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03. Roman policier - Page 10

  • Joachim Beat Schmidt : Kalmann. Diversité et nature.

    Joachim beat Schmidt, kalmann, éditions gallimard, collection la noireOn regrette avant tout cette barrière des langues entravant l'essor de la littérature noire helvétique restant figée dans un développement régional soulignant l'absence d'audace et de curiosité à l'exception de la regrettée édition des Sauvages qui avait publié quelques romans de Sunil Mann et de Plaisir de Lire nous proposant, il y a de cela plusieurs années, les textes d'un auteur tessinois et d'une romancière grisonnaise. Des initiatives isolées qui restent malheureusement sans lendemain. Pourtant, depuis peu, on observe en France un frémissement de l'intérêt pour l'ensemble des régions linguistiques de la Suisse avec la publication chez Finitude du premier roman du tessinois Lucas Brunoni intitulé Les Silences tandis que chez Gallimard, pour la collection La Noire, on publie Kalmann, un roman noir se déroulant en Islande, terre d'adoption du grisonnais Joachim Beat Schmidt récipiendaire du Crime Cologne Award et du troisième Prix  Polar Suisse à Granges, unique festival de littérature noire accueillant l'ensemble des auteurs du pays, quelle que soit leur langue ou leur canton d'origine.

     

    Kalmann Oòinsson c'est le shérif de Raufarhöfn, petit port de pêche islandais se situant non loin du cercle polaire arctique. On le reconnaît tout de suite avec son chapeau de cow-boy, son étoile et son mauser qu'il porte à la ceinture et qui lui a été légué par un père américain qu'il n'a jamais rencontré. Il déambule ainsi dans les rues de cette localité déclinante depuis que les quotas de pêche ont été imposés. Plus rien n'est comme avant, mais Kalmann s'en moque un peu puisqu'il continue à pêcher le requin comme le faisait son grand père vivant désormais dans un home pour personnes âgées et à qui il rend visite régulièrement. Esprit simple que rien ne déroute jamais, il chasse également le renard. Et c'est lors de l'un de ses périples qu'il découvre une grande tâche d'hémoglobine que les flocons recouvrent déjà. Se pourrait-il qu'il s'agisse du sang de Robert McKenzie, l'homme fort de la bourgade qui a disparu depuis quelques jours ? En témoin principal de ce qui pourrait apparaître comme une scène de crime, Kalmann va devoir répondre aux questions de la police. Pas certain que ses réponses déroutantes puissent satisfaire les enquêteurs qui ne sont pas là pour rigoler, ceci dautant plus que tout laisse à penser qu'il en sait davantage qu'il ne veut bien le dire.

     

    Suisse allemand d'origine ayant choisi d'émigrer en Islande en se faisant naturaliser, il fallait sans doute un parcours tel que celui de Joachim Beat Schmidt pour évoquer cette contrée d'adoption mythique en sortant des registres du polar nordique. A certains égards, Kalmann nous rappelle les ouvrages de la fameuse série Martin Beck de Maj Sjöwall et Per Wahlöö publiés bien avant cette saturation de littérature noire venue du nord, en délaissant le récit d'atmosphère pour se concentrer sur le thème social. Au-delà de l'intrigue policière, Joachim Beat Schmidt distille son amour de cette terre d'Islande en abordant, en toile de fond, le sujet de l'écologie et de cette faune à la fois sauvage et fragile qu'il faut sauvegarder avec toutes les conséquences qui en découlent telles que les quotas de pêche mettant en péril l'économie de ces petits ports qui périclitent à l'instar de Raufarhöfn abritant l'Artic Henge, impressionnant monument de pierre destiné à attirer les touristes et qui devient l'une des scènes de crime du roman. Il n'y a rien de grandiloquent ou de pompeux dans le sujet abordé car Joaquim Beat Schmidt a eu le coup de génie d'articuler son récit autour du point de vue de Kalmann qui apparait comme l'idiot du village mais dont la sagesse brut et le regard pragmatique imprégné de naïveté ne cesse de nous interpeller tout en nous amusant parfois au gré d'échanges d'une absurdité hilarante. Autour de ce personnage lumineux, gravite toute une galerie d'individus charismatiques animant ce village nordique au charme indéniable mais qui nous extrait pourtant de tous les clichés nordiques émanant d'un tel environnement. Et puis il faut souligner les qualités narratives de cette enquête policière sortant des sentiers battus en nous permettant d'appréhender le cadre social de cette localité à bout de souffle souffrant notamment de la déshérence des institutions étatiques, ersatz des affres de la crise économique qui a balayé le pays. Au gré d'investigation quelque peu maladroites, Kalmann croise donc les membres de cette petite communauté portant sur lui un regard amusé, parfois narquois à l'exception de sa mère bien évidemment, mais également de son grand-père où l'on décèle l'émotion se dégageant d'une relation très forte qui unis les deux hommes en dépit de la mémoire défaillante du vieil homme appréciant toujours autant le requin fermenté que lui prépare son petit fils. D'une originalité réjouissante, qu'une scène finale époustouflante ne démentira pas, Kalmann nous permet d'appréhender, avec un bel équilibre entre l'intrigue policière décalée, le marasme du contexte économique dans lequel évolue les personnages ainsi que le cadre sublime où la faune sauvage y joue un rôle prépondérant, toute la fragilité d'une région reculée de l'Islande oscillant entre les intérêts de l'entrepreneuriat et la préservation des espèces sur le déclin que Joachim Beat Schmidt met sur le devant de la scène au gré d'un plaidoyer sensible et nuancé. Au final, Kalmann se révèle être un roman exceptionnel qui ne manquera pas de réconcilier certains lecteurs avec le polar nordique dont ils n'attendaient plus grand chose.

     


    Joachim Beat Schmidt : Kalmann (Kalmann). Editions Gallimard/Collection La Noire 2023. Traduit de l'allemand (Suisse) par Barbara Fontaine. 

    A lire en écoutant : The Anchor Song de Björk. Album : Debut. 1993 Bapsi Ltd. /One Little Independent Records.

  • JOSEPH INCARDONA & THOMAS OTT : LONELY BETTY. INSPIRATION.

    Capture d’écran 2023-05-29 à 20.49.17.pngDans l'univers du noir émerge la lumière et c'est cette particularité qui définit l'oeuvre sombre de ces deux artistes suisses que sont Joseph Incardona, auteur lausannois de romans se situant à la périphérie des genres et Thomas Ott, illustrateur zurichois se distinguant avec la technique de la carte à gratter où l'incision avec un cutter japonais laisse apparaître un dessin en noir sur blanc aux tonalités à la fois poétiques et inquiétantes. Evoluant sur des registres semblables de la littérature noire et de l'univers underground, il était donc logique que ces deux artistes helvétiques se rencontrent en travaillant autour d'un projet commun avec la réédition aux éditions Finitude de Lonely Betty, roman emblématique de Joseph Incardona désormais enrichi de sept illustrations de Thomas Ott soulignant l'atmosphère angoissante d'un texte aux contours fantastique rendant hommage à un grand romancier du genre.

     

    joseph incardona,thomas ott,lonely betty,éditions finitudeA la veille de Noël, il neige sur Durham, cette petite ville du Maine où vit Betty Holmes et dont la communauté s'apprête à fêter ses 100 ans. Séjournant dans un home pour personnes âgées, cette ancienne institutrice s'est murée dans le silence depuis 54 ans, suite à la disparition tragique de trois de ses élèves. Un événement dont elle ne s'est jamais remise. Mais alors que l'on célèbre son anniversaire, la vieille femme surprend tout son entourage en vomissant sur son gâteau avant de faire entendre le son de sa voix en exigeant de voir immédiatement le lieutenant à la retraite John Markham. Elle a des révélations à faire au sujet de l'un de ses anciens élèves devenu célèbre. Mais après s'être confiée auprès du policier, Betty ne célèbrera pas Noël. Que peut-elle bien avoir raconté au vieil enquêteur chevronné ?

     

    On se réjouit de la mise au goût du jour de ce bref ouvrage d'une centaine de pages empruntant tous les codes du genre avec une convergence entre le roman policier et le roman fantastique s'articulant autour du caractère marqué d'une galerie de personnages sublimant un récit aux entournures malicieuses et au final fracassant, véritable déclaration d'amour à l'une des grandes figures de la littérature populaire. Sur la base de ce pastiche nuancé à l'ambiance inquiétante, joseph incardona,thomas ott,lonely betty,éditions finitudeThomas Ott nous offre sept illustrations dont les cadrages élaborés soulignent la tension de l'intrigue en marquant les temps forts de chacune des parties du roman. On y distingue ainsi, l'infirmière pulpeuse, le vieux flic revenu de tout, la silhouette des trois élèves disparus s'enfonçant dans la forêt, Betty bien évidemment ainsi que son célèbre élève lui causant tant de tourments. Comme un fait exprès, Thomas Ott s'emploie à dissimuler une partie des traits des protagonistes que ce soit par le biais du cadrage ou de la lumière en jouant avec le contre-jour, afin d'accentuer la part de mystère et de singularité émanant d'une histoire aux allures de conte obscur sublimé d'illustrations aux détails envoûtants, lui conférant une envergure phénoménale et détonante. Symbiose de l'image et du texte, Lonely Betty incarne ainsi le choc d'une rencontre artistique d'envergure qu'il convient de saluer.

     

    Joseph Incardona & Thomas Ott : Lonely Betty. Editions Finitude 2023.


    A lire en écoutant : Lonely Betty de The Pollies. Album : Not Here. 2015 Single Lock Records.

  • MIGUEL SZYMANSKI : LA GRANDE PAGODE. PAYS A VENDRE.

    éditions Agullo, la grande pagode, miguel szymański

    Service de presse.

     

    Ce qu'il y a de réjouissant avec une maison d'éditions comme Agullo, c'est cette propension à explorer des territoires méconnus de l'Europe en nous permettant de faire connaissance avec des auteurs qui ont pris une place prépondérante dans le paysage de la littérature noire et blanche à l'instar des polonais Wojciech Chmilarz, Magdalena Parys et tout dernièrement Maryla Szymiczkowa, nom de plume d'un duo de romanciers mariés à la ville que sont Jacek Dehnel et Piotr Tarczynski. On pense également au croate Jurica Pavičić dont le succès ne se dément pas avec des romans d'une grande envergure tout comme les récits dantesques d'Arpad Soltesz se déroulant en Slovaquie. Même s'il porte, lui aussi, un nom aux consonances slaves, on s'éloigne pourtant radicalement des contrées de l'est avec Miguel Szymanski, pour se rendre du côté du Portugal, terre d'origine de ce romancier travaillant également comme journaliste spécialisé dans le domaine de l'économie. C'est surtout l'occasion d'explorer cette culture lusitanienne méconnue en arpentant notamment les rues de Lisbonne en compagnie du journaliste Marcelo Silva dont on découvrait la première enquête avec Château De Cartes (Agullo évoquant les scandales financiers qui ont conduit le pays au bord de la faillite. Avec La Grande Pagode, second opus de la série, on reste sur le même registre économique pour retrouver Marcelo Silva au prise avec des individus s'opposant à l'accord que le Portugal s'apprête à signer avec La Chine.

     

    Une ministre, se retrouvant dans un situation compromettante, démissionne pour des raisons de "santé". Son chauffeur git sans vie sur la plage da Ursa, la plus occidentale d'Europe continentale. Et puis il y ce yacht luxueux, propriété d'un milliardaire chinois, qui mouille dans les eaux du Tage. Pas de doute, cela bruisse dans les arcanes du pouvoir avec l'imminence de cet accord conclu entre le Portugal et la Chine. Pour les opposants, il s'agit d'une menace sans équivoque planant sur l'autonomie du pays ainsi que sur son environnement, avec la perspective d'une exploitation outrancières des sous-sols. Ces opposants on les trouve aussi bien dans les milieux des hautes instances politiques que dans des quartiers clandestins comme Terroso, situé à la périphérie de Lisbonne. Mais il ne fait pas bon faire barrage aux velléités des dirigeants de l'Empire du Milieu qui n'hésitent pas à employer tous les moyens pour parvenir à leur fin avec l'appui des services secrets du pays. C'est ainsi que l'on peut retirer de la circulation un livre dénonçant l'accord tandis que la journaliste qui l'a rédigé trouve la mort lors d'un contrôle de police. Dans cet atmosphère délétère, Marcelo Silva, de retour au Portugal après s'être exilé quelques mois à Berlin, est bien décidé à rendre justice à son amie, ceci au péril de sa vie.

     

    Même si cela n'est pas indispensable, il est préférable de lire tout d'abord Château De Cartes pour mieux comprendre la trajectoire de Marcelo Silva, et plus particulièrement la raison de son exil à Berlin, et percevoir plus distinctement les rapports qu'il entretient avec Margarida, personnage central du récit précédent, qui plane désormais comme une ombre sur l'intrigue de La Grande Pagode et dont on découvrira le destin au terme d'un épilogue aux tonalités mélancoliques. Sur l'espace de cinq jours, le récit s'articule donc autour de l'imminence de cet accord entre la Chine et le Portugal, permettant à Miguel Szymanski de décrypter tous les enjeux sous-jacents avec l'Empire du Milieu bien évidement, mais également avec l'Europe et les USA qui comptent asseoir leurs influences respectives à l'égard d'un pays dont l'économie fragile le place dans une situation de vulnérabilité. On prend conscience de la situation avec Lúcia Salvador, cette ministre de l'économie démissionnaire qui entretient une relation assez singulière avec son fils Tiago Salvador totalement opposé à l'idée d'un tel accord. Autour de ces deux protagonistes, Miguel Szymanski déroule une enquête policière échevelée, manquant parfois un peu de tenue, mais qui va se révéler beaucoup plus surprenante que ce que ne laisse présager les éléments préliminaires du meurtre déroutant du chauffeur de cette ministre de l'économie déchue. Afin de donner plus d'écho aux enjeux économiques qui se jouent entre les deux nations, Marcelo Silva va retrouver Adriana Zuzarte, ancienne collègue journaliste et ex-compagne, qui vient d'écrire un essai, intitulé La Grande Pagode, dénonçant ce rapprochement sulfureux entre la Chine et le Portugal. Une femme audacieuse qui fait désormais l'objet d'un campagne de dénigrement qui va s'achever de manière dramatique. Mais au-delà des aspects économiques habilement mis en perspective au gré d'une intrigue policière prenant l'allure d'un complot aux contours incertains, on apprécie, une nouvelle fois, cette découverte de Lisbonne en compagnie d'un Marcelo Silva, esthète bon vivant, arpentant les rues de la capitale en mettant en valeur notamment tous les aspects savoureux d’une gastronomie régionale qui ne manquera pas de nous faire saliver. Si Lisbonne est mise ainsi en valeur, Miguel Szymanski va également nous entraîner dans sa périphérie et plus particulièrement du côté du Terroso, un bidonville abritant des clandestins en provenance de l'Angola et du Brésil et où l'on rencontre quelques individus pittoresques à l'image du capitaine Ali ou de Mãe Gorde, un femme aux origines africaines et dont l'influence sur la communauté est aussi respectable que son âge. Il émane ainsi de cette galerie de portraits, un récit au charme indéniable autour duquel se décline une intrigue policière chaotique, mettant en lumière les contours d'un ordre économique mondial qui bouleverse tout sur son passage avec les conséquences tragiques qui en découlent et dont Marcelo Silva est le témoin impuissant.

     

    Miguel Szymański : La Grandę Pagode (O Grande Pagode). Editions Agullo/Noir 2023. Traduit du portugais par Daniel Matias.

    A lire en écoutant : Ó Gente da Minha Terra (piano version) de Mariza. Album : Fado Em Mim. 2011 Warner Music Portugal, Lda under exclusive license to Taberna da Musica, Lsa.

  • ABIR MUKHERJEE : LE SOLEIL ROUGE DE L'ASSAM. CONDUCTEUR ELECTRIQUE

    abir mukherjee, le soleil rouge de l'Assam, éditions liana leviS'il est né à Londres, Abir Mukherjee a grandi en Ecosse, plus particulièrement du côté de Glascow au sein d'une famille aux origines indiennes en provenance de la région de Calcutta où certains membres continuent d'ailleurs à séjourner de manière occasionnelle. Il n'y a donc pas de hasard pour cet auteur écossais, que l'on affilie désormais sous l'appellation du "tartan noir", de prendre pour cadre cette capitale du Bengale-Occidental dans laquelle évoluent le capitaine Sam Wyndham et le sergent Satyendra Barnejee au gré d'une série policière se déroulant durant la période historique de l'empire et du régime colonial britannique. Débutant en 1919 avec L'Attaque Du Calcutta-Darjeeling (Liana-levi 2019), Abir Mukherjee s'est focalisé sur les débuts du mouvement pour l'indépendance qui vont bien évidemment avoir une influence sur l'ensemble de ses intrigues policières au style mordant, voire même parfois cynique, afin de mettre en relief le racisme ordinaire qui prévaut au sein du Raj britannique, comme le démontre Les Princes De Sambalpur (Liana Levi 2020) se déroulant dans le petit royaume de l'Orissa gouverné par un vieux maharadjah ou Avec La Permission De Gandhi (Liana Levi 2022) nous permettant revivre, à Calcutta en 1921, la visite chahutée du prince de Galles. Outre l'aspect des énigmes policières qui sont d'ailleurs extrêmement bien construites, l'arche narrative de l'ensemble de la série se concentre également sur les rapports qu'entretient le capitaine Sam Wyndham, issu des rangs de Scotland Yard à Londres, avec son camarade Satyendra Banerjee, natif de Calcutta. Des relations qui vont évoluer et prendre une tournure singulière avec Le Soleil Rouge De L'Assam, nouvel opus de la série nous entraînant dans une région de l'est de l'Inde, notamment connue pour sa propre variété de thé mais également pour ce phénomène étrange et récurrent d’une multitude d'oiseaux trouvant la mort dans d'étranges circonstances.

     

    Ce n'est pas une sinécure que de se débarrasser de son addiction à l'opium. Le capitaine Sam Wyndham en sait quelque chose lui qui s'est réfugié dans un ashram au coeur de l'Assam pour ingurgiter quelques tisanes infectes lui donnant la nausée comme pour extirper le mal qui l'habite. Mais en ce mois février 1922, ce n'est pas seulement sa démarche pour se désintoxiquer qui le trouble alors qu'il vient de croiser cette silhouette entraperçue sur le quai de la gare de Lumding lui rappelant un fantôme du passé au temps où il officiait en 1905 comme jeune policer de Scotland Yard, dans le quartier populaire de Whitechapel, à l'est de Londres. Sam Wyndham se remémore ainsi cette première enquête délicate où le meurtre d'une jeune femme défraie la chronique, ce d'autant plus que le principal suspect est d'origine juive alors que l'antisémitisme est monnaie courante au sein de toutes les couches de la population londonienne qui voient d'un mauvais oeil l'arrivée de cette communauté ostracisée. Mais outre le passé, Sam Wyndham doit également affronter le présent avec la mort suspecte d'un des pensionnaires de l'ashram. Deux enquêtes croisées qui mettent en exergue les affres de l'exclusion et de l'injustice sociale. 

     

    C'est une atmosphère étrange, presque maléfique qui pèse sur l'ensemble du récit et plus particulièrement sur la partie se déroulant dans cette province reculée de l'Assam où l'on assiste notamment à cette étrange pluie d'oiseaux trouvant la mort dans des circonstances inexpliquées qui ne fait que renforcer le sentiment de malédiction qui plane sur la région. Et puis il y a ce fantôme de passé qui croise la route du capitaine Sam Wyndham nous permettant de nous immerger dans le quartier populaire de Whitechapel où l'on distingue encore l'ombre de Jack l'Eventreur sévissant autrefois dans le secteur. Entre 1905 à Londres et 1922 dans l'est de l'Inde, Le Soleil Rouge De L'Assam nous entraîne donc sur deux intrigues en parallèle autour desquels l'auteur bâtit une double énigme de meurtres dans une chambre close avec l'ingéniosité qui le caractérise désormais. Tout cela nous permet d'entrevoir la discrimination et plus particulièrement l'antisémitisme qui sévit en Angleterre et plus particulièrement dans les quartiers populaires de Londres en nous renvoyant ainsi à ce racisme ordinaire qui prévaut dans les colonies de l'Empire et plus spécifiquement en Inde avec toute la clairvoyance d'un romancier qui sait manier cet humour cinglant pour mettre en exergue les injustices sociales d'un royaume qui court forcément à sa perte. Même s'il ne semble pas toujours en avoir conscience, que ce soit en Angleterre ou en Inde, le capitaine Sam Wyndham assiste donc à cette lutte des classes qui touche aussi bien la caste modeste des ouvriers de Whitechapel que celle encore plus miséreuse des paysans de l'Assam, victimes toutes deux d'une classe dirigeante sans scrupule. Dans un tel contexte, on assistera à une certaine tension entre Wyndham et Banerjee qui, au-delà de l'amitié qui les unit, nous ramène à leurs conditions respectives qui vont forcément les opposer au gré d'événements historiques qu'Abir Mukherjee sait dépeindre à la perfection, comme il l'a déjà mainte fois prouvé, et que l'on se réjouit d'ores et déjà de découvrir dans les romans à venir d’une série policière qui n’a pas fini de nous surprendre.

     

    Abir Mukherjee : Le Soleil Rouge de lAssam (Death In The East). Editions Liana Levi  2023. Traduit de l'anglais par Fanchita Gonzalez Battle.

    A lire en écoutant : Sitara de DIVINE et Jonita Gandhi. Album : Gunehgar. 2022 Gully Gang / Mass Appeal India.

  • SIMONE BUCHHOLZ - RUE MEXICO. AMOUR INCANDESCENT.

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    Service de presse.

     

    Ce n'est pas tant une histoire de parité, ce n'est pas tant une logique de quantité, mais bien une question d'attitude qui font que bon nombre d'héroïnes de la littérature noire occupent désormais une place à part en projetant un regard bien particulier sur le monde qui nous entoure à l'instar de Chastity Riley, cette procureure allemande, officiant à Hambourg et dont l'apparition sous la plume de Simone Buchholz coïncidait avec la création de la collection Fusion nous proposant le fameux Nuit Bleue (Atalante/Fusion 2021), texte d'une audace et d'une originalité narrative peu commune nous entraînant dans le monde interlope des nuits hambourgeoises sur fond de trafic de stupéfiants provenant des cités de l'ancienne Allemagne de L'Est. Avec Béton Rouge (Atalante/Fusion 2022), second roman de la série de celle que l'on surnomme désormais "Chas", Simone Buchholz abordait le thème de la maltraitance d'enfants en nous emmenant notamment du côté de la Bavière tout en évoquant les dérives des grandes entreprises allemandes et plus particulièrement celles des grands groupes médiatiques. C'est peu dire que l'on apprécie de retrouver cette femme au profil peu commun oscillant entre force et détermination dans le cadre de son travail et une certaine fragilité qui transparait notamment dans la contexte de sa vie sentimentale qui va connaître quelques aléas dans Rue Mexico, troisième roman de la série que Claudine Layre traduit toujours aussi brillamment.

     

    Les voitures brûlent dans toutes les villes du monde et Hambourg ne déroge pas à la tradition. Pourtant dans l'une d'entre elles, on extirpe le cadavre d'un jeune homme que l'on identifie rapidement comme étant le fils du clan Saroukhan, une communauté de l'ancien empire ottoman qui trempe désormais dans le trafic de drogue du côté de Brême. Chargée de l'enquête, Chastity Riley va devoir dresser le profil de la victime pour tenter de retrouver l'auteur du meurtre. Peut-être obtiendra-t-elle de l'aide de la mystérieuse jeune femme qu'elle a aperçu sur le toit d'un immeuble et qui a probablement assisté à toute la scène ? Parviendra-t-elle à extirper quelques éléments de cette communauté soudée qui ne souhaite pas frayer avec les autorités ? Et qu'en est-il de cette compagnie d'assurance pour laquelle travaillait la victime en lui offrant de confortables rémunérations ? Et puis comme pour interférer dans une enquête déjà difficile, il y a le retour de Inceman, un ancien amant qui va bousculer la vie sentimentale de Chastity Riley.

     

    On remarque un certain dépouillement qui caractérise l'ensemble des intrigues narratives de la série Chastity Riley permettant à Simone Buchholz d'aborder de manière assez directe les thèmes sociaux qu'elle souhaite mettre en exergue. Pour ce qui est de Rue Mexico, la romancière aborde donc le sujet de la migration et de l'intégration et de toutes les difficultés qui en découlent, ceci pus particulièrement au travers de cette communauté Mahallami issue des tribus ottomanes d'autrefois et qui est désormais apatride. Pour en découvrir certains contours, on adoptera les points de vue de Nouri et d'Aliza défiant leurs familles respectives pour vivre leur histoire d'amour remontant à l'enfance, en refusant de suivre les préceptes et les traditions quitte à subir la violence et le rejet. Comme à l'accoutumée, Simone Buchholz nous offre avec Aliza, le portrait d'une jeune femme au caractère bien affirmé nous évitant ainsi l'écueil de l'émotion facile et larmoyante pour s'intéresser à cette détermination qui anime ce personnage d'un force peu commune qui nous renvoie évidemment vers Chastity Riley confrontée une nouvelle fois aux aléas de sa vie privée. Mais il faut également s'intéresser à la trajectoire de Nouri Saroukhan qui, en quittant une famille aux comportements tribaux, voire mafieux, en intègre une autre, ceci sur le plan professionnel en refusant d'intégrer les codes de conduite d'une compagnie d'assurance et plus particulièrement de ses collègues en quête de performances à tout prix. Avec des comportements similaires tout aussi douteux les uns que les autres, on observe ainsi l'impasse dans laquelle s'engouffre ce jeune homme rejetant les règles familiales et professionnelles le conduisant à finir dans une voiture enflammée. Tout l'enjeu réside donc à déterminer qui a pu attenter à la vie de Nouri au détour d'une enquête aux contours incertains en s'achevant sur une scène abrupte et détonante qui désarçonnera une nouvelle fois le lecteur. 

     

    Encore davantage de poésie et de spleen émergent de Rue Mexico où Simone Buchholz décline au détour de ces voitures s'embrasant dans les villes du monde, d'une phrase brève, voire même d'un unique mot qui sonne toujours juste, la fragilité des pensées incertaines d'une femme étonnante trouvant le réconfort autour d'un verre qu'elle partage avec ses amis et collègues policiers que l'on retrouve avec un même plaisir dans cette atmosphère chaleureuse du Blau Nacht, bar attitré d'une procureure au charme indéniable.

     

    Simone Buchholz : Rue Mexico (Mexikoring). Editions de l'Atalante, collection Fusion 2023. Traduit de l'allemand par Claudine Layre.

    A lire en écoutant : Hotel Bar de Tindersticks. Album : Stars at Noon (Original Soundtrack). 2022 Lucky Dog / City Slang.