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Portugal

  • PEDRO GARCIA ROSADO : LE CLUB DE MACAO. JUNGLE SOCIALE.

    le club de macao,éditions chandeigne,pedro garcia rosadoMême si elle s'est diversifiée depuis, la maison indépendante Chandeigne s'est spécialisée dans tout ce qui a trait aux récits de voyage et au monde lusophone en publiant toute une diversité d'ouvrages allant des essais aux recueils de poésie, en passant par de beaux-livres grands formats, aux romans bien sûr et aux récits historiques souvent agrémentés d'illustrations et de cartes de l'époque qui font le bonheur tant du grand public que des spécialistes. L'autre particularité de l'entreprise, c'est la qualité apportée à chacune des publications que ce soit dans le choix du papier et le soin de la typographie ainsi que dans la beauté sobre des couvertures au toucher légèrement rugueux que l'on apprécie tant et qui se fait de plus en plus rare. Les quelques romans policiers du catalogue ne font pas exception comme on peut le constater avec Le Club De Macao du romancier et journaliste portugais Pedro Garcia Rosedo qui s'inspire des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire de son pays dont il a décliné une dizaine de fictions en adoptant le registre du roman noir lui permettant de se livrer à une critique sociale cinglante de la bonne société lisboète. Ainsi pour ce qui concerne Le Club De Macao, l'auteur fait allusion au retentissant procès de la "Casa Pia", du nom de cette institution étatique pour enfants défavorisés qui ont été abusés durant des décennies dans ce qui apparaît comme le plus grand scandale pédophile du Portugal impliquant les plus hautes instances de la politique et du show-business. 

     

    le club de macao,éditions chandeigne,pedro garcia rosadoEn 1986, désireux de pimenter leur vie et de tromper la routine au sein de cette colonie portugaise de Macao, le juge Carlos de Sousa Ribeiro s'associe avec trois fonctionnaires de police, un présentateur de télévision et un médecin afin de mettre sur pied le Club de Macao qui n'est rien d'autre qu'une maison de passe où ils peuvent assouvir leurs bas instincts avec de jeunes adolescentes chinoises qui sont prêtes à tout pour s'extraire de leur misérable condition. Mais lorsque l'une d'entre elles est retrouvée éventrée dans l'appartement de son souteneur, le club est dissous et chacun des membres quitte précipitamment la ville pour retourner au Portugal.

    Vingt ans plus tard, lorsque le juge Carlos de Sousa Ribeiro, devenu procureur général, manifeste son ambition de devenir candidat à l'élection présidentielle les affaires du passé ressurgissent ce qui le pousse à entrer en contact avec certains anciens membres du club qu'il a perdu de vue et qui lui témoignent une certaine rancoeur. Mais l'essentiel c'est de faire en sorte que les fantômes restent à leur place, calfeutrés dans l'oubli, et que rien ne trouble la vie de ces notables désireux de conserver leurs privilèges et éviter le moindre scandale qui semble pourtant devenir l'enjeu de cette élection à venir où des forces occultes s'opposent dans ce qui apparaît comme une véritable partie d'échec aux entournures mortelles. 

     

    Se déroulant à Macao pour une partie de l’intrigue, et principalement du côté de Lisbonne et de ses environs, Le Club de Macao n'a rien d'un récit exotique et s'inscrit dans un registre extrêmement sombre où l'on prend conscience de la perfidie de chacun des protagonistes, anciens membres de ce cercle abject, et plus spécifiquement du policier Carlos Vasques et du procureur général Carlos de Sousa Ribeiro qui s'affrontent dans une déclinaison de manœuvres d'une habilité tortueuse afin d'assouvir sa soif de vengeance pour l'un et ses ambitions politiques pour l'autre, tout en essayant de se soustraire tous deux au scandale qui risque de rejaillir sur eux. De l'ensemble des personnages émane cet entre-soi de la bourgeoisie portugaise ainsi que ce sentiment d'impunité et d'arrogance que Pedro Garcia Rocade diffuse tout au long d'une intrigue subtile et complexe se déclinant sous la forme d'une espèce de partie d'échec redoutable où tous les coups sont permis et dont certains aspects symboliques émergent au gré des péripéties des différents adversaires qui se défient en permanence. On perçoit ainsi les accointances entre les diverses officines privées et étatiques, mais également les rivalités et les ambitions que l’on tente de museler à coup d’intimidations et de chantages prenant de plus en plus d’ampleur à mesure que l’on progresse dans le cours d’un récit débutant sur un rythme paisible soudainement ponctué d'éclats d'une violence brutale avant de nous entrainer sur un mode beaucoup plus trépident révélant les travers d'individus dénués de scrupule. Et puis en toile de fond, on distingue les méandres d'un procès biaisé sur un réseau pédophile dont certains éléments vont rester dans l’ombre afin de servir les intérêts de ce procureur général désireux d’assouvir ses ambitions afin d’accéder à la plus haute instance du pouvoir exécutif du Portugal. Autant dire que l'on glisse peu à peu dans une atmosphère lourde en frayant avec toute une galerie d'individus peu recommandables n'hésitant pas à retourner leur veste ou à prendre de la distance avec les alliés en perte de vitesse qu'ils trahiront sans aucun remord. Véritable critique sociale des hautes sphères de la société portugaise engluée dans des scandales défrayant l'actualité, Le Club de Macao se distingue par son écriture à la fois érudite et subtile mettant en exergue une narration extrêmement bien orchestrée, toute en tension, s'achevant sur une dernière scène à l'impact dévastateur. Une belle découverte.  
       

    Pedro Garcia Rosado : Le Club De Macao. Editions Chandeigne 2020. Traduit du portugais par Myriam Benarroch & Nathalie Meyroune. Livre de Poche 2021. 

    A lire en écoutant : On & On de Erykah Badu. Album : Baduizm. 2016 Universal Records.

  • MIGUEL SZYMANSKI : LA GRANDE PAGODE. PAYS A VENDRE.

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    Service de presse.

     

    Ce qu'il y a de réjouissant avec une maison d'éditions comme Agullo, c'est cette propension à explorer des territoires méconnus de l'Europe en nous permettant de faire connaissance avec des auteurs qui ont pris une place prépondérante dans le paysage de la littérature noire et blanche à l'instar des polonais Wojciech Chmilarz, Magdalena Parys et tout dernièrement Maryla Szymiczkowa, nom de plume d'un duo de romanciers mariés à la ville que sont Jacek Dehnel et Piotr Tarczynski. On pense également au croate Jurica Pavičić dont le succès ne se dément pas avec des romans d'une grande envergure tout comme les récits dantesques d'Arpad Soltesz se déroulant en Slovaquie. Même s'il porte, lui aussi, un nom aux consonances slaves, on s'éloigne pourtant radicalement des contrées de l'est avec Miguel Szymanski, pour se rendre du côté du Portugal, terre d'origine de ce romancier travaillant également comme journaliste spécialisé dans le domaine de l'économie. C'est surtout l'occasion d'explorer cette culture lusitanienne méconnue en arpentant notamment les rues de Lisbonne en compagnie du journaliste Marcelo Silva dont on découvrait la première enquête avec Château De Cartes (Agullo évoquant les scandales financiers qui ont conduit le pays au bord de la faillite. Avec La Grande Pagode, second opus de la série, on reste sur le même registre économique pour retrouver Marcelo Silva au prise avec des individus s'opposant à l'accord que le Portugal s'apprête à signer avec La Chine.

     

    Une ministre, se retrouvant dans un situation compromettante, démissionne pour des raisons de "santé". Son chauffeur git sans vie sur la plage da Ursa, la plus occidentale d'Europe continentale. Et puis il y ce yacht luxueux, propriété d'un milliardaire chinois, qui mouille dans les eaux du Tage. Pas de doute, cela bruisse dans les arcanes du pouvoir avec l'imminence de cet accord conclu entre le Portugal et la Chine. Pour les opposants, il s'agit d'une menace sans équivoque planant sur l'autonomie du pays ainsi que sur son environnement, avec la perspective d'une exploitation outrancières des sous-sols. Ces opposants on les trouve aussi bien dans les milieux des hautes instances politiques que dans des quartiers clandestins comme Terroso, situé à la périphérie de Lisbonne. Mais il ne fait pas bon faire barrage aux velléités des dirigeants de l'Empire du Milieu qui n'hésitent pas à employer tous les moyens pour parvenir à leur fin avec l'appui des services secrets du pays. C'est ainsi que l'on peut retirer de la circulation un livre dénonçant l'accord tandis que la journaliste qui l'a rédigé trouve la mort lors d'un contrôle de police. Dans cet atmosphère délétère, Marcelo Silva, de retour au Portugal après s'être exilé quelques mois à Berlin, est bien décidé à rendre justice à son amie, ceci au péril de sa vie.

     

    Même si cela n'est pas indispensable, il est préférable de lire tout d'abord Château De Cartes pour mieux comprendre la trajectoire de Marcelo Silva, et plus particulièrement la raison de son exil à Berlin, et percevoir plus distinctement les rapports qu'il entretient avec Margarida, personnage central du récit précédent, qui plane désormais comme une ombre sur l'intrigue de La Grande Pagode et dont on découvrira le destin au terme d'un épilogue aux tonalités mélancoliques. Sur l'espace de cinq jours, le récit s'articule donc autour de l'imminence de cet accord entre la Chine et le Portugal, permettant à Miguel Szymanski de décrypter tous les enjeux sous-jacents avec l'Empire du Milieu bien évidement, mais également avec l'Europe et les USA qui comptent asseoir leurs influences respectives à l'égard d'un pays dont l'économie fragile le place dans une situation de vulnérabilité. On prend conscience de la situation avec Lúcia Salvador, cette ministre de l'économie démissionnaire qui entretient une relation assez singulière avec son fils Tiago Salvador totalement opposé à l'idée d'un tel accord. Autour de ces deux protagonistes, Miguel Szymanski déroule une enquête policière échevelée, manquant parfois un peu de tenue, mais qui va se révéler beaucoup plus surprenante que ce que ne laisse présager les éléments préliminaires du meurtre déroutant du chauffeur de cette ministre de l'économie déchue. Afin de donner plus d'écho aux enjeux économiques qui se jouent entre les deux nations, Marcelo Silva va retrouver Adriana Zuzarte, ancienne collègue journaliste et ex-compagne, qui vient d'écrire un essai, intitulé La Grande Pagode, dénonçant ce rapprochement sulfureux entre la Chine et le Portugal. Une femme audacieuse qui fait désormais l'objet d'un campagne de dénigrement qui va s'achever de manière dramatique. Mais au-delà des aspects économiques habilement mis en perspective au gré d'une intrigue policière prenant l'allure d'un complot aux contours incertains, on apprécie, une nouvelle fois, cette découverte de Lisbonne en compagnie d'un Marcelo Silva, esthète bon vivant, arpentant les rues de la capitale en mettant en valeur notamment tous les aspects savoureux d’une gastronomie régionale qui ne manquera pas de nous faire saliver. Si Lisbonne est mise ainsi en valeur, Miguel Szymanski va également nous entraîner dans sa périphérie et plus particulièrement du côté du Terroso, un bidonville abritant des clandestins en provenance de l'Angola et du Brésil et où l'on rencontre quelques individus pittoresques à l'image du capitaine Ali ou de Mãe Gorde, un femme aux origines africaines et dont l'influence sur la communauté est aussi respectable que son âge. Il émane ainsi de cette galerie de portraits, un récit au charme indéniable autour duquel se décline une intrigue policière chaotique, mettant en lumière les contours d'un ordre économique mondial qui bouleverse tout sur son passage avec les conséquences tragiques qui en découlent et dont Marcelo Silva est le témoin impuissant.

     

    Miguel Szymański : La Grandę Pagode (O Grande Pagode). Editions Agullo/Noir 2023. Traduit du portugais par Daniel Matias.

    A lire en écoutant : Ó Gente da Minha Terra (piano version) de Mariza. Album : Fado Em Mim. 2011 Warner Music Portugal, Lda under exclusive license to Taberna da Musica, Lsa.

  • MIGUEL SZYMANSKI : CHÂTEAU DE CARTES. MIROIR AUX ALOUETTES.

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    Service de presse.

     

    
Un nom aux consonances des pays de l'Est pour un prénom aux accents lusitaniens, les éditions Agullo nous invite une nouvelle fois à une rencontre particulière avec Miguel Szymanski, un romancier au profil singulier exerçant également la profession de journaliste que ce soit en Allemagne comme correspondant pour plusieurs grands titres de la presse économique ou dans son pays d'origine, le Portugal, où il a notamment dénoncé les affres d'une politique d'austérité qui a conduit la nation au bord de la faillite. Et pour appuyer ses propos sur un monde de la finance corrompu quoi de mieux qu’une série de polars se déroulant à Lisbonne et mettant en scène Marcelo Silva, un personnage présentant quelques similitudes avec son auteur. Ainsi avec Le Château De Cartes, premier opus de la série, nous faisons la connaissance de cet ancien journaliste en Allemagne se reconvertissant en chef d'une brigade financière chargée de dénoncer les incartades d'hommes politiques acoquinés à quelques banquiers véreux tout en découvrant les charmes de la capitale méconnue du Portugal que l'on surnomme "la ville aux moeurs douces". 

     

    Marcelo Silva a démissionné de son poste de journaliste en Allemagne pour retourner à Lisbonne afin d'endosser la fonction de chef d'une brigade chargée de lutter contre la corruption gangrenant toutes les strates des institutions bancaires et politiques en choisissant "le glaive à la lame affutée plutôt que la plume rouillée" qu'il a remisé dans un tiroir de son bureau. Bénéficiant de l'appui d'une justice désireuse d'en finir avec tout un conglomérat d'hommes puissants et dévoyés, Marcelo Silva va s'intéresser à la disparition d'un millionnaire à la tête d'une grande banque privée du pays en pressentant quelques parfums de scandale autour de cet établissement bancaire à la réputation plutôt sulfureuse. Evoluant comme un poisson dans l'eau dans le milieu de la bourgeoisie lisboète, Marcelo Silva va rencontrer quelques hommes d'affaires et politiciens corrompus, ainsi que des hommes de main chargé de l'éliminer tandis qu'il fraie avec une mystérieuse fille de bonne famille qui en sait peut-être plus qu'elle ne veut bien le dire sur les accointances entre les différents acteurs d'un monde économique dévoyé.

     

    Ne connaissant pas la période dans laquelle se situe l'histoire, on ne sait pas vraiment si l'intrigue du Château De Cartes est basée sur des faits réels. Mais il émerge du récit de nombreuses allusions à la crise économique à laquelle le Portugal a dû faire face durant les années 2010 avec cette sensation que de nombreux édiles ont dû faire du profit en dépit de cette période d'austérité où il se sont enrichis sur le dos de la population et des instances étatiques. C'est en tout cas ce sentiment d'injustice qui anime Marcelo Ernesto Silva Consalinsky, personnage central du roman, bien décidé à lutter contre la corruption et à mettre à jour les systèmes opaques qui régulent un monde financier fragilisé par l'aveuglement de magnats et politiciens persistant à maintenir certains établissements bancaires, ceci en dépit d'une situation catastrophique qui risque d'entrainer tout le pays dans un désastre économique sans précédent à l'instar de cette Banco de Valor Global dont le dirigeant, António Carmona, a soudainement disparu. En suivant les investigations de cet ancien journaliste, devenu enquêteur pour le compte de la police, on découvre donc ces collusions entre banquiers et politiciens qui s'emploient à dissimuler les pertes en les compensant avec les deniers publics ceci afin de privilégier notamment quelques businessmen angolais frayant avec leurs anciens colonisateurs. L'intérêt du récit réside autour de l'écriture dynamique de Miguel Szymanski qui bâtit une véritable intrigue policière pleine de suspense sans se perdre dans les méandres d'explications financières arides et fastidieuses afin de se concentrer sur les éléments essentiels d'une intrigue habilement construite. C'est aussi l'occasion pour l'auteur de nous dépeindre Lisbonne et ses environs en vantant les charmes de la capitale, sans pour autant jouer au guide touristique, en arpentant les rues d'une ville semblant également être victime de la gentrification. Dans un tel contexte, on apprécie Marcelo Silva, ce personnage singulier qui nous sert de guide en fréquentant quelques restaurants sélectes de la capitale où il côtoie toute une galerie de protagonistes au profil singulier à l'image de Margarida, une quarantenaire au charme indéniable possédant un impressionnant carnet d'adresse  dans le monde de la bourgeoisie lisboète. Homme de goût, distribuant les billets de 50 euros comme des bonbons, Marcelo Silva, fait sans nul doute partie de cette bourgeoisie dont il connaît bien les contours lui permettant d'évoluer aisément dans cet univers où l'arrogance semble être une règle de bienséance et à laquelle il fait face avec une désinvolture rafraichissante.

     

    Roman policier nous projetant dans le monde de la finance, Miguel Szymanski distille avec Château De Cartes une intrigue au charme indéniable qui nous entraine dans ce pays méconnu du Portugal et plus particulièrement de Lisbonne où l'on découvre par l'entremise de Marcelo Silva quelques contours peu glorieux d'un gouvernement à la solde des financiers ce qui n'a rien d'un particularisme.

     


    Miguel Szymanski : Château De Cartes (Ouro Prata E Silva). Editions Agullo/Noir 2022. Traduit du portugais par Daniel Matias.


    A lire en écoutant : Mona Ki Ngi Xica de Bonga. Album : Angola 72-74. 2011 Lusafrica.