toujours, comme c’est le cas avec Trois Mille Chevaux Vapeur publié chez Albin Michel en 2014 et qui fut l’un des ouvrages qui forgea la réputation d’Antonin Varenne en tant que narrateur talentueux comme il le démontra avec Battues (La Manufacture de Livres/Territori 2015) et Cat 215 (La Manufacture de Livres/Territori 2016).

     

    En 1852, le sergent Arthur Bowman est un soldat impitoyable qui se bat pour le compte de l’East India Compagny. Durant une campagne sanglante de la seconde guerre anglo-birmane, on lui confie une obscure mission. Il doit remonter le cours d’un fleuve pour s’enfoncer dans la jungle birmane. Mais l’expédition tourne mal et les hommes sont capturés et doivent subir les brimades et tortures de leurs gardiens durant de nombreux mois. Seuls dix d’entre eux parviendront à s’extirper de cet enfer. En 1858, à Londres où il est devenu vigile pour la compagnie, le sergent Bowman étouffe ses cauchemars dans les vapeurs d’alcool et les nuages d’opium. Mais dans un égout de la ville, il découvre un cadavre portant des stigmates similaires à ceux que lui ont infligé ses geôliers birmans. L’auteur de ce crime atroce ne peut-être que l’un de ses anciens compagnon d’infortune et Bowman se lance à sa poursuite d’autant plus que l’assassin semble poursuivre ses sombres activités sur un continent américain en pleine expansion.

     

    Oscillant sur le mode du roman d’aventure, du western et du thriller, Trois Mille Chevaux Vapeur entraînera le lecteur sur ces différentes thématiques que l’auteur aborde avec une aisance peu commune par l’entremise d’un texte dont la fluidité permet d’évoquer sans aucune lourdeur tous les grands changements du XIXème siècle. Ainsi Antonin Varenne aborde les manœuvres navales de la guerre anglo-birmane ; l’effondrement de la Compagnie des Indes ; les bas-fonds de Londres en pleine période de sécheresse, les grèves ouvrières à New-York et bien évidemment la grande conquête de l’Ouest, le tout sur fond d’industrialisation et de progrès notables qui se font sur le dos d’une population exploitée et dont les sursauts de révoltes sont réprimés d’une sanglante manière. Très documenté, sans pour autant en faire un étalage pénible, Trois Mille Chevaux Vapeur évoque également tout le contexte historique et social d’événements intenses dans lesquelles le protagoniste principal se retrouve mêlé au gré de son périple qui fera de lui un autre homme.

     

    On suit donc le parcours d’Arthur Bowman, personnage frustre et cruel qui se révèle plutôt antipathique mais dont l’humanité se révélera au fil des rencontres qu’il fera lors de cette quête rédemptrice. Mais rien n’est simple avec Antonin Varenne, les stéréotypes d’une histoire convenue disparaissent au travers de personnages qui se révèlent bien plus complexes qu’ils n’y paraissent. Ainsi, l’auteur met régulièrement de côté la traque d’un tueur qui devient le fil conducteur d’un récit qui se concentre sur les aspects d’un monde en pleine mutation. D’ailleurs les crimes qui jalonnent le roman sont toujours relégués au second plan en se dispensant par exemple de tout l’aspect sanglant de meurtres qui ne servent qu’à relancer l’intrigue.

     

    Conteur hors pair, Antonin Varenne concilie donc avec maestria tous les ingrédients d’une époque dantesque où les mondes s’écroulent tandis que d’autres prennent naissance pour nourrir une intrigue fourmillant de péripéties et de rebondissements parfois spectaculaires dans lesquelles apparaissent une myriade de protagonistes qui vont influencer la trajectoire et la destinée d’Arthur Bowman. Il rencontrera, entre autre, des soldats déboussolés par une guerre sauvage, une femme de caractère aux convictions utopistes, un indien tiraillé entres ses différentes origines et un prêcheur à la foi chamboulée, autant de personnages façonnés par l’imagination fertile d’un auteur qui parvient à déjouer tous les stéréotypes que l’on pourrait conférer à ce type d’individus que l’on a croisé dans tant d’autres récits.

     

    Mené avec la force tranquille de l’un de ces paquebots traversant l’Atlantique et dont la puissance donne son nom au roman, Trois Mille Chevaux Vapeur est un récit qui conjugue donc, avec un bel équilibre, l’imaginaire foisonnant d’un auteur et le contexte historique d’une période chargée en événement pour nous livrer un roman dantesque qui ne manquera pas de laisser le lecteur avec le souffle coupé. Un ouvrage impressionnant.

     

    Antonin Varenne : Trois Mille Chevaux Vapeur. Editions Albin Michel 2014.

    A lire en écoutant : In God’s Country de U2. Album The Joshua Tree : Island Records 1987.

  • Ikeido Jun : La Fusée De Shitamachi. Le souffle du crash.

    Capture d’écran 2018-02-04 à 15.24.27.pngComme je vous l’avais promis en ce début d’année, il m’importait de me tourner davantage vers la littérature noire asiatique afin de me laisser surprendre par les nouvelles perspectives d’un genre particulier que les auteurs de ces contrées lointaines abordent avec un regard bien différent de celui que peut nous offrir nos romanciers occidentaux. Ainsi, le monde de l’entreprise a fait l’objet, dans nos régions francophones, de nombreux romans noirs pointant disfonctionnements managériaux et autres disparités sociales tandis qu’au Japon, Ikeido Jun aborde le thème en empruntant des éléments narratifs propres aux thrillers et aux récits d’aventure avec un roman intitulé La Fusée De Shitamachi qui nous entraîne dans le sillage d’une PME nippone de pointe de l’arrondissement d’Ôta à Tokyo, devant faire face à une concurrence aussi féroce qu’impitoyable.

     

    Ingénieur de renom Tsukuda Kôhei a participé à l’élaboration du moteur d’une fusée dont le lancement s’est révélé être un fiasco. Contraint de démissionner, il a repris la petite entreprise familiale de machine-outil qu’il a transformée en usine de pointe, spécialisée dans les composants de moteurs de haute précision. Mais diriger une PME d’excellence telle que la Tsukuda Seisakusho n’est pas une sinécure. Une entreprise qui annule brutalement son carnet de commande tandis qu’une autre l’attaque pour des questions de brevet et ce sont les investisseurs qui vous lâchent. Il faut donc faire face à l’adversité et Tsukuda Kôhei qui n’a jamais renoncé à ses rêves de succès dans le domaine de l’aérospatial, se lance dans la conception d’un modèle de valves destinées à équiper la fusée d’une grande compagnie industrielle ne pouvant supporter de dépendre d’une entreprise aussi insignifiante que la Tsukuda Seisakusho. Dans un contexte de rivalité extrême, nombreux seront les obstacles et trahisons en tout genre pour mettre à mal le projet de cet entrepreneur audacieux.

     

    Premier roman traduit en français pour cet auteur qui a commis une vingtaine d’ouvrages dont plusieurs polars, Ikeido Jun est un romancier à succès dans son pays d’origine ce qui explique sans doute cette écriture très classique, répondant aux standards du best-seller international. Il n’empêche, l’efficacité du texte ne saurait être remise en question lorsque l’on constate que des sujets à priori arides comme le financement des entreprises, les dépôts de brevets ou les processus de fonctionnement d’un moteur de haute précision deviennent les éléments centraux d’une intrigue riche en tensions narratives qui se mettent en place dans un climat de compétitivité exacerbée par les dissensions internes et les rivalités entre modestes PME et grandes compagnies. Emprunt d’une certaine forme de théâtralité, La Fusée De Shimatachi décrypte les multiples services composant une entreprise japonaise que l’on découvre par l’entremise de Tsukuda Kôhei, un ingénieur devenu patron qui se concentre davantage sur les concepts d’une technologie de pointe que sur les aspects stratégiques et financiers de ses affaires. Le lecteur fait ainsi la connaissance d’un entrepreneur dont les rêves de conquête dans le domaine de l’aérospatial deviennent les enjeux d’un récit où les défît entrepreneuriaux font l‘objet de trahisons en tout genre, d’embûches financières et technologiques pouvant faire capoter le projet à tout instant. Les rêves de l’entrepreneur face à la réalité du marché, la petite PME devant lutter contre les desseins d’une grande compagnie, l’employé réticent se ralliant finalement au projet, l’auteur s’appuie sur des schémas narratifs manichéens assez convenus pour alimenter les différents ressorts d’une intrigue qui n’en demeure pas moins passionnante.

     

    Même s’il n’a pas pour vocation de dénoncer les dysfonctionnements du monde de l‘entreprise nippone, La Fusée De Shitamachi permet d’appréhender un univers hiérarchisé, codifié à l’extrême, où le collectif ne laisse aucune place à l’individualisme. Et bien au-delà du maintien de l’emploi ou des questions salariales, c’est la fierté de la réussite des projets de l’entreprise qui importe avant tout, ceci au prix de tous les sacrifices. Ainsi les lecteurs attentifs pourront s’interroger sur les rythmes de travail effrénés de ces « salaryman » consacrant la majeure partie de leur temps au labeur quant ils ne se retrouvent pas, le soir venu, dans des izakaya, ces bars japonais où se déroulent les nomikai, « réunions pour boire », permettant de discuter encore du travail entre collègues et qui deviennent un véritable phénomène de société avec cette image de salariés ivres morts, titubants dans les rues ou affalés sur les sièges des métros. Egalement à charge, c’est le monde de la finance comme les banques mais également les société d’investissement et leurs rapports ambivalents à l’entreprise qu’Ikeido Jun, ancien employé bancaire, se charge de disséquer au gré d’une histoire entremêlant son expérience professionnelle à la fiction d’un récit riche en péripétie où l’innovation des technologies de pointe se heurte à l’absence de vision et au manque d’audace des financiers.

     

    Dépaysant, autant dans sa forme que du point de vue exotique, La Fusée De Shitamachi, est un pur roman populaire, mettant en scène l’aventure palpitante d’un entrepreneur audacieux et innovant confronté aux aléas des financements et de la concurrence tout en disséquant, avec une acuité redoutable, les différentes strates hiérarchiques qui compose un univers du travail où employés et cadres se dévouent corps et âmes et surtout, sans compter leur temps, au bon fonctionnement de l’entreprise. Surprenant et édifiant.

     

    Ikeido Jun : La Fusée De Shitamachi (Shitamachi Rocket). Traduit du japonais par Patrick Honnoré. Books Editions 2012.

    A lire en écoutant : Come Close (feat. Common) de Indigo Jam Unit. Album : re : common from Indigo Jam Unit. Rambling Records 2009.

     

     

  • James Crumley : Fausse Piste. Sur les traces de la voie lactée.

    Capture d’écran 2017-02-18 à 00.51.39.pngUne nouvelle traduction de Jacques Mailhos agrémentée d’illustrations en noir et blanc de Chabouté, toutes les occasions sont bonnes pour revisiter l’œuvre de James Crumley comme nous le propose les éditions Gallmeister avec Fausse Piste, premier roman de la série consacrée au détective Milo Milodragovitch. Au-delà d’une traduction plus contemporaine, il s’agit de découvrir ou redécouvrir l’une des voix marquantes du roman noir américain qui fut paradoxalement l’un des écrivains les plus méconnu de ce fameux courant « nature writing » issu de la ville de Missoula dans laquelle James Crumley a toujours séjourné en côtoyant James Lee Burke et Jim Harrison.

     

    A Meriwether dans le Colorado c’en est fini des flagrants délits d’adultère pour le détective privé Milo Milodragovitch qui se morfond désormais dans son bureau depuis que l’on a réformé la loi sur les divorces en le privant ainsi de sa principale source de revenu. Alors que ses finances sont au plus mal, il passe en revue les ruines de sa vie sentimentale entre deux cuites avec ses camarades de beuverie. Une existence bancale sans grandes interférences jusqu’à ce que débarque la belle Helen Duffy à la recherche de son petit frère disparu. Pour les beaux yeux de cette femme séduisante, Milo se lance maladroitement sur les traces du jeune étudiant amateur de tir au revolver au dégainé rapide. Mais l’enquête va se révéler plus chaotique qu’il n’y paraît.

     

    Une écriture généreuse, sincère, dotée d’un humour vachard, c’est la marque de fabrique de James Crumley qui reprend tous les canons du roman noir et du polar en les assaisonnant d’une tension confuse parfois décousue mais qui se révèle au final d’une étonnante maîtrise en embarquant le lecteur dans les tréfonds de l’âme tourmentée de ce détective qui sort vraiment de l’ordinaire. A bien des égards, Milo Milodragovitch présente de nombreuses similitudes avec son auteur dans sa propension à s’imbiber généreusement d’alcool en alternant des périodes de morosité et de gouaille festive tout en s’investissant corps et âmes dans des enquêtes qui s’avèrent bien plus originales qu’on ne pourrait l'imaginer. Publié en 1975, Fausse Piste capte également le climat de révolution culturelle qui régnait à l’époque aux USA. Une période confuse où l’on croise des personnages atypiques comme ce travesti féru d’arts martiaux ou cet ancien avocat qui a renoncé au droit pour s’imbiber quotidiennement et méthodiquement d’alcool. Libéralisation des mœurs qui va de pair avec la consommation de drogues devenant une plaie sournoise et endémique renvoyant aux propres addictions de Milo Milodragovich et de son entourage proche et indirectement à l’auteur qui ne porte jamais de jugement de valeur mais qui témoigne magistralement de son temps.

     

    Parce qu’il ne faut pas s’y tromper, Fausse Piste, comme d’ailleurs la plupart des ouvrages de James Crumley, fait partie de la quintessence du polar en dépassant allégrement tous les codes du genre. On entre dans une autre dimension d’une incroyable facture tant sur le plan narratif que sur l’objet de l’intrigue et il serait vraiment regrettable de passer à côté de cette remise au goût du jour que nous propose les éditions Gallmeister qui a eu la bonne idée de l’agrémenter des illustrations percutantes de Chabouté parvenant à saisir l’atmosphère du roman avec une belle justesse.

     

    James Crumley nous présente donc des récits emprunts à la fois d’une violence crue et d’une grâce parfois émouvante, servis par la force de dialogues truculents et incisifs permettant de mettre en scène toute une galerie de personnages d’une singulière sensibilité, toujours délicieusement humains dans toutes leurs imperfections qu’ils dissimulent sous une somme d’excès et brutalités quelques fois extrêmement saisissante. Ainsi Milo Milodragovitch, ex shérif deputy corrompu et détective alcoolique se distancie des clichés usuels propre à ce type de personnage pour incarner ce qui se fait de mieux en matière de personnage à la fois torturé par ses démons tout en tentant de faire le bien du mieux qu’il peut autour de lui. Homme frustre, parfois très maladroit mais toujours sensible et obligeant, Milo résoudra une enquête pénible et compliquée car parsemée d’une myriade de fausses pistes et dont la conclusion se réalisera à ses propres dépens.

     

    Indéniablement Fausse Piste, comme tous les romans de James Crumley, constitue l’une des très grandes références dans le domaine du polar et du roman noir et s’inscrit dans deux séries emblématiques mettant en scène Milo Milodragovitch pour l’une et C.W. Sughrue pour l’autre, détective également mythique que l’on retrouve dans Le Dernier Baiser qui vient de paraître également au éditions Gallmeister. Et pour achever de vous convaincre de lire James Crumley, il faut bien prendre conscience que Fausse Piste n’est que le début d’une œuvre magistrale qui a révolutionné le genre. Indispensable et fondamental.

     

    James Crumley : Fausse Piste (The Wrong Case). Editions Gallmeister 2016. Traduit de l’anglais (USA) par Jacques Mailhos.

    A lire en écoutant : The Ghosts of Saturday Night de Tom Waits. Album : Asylum Years. Asylum 1986.

  • James Crumley : Le Dernier Baiser. L’ivresse du voyage.

    james crumley, le dernier baiser, éditions gallmeisterUn bon roman policier doit-il forcément être mal écrit ? Telle était la question que se posait un chroniqueur commentant un mauvais roman policier helvétique que je ne citerai pas. Pour y répondre, il suffit de recommander, parmi tant d’autres, toute l’œuvre de James Crumley qui ne laisse place à aucun doute quant à la qualité de l’écriture et du style d’un auteur qui n’a pourtant jamais bénéficié d’une grande notoriété, ce qui est fort regrettable. Afin de réparer cette injustice, les éditions Gallmeisters ont décidé de publier l’intégralité de ses romans en nous proposant une nouvelle traduction de Jacques Mailhos qui rend davantage justice aux textes originaux de ce romancier hors norme. Cette belle démarche éditoriale a débuté avec Fausse Piste et se poursuit avec Le Dernier Baiser qui met en scène, pour la première fois, les aventures du détective C. W. Sughrue.

     

    C’est n’est pas une sinécure lorsque le détective privé C. W. Sughrue doit se lancer à la poursuite de Trahaerne, une célèbre poète qui s’est mis en tête de fréquenter tous les bars de l’ouest du pays. Mais il faut admettre que la famille de l’écrivain s’est montrée plutôt généreuse, ceci d’autant plus que les notes de frais sont illimitées. De motels décatis en rades atypiques, le détective retrouve l’écrivain dans un bar miteux de la côte ouest et fait la connaissance de Rosie, une vieille barmaid, qui lui confie une nouvelle affaire. Il s’agit de retrouver sa fille Betty Sue Flowers qui n’a pas donné signe de vie depuis dix ans. En compagnie du poète alcoolique, Sughrue entame une longue quête fiévreuse afin de retrouver la jeune fille disparue. Un parcours chaotique, nimbé de violence, d’alcool et d’une pointe acide d’humour.

     

    Avec James Crumley, il faut toujours s’attendre à être quelque peu bousculé en s’embarquant à la suite de héros déjantés, portés sur la boisson. Et il faut bien l’avouer, l’auteur s’y connaît en la matière en distillant son goût immodéré pour la bibine au fil de pages qui exhalent de forts relents d’alcool tout en donnant le tournis. C’est d’ailleurs lorsqu’il se lance dans le descriptif de libations outrancières qu’il parvient à mettre en place des actions dantesques où la folie et la violence virent parfois au burlesque. Mais on aurait tord de s’arrêter uniquement sur l’aspect insensé d’un texte qui révèle davantage d’émotions qu’il n’y paraît. C’est ce qui transparaît de manière particulièrement flagrante avec Le Dernier Baiser où l’on fait la connaissance de Chauncey Wayne Sughrue qui, tout comme Milo Milodragovich, officie en tant que détective privé dans la petite ville de Meriwether. Probablement moins extraverti que son collègue, ceci particulièrement lorsqu’il perd le contrôle après un excès de boisson, Sughrue possède une sensibilité à fleur de peau qui le pousse à s’impliquer plus qu’il ne le devrait dans une enquêtes pour laquelle sa fascination pour cette jeune femme disparue joue un rôle prépondérant, tout comme les autres personnages secondaires féminins qui prennent le contrôle d’une intrigue riche en péripéties. Émancipées, elles se révèlent parfois vulnérables mais également extrêmement redoutables aussi bien dans leur quête d’indépendance que dans le contrôle de leur entourage. James Crumley nous propose ainsi une galerie de portraits de femmes fortes, déterminées autour desquelles se met en place, de manière aussi subtile qu’insidieuse le drame qui clôturera le récit.

     

    Succédant à Chabouté, c’est Thierry Murat qui s’est chargé d’agrémenter Le Dernier Baiser avec une succession d’illustrations qui subliment un roman exceptionnel. De cette manière, le lecteur peut s’élancer sur la route des grands espaces de l’ouest américain que l’auteur s’emploie à dépeindre avec la force lyrique d’une écriture précise et soignée. Chaque mot semble avoir été considéré, pesé et travaillé afin de nourrir des phrases racées permettant d’illustrer, parfois de manière audacieuse, les paysages mais également les ressentis des personnages qui jalonnent le roman. Par l’entremise de dialogues à la fois incisifs et envoûtants, dotés de répliques percutantes, on perçoit une espèce de souffle épique et un certain romantisme nuancé par une sensation de désenchantement qui transparaît tout au long d’un roman qui se dispense de toute forme d’illusion. Car avec Le Dernier Baiser, James Crumley, en narrateur chevronné qu’il est, détient l’art redoutable de clouer le cœur du lecteur au travers d’un roman noir d’une puissance peu commune.

     

    James Crumley : Le Dernier Baiser (The Last Good Kiss). Editions Gallmeister 2017. Traduit de l’anglais (USA) par Jacques Mailhos.

    A lire en écoutant : Long Lonely Road de Valerie June. Album The Order Of Time. Concord Music Group, Inc 2017.