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03. Roman policier - Page 30

  • David Thomas : Ostland. Dans la perpective de l'abîme.

    Capture d’écran 2015-11-15 à 23.01.31.pngDépeints comme des monstres presque surnaturels, les auteurs s’attachent bien souvent aux portraits originaux de sérials killers qu’ils façonnent et dont les destins troubles et parfois outranciers fascinent le lecteur, ceci au détriment de l’éternel enquêteur ou profileur en quête de rédemption, devant, au prix d’une souffrance parfois insurmontable, se mettre dans la peau de l’odieux suspect qu’il traque sans relâche. Ostland de David Thomas se démarque de ces récits formatés puisqu’il dresse l’étrange parcours de Georg Heuser, un inspecteur de police affecté au sein d’une unité traquant un sérial killer sévissant à Berlin pour devenir ensuite un officier de la SS chargé de l’élimination des déportés juifs dans le ghetto de Minsk.

     

    Le 23 juillet 1959, la police interpelle Georg Heuser alias Le Limier, honorable citoyen de la République Fédéral d’Allemagne et accessoirement chef de la police criminelle. Mais pourquoi en voudrait-on à cet honorable citoyen qui a notamment traqué en 1941, le mystérieux tueur sévissant sur la ligne du S-Bahn à Berlin ? Sous les ordres d’Heydrich, le policier n’a fait que son devoir en interpellant un fou furieux qui terrorisait la ville. Devenu officier au sein de la SS, n’en a-t-il pas fait de même en administrant le ghetto de Minsk et en se chargeant de l’élimination des déportés juifs ? Le parcours d’un policier héroïque, devenu criminel de guerre.

     

    Même s’il prend parfois la  forme d’un thriller, Ostland se détache singulièrement de la kyrielle d’ouvrages consacrés aux sérials killers puisqu’il se base sur des faits réels. En effet, l’auteur a choisi de romancer le parcours atypique de cet inspecteur de police traquant un sérial killer puis devenant lui-même un tueur sanguinaire à la solde du nazisme. La partie la plus romancée est celle qui s’intéresse aux divers éléments que les enquêteurs recueillent dans le cadre du procès pour crime de guerre à l’encontre de Georg Heuser. On y découvre Paula Siebert, jeune femme juriste à une époque où l’on peine à accepter la gent féminine à de tels postes et son mentor, Max Kraus, ancien soldat de l’Afrika Korps, dirige l’enquête. Ce sont les personnages fictifs de ce roman qui mettent en perspective toute la monstruosité de ces citoyens ordinaires revenus à la vie civile qui paraissent avoir oublié tous les actes odieux qu’ils ont commis durant la guerre.

     

    A mesure que l’on progresse dans les différentes phases de préparation au procès, nous découvrons le parcours de Georg Heuser. Il y a tout d’abord l’enquête classique où l’on nous présente une équipe de la police criminelle traquant un tueur sévissant dans la ville de Berlin. Georg Heuser est un policier novice qui fait ses armes auprès d’un commissaire de police expérimenté qui lui apprend l’obéissance mais également la loyauté envers ses collègues. Impliqué, le jeune policier va tout faire pour appréhender ce criminel, ceci sous la férule du sinistre général Heydrich qui dirigeait alors la Gestapo mais également la Kriminalpolizei. On y décèle déjà cette ambivalence où un officier programmant la solution finale se souciait des actes odieux d’un tueur en série.  David Thomas dresse le portrait sombre d’une ville Berlin qui n’a pas encore plongé dans le chaos. Les cabarets y sont encore présents et l’on parvient encore à faire la fête dans une atmosphère pesante alors qu’un criminel court dans les rues glacées de la ville. L’ombre de Peter Kurten, surnommé le vampire de Düsseldorf, qui inspira Fritz Lang plane sur cette partie du récit.

     

    Promu au sein de la SS, Georg Heuser est désormais affecté à Minsk où il doit prendre en charge des convois de déportés juifs qui sont méthodiquement exécuté par ses soins. Dans un contexte de devoir et d’obéissance, l’officier devient ainsi le monstre qu’il a traqué quelques mois auparavant sans qu’il n’en prenne vraiment conscience à l’instar de la confrontation qu’il a avec une jeune juive dont il tombe amoureux et qu’il tente de sauver. Il peine à comprendre que la jeune femme puisse le rejeter, lui son sauveur. Un déni qui persistera au-delà de ces années de guerre. Néanmoins il y a l’alcool pour oublier et quelques conversations sur le sens de ces massacres qui n’excusent pas les actes auxquels il adhère de manière particulièrement zélée. C’est donc une succession de descriptions poignantes, parfois difficilement soutenables que l’auteur aborde sans complaisance. On y perçoit l’influence de l’entourage direct qui accepte l’inacceptable sous le prétexte de la guerre en s’acclimatant à l’horreur quotidienne. On y distingue également l’odieux sens du devoir que son ancien mentor l’enjoint à accomplir sans aucune distinction entre le bien et le mal. Tout cela n’excuse évidemment pas Georg Heuser, mais au-delà de ces notions de mal et de bien, l’ouvrage pose, de manière sous-jacente, la question ultime qui est de savoir ce que l’on aurait fait à la place de cet officier SS dans de telles circonstances.

     

    Héro devenu bourreau, Ostland de David Thomas pose donc les différents contextes qui font d’un homme un tueur en série ou un officier zélé et sérieux. Intriguant, édifiant et effrayant.

     

    David Thomas : Ostland. Editions Presse de la Cité/Sang D’encre 2015. Traduit de l’anglais par Brigitte Hébert.

    A lire en écoutant : Mahler : Piano Quartet n° 1 in G Minor. Op 25, Allegro. The Villiers Piano Quartet. Etcetera 1989.

  • JOEL DICKER : LE LIVRE DES BALTIMORE. LE ROMAN QUI FAIT PSCHITT.

    Capture d’écran 2015-10-28 à 05.00.39.pngDepuis plusieurs semaines nous avons droit à la ligne marketing type succès-story pour le lancement du dernier ouvrage de Joël Dicker, Le Livre des Baltimores. Il est beau, il a vendu des millions d’exemplaires de son précédent roman, La Vérité sur L’affaire Harry Quebert, son nouveau livre est tiré à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires et en terme de succès il est en passe de détrôner la saga Harry Potter. Finalement cette dernière assertion est assez symptomatique en ce qui concerne le contenu car après lecture on peut aisément classer Le Livre des Baltimores dans la catégorie des romans destinés aux adolescents en le comparant à un honnête Club de Cinq en Amérique.

     

    Quatre ans après l’affaire Harry Quebert, on retrouve Marcus Goldman en Floride où il séjourne afin de s’atteler à son prochain roman. Il y rencontre, par hasard, Alexandra Neville, un amour de jeunesse qu’il abandonna avant qu’elle ne devienne une célèbre chanteuse. Encore éperdu d’amour, Marcus tente de comprendre les circonstances qui l’ont conduit à rejeter cette sublime jeune femme. Plongé dans ses souvenirs d’enfance, il dresse ainsi le portrait de famille des Goldman-de-Baltimore, dont il vouait une admiration sans borne et qui lui a permis de connaître la jeune Alexandra. Lui-même issu de la modeste famille des Goldman-de-Montclair, Marcus repense ainsi à ses cousins, à son oncle Saul qu’il adule, aux vacances extraordinaires à Miami ou dans les Hamptons et entame ainsi un périple dans le passé. Mais au fil de ses réflexions, il met également à jour les terribles circonstances qui ont conduit certains membres de cette famille au cœur d’un Drame terrible. Car derrière ce vernis de bohneur, la famille Goldman-de-Baltimore dissimule les fissures intimes de la rancœur et des ressentiments. 8 ans après le Drame, que va donc découvrir Marcus Goldman derrière le portrait lustré de cette famille.

     

    Avec La Vérité sur L’affaire Harry Quebert, Joël Dicker devenait le chantre du suspense en façonnant un «page-turner» sur un schéma finalement assez simple débutant avec l’assassinat d’une jeune femme, suivi d’une enquête conduisant à la découverte d’un coupable. Il s’agissait donc d’une structure narrative propre au roman policier que l’auteur se défendait pourtant d’avoir écrit de manière consciente.

     

    Le problème avec Le Livre des Baltimore réside dans le fait que Joël Dicker a voulu conserver les recettes du suspense sans que cela n’apporte une quelconque plus-value à l’histoire. Pour se démarquer de son précédent roman, l’auteur a donc élaboré une histoire dramatique en dressant le portrait d’une famille américaine dont la pierre angulaire est ce fameux Drame inscrit en lettre majuscule afin d’en souligner l’importance et qui ne sera dévoilé qu’en toute fin de récit alors que dès le début, tous les protagonistes en connaissent le déroulement. Ce décalage brouille d’ailleurs les motivations qui poussent les personnages à agir d’une certaine manière sans que l’on en comprenne les raisons. Mais qu’à cela ne tienne, Joël Dicker abuse du procédé, jusqu’à la nausée, en nous rappelant tout au long de l’histoire qu’il va y avoir un Drame dont le déroulement s’étalera sur quelques pages à peine. C’est d’autant plus navrant que lorsque le lecteur découvre les prémisses de ce fameux Drame, bon nombre d’entre eux  en devineront les principaux contours, anéantissant ainsi la mécanique de ce soi-disant suspense. Mais qu’importe, Joël Dicker utilisera toutes les grosses ficelles pour distiller ce fameux suspense en brouillant par exemple la chronologie du récit jusqu’à le rendre indigeste, voire même  incompréhensible tant il est dénué de références dans une Amérique qui semblerait dépourvue d’histoire, hormis l’élection de Bill Clinton et l’interpellation musclée de Rodney King. Ce qui fait bien peu pour un roman se déroulant sur plus d’une trentaine d’années. Toujours dans le but de nourrir la tension dramatique, la propension quasiment permanente consistant à interrompre le cours de révélations parfois secondaires, comme de savoir qui va occuper la maison voisine des Goldman dans les Hamptons, s’avère également extrêmement agaçante et nuit à la lisibilité d’un récit qui manque de tenue.

     

    Les personnages sont totalement dépourvus de relief à l’instar de cette description superficielle d’Alexandra Neville, ancien amour de Marcus Goldman qui donne une idée du côté paillette parfois insupportable de ce laborieux roman. « A moins de vivre dans une grotte, vous avez forcément entendu parler d’Alexandra Neville, la chanteuse et musicienne la plus en vue de ces dernières années. Elle était l’idole que la nation avait attendue depuis très longtemps, celle qui avait redressé l’industrie du disque. Ses trois albums s’étaient écoulés à 20 millions d’exemplaires ; elle se trouvait, pour la deuxième année de suite, parmi les personnalités les plus influentes sélectionnées par le magazine Time et sa fortune personnelle était estimée à 150 millions de dollars ». Mais à l’exception d’un poster de Tupac Shakur, on ne connaîtra ni les influences, ni le style de musique qu’interprète cette chanteuse un peu nunuche qui affuble le personnage principal de sobriquets ridicules comme Markikette.

     

    Le plus riche, le plus beau, le plus intelligent, le plus sportif, le plus généreux, la plus belle, la plus grosse voiture, la plus grande maison, les plus belles vacances, outre la vacuité des personnages engoncés dans de tristes sentiments de jalousie, Joël Dicker installe le lecteur dans un conte de fée sirupeux et délirant en nous livrant une succession de cartes postales surréalistes d’un monde idéal qui n’existe nulle part ailleurs que dans son imagination fertile. C’est d’autant plus regrettable que l’auteur survole les moments plus sombres d’une histoire qui vire parfois au grotesque à l’exemple de l’entretien entre un directeur d’école et son élève d’à peine dix ans qui vient de le découvrir dans une situation compromettante et qui met en place un chantage afin de faire inscrire son meilleur ami. Une situation à laquelle on ne croît guère et qui est loin d’être unique.

     

    Doté d’une certaine émotion, parfois maladroite, Le Livre des Baltimore est un roman superficiel et dépourvu de style que le lecteur traversera avec le sentiment permanent et justifié d’avoir été manipulé jusqu’à l’excès. Un ouvrage décevant qui sera probablement vendu à des millions d’exemplaires car tout a été prévu pour qu'il en soit ainsi, marketing oblige. Joël Dicker en connaît bien les règles et les rouages. Champagne !

     

    Joël Dicker : Le Livre des Baltimore. Editions de Fallois / Paris 2015.

    A lire en écoutant : My Least Favorite Life de Lera Lynn. Album : True Detective (Music from the HBO Series). Harvest Records 2015.

  • KRIS NELSCOTT : LA ROUTE DE TOUS LES DANGERS. DE MEMPHIS A FERGUSON.

     

    Capture d’écran 2015-10-21 à 10.47.16.pngLes émeutes qui se sont déroulées à Ferguson et à Saint-Louis dans le Missouri sont le reflet des profonds clivages qui imprègnent ces communautés afro-américaines continuellement stigmatisées. Elles remettent également en question des forces de police dépassées qui doivent impérativement revoir leurs techniques d’intervention afin de faire face aux défis auxquels elles sont confrontées. Il ne s’agit en rien d’une faillite de la police qui demeure l’ultime représentant de l’état pour ces populations ostracisées, mais est-elle en mesure de développer des liens avec les habitants de ces quartiers défavorisés qui n’ont plus guère d’attente vis-à-vis d’un système social qui les rejette. Il importe pourtant que les services de police parviennent à se ressaisir afin de maîtriser la situation pour éviter de céder la place à ces groupuscules armés tels les Oath Keepers qui patrouillent dans les rues de la ville. Pour tenter de comprendre la crise qui secoue le pays, la violence des discriminations, le glissement de membres de la communauté afro-américaine vers la révolte et la violence, les problématiques de drogue et de gang, il est parfois nécessaire de revenir sur ces moments de l’histoire qui ont fait que tout a basculé. Outre les manuels d'histoire, on peut se plonger dans la série des enquêtes du détective Smokey Dalton qui débutent en 1968 avec la mort du pasteur Martin Luther King et qui immerge le lecteur dans les affres des discriminations raciales auxquelles les USA sont, aujourd’hui encore, toujours confrontés.

     

    En 1968, la ville de Memphis est sous tension depuis que les éboueurs, tous issus de la communauté afro-américaine, ont fait grève suite à un accident de travail qui tua deux d’entre eux. Des revendications sur fond de misère sociale, des manifestations raciales qui tournent aux émeutes, c’est dans ce contexte de tension qu’évolue le détective noir Smokey Dalton qui se distancie de ces événements pour se consacrer à ses dossiers. Il sent pourtant que tout cela va mal tourner d’autant plus que l’on a annoncé la venue prochaine du pasteur Martin Luther King appelé à soutenir les revendications des éboueurs. Mais il faut dire que la venue de Laura Hathaway a de quoi perturber le détective. Cette jeune femme blanche, issue de la bonne société de Chicago, voudrait comprendre la raison pour laquelle sa mère a légué une partie de son héritage à un « nègre ». Smokey Dalton voudrait également comprendre, d’autant plus que le « nègre » en question c’est lui. En marge des incidents qui secouent  son quartier, Smokey Dalton va devoir explorer les tragiques souvenirs de son enfance pour découvrir les raisons de cette générosité inexpliquée.

     

    L’air de rien, La Route de Tous les Dangers s’appuie sur un grand nombre d’événements historiques que Kris Nelscott injecte dans son récit sans que l’on ne s’en rende vraiment compte. On est loin du verbiage pompeux de certains auteurs qui se croient obligés d’alourdir leurs textes avec des données parfois inutiles. Les faits réels de l’époque sont d’ailleurs au service du récit à l’instar de cette scène d’ouverture décrivant cette avant-première d’Autant en Emporte le Vent se déroulant à Atlanta en 1939. Elle devient l’un des ressorts essentiels du roman, tout en mettant en exergue l’indicible discrimination dont sont victimes les personnages principaux ainsi que leur entourage.

     

     La situation sociale de Memphis dans laquelle évoluent les personnages est décrite de manière subtile sans céder aux clichés ou à un quelconque misérabilisme outrancier. Sans être répétitives, les scènes du quotidien de Smokey Dalton apportent un éclairage aiguisé sur l’ambiance et la tension qui règnent dans le quartier. C’est d’ailleurs par les biais des dialogues entre les différents protagonistes que l’on perçoit les enjeux des nombreux groupuscules qui tentent de prendre le contrôle des manifestations.

     

    L’intrigue à proprement parler permet de poser les fondements du personnage principal en explorant son parcours au travers de ses souvenirs et de ses réflexions, tout en côtoyant les membres de sa famille adoptive. Elle met également en évidence le côté fastidieux du travail d’un détective d’avantage plongé dans ses dossiers, qu’entraîné au cœur de l’action. La Route de Tous les Dangers se démarque par son rythme lent quasiment dépourvu de scènes d’action. La violence, elle, s’inscrit de manière permanente en toile de fond dans un contexte dramatique à mesure que l’on découvre les circonstances qui relient le détective à sa jeune cliente. C’est l’enjeu majeur de cet ouvrage brillamment construit. En outre Smokey Dalton est un détective qui se dépare de ces clichés propre à ce type de personnage. Il ne boit pas et s’implique de manière active dans les activités de sa communauté tout en menant ses activités professionnelles sans émettre le moindre jugement cynique.

     

    La Route de Tous les Dangers entame donc une série composée de six ouvrages où l’on retrouvera le détective privé Smokey Dalton confronté aux contestations sociales de l’époque qui s’inscriront parfois de manière sanglante dans la destinée d’un pays qui n’a pas encore résolu ses contentieux liés à la discrimination.

     

    Kris Nelscott : La Route de Tous les Dangers. Editions Points 2005. Traduit de l’anglais (USA) par Luc Baranger.

    A lire en écoutant : Home Is Where The Hatred Is de Gil Scott-Heron. Album : The Revolution Begins - The Flying Dutchman Masters. Ace Records 2012

  • KANAE MINATO : LES ASSASSINS DE LA 5e B. L’ECOLE DE LA VENGEANCE.

    les assassins de la 5e B, Seuil, Kanae Minato, polar japonais, école japonIl y a cette atmosphère étrange et parfois malsaine qui se dégage des romans asiatiques qui sied parfaitement à l’univers du noir en offrant de nouvelles perspectives narratives comme ce roman de la japonaise Kanae Minato reprenant avec Les Assassins de la 5e B, la structure si particulière de la nouvelle Dans le Fourré de son illustre compatriote,  Akutagawa Ryûnosuke. Chaque chapitre rapporte le point de vue des protagonistes de l’histoire dans une chorale sinistre et inquiétante. Outre la vision divergente, ce schéma narratif permet d’explorer la personnalité des différents acteurs face au drame auquel ils sont confrontés.

     

    les assassins de la 5e B, Seuil, Kanae Minato, polar japonais, école japon

    Dans son discours d’adieu à sa classe, Mme Moriguchi jette un froid en accusant, sans les nommer, deux de ses élèves d’avoir sciemment assassiné sa petite fille de 4 ans. Loin d’être désemparée, l’institutrice annonce avoir la ferme intention de se venger sans pour autant faire appel aux autorités. Dans un climat de suspicion et de non-dit on lira la lettre que la déléguée de classe adresse à son enseignante, puis le journal de la mère d’un des deux meurtriers. On prendra ensuite connaissance du témoignage du premier adolescent qui revit en flash-back des événements traumatisants de son enfance. On découvrira les sinistres desseins du second coupable, jeune génie du mal, qui trouveront une réplique surprenante avec un coup de téléphone de Mme Moriguchi.

     

    Une jeunesse délaissée et fascinée par la violence reste le thème majeur de l’ouvrage avec en toile de fond cette attirance pour la mort et le suicide, dans un pays industrialisé qui possède l’un des plus forts taux pour ce type de mortalité. L’atmosphère est pesante dans un univers scolaire qui semble en complet décalage à l’instar de ce professeur qui ne parvient pas à prendre la mesure du drame qui se joue autour de lui. La pression sociale et la solitude sont également deux aspects qui entraînent ces jeunes adolescents dans des dynamiques destructrices parfois surprenantes. On perçoit également l’absence du père qui consacre tout son temps au travail en dormant d’ailleurs fréquemment au bureau. Tout repose sur les épaules d’une mère traditionaliste qui ne peut accepter un éventuel dysfonctionnement de sa progéniture. Dans un aveuglement sans commune mesure, cette femme surprotège son fils en acceptant qu’il n’aille plus à l’école, sans pour autant en faire part à son mari et à sa fille aînée. Le drame se joue donc désormais dans une dissimulation meurtrière. Le second meurtrier évolue également dans un cadre de dysfonctionnement familial avec cet abandon maternel qu’il ne peut accepter. Sa logique meurtrière s’inscrit donc dans une recherche de visibilité et de reconnaissance que personne ne semble être en mesure de lui accorder. Cette attention il l’obtiendra finalement à son corps défendant dans une cruelle et abrupte confrontation finale.

     

    Les Assassins de la 5e B s’oriente d’une manière machiavélique sur une dynamique vengeresse qui prend des tonalités différentes selon la vision des intervenants avec des rebondissements surprenants en passant de l’empoisonnement à la stigmatisation pour s’achever dans une scène aussi surprenante qu'explosive. Un livre décoiffant et perturbant.

     

    Kanae Minato : Les Assassins de la 5e B. Editions Seuil/Policiers 2015. Traduit du japonais par Patrick Honnoré.

    A lire en écoutant : Past Mistake de Tricky. Album : Knowle West Boy. Domino Records 2008.

  • WILLIAM MCILVANNEY : LAIDLAW. LE SENS DE LA MISSION.

    Capture d’écran 2015-07-14 à 17.49.14.pngLes éditions Rivages poursuivent leur magnifique travail de réédition en s’attaquant cette fois-ci à l’œuvre de William McIlvanney, considéré, à juste titre, comme l’un de grands auteurs du roman noir écossais. Il s’agissait de remettre au goût du jour un romancier injustement oublié auquel pourtant bon nombre d’écrivains comme Ian Rankin ou Val MacDermid rendent régulièrement hommage. C’est avec Docherty, roman social sur les mineurs de Glasgow, que William McIlvanney débute sa carrière, avant d’entamer une quatuor de romans noirs mettant en scène l’inspecteur Jack Laidlaw. Il sied de prêter une attention soutenue en ce qui concerne l’ordre de la quadrilogie qui débute avec le roman éponyme Laidlaw, suivi de Les Papiers de Tony Veich et qui s’achève avec Big Man et Etranges Loyautés. Voilà pour les recommandations.

     

    Le jeune Tommy Bryson court dans les rues de Glasgow, sans trop savoir où aller. Il a de quoi paniquer car il vient d’assassiner une jeune fille et ne sait plus trop vers qui se tourner. Peut-être trouvera-t-il de l’aide auprès de son amant Harry Redburn, acoquiné au milieu de la pègre. Mais la nouvelle du meurtre suscite une grande émotion et il n’y a guère de personnes compatissantes pour soutenir un assassin de cet acabit. Surtout lorsque le père de la victime souhaite faire justice lui-même et demandant le soutient du caïd de la ville qui prône la justice impitoyable de la rue. L’inspecteur Laidlaw devra donc interpeller le jeune fugitif le premier, s’il veut éviter un bain de sang. D’autant plus que ses collègues ne seraient vraiment pas contre une justice expéditive.

     

    Datant de 1977, Laidlaw met en scène tout d’abord un Glasgow qui n’existe plus avec ses grands ensembles de quartiers ouvriers et une pègre atypique essentiellement basée dans les quartiers périphériques de la ville en fonction de la confession religieuse des habitants. La conglomération protestante est dirigée d’une main de fer par John Rhodes. L’homme incarne une espèce de patriarche aussi impitoyable qu’inquiétant  auprès duquel les ouvriers peuvent demander de l’aide comme le fera le père de la victime qui a toujours été incapable de développer le moindre sentiment d’affection vis à vis de sa fille. La perte de son enfant ne chagrine pas ce père désormais dépouillé de son sujet d’animosité. Pour compenser cette colère et cette dureté qu’il ne peut plus faire valoir, il devra canaliser sa haine et la diriger vers le jeune meurtrier. Le tout est de savoir si cet homme aussi dur qu’honnête parviendra à franchir le pas en devenant un meurtrier à son tour.

     

    Pègre, policiers, meurtriers, on est pourtant bien loin avec Laidlaw du roman policier au sens classique du terme. Avec maestria William McIlvanney dresse le sombre portrait social d’une ville dont il maîtrise tous les aspects. Glasgow devient une terrible scène dramatique sur laquelle l’auteur déploie une mécanique insidieuse de colère et de haine. Plutôt que de s’intéresser au meurtrier, l’auteur s’emploie à décrire le ressentiment et la détresse des gens face à un acte aussi abjecte. Il parvient à mettre en perspective ce désarroi terrible qui pousse les différents protagonistes vers leurs derniers retranchements.

     

    Et puis il y a bien évidemment le personnage principal qui sort tout de même de l’ordinaire. Oui il y ce schéma classique du policier atypique, peu apprécié de ses collègues. Mais Jack Laidlaw est un personnage qui transcende les clichés. Il personnifie ces flics lucides et humanistes tout à la fois qui se dressent contre les a priori et les schémas simplistes de leurs collègues. Paradoxalement cela ne fait pas de Jack Laidlaw quelqu’un de meilleur, bien au contraire. Dépressif, solitaire, Jack Laidlaw est un personnage parfaitement antipathique que seul le jeune Harckness est en mesure d’apprécier, même s’il est parfois tenté de suivre les opinions tranchées et brutales de l’inspecteur Milligan. A force de cogiter et de se poser des questions sur le sens des actes criminels auxquels il est confronté, Jack Laidlaw ne fait qu’irriter sa hiérarchie et ses partenaires qui ne peuvent lui opposer que des certitudes factices, sans aucun fondement. Jack Laidlaw les renvoie à leur propre vacuité qui ne peut susciter qu’indignation et incompréhension. Pourquoi se poser des questions lorsque l’on est flic alors qu’il y a la certitude de la mission à accomplir.

     

    "Laidlaw ne dit rien. Il était penché sur le guichet, écrivant sur son bout de papier lorsque Miligan entra, une porte de grange sur patte. Ces derniers temps il jouait les chevelus  pour montrer qu’il était libéral. Cela faisait paraître sa tête grisonnante plus grande que nature, une sorte de monument public. Laidlaw se souvint qu’il ne l’aimait pas. Ces derniers temps il avait été au centre de pas mal des interrogations de Laidlaw  quant à savoir ce qu’il faisait. Associé à Milligan par la force des choses, Laidlaw s’était demandé  s’il était possible d’être policier sans être fasciste."

     

    Il était temps de redécouvrir la belle écriture de William McIlvanney et même s’il date, un peu, Laidlaw reste un roman terriblement actuel qu’il vous faut lire dans les plus brefs délais.

     

    William McIlvanney : Laidlaw. Rivages/Noir 2015. Traduit de l’anglais par Jan Dusay.

    A lire en écoutant : The Last Ship de Sting. Album : The Last Ship. A&M Records 2013.