Marie Javet : La Petite Fille Dans Le Miroir. Ghost story.
La Suisse regorge de ces palaces luxueux, vieux "vaisseaux de pierre" aux décors surannés, qui bordent les rives des lacs ou qui se dressent fièrement face aux sommets les plus mythiques du pays. Lieux prestigieux, chargés d’histoires, leurs silhouettes à la fois élégantes et atypiques, font partie intégrante du paysage en véhiculant la légende des grandes personnalités qui les ont fréquenté. C’est dans l’un d’entre eux, le Victoria-Jungfrau à Interlaken, que Marie Javet a choisi de planter le décor de son premier roman intitulé La Petite Fille Dans Le Miroir. Sélectionné parmi les dix ouvrages en lisse pour la première édition du prix du polar romand, l’ouvrage de Marie Javet ne présente guère de caractéristiques afférentes au genre mais n’en demeure pas moins un roman agréable et surprenant, qui s’oriente plutôt sur le registre du drame en intégrant une pointe de fantastique et une légère pincée de suspense.
June Lajoie, célèbre auteure américaine, promène son mal de vivre entre les murs du Victoria-Jungfrau Grand Hôtel à Interlaken où elle séjourne afin de peaufiner le manuscrit de son prochain roman, tout en profitant de l’anonymat salvateur que lui procure ce vénérable établissement. Ne supportant que très difficilement la promiscuité de la clientèle, elle vit presque recluse dans sa chambre en ressassant les différentes périodes de la jeunesse dorée de celle qui fut autrefois Lizzie Willow, cette jeune fille de bonne famille qui s’émancipa le temps d’un été entre Montreux et Lausanne dans le bonheur d’une idylle naissante qui s’achevait sur un événement tragique qui, aujourd’hui encore, ne cesse de la tourmenter. Terriblement seule et désemparée, oscillant entre le passé et le présent, June Lajoie se rend bien compte qu’elle perd peu à peu le sens des réalités puisqu’elle commence à avoir des visions. Désormais, dans les miroirs du palace, elle croise régulièrement le regard d’une fillette qui semble vouloir l’interpeller. Délire paranoïaque ou apparition fantomatique ? Qui peut bien être la petite fille dans le miroir ?
Construit sur le principe narratif du drame dont on va découvrir la teneur au gré d’analepses qui se répartissent sur trois périodes de la jeunesse de l’héroïne, on ne peut pas dire que La Petite Fille Dans Le Miroir brille par son originalité. Pourtant le charme opère, en partie dû au fait que l’auteure maîtrise les codes du genre, sans jamais trop en abuser et qu’elle parvient à intégrer dans ce court roman qui se dispense de tous ces subterfuges futiles visant à amplifier une tension qui se met ainsi en place tout naturellement. Le lecteur sera également séduit par l’atmosphère étrange qui plane sur la ville d’Interlaken et plus particulièrement sur ce fameux palace qui fait face à la Jungfrau et dont on découvre l’histoire par le biais des investigations que June Lajoie va entreprendre pour découvrir l’identité de cette fillette qui hante les couloirs du bâtiment qui devient ainsi un personnage à part entière en nous rappelant l’œuvre d’un certain Stephen King.
Radiohead, Kate Bush, Lou Reed, Transportting, Jane Austin et bien d’autres ; nombreuses sont les références littéraires, musicales et cinématographiques qui jalonnent le roman. Lorsqu’elles ne font pas l’objet d’explications pompeuses, certaines de ces références se révèlent utiles comme celles qui servent de repères pour situer la période dans laquelle se déroule le récit ou celles qui deviennent les déclencheurs de souvenirs douloureux qui ne cessent de hanter cette héroïne aussi sensible que fragile. D’autres s'avèrent inutiles à l’exemple des éléments qui, en début de récit, visent à situer le degré de notoriété de June Lajoie et qui laisse craindre le pire pour la suite du roman, ceci même si j’apprécie Colin Firth et Anne Rice. Mais finalement il ne s’agit que d’une digression isolée n’entamant en rien la qualité d’une intrigue simple et bien menée qui se concentre sur l’essentiel, consistant à nous raconter une histoire et non pas à nous éblouir avec une kyrielle de parenthèses culturelles superflues.
Une écriture fluide et plaisante nous permet de nous immerger dans un roman qui se lit d’une traite en découvrant le parcours de cette héroïne quelque peu stéréotypée mais dont la vulnérabilité et la fragilité suscite une émotion salutaire qui étoffe le personnage se déclinant sur les registres d'une petite fille solitaire et émouvante, d'une collégienne avide de liberté et d'une femme rongée par le remord. Ainsi, Marie Javet parvient à nous entraîner, avec La Petite Fille Dans Le Miroir, dans le cours d’un récit convenu qui sort parfois des sentiers battus en s’achevant sur un dénouement surprenant qui révèle le potentiel d’une auteure qu’il convient d’encourager. A découvrir.
Marie Javet : La Petite Fille Dans Le Miroir. Plaisir de lire 2016.
A lire en écoutant : Glass Eyes de Radiohead. Album : A Moon Shaped Pool. XL Recordings 2016.
Les Poings de Joseph Incardona c’est l’instrument de travail de Frankie Malone qui souhaite faire son come back sur un ring après avoir raccroché les gants il y a de cela plusieurs années. Tout l’enjeu du récit consiste à savoir si l’on va s’offrir un retour à la Rocky ou s’enfoncer dans une tragédie à la Million Dollar Baby. Mais comme à l’accoutumée, l’auteur nous surprend encore avec ce dénouement déroutant, inspiré d’un événement pugilistique réel. En quelques phrases courtes et bien senties, Joseph Incardona capture les ambiances que ce soit dans les contrées froides du Nebraska ou dans la chaleur étouffante d’un ring à Los Angeles pour nous plonger dans cet univers où la douleur et la peur sont omniprésentes. Il y a les néons des dîners et des clubs de striptease. Il y a l’odeur du camphre et de la sueur dans la salle d’entraînement. Il y a les doutes et les convictions qui oscillent dans le cœur d’un homme qui tente de soulever sa carcasse. Et comme le poids d’un boxeur, l’auteur semble avoir pesé et soupesé chaque mot afin de saisir toute l’intensité d'un parcours chaotique et chancelant. Springsteen et Dylan ne sont pas loin.
On cultive les rêves et les apparences dans Bora Bora Dream, récit à quatre mains d’Emilie Boré et de Daniel Abimi qui interprètent, dans une alternance de chapitres aussi vifs que mordants, cette femme et cet homme qui s’observent dans le reflet trompeur des miroirs d’un fitness. Et si l’on persiste à se mentir, on persiste également à entretenir l’illusion et le paraître tout en distillant les rancœurs et les déceptions qui vous rongent le cœur. Un redoutable cocktail acide, bourré d’humour et d’aigreur avec cette fine observation d’un couple qui se construit sur une succession de déconvenues et des rêves brisés. Un texte incisif et drôle, un peu cruel bien sûr, qui nous renvoie à nos propres illusions.
Une piscine municipale le soir après la fermeture, voici le cadre original dans lequel se déroule Eaux Troubles, un thriller de haute volée de Philippe Laffite. Jeune femme vulnérable, Mélanie a toujours fréquenté les bassins jusqu’à ce qu’un accident mette un terme à sa carrière de plongeuse. Mais qu’à cela ne tienne, elle est désormais employée à la piscine et profite du départ de derniers clients pour faire quelques longueurs. Mais est-elle vraiment bien seule ? D’une redoutable efficacité, conjuguée au cadre particulier des lieux, l’auteur diffuse un climat anxiogène tout au long d’un récit brillant qui aborde également la thématique du harcèlement au travail. Un texte dense, ramassé qui s’accroche aux éléments essentiels de l’intrigue en permettant ainsi aux lecteurs de se laisser emporter dans le jeu perfide des apparences pour apprécier un dénouement des plus singulier.
oute épistolaire déclinée au gré de chapitres portant les nom de chacune des phase d’un combat d’escrime, S’escrimer A L’aimer de Laure Hyung Croset dépeint l’évolution d’une délicate et désuète romance qu’entretient une femme passionnée avec un mystérieux correspondant. On assiste à une espèce d’emportement déchaîné où l’héroïne projette tous ses phantasmes et tout ses désirs dans un échange qui semble combler toutes ses attentes. Mais la machine se grippe dès l’instant où son interlocuteur se dérobe dès qu’il s’agit de se rencontrer. S’ensuit alors un combat au fleuret où la frustration se conjugue à cette volonté de séduire celui qui vous échappe jusqu’à l’assaut final qui mettra à mal toute la trame illusoire patiemment bâtie au fil d’une correspondance enfiévrée.

