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03. Roman policier - Page 29

  • Guy-Olivier Chappuis : Sous le Viaduc. A la rupture.

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    Chronique publiée pour le journal littéraire Le Persil, numéro spécial polars romands.

     

    Sous le viaduc est le premier roman du journaliste suisse Guy-Olivier Chappuis qui dévoile les turpitudes d’une puissante multinationale aux prises avec des altermondialistes intrusifs. Une intrigue librement inspirée d’un fait d’actualité réel où la multinationale Nestlé avait mandaté l’entreprise Securitas pour infiltrer le groupe altermondialiste Attac.

     

    Un couple retrouvé mort sous le viaduc de l’A12 à la lisière des cantons de Vaud et de Fribourg et voici Louis-Marie Prokowski, surnommé Proc, chargé d’une enquête intercantonale qui ne l’intéresse guère. Coureur de jupons invétéré, l’inspecteur de la police cantonale vaudoise s’est fait remettre à l’ordre et reléguer à une fonction de subalterne après avoir séduit une collègue dans une voiture de service. Désabusé, il promène son mal de vivre et sa frustration d’être désormais le subordonné d’une charmante commissaire qui le dirige à la baguette. Pourtant les investigations vont prendre une tournure étrange qui mènera l’inspecteur sur les traces d’un père qu’il n’a jamais connu.

     

    Une fois encore avec la maison d’édition Les Furieux Sauvages, il faut tout d’abord s’attarder sur le contenant avant d’entamer le contenu pour apprécier le livre comme un bel objet renfermant une histoire dont quelques indices sont distillés sur un protège-couverture déroutant où l’on distingue le dessus d’un crâne dégarni et une mystérieuse clé ornant la couverture de l’ouvrage. Puis lorsque l’on s’installe dans la lecture, on appréciera immanquablement le soin apporté à l’impression avec une belle typographie soignée permettant d’appréhender le récit dans les meilleurs conditions.  

     

    Ainsi on découvre avec ce nouvel auteur, les imbroglios d’une enquête intercantonale dans laquelle on distingue toute l’expérience du journaliste chevronné, doté d’une vision acérée permettant ainsi de mettre en exergue toute les complications qu’implique une investigation de cette nature avec ses carences et ses rivalités. Du mordant avec une pointe de sacarsme qu’il met entre les mains de son personnage principal c’est ce que l’on perçoit sur toute la durée de ce récit emprunt d’une certaine originalité que l’on retrouve notamment au travers de protagonistes atypiques pourvus de quelques traits caricaturaux qui servent l’aspect satyrique d’une trame policière qui sort de l’ordinaire.

     

    La force de Guy-Olivier Chappuis est donc de distiller une ironie mordante tout au long de cette enquête dont quelques entournures prennent parfois une expression mélancolique. Il dresse ainsi le portrait de Proc, ce flic vaudois un peu borderline, amateur de vins locaux, qui rompt sa solitude avec des aventures sans lendemain sous le regard imperturbable de son chat Clooney. La galerie des personnages secondaires est bien étoffée et haute en couleur avec une attirante commissaire qui n’est pas dénuée de force et d’intelligence, un brocanteur véreux, un vieux gangster brutal à la santé déclinante et ce chef de service veule autour duquel tournent toutes les manigances de l’entreprise. Une écriture vive et acérée, parfois détonante, donne à l’ensemble du roman un dynamisme décoiffant pour une intrigue ponctuée de scènes d’action percutantes qui se déroulent dans les beaux décors de la Riviera vaudoise et de l’arrière-pays fribourgeois.

     

    Pertinent et impertinent, Sous le Viaduc permet de s’immerger dans toutes les strates d’une société helvétique plus trouble qu’il n’y paraît en passant des buvettes et cafés populaires aux vénérables salons d’entreprises internationales sur une déclinaisons de paysages attrayants en suivant les pérégrinations d’un flic à la fois troublant et attachant que l’on souhaite retrouver pour d’autres aventures.

     

    Dans le cadre du festival du polar Lausan’noir retrouvez Guy-Olivier Chappuis et Valérie Solano, le vendredi 18 novembre 2016 :

    12h45 Du journalisme au polar

    Corinne Jaquet a fait 10 ans de chronique judiciaire à Genève avant de se lancer dans le polar, tout comme le journaliste vaudois Guy-Olivier Chappuis, auteur de « Sous le viaduc » (Sauvages). Un bagage précieux.

    13h30 Editer du polar en Suisse romande

    Giuseppe Merrone, éditeur et fondateur de BSN press, Valérie Solano créatrice de la maison d’édition des Sauvages et Jacques Leresche, éditeur de Rompol, nous expliquent comment ils parviennent à dénicher l’écriture qui nous fera frissonner.

     

    Guy Olivier Chappuis : Sous Le Viaduc. Editions des Sauvages/Collection des Furieux Sauvages 2016.

    A lire en écoutant : Hope I Don’t Fall In Love With You de Tom Waits. Album : The Early Years Vol. II. Bizarre/Straight Records 1993.

  • KAZUAKI TAKANO : TREIZE MARCHES. ASCENSION POUR L’ECHAFAUD.

    Capture d’écran 2016-08-29 à 17.35.29.pngDans le domaine du polar, la thématique de la peine de mort est bien souvent abordée sous la forme du thriller devenant par la force des choses l’apanage des Etats-Unis dont le système judiciaire est fortement décrié. La structure narrative de ce type de roman s’appuie essentiellement sur deux enjeux que sont la temporalité et le doute où l’on suit le parcours d’un enquêteur devant disculper un condamné à mort ceci avant une date d’exécution imminente, tout en se demandant s’il est vraiment innocent. Pourtant si l’on examine une carte du monde des pays pratiquant la peine de mort on s’aperçoit que l’Asie abrite un nombre important de nations appliquant le châtiment suprême à l’instar du Japon qui exécute ses condamnés exclusivement par pendaison. Treize Marches de Kazuaki Takano se propose d’examiner par le biais d’un roman riche en suspense tout le processus judiciaire et administratif conduisant un prévenu devant l’échafaud tout en abordant les thèmes de la réinsertion et du pardon.

     

    Ryõ Kihara est condamné à mort pour un crime dont il n’a plus aucun souvenir. Enfermé depuis sept ans, dans le couloir de la mort il ignore la date de son exécution. Ce sont les bruits de pas d’une procession de gardiens et les hurlements de son voisin de cellule que l’on extrait pour appliquer la sentence finale qui ravivent sa mémoire. Un flash rapide où il se voit gravir un escalier. S’agit-il d’un élément permettant peut-être de le disculper ? C’est ce que pense le chevronné gardien de prison Shôji Nangõ, mandaté par l’avocat du condamné, qui propose au jeune Jun’ichi Mikami bénéficiant d’une liberté conditionnelle, de l’aider dans ses investigations. Ce dernier ayant été condamné à deux ans de prison pour un homicide involontaire, voit dans cette démarche incertaine une occasion de se racheter.

     

    Treize Marches dont le titre définit les différents paliers administratifs et judiciaires autorisant l’exécution d’un condamné à mort est un thriller social saisissant qui passe en revue, avec une précision redoutable, les contradictions, les ambivalences et autres ambiguïtés d‘un système étatique assurément imparfait. Avec un gardien de prison et un repris de justice on sort très rapidement des poncifs propre au genre pour suivre le parcours maladroit de ces deux enquêteurs aussi atypiques qu’inexpérimentés. De fausse pistes en rebondissemments percutants, le lecteur restera tout au long du récit en proie au doute quant à l’issue d’une enquête dont le final s’avérera des plus subtil, remettant notamment en cause les principes de la réinsertion assurée par des citoyens lambdas sélectionnés sur le principe du volontariat.

     

    Outre une possible rédemption, la récompense à l’issue de l’enquête permettra au gardien de prison de quitter son métier afin d’ouvrir une boulangerie et au jeune repris de justice d’aider ses parents à indemniser la famille du jeune homme qu’il a tué accidentellement. Avec cette dimension pécuniaire qui se situe parfois au dessus des principes moraux qui les motive, on perçoit toute l’humanité de ces deux personnages souhaitant s’extirper des rouages d’une mécanique administrative implacable générant son lot d’angoisses et d’inquiétudes que ce soit en terme de réinsertion ou de trajectoire professionnelle.

     

    Au-delà d’une intrigue habile et originale, on aura compris que l’intérêt de Treize Marches réside dans la description sans complaisance des rouages administratifs d’une justice qui révèle toutes ses failles au gré d’un texte puissant et incisif. Sur le plan d’une justice réhabilitative on va donc suivre le parcours saisissant du jeune Jun’ichi Mikami devant présenter, au terme de sa peine de prison, ses excuses auprès du père de sa victime, tandis que ses parents se ruinent afin de l’indemniser. Mais dans ce système judiciaire schizophrénique, le pardon ne peut aller au-delà d’un certain point. C’est sur la base du nombre de victimes (deux) et l’absence de repentir sincère que la cour prononce sa sentence de mort pour Ryõ Kihara. Un cliché kafkaïen où le prévenu, du fait de son amnésie, ne peut présenter le moindre regret pour des actes dont il n’a plus aucun souvenir. Reste pour Shôji Nangõ, ce gardien de prison qui s’est déjà chargé de l’exécution de deux condamnés à mort, à savoir en quoi le fait d’ôter la vie d’un homme sur la base de processus étatiques imparfaits peut-il être plus acceptable qu’un meurtre accidentel ou intentionnel. Ne pouvant s’absoudre, malgré les bases légales en vigueur, l’homme est en proie à une profonde et permanente remise en question qui le ronge et l’éloigne de sa famille.

     

    Treize Marches met également en exergue toute la dilution des responsabilitsé dans les terribles décisions administratives que l’état attribue aux différentes strates du pouvoir politique et des fonctionnaires ceci jusqu’au trois gardiens appuyant simultanément sur trois interrupteurs sans savoir lequel déclenchera la trappe fatidique de l’échafaud, tout cela bien à l’abri derrière les murs d’une charmante petite maisonnette forestière nichée au sein d’un bosquet comme pour mieux dissimuler la sinistre finalité d’un système peinant à s’assumer.

     

    Extrêmement bien documenté, Treize Marches est un thriller noir doté d’une dimension sociale égrénant les imperfections d’un processus meurtrier qui fait froid dans le dos. Instructif, édifiant, passionnant, bref … indispensable.

     

     

    Kazuaki Takano : Treize Marches (13 Kaidan). Editions Presses de la Cité/Sang d’Encre 2016. Traduit du japonais par Jean-Baptiste Flamin.

    A lire en écoutant : Skinner de Headphone : Album : Ghostwriter. Play It Again Sam (PIAS) 2008.

  • Boris Quercia : Les Rues de Santiago. A feu et à sang.

    polar chili,éditions asphalte,boris quercia,les rues de santiagoBon d’accord, le roman noir rural. Ok, le polar nature writing. Mais tout de même, quel plaisir de retrouver cet environnement urbain qui sent bon le bitume surchauffé, le gaz d’échappement asphyxiant. Il y a le bruit, la foule et cette ambiance survoltée propice aux intrigues les plus violentes. Bref un bon bol de pollution pour se remettre de toute cette chlorophylle absorbée durant ces pérégrinations campagnardes. C’est d’autant plus agréable lorsque l’on se rend dans un pays comme le Chili pour arpenter Les Rues de Santiago de Boris Quercia qui est certainement l’une des très belles découvertes du polar hardboiled que l’on doit aux Editions Asphalte.

     

    L’inspecteur Santiago Quiñones n’a vraiment pas envie de tuer aujourd’hui. Il planque avec son équipe pour faire tomber des membres du gang des Guateros. Mais à Santiago du Chili les opérations policières ont une fâcheuse tendance à se conclure par une fusillade et c’est un gangster de 15 ans qui est abattu par Quiñones. Un peu de paperasse et une ballade dans les rues de la ville pour décompresser et se changer les idées en suivant une belle jeune femme sans se rendre compte qu’elle est également filée par un ex collègue devenu détective privé. De planques en filatures, le jeu tourne mal, lorsque le détective privé est poignardé en pleine rue, quasiment sous les yeux de Quiñones. Qui pouvait donc en vouloir ainsi à son ex partenaire ?

     

    On est tout d’abord surpris par ce personnage de flic magouilleur, qui tente de se fondre dans ce paysage de corruption institutionnalisée. Amateurs de belles femmes il se lance, parfois à son corps défendant, dans des combines véreuses et ne refuse pas, de temps à autre, un petit rail de coke pour se remonter le moral. Néanmoins derrière cette image peu reluisante, l’homme est souvent en proie au doute et se livre à des introspections d’une acuité saisissante sur son métier, sa relation avec la belle Marina mais également sur tout ce qui concerne sa jeunesse et notamment ses relations avec son père. Au final, Santiago Quiñones est un flic lambda, ni bon, ni mauvais, qui fait son métier du mieux qu’il peut dans un univers brutal et violent. Parfois veule, parfois courageux, souvent absorbé par ses réflexions, Santiago Quiñones incarne toute l’ambivalence d’un personnage profondément humain qui peut se révéler complètement démuni et terrorisé lorsqu’il doit faire face à un gang avide de vengeance.

     

    Avec Les Rues de Santiago le nœud de l’intrigue tourne autour d’une escroquerie immobilière qui illustre parfaitement l’ambiguïté de ces institutions corrompues par le biais de ces flics un peu véreux, mais pas foncièrement malhonnêtes qui vont apporter du soutien à une vieille dame tout en servant leurs propres intérêts lors d’une scène à la fois cocasse et morbide. Entre pragmatisme, débrouillardise et respect du règlement chacun fait rapidement son choix pour tirer son épingle d’un jeu qui est forcément biaisé au sein d’une société en pleine décomposition. Mais forcément, la corruption engendre son lot d’actes déloyaux et de magouilles peu reluisantes qui ne resteront pas sans conséquence et qui altéreront la confiance entre les différents protagonistes.

     

    Même si le fond est désespéré et décourageant, Boris Guerçia ne cède pas à cette noirceur exacerbée propre au genre et l’on est ainsi surpris par la tonalité optimiste et enjouée d’un texte vif qui livre par l’entremise de la voix de son personnage principal le fruit de réflexions et d’observations constamment teintées d’un humour parfois malicieux. L’ouvrage oscille entre la violence assez rude de certaines scènes qui n’épargne pas le lecteur et l’envoûtement des réminiscences d’une jeunesse perdue où l’émotion latente habille un personnage captivant.

     

    Et puis il y a cette ville trépidante, turbulente que l’on arpente à longueur de chapitres dans une déclinaison de petits instants quotidiens où l’auteur dépeint, par petites touches très visuelles, une cité que l’on se prend à apprécier au gré de ses cafés bruyants aux effluves enivrantes et de ses rues animées par une foule bigarrée. C’est dans ce décor urbain que Boris Quercia met en scène des règlements de compte entre avocats véreux et flic douteux qui doivent également faire face à la violence de gangs n’hésitant pas à faire usage de leurs armes. Et puis il y a les femmes qui sont forcément fatales en générant rivalités, jalousies dans un climat à la fois sensuel et malsain. Mais au delà du cliché machiste il y a également cette idylle naissante entre Quiñones et Marina générant de très belles scènes de tendresse qui ne sombrent jamais dans la mièvrerie.

     

    Rudes et fiévreuses Les Rues de Santiago déchaînent leurs lots de violences et de passions sur fond de corruption et de combines douteuses. Un polar percutant dont la force de l’impact n’a pas fini de vous faire frémir. Déroutant et séduisant.

     

    Boris Quercia : Les Rues de Santiago (Santiago Quiñones, Tira). Editions Asphalte 2014. Traduit de l’espagnol (Chili) par Baptiste Chardon.

    A lire en écoutant : Loca de Chico Trujilo. Album : Chico de Oro. Barbès Records 2010.

  • VALERIO VARESI : LE FLEUVE DES BRUMES. ET VOGUE LE NAVIRE.

    éditions agullo, le fleuve des brumes, valerio varesi, polar italienNouvelle venue dans le monde littéraire, Agullo Editions porte le nom de Nadège Agullo, ancienne cofondatrice de Mirobole Editions, une maison publiant des romans noirs issus de terres étrangères méconnues. Pour ce nouveau voyage elle est accompagnée de Sébastien Wespiser, libraire avisé, passionné et amateur de beaux textes qu’il n’a de cesse de faire partager et parmi lesquels figure le prodigieux roman Les Noirs et les Rouges d’Alberto Garlini. Une belle association donc pour cette maison d’éditions prometteuse qui s’embarque sur le registre des publications atypiques. Et puisque j’ai évoqué l’Italie et le fascisme par le biais du roman de Garlini, restons-y pour découvrir Le Fleuve des Brumes de Valerio Varesi qui inaugure une série mettant en scène le commissaire Soneri.

     

    Puisqu’il s’agit d’une nouvelle maison d’édition il faut tout d’abord dire un mot sur le superbe concept de la maquette du livre composée d’un couverture légèrement rugueuse et d’un bandeau mettant en exergue le titre du livre ainsi que les différents vins servis durant le récit dans l’auberge d’Il Surdo comme pour prolonger l’ambiance d’un roman où le plaisir de la table fait partie des instants chaleureux d’un récit se déroulant durant une période hivernale froide et humide.

     

    Rien ne va plus au cercle nautique. Le Pô est en crue et a emporté dans son sillage indolent une énorme barge antique, mystérieusement libérée de ses amarres. Dans la brume nocturne, l’embarcation vogue telle un navire fantôme avant de s’échouer à l’aube sur une berge sablonneuse. Son capitaine semble avoir disparu et le cas est d’autant plus troublant que son frère est retrouvé, le jour même, mort défenestré. En charge de la levée de corps, le commissaire Soneri va rapidement découvrir que les deux frères ont servi, cinquante ans plus tôt, dans une milice fasciste qui a sévi dans la région. Au rythme de la crue et de la décrue, le Pô met en scène les terribles révélations d’un passé s’étiolant inexorablement dans les brumes de l’oubli. Les rancœurs peuvent-elles survivre à l’usure du temps ?

     

    L’incarnation du fleuve donne tout son sens à ce roman dont l’intrigue se noue et se dénoue au lent rythme d’une crue et d’une décrue inexorable dévoilant des pans d’une histoire que l’on pensait enfouie dans les brumes de l’oubli. Des histoires anciennes qui refont surface au travers d’un texte envoûtant dégageant une atmosphère trouble et prenante dans laquelle le lecteur installera son imaginaire en arpentant une région mystérieuse empreinte d’une certaine générosité qui s’incarne par le biais des vins et des plats typiques servis dans l’auberge d'Il Sourdo où le commissaire Soneri installe ses quartiers afin de résoudre cette affaire tortueuse.

     

    Il y a cette brume qui s’insinue partout, tout comme l’eau qui ronge les berges d’un paysage hivernal qui, peu à peu, se fige sous l’assaut du givre. Deux éléments omniprésents qui rappellent la mémoire et le remord rongeant les cœurs de protagonistes figés dans un passé qui n’inspire plus qu’une mélancolie teintée de regrets. C’est dans ces décors sublimes, emprunts d’une troublante poésie nostalgique, que le commissaire Soreni explore le passé obscur de ces anciens qui se sont affrontés autrefois dans des combats sanglants évoquant ainsi cette période peu glorieuse de la République de Salò. L’auteur installe donc son personnage sur le registre de l’enquêteur solitaire à l’écoute des autres en s’immergeant dans le contexte du crime qu’il doit résoudre. Dans une atmosphère de méfiance, voire même de défiance le commissaire Soreni dénoue peu à peu les nœuds d’une intrigue sombre qui trouve sa résolution dans un passé historique qui secoue encore la conscience de ses habitants.

     

    Malgré son côté individualiste le commissaire Soneri s’adjoint la collaboration de plusieurs collègues tout en bénéficiant de toutes les ressources judiciaires nécessaires à la résolution d’une enquête qui pourrait aisément s’avérer insoluble et qui bénéficie parfois de hasards bien trop circonstanciés pour être tout à fait crédibles. Défauts mineurs qui ne nuisent nullement les qualités indéniables d’une intrigue bien ficelées, mettant en exergue les rivalités entre la police judiciaire et les carabiniers ainsi que les trafics d’êtres humains liés à l’immigration clandestine. Et puis il y a la belle Angela, compagne du commissaire, dont la sensualité quelque peu débridée donne droit à quelques scènes à la fois cocasses et surprenantes conférant au commissaire Soreni un supplément d’humanité.

     

    Avec Le Fleuve des Brumes, Valerio Varesi nous entraîne donc dans le cadre peu commun de cette belle région de Parme, endroit propice pour mettre en place quelques belles scènes se déroulant dans la zone d’inondation d’un fleuve impassible qui renferme au creux de son lit de troubles secrets inavouables. Mystérieux et envoûtant.

     

    Valerio Varesi : Le Fleuve des Brumes (Il Fiume Delle Nebbie). Editions Agullo Noir 2016. Traduit de l’italien par Sarah Amrani.

    A lire en écoutant : Alle Prese Con Una Verde Milonga de Paolo Conte. Album : Concerti. CGD East West 1985.

     

     

  • Kris Nelscott : A Couper Au Couteau. Etat de siège.

    Capture d’écran 2016-05-08 à 21.38.34.pngEn librairie, lorsque vous ferez l’acquisition d’un roman de la série Smokey Dalton, vous aurez sans doute droit à un regard complice de la part du libraire qui vous classera immanquablement dans la catégorie des initiés. Il faut dire que cette série méconnue n’a pas connu le succès qu’elle serait pourtant en droit de mériter et que son auteur Kris Nelscott, pseudo de l’écrivaine Kristine Kathryn Rusch, semble avoir mis un terme aux aventures de son détective privé afro-américain évoluant dans le climat malsain des émeutes sociales qui secouaient les USA durant les années soixante.

     

    Après l’assassinat de Martin Luther King, Smokey Dalton a quitté précipitamment Memphis en compagnie du jeune Jimmy, témoin gênant du meurtre du charismatique révérend. Pourchassé par la police de Memphis et le FBI, Smokey Dalton et son petit protégé se sont installés, sous une fausse identité, dans la ville de Chicago où le détective a trouvé un emploi comme agent de sécurité au sein de l’hôtel Hilton. Mais avec la tenue de la convention des Démocrates et les rassemblements de mouvements contestataires menés par les Yippies, la ville sous pression, est truffée de policiers et d’agents gouvernementaux en tout genre. Une ville assiégée sous tension. Mais au cœur du ghetto, ce sont les petits garçons noirs qui meurent dans l’indifférence générale. Il ne reste alors que Smokey Dalton pour mener l’enquête, d’autant plus que ces enfants ont le même âge que Jimmy.

     

    Avant d’entamer ce second opus des enquêtes de Smokey Dalton, il est recommandé de lire le premier ouvrage, La Route de Tous les Dangers, tant les intrigues y sont étroitement liées. En installant son détective dans la ville de Chicago, l’auteure prend à nouveau le temps de nous immerger dans une ville des sixties qu’elle parvient à nous restituer d’une façon bluffante, au travers du quotidien des personnages qui traversent le récit. A la fois concise et précise, Kris Nelscott pose la trame historique d’une ville sous tension avec la convention des Démocrates et les rassemblements contestataires qui tournent finalement à l’émeute. Dans ce contexte où la nervosité est extrêmement palpable, l’auteure met en avant l’indifférence des autorités face aux disparitions et aux meurtres d’enfants issus des communautés afro-américaines.

     

    Des ghettos aux quartiers chics de Chicago, du Hilton où séjournent les Démocrates au parc Lincoln dans lequel se rassemblent les manifestants, Smokey Dalton arpente les rues de la ville en nous permettant de découvrir cette escalade infernale historique où la révolte et la contestation se heurtent aux enjeux sécuritaires d’un maire intransigeant. A la poursuite d’un tueur d’enfant, Smokey Dalton croise tout au long de son enquête les événements qui trouvent leur apogée au cœur des violentes confrontations entre les manifestants et les forces de l’ordre qui dégénèrent en émeutes. C’est dans ce contexte chaotique que son enquête trouvera son dénouement tragique dans un final dantesque et percutant.

     

    A Couper au Couteau, est un ouvrage charnière de la série Smokey Dalton car il prend pour cadre une nouvelle ville dans laquelle va évoluer notre héros en nous permettant de faire la connaissance de nouveaux personnages à l’instar de l’inspecteur Johnson, flic bourru mais intègre, que l’on va très certainement retrouver dans les prochaines enquêtes du détective Smokey Dalton.

     

    Tension narrative sur fond de tensions historiques, A Couper au Couteau est un récit explosif mené avec beaucoup de finesse et de sensibilité.

     

    Kris Nelscott : A Couper Au Couteau. Editions Points 2010. Traduit de l’anglais (USA) par Luc Baranger.

    A lire en écoutant : Sweet Home Chicago interprété par Eric Clapton. Album : Me and Mr. Johnson. WEA Internationale inc. 2004.