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03. Roman policier - Page 3

  • MICHELE PEDINIELLI : LA PATIENCE DE L'IMMORTELLE / SANS COLLIER. BOUCHE NOIRE.

    michèle pedicelli,editions de l’aube,sans collier,la patience de l'immortellePlus qu'aucune autre série de romans policiers, il conviendra de lire l'ensemble des enquêtes de Ghjulia “Diou" Boccanera, qui plus est dans l'ordre, afin d'apprécier l'arche narrative qui relie l'ensemble des ouvrages, ceci quand bien même, selon la formule consacrée propre au markéting de l'édition, chaque livre peut se lire séparément. Mais si l'on parcourt les premiers chapitres d'Un Seul Oeil, dernier opus des investigations de la détective privée niçoise, on remarquera les nombreuses notes en bas de page faisant référence à l'ensemble des romans précédents que ce soit Boccanera (Aube Noire 2018), Après Les Chiens (Aube Noire 2019), La Patience De L'Immortelle (Aube Noire 2021) et Sans Collier (Aube Noire 2023), ce qui ne fait que confirmer cette assertion consistant à s'imprégner de l'ensemble des polars de Michèle Pedinielli pour en percevoir toute l'envergure. Il faut dire, qu'outre le fait qu'il s'agit de l'un des rares personnages féminins officiant comme détective privée, la singularité de la série réside dans l'importance que prend l'entourage de Diou, que ce soit le commandant de police Joseph "Jo" Santucci, son ex compagnon, ou Daniel "Dan" Lehmann, son colocataire gay qui tient une galerie de photos ou Ferdi, un sdf muet qui a pris ses quartiers dans le Vieux-Nice où réside notre enquêtrice au caractère affirmé, tout comme sa créatrice. Michèle Pedinielli partage d’ailleurs de nombreux autres points communs avec sa protagoniste principale à l'instar de ses origines corses dont prend la mesure dans La Patience De L'Immortelle avec une enquête se déroulant, dans son intégralité, sur l'Île de Beauté tandis que Sans Collier se penche sur le passé de Ferdi en lien avec son engagement dans la lutte contre le fascisme durant la période de la fin des années de plomb en Italie. L'extrémisme et ses dérives sont l'un des thèmes que la romancière engagée aborde frontalement dans la série, tout comme les conditions des ouvriers sur les nombreux chantiers qui défigurent la cité niçoise, ainsi que l'immigration clandestine à la frontière franco-italienne et les violences domestiques comme autant de sujets sociaux s'inscrivant dans une actualité qu'elle saisit avec une redoutable acuité, agrémentée d'une pointe d'humour acide et d'une certaine tendresse qui émerge de l'attachante personnalité de cette dure-à-cuire qu'incarne Diou se révèlant aussi généreuse que courageuse. Après avoir donc évoqué les deux premiers volumes de la série, il importait d'examiner les deux suivants que sont La Patience De L'Immortelle et Sans Collier qui s'inscrit d'ailleurs dans l'actualité littéraire du moment puisqu'il vient d'être publié en format poche. 

     

    La Patience De L’Immortelle.
    Cela faisait bien des années que Ghjulia Boccanera n'était pas retournée en Corse, et c'est le coeur lourd qu'elle s'y rend puisqu'elle doit accompagner son ex compagnon Joseph Santucci dont la nièce a été assassinée sauvagement. En effet, après avoir été abattue d'un coup de fusil dans la nuque, on a placé le corps de la jeune journaliste dans le coffre de sa voiture que l'on a incendiée. Si le commandant Santucci a promis de ne pas interférer dans le déroulement de l'enquête de ses collègues corses, il demande à Diou, dont il connaît la détermination, d'examiner les circonstances de cette atroce affaire. Mais dans cette région montagneuse de l'Alta Rocca, la détective privée se rend bien compte qu'elle ne possède plus les codes lui permettant de percer le mutisme d'une communauté méfiante. Et puis, au-delà des investigations l'entrainant dans les rapports complexes de la spéculation foncière et des incendies qui en découlent, il y a les souvenirs qui rejaillissent de manière éparse tandis qu'un milan tournoie inlassablement au-dessus de sa tête comme pour la guider dans ses démarches. Il y a donc de quoi perdre pied au sein de cette famille en deuil qui ne fait qu'amplifier ce sentiment de désarroi qui l'étreint. Livrée à elle-même, c'est auprès de ce vieil homme à la main tordue par les rhumatismes que Diou trouvera les ressources nécessaires pour surmonter les épreuves qui l'attendent au sein de cet environnement insulaire où les secrets émergent peu à peu dans la douleur.

     

    Si les romans précédents n'étaient pas avare en émotion, il faut bien admettre que La Patience De L'Immortelle est probablement le meilleur récit de la série parce qu'il s'inscrit dans une définition plus complexe et plus nuancée de la personnalité de cette détective privée cinquantenaire à laquelle on ne peut manquer de s'attacher fortement tandis qu'elle évolue dans un autre environnement que les ruelles de la vieille ville de Nice pour nous entrainer sur cette terre insulaire de ses origines d'où émerge quelques réminiscences du passé comme l'apparition de ce tirailleur  sénégalais faisant allusion à son sous-officier, grand père de la détective, qui est sans nul doute inspiré de l'aïeul de Michèle Pedinielli qui a servi au sein d'un tel bataillon. Dès lors, on ne peut donc manquer de ressentir cette résurgence des origines corses de la romancière s'agrégeant à une intrigue policière aux tonalités rurales pleines de saveurs méditerranéennes dont elle prend soin de ne pas trop abuser en évitant ainsi l'écueil des clichés propre à un tel environnement. C'est d'ailleurs de l'environnement dont il est question avec La Patience De L'Immortelle qui met en lumière les combines peu reluisantes de la spéculation des terres agricoles et plus particulièrement du trafic des oliviers centenaires, sujet à bien des convoitises. A partir de là découle toute une intrigue s'articulant autour des activités de la journaliste assassinée qui entendait dénoncer ces agissements illégaux. Mais c'est également dans le giron familiale de la victime que se dessine certains aspects de cette enquête où l'on croise notamment quelques fortes personnalités que sont Antoinette, mère désarçonnée par la douleur de la perte de sa fille, et sa belle-soeur Diane, au caractère âpre et revêche mais qui fait preuve d'un soutien sans faille. On appréciera également les rapports quasiment filiaux que Diou entretient avec le dénommé Barto, une espèce de vieux sage au réflexions aussi malicieuses que pleines d'esprit qui vont lui permettre d'obtenir certains éclairages quant aux comportements des habitants de la région. Tout cela se met en place au gré d’un récit dynamique, chargé en émotion, et dont la finalité va se révéler bien plus surprenante qu’elle ne le laissait à penser en bouleversant à tout jamais, les rapports que Diou va entretenir avec son ex compagnon, alors qu’elle en proie à un terrible dilemme.

     

    Sans Collier.
    Ils ne sont assujettis à aucune obédience et se démarquent de tous les groupuscules politiques de cette Italie des années 70 alors qu'ils entendent renverser le monde avec cette énergie et cette naïveté propre à leur jeunesse. "Cane sciolti", chiens sans collier, c'est ainsi qu'on les surnomme tandis qu'il s'opposent vaillamment à cette montée du fascisme gangrénant à nouveau le pays, et dont les activités vont prendre fin dans un terrible bain de sang. Et c’est ce pan de la tragique histoire de l’Italie qui va rejaillir brutalement dans l’existence de Ghjulia Boccanera tandis qu’elle enquête sur l'étrange disparition d’un ouvrier moldave qui travaillait sur l’un des plus gros chantier de la ville Nice et qui semblait avoir quelques dettes de jeu conséquentes. Entre les réminiscences du passé qui refont surface peu à peu et les menaces anonymes qui deviennent de plus en plus prégnantes, Diou va avoir bien du mal à démêler les écheveaux de cette intrigue complexe où tout le monde s’emploie à dissimuler des secrets enfouis dans une mémoire parfois défaillante.

     

    C'est dans un jeu habile et subtil des temporalités que se dessine la trame narrative de Sans Collier où l'on retrouve Nice et son cortège de travaux pharaoniques qui plongent la ville dans le chaos tandis que l'on surexploite les ouvriers que l'on emploie sans autorisation au sein de sociétés de sous-traitance plus que douteuses. A certains égards, on retrouve donc l'univers du premier roman de la série en croisant à nouveau Shérif, cet inspecteur du travail obèse qui sollicite régulièrement les services de Ghjulia Boccanera afin d'enquêter, à titre gracieux bien évidemment, dans ce milieu où la corruption et les malversations en tout genre font office de règles incontournables pour exploiter ces travailleurs en situation précaire. Mais en parallèle, c'est le parcours de la jeunesse de Ferdi, autre personnage récurrent de la série, que Michèle Pedinielli a décidé de mettre en scène en nous entraînant ainsi sur un registre historique pour se pencher sur cette époque douloureuse des années de plomb et de la stratégie de la tension qui prévalait en Italie en nous apportant un certain éclairage quant à la personnalité de ce sdf muet qui s'est improvisé comme protecteur de notre intrépide détective privée qu'il a tiré de mauvais pas, à plusieurs reprises. Et puis comme point d'orgue, il y a cette missive aussi menaçante qu'anonyme à l'adresse de Diou mais également de Dan son colocataire et ami qui tient une galerie de photos qui va être vandalisée. Comme à l'accoutumée, il y a ces thématiques sociales qui émergent d'une intrigue bien ficelée, mais dont on devine peut-être un peu trop à l'avance certains aspects, même si le roman s'achève soudainement sur une scène finale aussi imprévisible que brutale qui va bien évidemment rejaillir dans Un Seul Oeil dont les événements se déroulent deux heures plus tard. Mais pour en revenir à Sans Collier, on appréciera toujours autant les contours de la personnalité de cette cinquantenaire libertaire, forte en gueule, toujours très drôle, qui doit désormais faire face à des bouffées de chaleur dont elle ne saisit pas immédiatement l'origine et qui en font une héroïne malheureusement atypique au sein de cet univers de la littérature noire où il n'est que trop rarement question des sujets du quotidien ayant trait aux femmes qui nous entourent. Et si l’on fait allusion à Fabio Montale ou à Sergio Corbucci pour définir le caractère de Ghjulia Boccanera, vivement le jour elle fera office de référence pour d’autres personnalités féminines de son calibre.

     


    Michèle Pedinielli : La Patience De L'Immortelle. Editions de l'Aube/Noire 2021.

    Michèle Pedinielli : Sans Collier. Editions de l'Aube/Noire 2023.

    A lire en écoutant : La Ficelle d'Alain Bashung. Album : L'Imprudence. Barclay 2002.

  • Hugues Pagan : L'Ombre Portée. Affaire occulte.

    l’ombre portée,hugues pagan,éditions rivages noirTout le monde s'accorde pour dire que l'oeuvre de Hugues Pagan se distingue de par son style à nul autre pareil qui s'inscrit dans une élégance certaine tant dans son écriture que dans la personnalité de son inspecteur Schneider que l'on côtoie depuis de nombreuses années et dont on sait déjà quelle sera sa trajectoire, avec un certain déchirement d'ailleurs, puisque l'auteur avait déjà mis en scène ce flic désenchanté et mutique à la fin des années 80 que ce soit dans Vaines Recherches (Fleuve Noir 1984) et plus particulièrement dans La Mort Dans Une Voiture Solitaire (Fleuve Noir 1982), premier roman de la série qui scellait déjà son destin. Mais Hugues Pagan avait encore des choses à dire sur l'institution policière où il a officié lui-même durant de nombreuses années avant de raccrocher pour se consacrer à l'écriture et puis à l'élaboration de scénarios dont sont issus quelques séries policières emblématiques telles que Police District et Mafiosa qui ont marqué les esprits. C'est donc bien des années plus tard, avec Profil Perdu (Rivages/Noir 2017), que l'on retrouve l'inspecteur Schneider, officiant comme chef de groupe au sein de la brigade criminelle d'une ville sans nom de l'est de la France et dont l'intrigue se déroule durant les années 70 en prenant pour cadre le Bunker, désignant le commissariat austère de cette cité provinciale. Si l'élégance est toujours au rendez-vous, elle ne se dépare pas de cet aspect âpre, parfois même sordide, propre aux enquêtes qui échoient à ces inspecteurs chevronnés et sans illusion qui trouvent quelques réconforts aux Abattoirs, café restaurant, situé à proximité de leur lieu de travail, où ils ont leurs habitudes. C'est cette ambiance, ce contexte clair-obscur que Hugues Pagan reprend avec Le Carré Des Indigents (Rivages/Noir 2022) où l'on découvre plus d'éléments de la trajectoire de son policier fétiche qui va enquêter, avec son équipe, sur la disparition d'une adolescente. On notera que les récits de Hugues Pagan se distinguent par le rythme languissant d'une narration qui prend son temps tout en évitant les excès spectaculaires propre à dénaturer le réalisme de ces enquêtes qui s'attachent à ces aspects de la nature humaine dans un contexte de détresse sociale émergeant de chacune des enquêtes de l'inspecteur Schneider qui doit composer avec une hiérarchie défiante quant à son style et sa manière de procéder, ce d'autant plus qu'il est respecté par le pouvoir judiciaire appréciant la qualité de ses dossiers sans faille. Autant dire que les adeptes de polars aussi trépidants qu'absurdes en seront pour leur frais, mais que les autres se réjouiront du retour de l'inspecteur Schneider qui, avec L’Ombre Portée, va enquêter sur un incendie criminel l'entrainant dans des investigations prenant une dimension occulte.

     

    La ville est en train de changer de visage et c'est peut-être dans ce contexte de convoitise immobilière que l'ancienne menuiserie a été incendiée en tuant trois sans abris qui s'y étaient réfugiés. Le caractère délibéré de la mise à feu ne faisant aucun doute, c'est l'inspecteur Schneider et son groupe de la brigade criminelle qui sont en charge de l'affaire. Et bien vite, l'incendiaire, pétri de remord, va se présenter au commissariat afin de se dénoncer sans pour autant être en mesure de donner des éléments en ce qui concerne l'identité du mystérieux commanditaire qui l'a rémunéré. Néanmoins, les enquêteurs vont mettre à jour une piste les conduisant du côté des hautes sphères de la ville, dans les beaux quartiers résidentiels où l'on trouve notamment une grande propriété abritant une étrange société dirigée par un couple charismatique qui semble avoir une grande influence sur les notables et les édiles de la région. Et si Schneider ne croit pas beaucoup aux forces surnaturelles et autres fariboles, il doit bien admettre, à mesure que les cadavres s'accumulent, qu'il a peut-être à faire à ce qui peut s'apparenter à un représentant du mal, voire au Diable en personne.

     

    Ainsi, Hugues Pagan continue de forger la légende de Claude Schneider, inspecteur mutique et pourtant charismatique du commissariat, que ses hommes respectent et que l'Etat-Major abhorre pour son esprit libre et ses compétences en matière de procédures qu'il conduit avec une efficacité redoutable qui n'est pas dénuée d'une certaine humanité, plus particulièrement à l'égard des individus modestes qu'il côtoie, même s'il fraye également avec d'anciens truands, comme Monsieur Tom faisant office d'intermédiaire avec les édiles de la ville que le policier n'apprécie guère. Dans cette France des seventies basculant dans la modernité que l'on perçoit au détour de cette ville en chantier, il va de soi que l'homme entretient le mythe de l'enquêteur impavide au regard froid et à la réplique aussi efficace que sibylline, tandis qu'il soigne son look avec ses lunettes d'aviateur polarisées, son colt 45 à la ceinture qu'il dissimule sous sa parka militaire, sans doute la même que celle que portait Alain Delon dans Mort d'un pourri et auquel on ne peut manquer de faire allusion tout comme mentionner les derniers films de Melville d'où émane cette même atmosphère froide qui imprègne l'ensemble des textes de Hugues Pagan. Et puis il y a ce malaise qui définit très certainement Schneider dans son attitude distante de flic solitaire, un peu en marge, provenant sans doute de son passage à l'armée au sein des Paras durant la guerre d'Algérie et dont certains aspects peu reluisant vont rejaillir dans le cours de l'intrigue. Même si le récit débute avec la mort de trois sans abris, L'Ombre Portée va prendre une dimension plus occulte en s'intéressant notamment aux activités de ce couple étrange qui semble avoir une influence grandissante sur les notables de la ville qui ne peuvent résister aux manoeuvres délétères  de ce gourou malfaisant et de cette femme au charme ensorcelant qui trempent dans des affaires financière douteuses, tandis que leur homme de main se charge d'éliminer les personnes qui contrecarraient leurs projets. Une intrigue qui comprend donc une légère pointe d'étrangeté s'inscrivant dans le contexte de cette secte s'insinuant peu à peu dans les arcanes du pouvoir de cette ville de province, ceci jusque dans les rangs des hautes sphères de l'institution policière dont Schneider va entrevoir la portée. Si L'Ombre Portée demeure un roman solide de par son réalisme sans concession, on regrettera peut-être un manque de relief en partie dû au fait que les adversaires de l'inspecteur Schneider peinent à émerger face à son charisme qui demeure quasiment sans faille, hormis ces quelques instants où le policier va se retrouver sur la sellette lors d'un souper singulier qui va lui tourner la tête au propre comme au figuré. Mais à l'exception de ce léger écueil qui ne prétérite d'ailleurs en rien le bon fonctionnement de l'intrigue, on appréciera toujours autant le style impeccable et subtil de ce romancier hors-pair, dont la petite musique, toujours au service du récit, s'inscrit dans une dimension similaire à celle d'un Miles Davis ou d'un Raymond Chandler auxquels Hugues Pagan fait d'ailleurs allusion dans son texte. Ainsi, on prend donc un véritable plaisir à retrouver cette dynamique qui s'instaure au sein de l'entourage de Claude Schneider, dont certains comparses vont prendre un peu plus d'envergure à l'image de Charles Catala qui va franchir une étape dans sa carrière de policier s'inscrivant dans  cette ambiance désenchantée qui est l'une des grandes forces de ce romancier exceptionnel.

     

    Hugues Pagan : L'Ombre Portée. Editions Rivages/Noir 2025.

    A lire en écoutant : Concerto de Aranjuez (Adagio) interprété par Miles Davis. Album : Sketches of Spain. 1960 Columbia Records.

  • LEONARDO SCIASCIA : LE JOUR DE LA CHOUETTE. CHIENS DE LA LOI.

    leonardo sciascia,le jour de la chouette,éditions flammarionDepuis toujours, la littérature noire italienne tient une place de choix au sein de nos contrées francophones avec quelques auteurs emblématiques comme Georgio Scerbanenco et son emblématique enquêteur milanais Duca Lamberti ou le légendaire commissaire Montalbano, stationné en Sicile, que le regretté Andrea Camilleri a mis en scène dans plus d'une trentaine d'ouvrages, ceci sans oublier son homologue parmesan, Franco Soneri, que l'on retrouve chaque année depuis bientôt dix ans au gré des publications de Valerio Varesi qui poursuit l'aventure en nous immergeant dans les contrées brumeuses de cette région méconnue de l'Emilie-Romagne. Mais comme pour ce qui a eu trait aux polars nordiques, ou plus récemment pour ce qui concerne les romans noirs ruraux en provenance des Appalaches et autres contrées reculées des Etats-Unis, on observe un regain d'intérêt pour le "Giallo", terme désignant le mauvais genre en Italie en faisant référence aux fameuses couvertures jaunes habillant la collection mythique de polars de l'éditeur Mondadori. C'est sans doute sur la base de ce constat que la revue des littératures policières 813 a publié tout dernièrement un dossier sur "les beaux jours du Giallo" avec notamment l'intervention de traducteurs français comme Serge Quadruppani, Laurent Lombart, Gérard Lecas et Anatole Pons-Remaux et de spécialistes à l'instar de Claude Combet, Emilio Sciarrino et Fred Prilleux qui mettent en lumière toute une galaxie d'auteurs plus ou moins connus de la littérature noire italienne dans laquelle on peut puiser à satiété sans prendre trop de risques quant à une quelconque déconvenue. En parcourant la dizaine d'articles nous donnant un aperçu complet de la richesse de cette littérature noire transalpine, rares sont ceux qui ne mentionnent pas le romancier sicilien Leonardo Sciascia qui, au détour d'une œuvre littéraire très variée, s'est ingénié à dénoncer les agissements de la mafia par le prisme de la fiction avec des récit de références tels que le crépusculaire Le Chevalier Et La Mort (Sillage 2023) faisant écho à son premier roman policier aux connotations politiques, Le Jour De La Chouette qui demeure, aujourd'hui encore, une référence dans le domaine, en bénéficiant d'une révision du texte en français de Mario Fusco qui a d'ailleurs rassemblé l'ensemble des textes de l’auteur dans un intégral en trois volumes publié aux éditions Fayard. Publié en 1961, Le Jour De La Chouette détonne dans le paysage littéraire italien de cette période, parce qu'il évoque, sans détour, tous les aspects du fonctionnement d'une organisation criminelle gangrénant l'ensemble de la structure sociale d'une localité sicilienne dont Leonardo Sciascia connaît tous les aspects, lui qui a officié durant des années comme instituteur au sein d'une bourgade similaire où il a pu observer tout à loisir l'ensemble des entrelacs sociaux de son environnement. Une démarche littéraire qui n'est pas anodine comme l'auteur l'exprime d'ailleurs dans sa note en fin de récit en soulignant dans l'extrait suivant, le contexte de l'époque : "On n'ignore pas qu'en Italie il ne faut pas jouer avec le feu: qu'on imagine ce qu'il en est quand on ne désire pas jouer, mais parler sérieusement. Les Etats-Unis peuvent présenter dans leurs récits et dans leurs films des généraux imbéciles, des juges corrompus et des policiers canailles. L'Angleterre aussi, la France aussi, la Suède aussi et ainsi de suite. L'Italie n'en a jamais présentés, n'en présente pas, n'en présentera jamais."  Si Roberto Saviano a pu le contredire sur le sujet, en publiant Gomorra en 2006, personne n'ignore les menaces de mort dont le journaliste/romancier a fait l'objet en nécessitant une protection policière conséquente, faisant ainsi écho à cette impressionnante lucidité de Leonardo Sciascia qui transparait d'ailleurs dans l'ensemble de ses ouvrages.

       

    En Sicile, sur la place du village de S. deux coups de feu résonnent au petit matin en fauchant ainsi Salvatore Colasberna, abattu de deux coups de chevrotine alors qu'il s'apprêtait à prendre son bus pour Palerme. En charge de l'enquête, le capitaine Bellodi découvre que la victime, responsable d'une petite entreprise de construction, refusait de composer avec la mafia locale dans le cadre d'adjudications de travaux publics plus que douteuses. Si le responsable de la compagnie des carabinieri avance sur certains aspects de son enquête, il se heurte rapidement à une espèce d'omerta qui touche tout d'abord les associés de l'entrepreneur mais également les témoins à l'instar de Paolo Nicolosi qui finit par disparaître tandis que sa femme se retrouve sur la sellette. En dépit de ces difficultés, le capitaine Bellodi progresse dans ses investigations en interrogeant certains suspects qui auraient procédé à l'exécution de la victime ainsi que le commanditaire, une figure locale bénéficiant d'une protection des autorités judiciaires et politiques de la région qui rendent des comptes aux hautes instances basées à Rome. Autant dire que l'affaire est loin d'être résolue et que les répercussions risquent d'être nombreuses et tragiques, ce d'autant plus lorsque l'on s'en prend aux mafieux de la région.  

     

    En préambule, il conviendra passer outre l'introduction de Claude Ambroise qui dévoile toute la structure du récit, afin de mettre en valeur la substantifique moelle d'un texte aussi engagé que pertinent et que vous ne manquerez pas de découvrir au terme de votre lecture pour en apprécier quelques aspects subtils du roman qui pourraient vous avoir échappé. Mais que l'on ne s'y trompe pas, si Le Jour De La Chouette emprunte bien tous les codes du roman policier, on n'y trouvera guère un suspense trépident quant à l'identité du ou des coupables, puisque l'intrigue prend davantage l'allure d'une critique sociale au gré d'une impitoyable radioscopie structurelle d'une localité de la Sicile, phagocytée par une organisation mafieuse que Leonardo Sciascia décline avec autant d'intelligence que de mordant que l'on perçoit notamment au détour des réflexions du capitaine Bellodi qui fait preuve d'un certain sens de l'ironie en décortiquant peu à peu tous les entrelacs d'une affaire dévoilant les accointances entre malfrats, autorités politiques et judiciaires. Et c'est bien dans la pertinence de ses propos que réside le talent de Leonardo Sciascia qui parvient à mettre en lumière, avec une impressionnante clairvoyance, tous les soubassements d'une organisation criminelle qui s'incarne notamment dans la confrontation entre le capitaine Bellodi et don Mariano lors d'un interrogatoire où il est question de finance, ceci bien avant que les notions de blanchiment d'argent ne fassent véritablement surface pour mettre à mal les systèmes mafieux. Si l'on dit du roman policier qu'il se définit par un apaisement de la société au terme d'une enquête où le crime est résolu, Le Jour De La Chouette n'entre absolument pas dans ce cadre, bien au contraire, puisque l'on observe toute la mise en œuvre des mesures en vue de contrer les investigations d'un enquêteur que l'on sacrifiera sur l'autel des intérêts supérieurs d'un état dévoyé que l'on retrouvera d'ailleurs dans plusieurs romans de Leonardo Sciascia consacré à la mafia. L'intérêt du récit réside donc également dans le comportement de toute une galerie de criminels cherchant à se soustraire aux enquêteurs en employant tous les moyens tels que l'intimidation, le faux-témoignage et bien évidement l'élimination des individus pouvant apporter un éclairage sur les circonstances du crime commis. Il émane ainsi une notion de peur qui se conjugue parfois avec un certain fatalisme qui touche toute les strates d'une population qui ploie sous le joug de ces structures mafieuses impitoyables. Tout cela se met en place au gré d'une certaine forme de théâtralité que l'auteur emploie avec une efficacité redoutable lui permettant d'aller à l'essentiel avec un texte d'une impressionnante sobriété qui font que Le Jour De La Chouette demeure un roman de référence qui reste toujours d'actualité.

     

    Leonardo Sciascia : Le Jour De La Chouette (Il Giorgio Della Civetta). Editions Flammarion 2024. Traduit de l'italien par Juliette Bertrand et revue par Mario Fusco pour la présente édition. Introduction, chronologie et bibliographie par Claude Ambroise.

    A lire en écoutant : Omerta d'Ennio Morricone. Album : Il Prefetto Di Ferro. 2024 Beat Records.

  • Alexandre Courban : Rue De L'Espérance, 1935. Vers un avenir radieux ?

    alexandre courban,rue de l’avenir 1935,éditions agulloService de presse.


    C'est encore une fois autour de l'intrigue policière que les événements de l'Histoire ou pour le moins, sur le registre du roman noir que l'on perçoit les enjeux sociaux qui vont avoir une influence sur la tournure de certains épisodes du passé rejaillissant parfois dans le cours de notre actualité à l'instar de ce nouveau front populaire faisant référence à cette coalition de gauche des années trente qui avait marqué nos sociétés avec l'instauration de plusieurs acquis en faveur des travailleurs salariés dont les plus emblématiques sont les fameux congés payés et la semaine de quarante heures. Mais on ne saurait s'arrêter sur ces deux aspects d'une époque charnière finalement méconnue qu'Alexandre Courban se charge de décortiquer année après année en débutant avec Rue De L'Avenir, 1934 où l'on distingue la polarisation des opinions dont cette inquiétante montée du fascisme avec comme point d'orgue cette journée d'émeute du 6 février 1934, menée par les ligues d'extrême droite incitant les partis de gauche à s’unir afin de contrer ces mouvements fascistes qu'un journal comme l'Humanité dénonce avec véhémence. C'est en adoptant le point de vue d'un journaliste du fameux quotidien communiste, d'une ouvrière d'une raffinerie de sucre et d'un commissaire d'un poste de police du quartier que s'égrène cette année 1934 en se focalisant notamment sur l'enquête autour de la découverte d'une femme que l'on a retrouvé noyée dans la Seine. Outre les terribles conditions de travail des ouvriers et plus particulièrement des ouvrières harcelées par les contremaîtres, Alexandre Courban se penche également sur le fonctionnement du quotidien L'Humanité dont il connaît bien les rouages puisqu'il y a consacré une thèse qu'il a soutenue en 2005 alors qu'il était étudiant en histoire. Et puis, sur un registre naturaliste, on s'immerge littéralement dans le tissu social de l'époque en parcourant les rues de ce quartier méconnu du XIIIème arrondissement de Paris dont l'auteur, exerçant la fonction de conseiller d'arrondissement auprès de la mairie du XIIIème, met en exergue certains aspects du patrimoine qui s'intègrent parfaitement dans le déroulement d'une intrigue policière s'inscrivant dans cette même veine naturaliste de l'environnement qui entoure les personnages. On retrouve d'ailleurs tous ces éléments dans Rue De L'Espérance, 1935, second opus de cette chronique du Front Populaire dont l’union sacrée prend de plus en plus d'ampleur tandis que les rumeurs de la guerre exacerbent toutes les convoitises en matière de technologie et de contrats juteux qui en découlent.

     

    En 1935 à Paris, on assiste à un véritable essor de l'industrie aéronautique avec l'expansion de la société Gnome et Rhône spécialisée dans la conception de moteurs d'avion et pour laquelle travaille André Legendre, dessinateur industriel, que l'on a poignardé dans le métro. Les faits se déroulant à la station Campo-Formio, l'enquête sur les circonstances du meurtre est confiée au commissaire Bornec qui officie dans le quartier de la Gare. Mais les indices sont minces et le policier va devoir faire quelques appels à témoin en sollicitant notamment Gabriel Funel  journaliste pour le compte du quotidien L’Humanité, au sein de la rubrique sociale et qui s'intéresse plus particulièrement aux conditions de travail des métallurgistes. Pourtant, au cours de l'enquête, ils sont rejoints par Camille Dubois qui, outre son travail au service des abonnements du journal, se passionne pour la photographie en vue de devenir reporter photographe. Et c'est peut-être en consultant ses clichés que va émerger certains éléments permettant d'identifier un insaisissable meurtrier qui semble vouloir faire le ménage dans le milieu aéronautique pour le compte du gouvernement italien dirigé par Mussolini. Il faut dire que le dictateur est bien décidé à en découdre avec les forces éthiopiennes avec lesquelles il est en conflit depuis des années et qu'il lui faut pour cela acquérir du matériel performant afin d'équiper ses troupes.  

     

    Alexandre Courban poursuit donc la mise en oeuvre de cette fresque historique du Front Populaire qu'il met en scène à une échelle humaine, sans grandiloquence et surtout sans manichéisme quant à cette union sacrée des partis de gauche dont on perçoit l'émergence par le prisme de la rédaction du quotidien L'Humanité et plus particulièrement de son journaliste Gabriel Funel qui nous permet de nous immerger dans les coulisses de la rédaction et de découvrir certains aspects des personnalités qui le dirige. On perçoit de cette manière la perplexité des figures dirigeantes du journal quant à la position de l'URSS vis à vis de la France et de ses velléités de ramener le service national obligatoire à deux ans  alors que le secrétaire général du Parti communiste français lance le mot d'ordre de "Front populaire pour le pain, la paix et la liberté". Mais avec Rue De L'Espérance, 1935, bien loin de cette attitude pacifique qui prévaut dans les rangs de la gauche, émerge déjà cette atmosphère belligérante des nations qui donnent l'impression de se préparer aux hostilités à venir, à l'instar du gouvernement fasciste italien enlisé depuis bien des années dans un conflit avec l'empire d'Éthiopie et dont on perçoit les échos par l'entremise de l'enquête du commissaire Bornec chargé d'élucider le meurtre d'un employé de la société Gnome Et Rhône, la plus grande entreprise de construction de moteurs d'avion d'Europe. A partir de là, Alexandre Courban construit une intrigue policière aussi habile que réaliste en faisant en sorte que chacun des personnages, que ce soit le journaliste Gabriel Funel ou le commissaire Bornec, restent dans leurs prérogatives respectives sans jamais outrepasser les limites qui leur sont imposées, ceci même si certains aspects de l'enquête se déroulent notamment en Suisse alors que l’on suit le parcours d’un individu inquiétant endossant de multiples identités. On reste donc, pour la plupart du temps, dans le magnifique et méconnu quartier populaire du XIIIème arrondissement au gré d'investigations qui se diluent (parfois un peu trop) dans le temps, en arpentant les rues du quartier en compagnie du journaliste et du policier mais également de Camille Dubois, cette ancienne ouvrière de la raffinerie du sucre qui se passionne désormais pour la photographie tout en travaillant au service abonnement du journal L’Humanité et dont on apprécie la prépondérance  dans le cours de  l'intrigue. Ainsi, outre les événements en lien avec le Front Populaire que ce soit, la victoire de la gauche aux  élections municipales, la grande fête de L’Humanité qui prend plus d'ampleur ainsi que la grande manifestation du 14 juillet 1935 rassemblant plusieurs centaines de milliers de personnes, Alexandre Courban nous entraîne également dans le milieu héroïque de l’aviation, objet de toutes les convoitises militaires notamment, ainsi que dans les balbutiements du travail de photographe reporter prétexte à une immersion encore plus intense dans le milieu modeste des travailleurs qu'il dépeint avec une impressionnante force naturaliste. Tout cela se met en place dans un environnement où les positions contradictoires sont exacerbées dans une lutte des classes extrêmement intense qu’Alexandre Courban a su restituer sur un registre historique d’une impressionnante justesse se conjuguant à hauteur d’hommes et de femmes ordinaires, témoins presque malgré eux d’événements qui les dépassent quelque peu mais auxquelles ils entendent bien prendre part, ceci sur une note pleine d’espoir de cette année 1935 que l’on a traversé le souffle coupé. Vivement la prochaine année 1936. 

     


    Alexandre Courban : Rue De L'Espérance, 1935. Editions Agullo 2024.

    A lire en écoutant : Tosca: "E lucevan le scelle" interprété par Luciano Pavarotti. Album : Puccini:Tosca   Freni - Pavarotti - Milnes. 1979 Decca Music Group Limited.

  • JOACHIM B. SCHMIDT : KALMANN ET LA MONTAGNE ENDORMIE. KORREKTOMUNDO !

    joachim b. schmidt,kalmann et la montagne endormie,éditions gallimard,collection la noireIl faut bien admettre qu’il y avait une petite part de chauvinisme helvétique qui rejaillissait quant à la surprenante et réjouissante découverte de Kalmann (La Noire 2023) du grisonnais Joachim Beat Schmidt intégrant, avec son premier roman traduit en français, la prestigieuse collection La Noire de la maison d’éditions Gallimard. Mais au-delà de cette interférence patriotique exacerbée, il convient de souligner tout le plaisir que l’on a eu en s'imprégnant du mode de pensée décalé du « shérif » auto proclamé de la localité islandaise de Raufarhöfn, atteint de troubles de l’autisme, et que le romancier suisse a su retranscrire avec une verve poétique et humoristique sans pareil, au détour d’une intrigue policière prenant pour cadre cette île nordique superbe, où il réside désormais, en faisant en sorte d’en restituer l’atmosphère si particulière, par le prisme d’une écriture épurée, mais aussi grandiose que ces paysages nordiques. Mais que l'on ne s'y trompe pas, le roman n'emprunte d'aucune manière le style caractéristique du polar nordique pour prendre plutôt l'allure d'une intrigue policière un peu loufoque du fait de la personnalité peu commune de Kalmann, de son appréhension à la fois naïve et pragmatique du monde qui l'entoure et bien évidemment de ses échanges sans filtre avec ses interlocuteurs en suscitant, à bien des égards, une certaine hilarité véritablement salutaire. Et puis au-delà de l'intrigue policière, prétexte à toutes les péripéties les plus incroyables, que ce soit une confrontation avec un ours polaire, des virées en mer pour chasser le requin afin de concocter le hárkarl, spécialité locale fermentée au goût prononcé et à l'odeur particulière, ainsi que ces parties de chasse dans ces contrées désolées et majestueuses, il émerge cette chaleureuse humanité attendrissante qui imprègne le texte en rejaillissant sur l'entourage de Kalmann et plus particulièrement dans les rapports qu’il entretient avec son grand-père qu'il affectionne tant. A partir de là, on ne peut que se réjouir de retrouver ce personnage si atypique qui revient dans Kalmann Et La Montagne Endormie, second opus auquel on ne s'attendait pas et qui constitue une des excellentes surprises de ce début d'année. 

     

    Le shérif d'honneur de Raufarhöfn, petit bourg portuaire situé au nord de l'Islande, ne sera pas présent à l'occasion du feu d'artifice du Nouvel An. En effet, Kalmann Oòinsson a décidé de répondre à l'invitation de son père biologique pour se rendre aux Etats-Unis afin de rencontrer les membres de sa famille du côté paternel qu'il ne connaît pas du tout. C'est l'occasion de chasser en manipulant des armes dont son père ainsi que son oncle sont généreusement dotés et qu'ils prétendent vouloir conserver à tout prix pour défendre leurs droits qu'ils estiment menacés par les autorités du pays. Ainsi, Kalmann, esprit candide, va accompagner ses nouveaux amis à Washington en participant à une étrange manifestation dont il ne connaît pas tous les tenants et aboutissants et qui va soudainement dégénérer. Désormais abandonné par les siens, il se retrouve dans une salle d'interrogatoire du FBI à devoir raconter son parcours avant qu'on ne lui demande fermement de rentrer chez lui. Mais de retour au pays, alors qu'il est accueilli par sa mère, il découvre que son grand-père, communiste convaincu, s'intéressait aux intérêts américains en Islande. Et pour couronner le tout, il se pourrait bien que le décès de son aïeul ne soit pas dû à des causes naturelles en lien avec son grand âge.

     

    Si l'effet surprenant du premier ouvrage n'est évidemment plus de mise avec Kalmann Et La Montagne Endormie, on apprécie toujours autant ce dynamisme décalé qui imprègne la personnalité de ce personnage auquel on s'attache de bout en bout en savourant plus particulièrement ses répliques stupéfiantes se révélant aussi amusantes qu'émouvantes tandis que l''intrigue se décline, une nouvelle fois, sur un registre un peu barré, en partie dû à la manière dont Kalmman Oòinsson conduit ses investigations en vue de découvrir celui qui aurait pu s'en prendre à son grand-père. A partir de là, le récit se divise en deux parties où l'on découvre, tout d'abord, au gré de sa déposition, les raisons pour lesquelles notre héros se retrouve dans une salle d'interrogatoire du FBI. C'est peu dire que l'on est saisi par les surprenantes révélations de Kalmann prenant part, durant son séjour aux Etats-Unis et à son corps défendant, a un événement marquant qui n'est d'ailleurs pas sans lien avec l'actualité de ce 20 janvier 2025 où un nouveau président vient de prêter serment. Mais l'Islande n'est pas en reste et ceci de manière plus importante dans la seconde partie du récit où le thème de l'influence américaine devient le moteur central de la narration en lien avec une mystérieuse base de l'armée US, désormais abandonnée mais recelant encore quelques secrets. Autour de ce thème, Joachim B. Schmidt met encore une fois en exergue l'aspect environnemental de l'île et plus spécifiquement l'impact négatif de ces infrastructures vétustes dont certains éléments imprègnent durablement les terres et les cours d'eau de la région. On le voit, en dépit d'une certaine drôlerie, Kalmann Et La Montagne Endormie n'est pas dépourvu d'une note de réalisme que le romancier décline autour d'une intrigue policière prenant l'allure, en toute fin de récit, d'un thriller saisissant matiné de quelques codes propre aux romans d'espionnage révélant certains aspects de la personnalité du grand-père de Kalmann au détour d'événements explosifs, c'est le moins que l'on puisse dire. Bien loin de l'image caricaturale qui entoure souvent les personnages atteints de troubles autistiques, Kalmann se révèle dans sa formidable humanité à la fois drôle et touchante qui ne manquera pas de saisir les lecteurs qui en redemanderont. 

     

    Joachim B. Schmidt : Kalmann Et La Montagne Endormie. Editions Gallimard/Collection La Noire 2025. Traduit de l'allemand (Suisse) par Barbara Fontaine.

    A lire en écoutant : Thème from Rawhide interprété par The Blues Brothers. Album : The Blues Brothers (Original Soundtrack Recording). 1980 Atlanta Recording Corporation.