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03. Roman policier - Page 26

  • Thierry Jonquet : Moloch. L’ogre est toujours affamé.

    thierry jonquet, moloch, folio policierDurant la pause littéraire, de bien trop courte durée, que procure la période estivale, c’est l’occasion de découvrir ou redécouvrir quelques romans en piochant sur les étalages des librairies qui croulent sous les assortiments d’ouvrages en format poche. Dans le domaine du roman noir et du polar, c’est également une opportunité pour remettre au goût du jour quelques auteurs ayant disparu précocement et dont l’œuvre a sombré bien trop rapidement dans l’oubli à l’instar de Jean-Claude Izzo ou de Thierry Jonquet qui ont marqué l’univers du polar durant toute la décennie précédent les années 2000. Avec Moloch, de Thierry Jonquet on aborde sous l’angle du fait divers sordide, une enquête mettant en scène l’équipe de l’inspecteur divisionnaire Rovère qui a inspiré les personnages de la série Boulevard du Palais.

     

    On découvre quatre petits cadavres partiellement carbonisés dans une maison abandonnée du côté de la porte de la Chapelle et c’est l’équipe de l’inspecteur divisionnaire Rovère qui est chargée de l’enquête sous la direction de la juge d’instruction Nadia Lintz.



    A l’hôpital Armand-Trousseau, la surveillante en chef Françoise Delcourt réclame depuis plusieurs jours le carnet de santé de la petite Valérie atteinte d’un cancer du pancréas. Heureusement, la fillette peut compter sur le soutien de ses adorables parents avec une mère exemplaire de courage qui suscite l’admiration. Mais la lecture du document recèle quelques surprises.
    Le psychiatre Vilsner reçoit depuis plusieurs mois la visite d’un étrange patient. Atteint d’une infection au niveau des yeux qui le rendra très prochainement aveugle, le peintre Haperman a annoncé qu’il mettrait fin à ses jours au terme de sa thérapie.

    Victimes, proies faciles, trois affaires convergentes où il est question de souffrance et d’innocence bafouée car sur l’autel du sacrifice, Moloch, divinité cruelle, réclame toujours sa part d’enfants à immoler.

     

    Issu du courant néo polar, comme bon nombre d’auteurs français, Thierry Jonquet a rédigé ses textes avec la volonté de dénoncer les carences sociales par l’entremise du roman noir qu’il a découvert notamment avec l’œuvre de Jean-Patrick Manchette. Engagé politiquement, mais également professionnellement que ce soit comme ergothérapeute en gériatrie ou professeur dans la zone périphérique du nord de Paris, l’auteur a donc puisé dans la somme de ses expériences pour enrichir des récits d’une terrible noirceur qui s’enracinent toujours dans un réalisme déconcertant. Ainsi Moloch ne déroge absolument pas à cette règle de naturalisme que ce soit lors des investigations policières et judiciaires, mais également durant toutes les phases se déroulant dans le milieu médical. L’abandon, le dénuement, mais également dans le deuil que l’on doit surmonter ou l’attachement tout en ambiguïté, Thierry Jonquet aborde la thématique de l’enfance malmenée et bousculée dans le contexte de trois intrigues très adroitement menées qui vont trouver leurs conclusions dans une finalité qui devient l’enjeu du roman. En effet, même si l’on perçoit très rapidement quelques ressorts des différentes péripéties qui alimentent le récit, le lecteur est plongé dans une perpétuelle perplexité quant à la découverte des éléments qui vont permettre de les mettre en lien dans la perspective d’un final troublant et forcément désespérant.

     

    Un texte précis équilibré, dépourvu d’effets de style ostentatoire où chaque mot semble avoir été pesé, permet d’appréhender avec une facilité déconcertante la multitude de personnages qui entrent en scène dans un roman somme toute assez court. Qu’ils soient principaux ou secondaires, l’ensemble des protagonistes est doté d’une épaisseur qui leurs donne un certain relief tout en nous permettant d’appréhender leurs divers états d’âme en rapport avec des faits douloureux qui ne sont pas forcément en lien avec l’intrigue. Dans une construction aussi subtile qu’implacable, Thierry Jonquet chronique un ensemble de faits divers à la fois cruels et abjects, sans pour autant sombrer dans une forme de voyeurisme pervers ou morbide. Car au-delà de l’ignominie des actes, l’auteur parvient toujours à insuffler cette petite part d’humanité que l’on peut même déceler dans le cœur des individus les plus monstrueux. Cela transparaît notamment avec Charlie, ce SDF paumé, ancien soldat affecté dans une unité du génie, victime d’un traumatisme après avoir été engagé au Rwanda dans le cadre de l’opération Turquoise ou avec Marianne, cette mère courage qui noie son enfant malade sous un déluge d’affection équivoque. Cette humanité elle transparaît également au travers des personnages tels que l’inspecteur divisionnaire Rovère qui doit surmonter le deuil de son enfant et la juge d’instruction Nadia Lintz qui doit accompagner sa meilleure amie pour une interruption volontaire de grossesse. Tout un ensemble de protagonistes confrontés à cet univers lourd de la maltraitance d’enfants et qui apparaissaient déjà dans un roman intitulé Les Orpailleurs (Folio Policier 1993) évoquant les premières investigations mettant en scène les membres de cette équipe d’enquêteurs.

     

    Moloch donne également l’occasion de découvrir Paris sous un aspect aussi attrayant qu’original, puisque l’auteur nous entraîne avec force de précisions dans le périmètre des entrepôts qui bordent le canal de l’Ourcq, les Puces de Saint-Ouen, les chantiers et autres terrains vagues qui jouxtent le périphérique du côté de la porte de la Chapelle. Un portrait sans fard, mais également sans misérabilisme où enquêteurs, délinquants, travailleurs, résidents et touristes se côtoient dans les méandres d’une ville que Thierry Jonquet dépeint avec beaucoup de justesse sans rien concéder au cliché de carte postal ou au sensationnalisme de bas étage tout en distillant une atmosphère à la fois trouble et pesante pour un roman policier original, tout en rigueur.

     

    Thierry Jonquet : Moloch. Folio Policier 1998.

    A lire en écoutant : Rive Gauche d’Alain Souchon. Album : Au Ras des Pâquerettes. Parlophone Music 1999.

      

  • FRIEDRICH GLAUSER : LE ROYAUME DE MATTO. LA RAISON D’ETRE.

    friedrich glauser, INSPECTEUR STUDER, LE ROYAME DE MATTO, polar suisse
    Publié en 1937, Le Royaume De Matto entame donc la série des enquêtes de l’inspecteur Studer avec ce second opus, où son créateur, Friedrich Glauser, entraîne le lecteur dans les méandres d’une investigation se déroulant au cœur d’une institution psychiatrique. La démarche est loin d’être anodine, puisque l’auteur, au cours d’un parcours de vie plutôt mouvementé, a fréquenté bon nombre de ces établissements comme j’avais eu l‘occasion de l’évoquer avec L’inspecteur Studer, premier ouvrage de cette série emblématique du roman policier helvétique qui se plait à dresser avec une acuité déconcertante le portrait social de l’époque mais dont certains aspects résonnent dans une actualité récente, liée, par exemple, aux scandales des nombreux excès dont les autorités ont fait preuve avec ces placements forcés et autres internements abusifs.

     

    Rien ne va plus à la clinique psychiatrique de Randlingen. Un patient du nom de Pieterlen s’est échappé tandis que son directeur, le docteur Ulrich Borstli, est porté dispuru. Charge à l’inspecteur Studer, réveillé au saut du lit, de résoudre cette énigme en accompagnant le docteur Laduner, directeur adjoint de l’institution qui va lui servir de guide. Hébergé au sein de la clinique, Studer découvre par l’entremise du jeune psychiatre tout un univers étrange où l’on tente d’apaiser ces âmes abîmées dans un climat oppressant d’angoisse où raison et folie ne sont plus qu’un point de vue. Au royaume déliquescent de Matto, il devient donc difficile pour l’inspecteur Studer de faire la part des choses afin de découvrir qui a bien pu en vouloir au directeur Ulrich Borstli.

     

    Avec Le Royaume De Matto, dont le nom désigne la folie en italien, le lecteur est rapidement saisi par la sensation de malaise et d’angoisse qui émane d’un roman où l’intrigue policière figure en second plan d’un portrait extrêmement précis des institutions psychiatriques que l’auteur dépeint avec force de réalisme quant au diverses pathologies psychiques dont sont atteints les patients à l’instar de Pieterlen, auteur d’un infanticide. Par l’entremise de ce personnage, Friedrich Glauser dresse le portrait de la misère sociale et de la pauvreté qui sévissait également en Suisse, bien loin de l’idée de cet état providentiel qui subviendrait aux plus nécessiteux. Il y confronte également l’expertise psychiatrique au service d’une justice plus encline aux châtiments qu’à la guérison suite à une perte de raison. Mais par le biais de Laduner, psychiatre avant-gardiste, s’agit-il vraiment d’une perte de raison ou d’une certaine lucidité que la morale ne saurait approuver ?

     

    Doté d’un certaine empathie et d’un grand sens de l’écoute, l’inspecteur Studer va donc être confronté à un certain sentiment d’impuissance tandis qu’il parcourt les arcanes de cette institution psychiatrique où il découvre les diverses intrigues qui se jouent entre infirmiers, médecins et patients menant un « bal » étrange au son d’un accordéon dont les notes oppressantes résonnent mystérieusement dans les couloirs de la clinique. Guidé par le docteur Laduner, le policier découvre également, au fil de l’intrigue, les errements et les excès d’une science encore balbutiante qu’est la psychiatrie qui ne dispose pas encore de la pharmacopée permettant de traiter les patients. Personnage ambigu, le docteur Laduner incarne le désarroi de ces psychiatres qui disposent des malades pour expérimenter toute sorte de traitement qui vont du plus absurde au plus cruel à l’instar de ces infections de fièvre typhoïde volontairement provoquées pour guérir des malades atteints de catatonie. Psychiatrie versus criminologie, finalement l’inspecteur Studer doit admettre que sa seule logique ne suffit pas à résoudre une affaire qui le dépasse et dont les tenants et aboutissants ne peuvent s’inscrire dans une logique de raison au sein de cet univers où le désespoir côtoie la solitude. Une impuissance qui s’inscrit dans une conclusion finale accablante pour l’ensemble des protagonistes.

     

    Au détour d’une étrange enquête on découvre donc l’abîme dans laquelle errent les pauvres âmes du Royaume de Matto. Un roman policier dérangeant et déconcertant.

     

    Friedrich Glauser : Le Royaume de Matto (Matto Regiert). Editions Gallimard/Le Promeneur 1999. Traduit de l’allemand par Philippe Giraudon.

    A lire en écoutant : Plume d’Ange de Claude Nougaro. Album : Plume d’Ange. Barclay 1977.

  • Akimitsu Takagi : Irezumi. A fleur de peau.

    Capture d’écran 2017-07-23 à 19.31.35.pngQu’elles soient littéraires, culinaires, cinématographiques ou télévisuelles, les incursions au Japon demeurent des démarches à la fois fascinantes et déroutantes permettant de lever un coin de voile d’une culture à la fois dense et mystérieuse. D’une complexité et d’une étrangeté sans égale pour le regard de l’occidental néophyte que je suis, la société nippone suscite toujours un profond intérêt qui débuta il y a bien des années de cela avec la découverte du film Yakuza de Sidney Pollack qui nous entraînait dans les arcanes de ces gangsters japonais régis par un code d’honneur rigoureux et dont la peau de certains membres étaient ornée de tatouages traditionnels que l’on désigne sous la dénomination de Irezumi qui donne justement son titre à la version française d’un curieux roman de Akimitsu Takagi, parut en 1948 à une période où le Japon était encore occupé par l’armée américaine.

     

    Aussi belle et fascinante soit-elle, Kinué Nomura est destinée à un fin tragique, puisque cette fille d’un illustre tatoueur déplore déjà la disparition de sa sœur jumelle. Il faut dire que les jumelles ainsi que leur frère possèdent la particularité d’être porteur d’Irezumi fabuleux esquissés par leur géniteur et dont l’ensemble évoque une légende aux entournures maudites. De fait, le corps démembré de Kinué est retrouvé dans une salle de bains dont la porte est verrouillée de l’intérieur. Et l’on constate rapidement que le buste est manquant. Les autorités se perdent en conjecture. S’agirait-il de l’œuvre d’un admirateur sadique désireux de posséder le précieux tatouage ? Mais la tournure des événements laisse peu de place à la réflexion, puisque c’est le frère de la victime qui est retrouvé mort dans des circonstances similaires. La police dépassée va devoir accepter l’aide de Kyôsuge Kamisu, jeune surdoué qui parviendra peut-être à déjouer les sombres desseins de ce psychopathe sanguinaire.

     

    Basé sur l'archétype narratif du crime commis dans une pièce close de l'intérieur et résolu par un enquêteur surdoué, Irezumi, à plus d'un titre, sort résolument de l'ordinaire, tant par le cadre historique dans lequel se déroule l'intrigue que par le milieu méconnu du tatouage dans lequel évolue l'ensemble des personnages. Bien évidemment, l'un des enjeux majeurs du roman consistera à découvrir le modus opérandi d’un assassin particulièrement habile et il faut bien admettre que l'auteur fait preuve d'une brillante ingéniosité qu'il restitue par l'entremise de la logique implacable de Kyôsuke Kamisu, sorte de jeune et malicieux Rouletabille qui manque peut-être un peu d'envergure. Il s'agit là de la seule faiblesse du roman par rapport à ce protagoniste captivant qui, paradoxalement, arrive bien trop tardivement dans le fil d’une intrigue tout en maîtrise. Néanmoins Irezumi n’est que le premier roman d’une série qui compte dix-sept volumes, mettant en scène ce détective amateur atypique, qui n’ont pas encore fait l’objet d’une traduction en français.

     

    Si l’on ressent clairement l’influence occidentale du point de vue de l’intrigue policière, Irezumi oscille rapidement vers un univers à la fois dissolu et sensuel propre au Japon en suivant la destinée de cette femme, Kinué, dont l’épiderme recouvert d’une fresque éblouissante, suscite toutes les convoitises. On découvre un entourage étrange dans lequel la jeune femme évolue en dégageant une espèce de sensualité trouble, presque malsaine. Ainsi de l’amoureux transi au collectionneur avide, il gravite autour de la belle naïade toute une panoplie de personnages torturés dont la concupiscence génère un climat de tensions et de perversions. L’auteur bâtit donc son intrigue en intégrant tous les aspects liés à l’art du tatouage traditionnel que ce soit la douloureuse phase de conception qui peut durer plusieurs années, la marginalisation de ces artisans contraint d’effectuer leurs activités dans une semi clandestinité ainsi que le regard réprobateur que porte la société nippone sur les individus affublés de ces estampes indélébiles. Bien plus qu’une série de clichés d’un univers exotique et méconnu, tous ces éléments deviennent les ressorts nécessaires aux motivations et mobiles des différents crimes qui sont perpétrés en générant un climat licencieux et sulfureux.

     

    L’ouvrage publié en 1948 permet également d’appréhender, avec un texte aux tonalités étrangement contemporaines, tout le contexte historique de cette ville de Tokyo occupée qui se remet peu à peu des affres de la guerre tandis que la population évolue dans les décombres d’une cité laminée par les bombardements. C’est au travers du quotidien des différents intervenants que l’on perçoit les aléas d’une vie laborieuse faite de marché noir, de transports chaotiques, de suicides en pleine représentation théâtrale et de filatures dans des quartiers en ruine.

     

    Portant un regard éclairé sur la société nippone de l’après-guerre, Irezumi devient ainsi bien plus qu’un whodunhit classique et aiguisé pour nous entraîner dans le sillage d’un univers délicieusement déliquescent que l’on discerne au détour d’une intrigue fort bien construite.

     

    Akimitsu Takagi : Irezumi (Shisei Satsujin Jiken). Editions Denoël/Collection Sueurs Froides 2016. Traduit du japonais par Mathilde Tamae-Bouhon.

     

    A lire en écoutant : The City Is Crying de The Dave Brubeck Quartet. Album : Jazz Impression Of Japan. Sony Music Entertainment 1964.

     

     

  • Fred Vargas : Quand Sort La Recluse. Le venin du succès.

    fred vargas, éditions flammarion, adamsberg, quand sort la recluseQuand Sort La Recluse, dernier roman de Fred Vargas, reine du polar ou plus précisément du  « rompol » comme elle désigne l’ensemble de son oeuvre, débarque dans nos librairies, pour ceux qui ne l’aurait pas remarqué ou qui aurait loupé la vague de service de presse qui a déferlé sur les multiples supports médiatiques. Après la déception de Temps Glaciaires qui marque l’essouflement de la série Adamsberg, je mesure tout de même l’attachement (l’addiction ?) pour l’ensemble de ces personnages puisque me voici plongé, malgré tout, dans une nouvelle enquête de ce commissaire emblématique de la littérature policière française. Signes d’un succès qui ne se dément pas, on évoque désormais Fred Vargas par le truchement de son classement dans les meilleures ventes de livres ainsi que par le biais du tirage initial et du nombre d’exemplaires vendus alors que les recensions sur l’ouvrage ne font état que d’éléments qui ont déjà été évoqués à de multiples reprises lors de la parution de ces précédents romans.

     

    Dans la région de Nîmes, la Recluse, une araignée plutôt discrète, est sortie de son trou pour faire trois victimes qui ont succombé à sa morsure qui n’était pourtant, jusqu’à présent, pas signalée comme étant potentiellement mortelle. On évoque bien une mutation liée à l’usage des pesticides, mais le commissaire Adamsberg n’y croit guère. Revenu des brumes islandaises, il percoit, dans le nuage éthéré de ses pensées, un obscur assassin qui officierait afin d’accomplir une sourde et terrible vengeance. Il faut dire que l’image de la Recluse le renvoie vers des terreurs d’enfance enfouies qui ne sont pas forcément en lien avec une banale arachnaphobie mais évoque plutôt une terrible tradition issue de rites obscurs du Moyen Age. Il ne reste plus qu’a convaincre tout le commissariat de se lancer à la poursuite de ce meurtrier. Une tâche qui va se révéler bien plus ardue qu’il n’y paraît, provoquant des scissions au sein d’une équipe qui doute du bien-fondé des certitudes d’Adamsberg. Que fait le capitaine, a-t-il perdu la raison ?

     

    On reprend les mêmes et on recommence. Pour ceux qui souhaitent retrouver l’univers de Fred Vargas sans être troublé par un quelconque changement, Quand Sort La Recluse entame un retour aux sources de la série Adamsberg en reprenant les fondamentaux qui en ont fait son succès. Une tradition médiévale en lien avec des meurtres, un lot de personnages atypiques, des dialogues décalés et une enquête alambiquée qui s’appuie sur le passé du commissaire Adamsberg, on se retrouve ainsi avec un récit correct qui ne brille pas par son originalité. Avec des recettes éprouvées, Fred Vargas signe un nouveau succès en devenir pour des lecteurs en quête de retrouvailles et d’habitudes au gré d’une intrigues aux entournures quelque peu éculées. Ainsi pour les plus avisés et les plus addicts d’entre eux, il faudra bien admettre que l’assassin est aisément identifiable tant il s’inscrit dans une espèce de tradition propre aux récits de l’auteur que je me garderai bien de dévoiler.

     

    Bien que Fred Vargas s’en défende, il y a désormais, derrière la série Adamsberg, une histoire de gros sous qui s’assortit inévitablement avec un manque de créativité et d’originalité. Il s’agit là d’un des revers de la médaille du succès que l’on ne saurait attribuer uniquement à Fred Vargas, puisque toute la chaîne du livre, jusqu’aux lecteurs que nous sommes, doit être mise en cause. Ainsi dans un univers où les publications n’ont jamais été aussi nombreuses, je m’étonne toujours de cette concentration et de mise en lumière sur quelques auteurs « bankables » qui rapportent certainement un revenu conséquent mais qui se fait au détriment de tous ces ouvrages méconnus qui peinent à trouver leur place dans cette course au succès. Un logique qui obéit forcément à un lot de contraintes afin de répondre aux attentes des lecteurs permettant ainsi d’écouler ces fameux tirages de plusieurs milliers d’exemplaires. Fred Vargas ne se dérobe malheureusement pas à la règle, même si elle tente de pimenter le récit en implémentant un conflit au sein de l’équipe du commissaire Adamsberg, comme elle l’avait d’ailleurs fait dans Temps Glaciaire. Au gré de dialogues, certes savoureux, mais désormais terriblement convenus, l’auteur égrène son lot de personnages qui ne sortent pas de leurs rôles. Adamsberg demeure ce personnage toujours aussi flou qui enquête et dirige ses collaborateurs au gré de ses sensations ; Veyrenc débite encore quelques rares alexandrins qui ne font que souligner l’essouflement de cette série ; Danglard dispense son savoir au gré des investigations en cours et Retancourt s’affirme toujours comme étant la femme-vestale, pilier indestructible de la brigade. Tout est donc bien rangé dans ce récit agréablement convenu qui présente l’avantage de se lire rapidement sans pour autant en retirer l’indéfinissable frisson que nous procurait des romans tels que L’Homme A L’Envers, Pars Vite Et Reviens Tard ou L’Armée Furieuse.

     

    Sur les eaux bien tranquilles de la notoriété, Fred Vargas nous livre donc, avec Quand Sort la Recluse, un ouvrage qui comblera les attentes des aficionados du commissaire Adamsberg sans pour autant vouloir remettre en question les rouages d’une série qui tourne désormais dans le vide en dispensant tout de même quelques éléments d’intrigues agréables à découvrir. Néamoins La Recluse mord cruellement en distillant son poison létargique qui font que, l’air de rien, l’auteur s’endort tout doucement sur son succès.

     

    Fred Vargas : Quand Sort La Recluse. Editions Flammarion 2017.

    A lire en écoutant : Le Capitaine de William Sheller. Album : William Sheller & le quatuor Stevens (Live). Mercury 2007.

  • Sunil Mann : Poker En Famille. Enfants perdus.

    sunil mann, poker en famille, éditions des furieux sauvages, Zürich, oberland bernois, madridRésolument ancré dans une dimension locale, le polar suisse, à quelques rares exceptions, peine à s’exporter au-delà de nos frontières et à franchir cette fameuse barrière du « Röstigraben » expliquant, du moins en partie, le succès très relatif en Suisse Romande, de la série des aventures du détective privé Vijay Kumar, résidant et officiant dans le quartier populaire du Kreis 4 de la ville de Zürich. Pratiquement passée inaperçue, il s’agit une nouvelle fois de signaler, pour les amateurs du genre, cette superbe série qui aborde, avec un humour décalé, les problèmes sociaux du pays sur fond d’enquêtes policières à la fois sensibles et émouvantes. On découvrait l’œuvre de Sunil Mann avec La Fête des Lumières (Furieux Sauvages 2013) où l’on faisait la connaissance de ce jeune détective aux origines indiennes qui déjouait de sinistres magouilles immobilières en lien avec des mouvement d’extrême-droite au sein d’une ville cosmopolite. Le second roman, L’Autre Rive (Furieux Sauvages 2015) nous plongeait au cœur de la communauté gay tout en évoquant la situation des migrants clandestins. Pour ce troisième opus, intitulé Poker en Famille, Vijay Kumar, qui semble vouloir remettre en cause les perspectives de son avenir professionnel, va nous entraîner dans les dérives de l’adoption abusive.

     

    Malgré quelques succès, le détective privé Vijay Kumar peine à joindre les deux bouts. Il faut dire que les petites missions de surveillance et autres filatures quelconques ne suffisent pas à régler les factures qui s’accumulent. Tout en cherchant un emploi plus stable pour faire face aux dépenses, il rend quelques menus services à sa petite amie Manju qui développe un service de traiteur de cuisine indienne. Mais lorsque Noemi, une jeune adolescente perturbée débarque dans son bureau pour lui confier la recherche de ses parents biologiques, Vijay se laisse convaincre et reprend du service. Une enquête bien plus dangereuse qu’il n’y paraît qui entraîne notre détective de Madrid jusqu’aux contrées de l’Oberland bernois, sur les traces d’un inquiétant médecin.

     

    Une nouvelle fois, Sunil Mann évoque un sujet sensible avec cette pointe d’ironie qui caractérise l’ensemble de ses romans en se démarquant ainsi des productions parfois tristounettes de ses confrères helvétiques qui se prennent bien trop au sérieux. Ce mordant qui caractérise le personnage principal nous rappelle des détectives tels que Philip Marlowe que Sunil Mann cite d’ailleurs parmi toutes ses influences littéraires qui l’ont poussé vers l’écriture de romans policiers. Mais à l’inverse du héros solitaire, Vijay Kumar est bien entouré avec sa famille est quelques compères atypiques qui prennent une place prépondérante dans l’ensemble des récits. Tous dotés de quelques traits de caractères saillants, l’ensemble des personnages permet d’aborder les intrigues avec des points de vues plutôt divergents et parfois rafraîchissants à l’instar de Miranda, cette prostituée transsexuelle qui apporte une dimension décalée en oscillant sur les registres du burlesque et de l’émotion. C’est probablement l’une des grandes qualités de la série où chaque acteur occupe une place bien précise dans l’ensemble des intrigues en reléguant parfois Vijay Kumar dans un rôle d’observateur qui lui convient d’ailleurs parfaitement. Doté d’une certaine acuité, le détective privé nous entraîne dans le champ de ses introspections en nous livrant ses réflexions sur des thèmes variés tels que l’immigration et les enjeux liées à l’intégration en relevant les similitudes et les dissonances de deux cultures diamétralement opposées dans lesquels les natifs sur sol helvétiques doivent trouver leur place à l’image d’un Vijay Kumar tiraillé entre le poids des traditions incarné par une mère aussi aimante que possessive et l’attrait d’un certain goût d’indépendance le dispensant de tout compte à rendre auprès des siens.

     

    Poker en Famille évoque, comme son nom l’indique, les apparences trompeuses de la famille idéale qui se révèle bien plus bancale qu’il n’y paraît et dans laquelle une jeune fille refuse désormais de poursuivre ce jeu de dupe. Lubie d’une adolescente perturbée ou intuition avérée, Noémi ressent depuis toujours une certaine distance avec les membres de sa famille à un point tel qu’elle éprouve la certitude d’avoir été adoptée. Dubitatif, Vijay Kumar entame tout de même quelques investigations qui vont confirmer les doutes de la jeune fille. Pour mener à bien cette enquête délicate, Vijay Kumar va devoir se rendre à Madrid en compagnie de son ami José, journaliste d’investigation. Les deux compères vont rapidement mettre à jour un odieux trafic d’enfants mis en place par des nones bénéficiant de la complicité d’obstétriciens douteux s’arrogeant le droit de décider qui mérite un enfant. Une sélection qui s’avère d’autant plus abjecte qu’elle se base essentiellement sur des notions pécuniaires. Toujours très bien documenté, Sunil Mann nous permet d’appréhender tous les ressorts de cette traite de bébés en mettant en exergue toute l’émotion de ces familles brisées qui n’ont jamais renoncé à la garde de leur progéniture. Mais au-delà de cette détermination, l’auteur développe toute une intrigue basée sur le ressentiment et l’esprit de vengeance dont l’épilogue déroutant se déroule dans un coin reculé de l’Oberland bernois, terre d’origine de l’écrivain.

     

    Madrid, l’Oberland bernois, avec Poker en Famille, Sunil Mann délaisse quelque peu la ville de Zürich pour entraîner son personnage fétiche vers d’autres horizons tout en abordant les thèmes liés à la famille qui deviennent l’un des grands enjeux des nombreux personnages qui peuplent cette série helvétique que l’on doit découvrir impérativement. Une belle réussite pour cet ensemble de polars plus que convaincants.

     

    Sunil Mann : Poker En Famille (Familienpoker). Editions des Furieux Sauvages 2016. Traduit de l’allemand par Ann Dürr.

    A lire en écoutant : Lorelei de Nina Hagen. Album : Angstlos. CBS International 1983.