Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Argentine

  • Eugenia Almeida : La Casse. Le cercle vertueux.

    C22F21A6-C81D-4F0C-91F8-144B05CA550F.jpegLes auteurs emblématiques de la littérature noire argentine, sont sans nul doute Carlos Salem dont les romans traduits en français sont publiés chez Actes Sud tandis qu'Ernesto Mallo intègre la collection Rivage/Noir. Dans une moindre mesure, on pourrait également citer Jorge Luis Borges qui inséra de nombreux codes du genre policier tout au long de son oeuvre prolifique. Mais pour en revenir au genre spécifique du roman noir argentin, on a été particulièrement secoué par le caractère âpre et brutal de récits tels qu'Entre Hommes (La Dernière Goutte 2016) de German Maggiori ou que Notre Part Du Ciel (Rivages/Noir 2023) de Nicolás Ferraro, prenant l'allure d'un western explosif. Dans un registre plus mélancolique, on peut évoquer la singularité de Ricardo Romero publiant Je Suis L'Hiver (Asphalte 2020), un polar décalé aux intonations poétiques, ainsi que Gustavo Malajovich qui avait marqué les esprits avec Le Jardin De Bronze (Actes Noir 2014) et dont on est malheureusement sans nouvelle. Tout aussi marquant, on appréciera également Puerto Apache (Asphalte 2015) de Juan Martini nous entrainant dans les ruelles sombres et étroites d'un bidonville de Buenos Aires. Si la liste des romanciers de cette littérature noire en provenance d'Argentine, n'a rien d'exhaustive, elle n'en demeure pas moins très peu étoffée, ce qui est regrettable tant les trop rares publications se révèlent généralement enthousiasmantes. Ainsi, on se réjouit d'ajouter à cette énumération un peu trop masculine, le nom d'Eugenia Almeida qui débarque dans la collection noire des éditions Métailié avec La Casse, un surprenant récit aussi tonitruant que fracassant se déroulant dans une ville de province du nord de l'Argentine, dont on ignore le nom. Si La Casse apparaît, sans aucune contestation possible, comme l'un des belles découvertes de l'année 2024, il faut prendre en considération le fait qu'Eugenia Almeida n'a rien d'une novice dans le domaine de l'écriture puisque cette enseignante et journaliste s'essayant également à la poésie, a publié de nombreux romans dont L'Autobus (Métailié 2007) et L'Echange (Métalilié 2016) traduits en français et s'inscrivant à la lisière du genre noir.  

     

    Le monde est bien rangé dans cette province du nord de l'Argentine. Durruti verse pots de vin  et commissions au chef de la police Lanbro qui les redistribue aux instances supérieures, ministres compris. C'est comme ça que cela fonctionne afin de poursuivre ses activités illicites qui rapportent à tout le monde, sans jamais faire de vague. Aussi n'apprécie-t-il que modérément l'initiative d'un de ses hommes qui a exécuté deux gamins qui venaient de voler une voiture en butant leurs occupants. Il va falloir faire profil bas sans être certain qu'il puisse s'en tirer comme ça.  Les flic sont plutôt nerveux dans les environs. Il s'agit donc pour son petit frère Nene, à qui il a confié les rênes de la casse, d'y aller mollo avec le trafic de pièces volées. Mais le moindre petit grain de sable dans les rouages de la machine peut tout faire voler en éclat, comme cette Fiat 1600, coupé sport de collection que l'on a volé à Saravia, un enseignant sans histoire mais dont le couple bat de l'aile depuis qu'il reçoit des messages anonymes l'informant qu'il est cocu. A partir de là, tout se disloque et la ville devient le théâtre d'une succession d'exécutions et de règlements de compte brutaux et sanglants. Et pour que tout rentre dans l'ordre, il y aura des dommages collatéraux jusqu'au plus haut niveau du pays. 

     

    Avec à peine 200 pages, autant dire que La Casse ne s'embarrasse pas de fioriture au détour d'un texte dépouillé à l'extrême qui, d'entrée de jeu, nécessite l'attention et l'intelligence du lecteur pour capter sur près de cinq chapitres aussi courts que denses les premières interactions brutales entre des truands qui tentent de rattraper la bavure de l'un d'entre eux. Mais rien n'y fait et Eugenia Almeida décline ce qui s'apparente à une chute infernale de dominos à mesure que les ennuis se succèdent dans un déchainement d'une violence âpre et très épurée ce qui confère à l'ensemble de l'intrigue un aspect rythmé et saisissant. Au gré de ces enchainements cruels où chacun tente de tirer son épingle du jeu dans ce qui apparait comme une débandade désorganisée, Eugenia Almeida passe en revue les accointances fragiles entre la pègre, la police et les instances politiques qui s'étiolent dans une logique de confrontations plus sanglantes les unes que les autres, ce d'autant plus que des individus de la classe moyenne interfèrent dans cet équilibre occulte qui s'écroule, à l'instar de la maîtresse de cette personnalité politique déchue qui va retrouver la misère de sa vie d'autrefois, ou de Saravia ce professeur désemparé, victime d'un corbeau lui annonçant que sa femme le trompe. On y croise également cette diseuse de bonne aventure qui va se trouver partie prenante dans ce gigantesque capharnaüm habilement mis en scène. Autant dire que l'atmosphère d'une noirceur absolue se révèle pesante à mesure que l'on prend en compte les victimes collatérales de cette débâcle institutionnelle sans pitié. On en prend la pleine mesure avec le parcours de Durruti, de son rapport assez émouvant avec son petit frère Nene en découvrant les éléments du drame sordide dont il a été témoin en le propulsant, presque contre son gré, à la tête de cette organisation de malfaiteurs désormais placée sous l'égide d'arcanes étatiques aussi dévoyées qu'inquiétantes. Tout cela est mis en scène d'une manière efficace, presque diabolique, avec une conjonction de hasards qui tient parfaitement la route en faisant de La Casse un roman au style nerveux, voire délicieusement frénétique, qui vous secoue jusqu'à la dernière ligne en ayant la certitude que rien ne va jamais vraiment changer dans un système où les individus sont interchangeables. On en redemande.

     

    Eugenia Almeida : La Casse (Desarmadero). Editions Métailié/Noir 2024. Traduit de l'espagnol (Argentine) par Lise Belperron.

    A lire en écoutant : Sola de Gotan Project. Album : Gitan Project Live. 2008 Ya Basta records.

  • Nicolás Ferraro : Notre Dernière Part Du Ciel. L'avenir est ailleurs.

    Capture d’écran 2023-03-11 à 20.07.23.pngLa violence semble être une des caractéristiques de la littérature noire sud-américaine où elle explosait dans un roman comme Entre Hommes, livre culte de l'argentin Germán Maggiori, publié par la défunte Dernière Goutte/Fonds Noirs ou plus particulièrement dans le cours des récits brutaux du brésilien Edyr Augusto qui nous avait marqué notamment avec Pssica (Asphalte 2017).  Un roman tel que Puerto Apache (Asphalte 2015) de l'argentin Juan Marini s'illustrait dans le même registre. Oubliez l'aspect esthétique que l'on retrouve dans certains ouvrages mettant en scène des tueurs en série d'une inventivité grotesque. Chez ces romanciers, la violence n'a rien de gratuite ni de racoleur et se décline dans des scènes d'une âpreté saisissante et troublante en traduisant le malaise de pays ravagés par des crises économiques sans précédent et d'injustices sociales brutales. Heurtés par la férocité du texte, bon nombre de lecteurs porteront sur ce type de récits un regard distancé voire même parfois amusé comme pour se départir de l'embarras qu'ils suscitent. Premier roman traduit en français de Nicolás Ferraro, notamment coordinateur des littératures policières à la Bibliothèque nationale argentine et passionné de polars, Notre Dernière Part Du Ciel s'inscrit dans le même registre de violence outrancière qui assomme le lecteur par la virulence d'un texte d'une dureté époustouflante qui reflète parfaitement la violence sociale d'une région reculée de l'Argentine.

     

    Les règlements de compte sont légions dans le domaine du trafic de stupéfiants. Néanmoins, ils se déroulent assez rarement à bord d'un Cessna survolant l'Argentine, quelque part à la frontière avec le Brésil et le Paraguay. Après s'être écrasés dans cette région reculée, Keegan et Lucero doivent retrouver une partie de la cargaison, éparpillée dans les environs, s'ils ne veulent pas que l'opération tourne au fiasco avec toutes les conséquences qui en découleraient. Mais pour ces habitants miséreux, ces "pains" de cocaïne tombés du ciel constituent une manne inespérée qu'ils ne sont pas prêt de restituer à l'instar du vieux Reiser, un ancien gangster qui s'est fait oublier ou des frères Vargas, deux ouvrier agricoles, qui souhaitent se rendre à Buenos Aires afin de tourner le dos à un avenir incertain. Mais outre Keegan et Lucero, il faudra affronter Zupay, un tueur impitoyable au service du cartel, qui va mettre la région à feu et à sang pour récupérer la marchandise. Dans ce monde sans foi ni loi, la part du ciel reviendra au plus fort.

     

    Voici une belle trouvaille des éditions Rivages/Noir nous proposant avec Notre Dernière Part Du Ciel de découvrir l'écriture racée de Nicolás Ferraro déclinant, sur ce récit aux allures de western, le désarroi des habitants d'une région perdue de l'Argentine qui font valoir leurs droits à coups de confrontations brutales reflétant ainsi le caractère brut et impitoyable d'une galerie de personnages déjantés, souvent paumés, courant résolument vers leur propre perte. Avec un vieillard irascible et taciturne comme Reiser on pense à Clint Eastwood dans ses interprétations mutiques tandis qu'avec un individu comme Zupay on songe à Javier Bardem dans son iconique rôle de tueur à gage alors que l'ensemble des fusillades qui jalonnent ce texte nous rappelle les scènes dantesques des films de Peckinpah. Mais c'est plus particulièrement avec Emiliano et Javier Vargas que l'on prend la pleine mesure du côté inéluctable d'une destinée qui s'inscrit forcément dans la violence. En quelques phrases, Nicolás Ferraro dresse avec une acuité impitoyable, le contexte social dans lequel évolue ces deux frères en nous faisant parfaitement comprendre qu'il ne peut en aller autrement dans cet environnement sans règle, où la police corrompue côtoie les truands de la région. Avec l'énergie du désespoir qui imprègne l'ensemble des protagonistes, l'auteur construit donc une intrigue dantesque et époustouflante jalonnées de seconds couteaux miteux au charme indéniable qui font parfois basculer l'intrigue de manière abrupte avec le sentiment que nul n'est à l'abri d'une destinée funeste. Et puis, au milieu de toute cette virilité, il y a quelques portraits de femmes également dépouillées de toute forme d'espoir dans cette atmosphère délétère à l'instar d'Irina s'efforçant d'entrainer son compagnon du côté de la capital du pays en quête d'un avenir meilleur. Mais dans ce tourbillon de férocité, nulle place pour l'espérance au terme d'un récit redoutable et implacable qui vous coupe le souffle.

     

     

    Nicolás Ferraro : Notre Dernière Part Du Ciel (El Cielo Que Nos Queda). Editions Rivages/Noir 2023. Traduit de l'espagnol (Argentine) par Alexandra Carrasco et Georges Tyras.

    A lire en écoutant : Me Gusta de Charles Ans. Album : Sui Generis. 2018 Charles ANS.

  • RICARDO ROMERO : JE SUIS L’HIVER. PERDU DANS LA PAMPA.

    Capture d’écran 2020-08-12 à 16.13.17.png

    Cela fait maintenant dix ans que la maison d’éditions Asphalte publie de la littérature noire en se focalisant plus particulièrement sur les ouvrages en provenance d’Espagne et des pays d’Amérique du Sud. Nous avons pu ainsi découvrir la trilogie Santiago Quinones de Boris Quercia en nous aventurant du côté du Chili, ou les romans du brésilien Edyr Augusto qui nous entraine, à l’instar de Pssica, aux confins de la région amazonienne, ainsi que les mythiques romans de l'espagnol Carlos Zanón tels que Taxi ou J’ai Eté Johnny Thunders. On trouve également chez Asphalte un grand nombre de récits en provenance d’Argentine comme Puerto Apache de Juan Martini qui nous immergeait dans un de ces bidonvilles autogérés de Buenos Aires. A plus de 400 kilomètres de cet enfer urbain, dans le sud ouest de la province de Buenos Aires, Je Suis l’Hiver, de Ricardo Romero, est un roman policier aux connotations poétiques, voire même oniriques, se situant dans une région perdue des grandes plaines du pays qui portent le même prénom que son héros, le policier Pampa Asiain.

     

    Fraichement émoulu de l’école de police, le jeune Pampa Asiain est affecté à la petite localité de Monge, un bled perdu dans les grandes plaines du sud de Buenos Aires. Le froid mordant de l’hiver, une route unique traversant le village, des pistes de terre battue balayées par le vent qui ne mènent nulle part ou sur des fermes en ruine, il n’y a pas grand chose à faire à Monge que de s’ennuyer ou de se réfugier dans un silo à grain désaffecté pour jouer quelques morceaux avec la guitare de son père défunt. Et puis il y a cet appel téléphonique signalant des pêcheurs démunis d’autorisation qui conduit Pampa sur les rives d’un lac pour y trouver le corps d’une jeune femme pendue aux branches d’un arbre. Étonnement, le jeune agent décide de taire sa découverte afin de découvrir d’une manière peu commune l’auteur du crime. S’ensuit deux longues nuits d’attente dans le froid à observer ce cadavre pendu, oscillant doucement dans le souffle d’un vent glacial. Soudain les phares d’une voiture qui approche …

     

    Garçon effacé et mélancolique, on est avant tout séduit par la personnalité atypique de Pampa Asiain, ce jeune homme habité par la mort de ses parents et notamment de son ivrogne de père estropié qui passait ses journées à écrire des poèmes qui restent figés dans leurs cahiers qu’il a récupérés et dont le dernier contient un vers resté sans suite : Je Suis l’Hiver. Effacé, mélancolique, les caractéristiques du jeune policier qui n’a jamais rêver d’embrasser cette profession font écho au paysage de cette région désolée dans lequel il évolue avec son collègue Andrés Parra. On découvre un individu sensible, attentif aux choses qui l’entourent et qui donne l'impression de se laisser porter par les événements comme une feuille morte balayée par le vent. Ainsi on ne s’étonne pas de son comportement vis-à-vis du cadavre de la jeune femme qu'il découvre pendu à une arbre. Attendre, observer et laisser ses pensées divaguer jusqu’à ce qu’un événement se produise, Pampa Asiain va donc mener à sa manière une enquête singulière s’échelonnant sur cinq chapitres auxquels s’ajoute un nouveau personnage tel que la victime, le meurtrier, son commanditaire et, pour conclure, une vieille femme qui hante les lieux pareille à un fantôme. Un ensemble de portraits saisissants où transparaît cette solitude commune qui lamine ces âmes et ces coeurs tourmentés ainsi que les contours du drame qui se joue autour de ces protagonistes.

     

    Avec un texte aux intonations poétiques où le spleen transparaît à chaque instant tout comme ce froid hivernal qui saisit le lecteur, Ricardo Romero signe avec Je Suis l’Hiver un très beau roman policier oscillant entre le rêve éveillé et l’éclat d’actions lui conférant une terrible noirceur se déclinant au rythme lent d’un hiver qui paraît sans fin.

     

     

    Ricardo Romero : Je Suis l’Hiver ( Yo so el hiverno). Editions Asphalte 2020. Traduit de l’espagnol (Argentine) par Maïra Muchnik.

     

    A lire en écoutant : Utopía de Pedro Aznar & Ramiro Gallo. Album : Utopía. 2019 Pedro Aznar & Ramiro Gallo.

  • Germán Maggiori : Entre Hommes. Le bal des cafards.

    german maggiori, entre hommes, la dernière goutte, roman noir argentin, polar argentine, polar buenos airesAlors bien sûr qu’après avoir tourné la dernière page d’Entre Hommes de Germán Maggiori, nous serons tentés de le classer ou de le barder de références pour trouver quelque chose d’intelligent à dire au sujet de cet ovni littéraire s’affranchissant de toutes les règles. Mais ne cherchez pas Ellroy, encore moins Thompson, parce que Germán Maggiori est un auteur qui s’est émancipé de toutes espèces d’influences pour nous balancer un récit brutal mettant en scène des flics et des truands arpentant les rues chaudes de Buenos Aires, ville laminée par les crises successives et le paco, came pourrie, composée de résidus de coke, de mort aux rats et autres pesticides en tout genre.

     

    Cortez Le Tucumano est un mac pressé qui doit rapidement mettre sur pied une petite orgie pour ses commanditaires. Il ramasse deux travestis et une fille de son staff pour les amener dans un appartement où les attendent un juge, un sénateur et un banquier. Bacchanale endiablée sur festival de coke s’interrompant brutalement avec une overdose fatale pour la fille. C’est d’autant plus gênant que toute la scène a été filmée derrière une glace sans teint et que la vidéo compromettante est désormais dans la nature. Ce sont deux flics de la Division dirigée par Diana Le Boucher qui sont chargés de la retrouver. Un duo charmant que cet ancien tortionnaire et cet obsessionnel psychopathe qui vont remuer tous les égouts de la ville pour parvenir à mettre la main sur l’enregistrement compromettant. Et quand les flics sont plus cinglés que les truands, on peut se demander comment tout cela va se terminer.

     

    Livre culte, « meilleur polar argentin de tous les temps », chef-d’œuvre de la littérature argentine, vous trouverez de nombreux qualificatifs dithyrambiques pour encenser ce roman noir auquel il faut concéder une certaine tendance à la démesure en puisant sa force dans la flétrissure d’une société en pleine décomposition. Cette démesure se traduit dans la violence de scènes parfois dantesques dans lesquelles il ne faudrait pas voir seulement une simple mise en scène sensationnaliste destinée à horrifier le lecteur. Elles sont le miroir d’un quotidien brutal et âpre où l’on ne perçoit déjà plus les règles et les usages pour se focaliser dans une logique de survie sans aucun lendemain.

     

    Conte barbare, Germán Maggiori a construit son récit à coup de grenades pour suivre, de manière parfois chaotique, les parcours hallucinants de personnages hauts en couleur, tous affublés de surnoms à la fois inquiétants et pittoresques à l’instar du Monstre et du Timbré désignant les deux flics véreux opérant dans une brigade où la corruption devient le gagne-pain de tout le personnel qui la compose. C’est au travers de leurs périples que l’on distingue ce système pérenne de désagrégation qui contamine toutes les strates d’une société complètement disloquée que l’auteur dépeint avec une écriture frontale qui va droit au but. Outre les flics, on prend plaisir à suivre les péripéties de cette horde de petites frappes, de braqueurs camés et de truands paumés mettant en place leurs coups foireux avec ce besoin permanent de se détruire la tête à coup de mauvais alcools et de cames pourries. En toile de fond, on découvre également les portraits parfois poignants de ces prostituées et de ces travelos en tout genre, arpentant les trottoirs torrides et les bordels miteux de Buenos Aires en subissant les foudres de dégénérés bestiaux et brutaux avides de faire subir les pires sévices pour apaiser cette colère et cette frustration qui lamine les cœurs.

     

    Dans une atmosphère confinée, où l’odeur de la mort et de la pourriture gangrènent tout un monde déliquescent, Entre Hommes est l’incarnation du mal, de la violence et de l’horreur dans un quotidien abject où l’espoir de rédemption s’envole dans un remugle de sang et de tripes sur fond de rock tonitruant. Un livre qui foudroie.

     

    Germán Maggiori : Entre Hommes. Editions La Dernière Goutte/Fonds noirs 2016. Traduit de l’espagnol (Argentine) par Nelly Guicherd.

    A lire en écoutant : La Gran Explosiòn de Los Violadores. Album : Rey O Reina. 2009 Leader Music

     

  • JUAN MARTINI : PUERTO APACHE. LA BELLE ET LE RAT.

    Asphalte éditions, juan martini, puerto apache, buenos aires, Fuerte Apache,« Nous sommes le problème du XXIème siècle ». C’est ce que l’on peut lire sur une banderole qui orne la périphérie de Puerto Apache, quartier fictif de Buenos Aires qui donne son nom au roman de Juan Martini. S’il est fictif, Puerto Apache s’inspire des bidonvilles, baptisés «villas miseria», bien réels de Fuerte Apache et de la Villa 31 où s’entassent les exclus de la société argentine. Dans cet enfer urbain en bord de mer, que l’auteur a située plus précisément sur la réserve naturelle de Costanera Sur, on se débrouille comme on peut pour survivre.

     

    Dans un hangar pourri du quartier autogéré de Puerto Apache, le Rat en prend plein la gueule. Passé à tabac par trois lascars, il se demande qui peut bien lui en vouloir. Il faut dire qu’il travaille pour le Pélican, un caïd de la ville qui trempe dans des affaires louches liées, entre autre, au trafic de drogue. Mais que pourrait-il bien dire à ses tortionnaires, lui qui ne fait que retenir des séries de chiffres qui n’ont aucun sens, hormis pour celui à qui il les transmet. Qu’à cela ne tienne, il lui faut s’extirper des griffes des trois losers qui lui fracasse la tête, passer à la maison pour prendre son 38 et parcourir les rues de Buenos Aires, afin de présenter ses hommages à l’ensemble de la filière pour savoir qui peut bien vouloir lui faire la peau.

     

    En subissant un passage à tabac bien en règle, on peut dire qu’on entre de plein pied dans le monde brutal du Rat, petit voyou de Puerto Apache, qui nous dévoile son parcours avec un langage de la rue à la fois tonique et narquois posant ainsi un regard lucide et désenchanté sur son petit univers de trahisons et de violences. De réflexions en digressions parfois tragi-comiques, l’auteur dresse de manière percutante, un portrait piquant d’un personnage attachant et haut en couleur. Roman noir et social tout à la fois, nous découvrons ce quartier de misère où évolue le personnage principal et sa cohorte d’exclus qui s’organisent du mieux qu’ils peuvent pour survivre tout en faisant face aux autorités qui ne peuvent accepter ce bidonville en bord de mer. Dirigé par la « Première Junte » dont fait partie le père du Rat, on découvre la vie sociale de ce quartier atypique où l’on a installé dans le même bâtiment, une mairie et un bordel pour faire face aux risques sanitaires liés aux infections sexuellement transmissibles. Malgré les ravages de la violence et de la drogue qui gangrènent le secteur, il y a cette volonté de bâtir une vie sociale s’incarnant notamment avec la construction d’un cinéma de fortune.

     

    Avec Puerto Apache, l’auteur met en exergue les conséquences des crises successives qui ont secoué le pays en soulignant l’imbrication de l’économie parallèle des trafics en tout genre dans les circuits financiers officiels de la ville. Bars clandestins où officient les petits caïds de la drogue, hôtels de luxe où siègent les pontes politiques, bars branchés peuplés de mannequins affriolants, Le Rat parcourt les rues de Buenos Aires en quête de vérité sur fond de règlements de compte qui ne sont pas étranger avec le coup d’état qui se prépare à Puerto Apache.

     

    Dans un contexte à priori masculin, les femmes sont un peu en retraits, même si leurs rôles respectifs restent prépondérants dans la dynamique du récit. La belle Marù devient ainsi le pivot des relations qui se nouent entre Le Rat, incarnation des bas-fonds de la ville, Le Pélican, narcotrafiquant brutal et Monti, un politicien véreux bien plus dangereux qu’il n’y paraît. Vivant dans les beaux quartiers de la ville, Marù devient l’alter ego du Rat en adoptant les attitudes les plus viles afin de pouvoir survivre dans son propre univers qui, derrière son opulence de facade, apparaît sous un jour aussi dur et cruel que celui de Puerto Apache.

     

    Par le biais d’un texte précis et efficace qui nous permet de nous accrocher à une intrigue éclatée et tortueuse, Puerto Apache nous entraîne ainsi sur la scène urbaine d’une ville aussi trépidante que le roman. L’Argentine dans tous ses états.

     

      

    Juan Martini : Puerto Apache. Asphalte éditions 2015. Traduit de l’espagnol (Argentine) par Julie Alfonsi et Aurélie Bartolo.

    A lire en écoutant : Je Ne T’aime Plus de Manu Chao. Album : Clandestino. Virgin Records 1998.