Sandrine Collette : Madelaine Avant L'Aube. Famine.
Elle habitait en ville et enseignait à l'université de Paris-Nanterre mais a finalement préféré retrouver le Morvan où elle vit depuis plus de dix ans sur la terre de ses aïeux en endossant la fonction de conseillère communale tout en s'adonnant à l'écriture son travail de prédilection pour notre plus grand plaisir, ainsi qu'aux soins de ses chevaux. A ses débuts de romancière, on pouvait croiser Sandrine Collette sur les festivals consacrés à la littérature noire qui ont d'ailleurs célébré plusieurs de ses récits dont le premier, Des Nœuds D'Acier (Denoël/Sueurs froides 2012), obtenant le Grand prix de littérature policière en 2013 qui sera loin d'être le seul, couronnant la force d'une écriture mettant en valeur des territoires à la fois âpres et sauvages au sein desquels se débattent des individus souvent malmenés par la vie comme en témoigne On Était Des Loups (JC Lattès 2022), son plus grand succès jusqu'à présent. On pourrait également parler de l'aspect sombre de ses intrigues oscillant dans la veine du roman noir chargé de tension à l'instar d'Il Reste La Poussière (Denoël/Sueurs froides) qui avait marqué les esprits dans le petit landerneau du polar. Mais en intégrant la maison d'éditions Jean-Claude Lattès, Sandrine Collette a soudainement changé de braquet en rencontrant un lectorat beaucoup plus conséquent qui ne saurait résister à l'intensité de ses récits en soulignant, une fois encore pour ceux qui en douteraient toujours, que les auteurs de littérature noire n'ont rien à envier aux autres romanciers, même s'ils doivent dissimuler leur appartenance pour pouvoir figurer sur les listes des grands prix prestigieux de la rentrée littéraire et dont la sélection demeure figée sur quelques à priori quant aux collections se concentrant sur les littératures de genre. Ainsi, même s'il ne s'agit sans doute pas de l'unique raison qui l'a poussée à changer d'éditeur, on constate que la romancière suit les traces de ses prédécesseurs que sont Pierre Lemaître et Nicolas Mathieu en intégrant la liste des finalistes du prix Goncourt 2024 avec Madelaine Avant L'Aube dont on espère qu'il sera célébré à sa juste valeur. Mais ce qui apparaît comme une certitude, c'est que Sandrine Collette n'a pas changé de registre avec un texte d'une profonde beauté qui prend l'allure incontestable d'un roman noir se déclinant autour du parcours d'une jeune fille évoluant dans l'environnement rude d'une contrée campagnarde indéterminée à une époque incertaine dont on devine quelques aspects moyenâgeux à l'exemple de la caste des maîtres du Pays Arrière apparaissant au détour de cette intrigue aux connotations rurales.
A proximité du village de La Foye, il y a le hameau des Montées où vivent depuis toujours les jumelles Ambre et Aelis ainsi que Rose, la vieille rebouteuse de cette contrée reculée sous le contrôle d'Ambroisie-le-père et de son fils parcourant la région à cheval, en quête de gibier qu'il chasse pour son bon plaisir et de femmes dont il abuse sans vergogne. Autant dire que l'on travaille une terre ingrate en baissant la tête tout en endurant les saisons incertaines et les injustices des castes qui prévalent dans le pays. Mais voilà qu'à l'aube, surgit à l'orée de la forêt une fillette aussi affamée que farouche en quête de nourriture qu'elle dérobe et que la petite communauté du hameau a tôt fait d'adopter. Madelaine s'adapte ainsi rapidement à son environnement et se montre dure à la tâche en faisant preuve d'une opiniâtreté sans faille. Mais dans son regard, on perçoit encore cet esprit indomptable qui brûle toujours en elle, jusqu'au jour où tout bascule dans une brutale sauvagerie qui va tout emporter.
Au détour d'une lutte des classes inégale, se met en place, peu à peu, la tragédie d'un fait divers tout en déclinant l'éco-anxiété qui prévalait déjà à cette époque si lointaine où le climat et plus particulièrement les gels printaniers déterminaient la survie ou pas des membres de la communauté du monde paysan durant l'hiver. Autour de ces thèmes, il va de soi que Madelaine Avant L'Aube résonne douloureusement au sein de notre actualité où l'on prend conscience, malgré le déni environnemental qui prévaut, que c'est la nature qui dicte ses règles aussi cruelles soient-elles. Mais le drame dont on va être témoin découle également de la place faites aux femmes dans une mise en scène d'une force brutale qui saisit le lecteur tout en le confrontant immanquablement aux phénomènes de société qui défraient la chronique. Tout cela se décline au gré d'un univers rude, sans pitié, imprégné d'une certaine magnificence que l'on retrouve souvent dans l'œuvre de Sandrine Collette d'où émerge des textes d'une beauté fascinante où la personnalité endurcie de ses personnages se confond avec l'âpreté des paysages dans lesquels ils évoluent. On retrouve donc tout cela dans Madelaine Avant L'Aube au rythme d'une narration subtile mettant en scène cet environnement rural dont aucun des protagonistes n'est en mesure de s'extraire, rattachés qu'ils sont à cette terre nourricière, souvent ingrate, que l'on travaille, le dos courbé avec ce côté astreignant et répétitif rythmant les saisons et dont on ressent la douloureuse précarité. Et de ces difficultés émerge la tension à l'instar de ces hivers de famine où l'enjeu consiste à déterminer celle ou celui qui va succomber en prenant en compte le fait que Sandrine Collette n'épargne aucun de ces personnages. A partir de là, se construit la personnalité de Madelaine et de cette révolte qui couve en elle et que son entourage tente de contenir par tous les moyens à l'exemple de Bran, le narrateur, faisant office de figure protectrice de la fillette et dont la destinée, en milieu de récit, va faire basculer toute l'intrigue dans l'éclat surprenant de son rôle véritable. Et c'est sans doute dans ce registre des ressorts narratifs singuliers qu'éclate tout le talent de la romancière avec cette capacité à conjuguer la splendeur abrupte des paysages qu'elle dépeint avec toute la férocité d'une intrigue à la noirceur inexorable imprégnant l'ensemble des protagonistes se révélant dans la fragilité d'une destinée à la fois incertaine et cruelle. Et puis il y a cette profondeur du mot juste, de la phrase travaillée sans emphase et de la musicalité d’un texte imprégné d'une pointe de lyrisme envoûtant, caractéristiques du style particulier de Sandrine Collette qui signe avec Madelaine Avant L’Aube l’un de ses meilleurs romans, Goncourt ou pas.
Sandrine Colette : Madelaine Avant L'Aube. Editions Jean-Claude Lattès 2024.
A lire en écoutant : Bourrée de Malicorne. Album : Colin. 1974 Hexagone.
Les tendances avec James Ellroy, c'est de se prendre en photo en sa compagnie et de s'afficher ainsi fièrement sur les réseaux sociaux ou d'adopter la posture du critique blasé en expliquant à quel point le romancier a vieilli sans être capable de se renouveler tout en fustigeant son comportement, son arrogance ainsi que son attitude conservatrice que l'on conspuera allègrement. Alors, sans jouer les fans transis, on rappellera que James Ellroy a tout de même contribué à donner ses lettres de noblesse à la littérature noire avec des romans d'envergure comme la trilogie Llyod Hopkins dont Lune Sanglante (Rivages/Noir 1987) qui nous a ravagé le cerveau tout comme Le Quatuor de Los Angeles comprenant l'emblématique
Il apparaît comme quelqu'un de discret et de modeste, préférant arpenter les sentiers ou pêcher quelques truites dans cette région des Appalaches qu'il affectionne tant, plutôt que de fréquenter les salons littéraires où il lui faut parler de ses livres. Une personnalité réservée donc à l'image de bon nombre des habitants de la Caroline du Sud où il est né et de la Caroline du Nord où il vit désormais en cultivant cet attachement à ses racines par le biais de ses récits s'attachant exclusivement à cet environnement âpre qu'il décrit avec une ferveur poétique tout en déclinant cette noirceur qui imprègne cette communauté tourmentée par les maux de l'histoire ou par le déclin social qui frappe bon nombre de ses habitants. Depuis plus de 30 ans qu'il écrit et malgré sa discrétion, Ron Rash apparaît désormais comme un romancier mais aussi comme un poète de référence qui a influencé bon nombre d'auteurs à l'instar de David Joy qui le cite abondamment. Parfois ancré dans les méandres historiques de sa région à l'instar de Serena (Masque 2011) ou d'Une Terre D'Ombre (Seuil 2014) se déroulant dans les années trente pour l'un et à la fin de le première guerre mondiale pur l'autre, Ron Rash s'attache également à dépeindre une période plus actuelle sur un registre de violence sur fond de drogue dont les ravages endémiques frappent une population précarisée sombrant dans la marginalité et dont on peut prendre la mesure dans des récit tel que Le Monde A L'Endroit (Seuil 2012) ou
La maison porte le nom du format d'un livre où la feuille a été pliée à trois reprises pour composer ainsi un ouvrage de 16 pages recto-verso, in-octavo. Autant dire que les éditions in8 se sont spécialisées dans le format court, ceci plus particulièrement avec la collection Polaroïd dirigée par Marc Villard qui s'y connait quelque peu dans le domaine de la nouvelle aux connotations plus ou moins sombres puisqu'il a publié plus d'une quarantaine de recueils rassemblant de brèves histoires souvent teintées d'une ambiance jazzy qu'il affectionne. On se souvient ainsi d'Entrée Du Diable A Barbèsville (Rivages/Noir 2008) ainsi que de son dernier ouvrage au titre évocateur, Ciel De Réglisse (Editions La Noire 2023) ou de
"Les amours ratent, mais de peu, c'est ainsi que naissent les suivantes."