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USA - Page 4

  • Benjamin Whitmer : Dead Stars. Le cercle de gravité.

    benjamin whitmer,dead stars,editions gallmeisterPour chacun des récits de Benjamin Whitmer, émerge cette image de William Munny, ce tueur repenti qu'interprète Clint Eastwood dans Impitoyable. Et dès la lecture de Pike (Gallmeister 2012), premier roman de l'auteur qui a marqué tous les esprits, on retrouve les contours de la personnalité de cette figure emblématique de ce western crépusculaire et plus particulièrement cette douleur et cette colère sourde qui s'épanchent finalement dans un déferlement de fureur. Et puis il y a ce combat intérieur, ces démons qui vous rongent en permanence, caractéristiques des individus qui hantent ce récit à la fois âpre et puissant prenant pour cadre cette Amérique de la marge aux allures déliquescentes que Benjamin Whitmer dépeint avec un style épuré qui lui est propre, bien éloigné de l'écriture débridée d'un James Ellroy. Il émane ainsi du texte une tension permanente qui se conjugue à la noirceur persistante d'une intrigue aussi sobre que maîtrisée. En découvrant ce premier ouvrage, on se doutait bien qu'il ne s'agissait pas d'un accident et que Benjamin Whitmer aurait encore des choses à dire sur ces contrées délaissées d'un pays déchu comme il l'a démontré avec Cry Father (Gallmeister 2015) où il est à nouveau question de filiation qui devient d'ailleurs un thème récurrent de son œuvre et qui importe pour ce père célibataire élevant ses deux enfants avec cette crainte permanente de ne pas être à la hauteur. A certains égards, Benjamin Whitmer endosse peut-être quelques traits de la personnalité de William Munny au détour d'un parcours de vie chaotique où la drogue, l'alcool et les bagarres ont marqué sa jeunesse tandis qu'il enchaîne les boulots les plus variés au cœur de ces vallées industrielles de l'Ohio, non loin des Appalaches. Donc pas de parcours académique pour cet auteur, amateur d’armes à feu comme pour mieux flinguer ce mythe du rêve américain, qui ne s'inscrit absolument pas dans un courant mainstream ce qui explique peut-être le fait que ses derniers ouvrages ne trouvent pas preneur dans son propre pays. S'il s'est quelque peu assagi, Benjamin Whitmer n'en conserve pas moins cette rage qu'il évacue au gré de ses intrigues mettant en avant les parias, les réprouvés et les travailleurs du bas de l'échelle qu'il a côtoyés dans ces endroits désolés des Etats-Unis dont nul n'entend parler. Avec Evasion (Gallmeister 2018), le romancier conserve cette noirceur intense qui vous colle à la peau en prenant tout de même beaucoup plus d'envergure au détour d'une intrigue se déroulant en 1968 et se focalisant sur l'univers de la prison d'Old Lonesome faisant vivre l'ensemble de la communauté de cette petite ville du Colorado, théâtre de l'évasion de douze détenus que l'on va traquer sans pitié. Le roman s'inscrit dans ce qui apparaît désormais comme une trilogie prenant pour cadre ces compagny towns du Colorado et se poursuivant avec Les Dynamiteurs (Gallmeister 2020) pour parcourir les rues boueuses la ville de Denver en 1895, où règne le chaos tandis que des orphelins comme Sam et Cora trouvent refuge dans l'Usine, une ancienne fabrique désaffectée, en cohabitant avec clochards et marginaux de tout bord qui n'ont de cesse de vouloir s'en prendre à eux. Autre époque : celle des années 80 de Reagan et de sa course à l'armement, autre entreprise : celle de Stonewall et de son traitement du plutonium pour alimenter les ogives nucléaires, Benjamin Whitmer conclut cette trilogie d'une manière magistrale avec Dead Stars vision cauchemardesque de l'American way of life s'articulant autour du parcours de ce père de famille à la recherche de son jeune garçon disparu.

     
    En 1986 à Plainview dans le Colorado, l'ensemble de la population travaille exclusivement pour l'entreprise Stonewall, spécialisée dans le traitement du plutonium. Hack Turner fait partie des contremaîtres du bâtiment 771 où l'on manipule ces matériaux hautement radioactifs dans des conditions plus que dégradées, ce qui lui permet de subvenir aux besoins de sa fille Nat, âgée de 17 ans et de son fils Randy qui a soufflé ses quatorze bougies, et qu'il élève seul tant bien que mal. Mais un soir, alors que Hack participe à une réception chez l’un de ses collègues, Nat lui téléphone pour l'avertir que Randy n'est pas rentré à la maison. Ainsi, durant trois jours, la famille Turner va entamer des recherches sans qu'aucun des habitants de la ville ne leur viennent en aide, hormis les forces de l'ordre qui font ce qu'elles peuvent, c’est-à-dire pas grand-chose. Il faut dire que toutes les vérités concernant les failles de sécurité nucléaire ne sont pas bonnes à dévoiler, surtout aux journalistes. Et Hack Turner en fait l'amère expérience tandis que l'ombre malveillante de son père plane sur la région, ce qui n'arrange pas la situation. 

     

    Sous le regard souriant de Ronald Reagan, dont le portrait est affiché dans la cuisine de Hack Turner, personnage central du récit, on perçoit le prix à payer d'une course à l'armement qui a fait des Etats-Unis une superpuissance. Ce prix, il se traduit sans doute dans les quintes de toux violentes et persistantes de Hack qui ne doivent pas être étrangères aux locaux vétustes et aux multiples manquements en terme d'exposition aux radiations que l'on distingue au sein de cette usine Stonewall faisant référence au site de production d'ogives nucléaires de Rocky Flats Plant, situé non loin de Denver dans le Colorado et théâtre de nombreux incidents qui ont poussé à sa fermeture en 1989. C'est également Connie, la collègue de Hack, qui en paie le prix fort à la suite de l'explosion d'une boîte à gants permettant de manipuler le plutonium et dont on minimise la portée alors que l'employée se consume de l'intérieur dans une lente agonie. Et pour finir, dans une moindre mesure, c'est le souvenir du grand-père de Benjamin Whitmer mort à l'âge de 36 ans des suites d'expositions aux radiations alors qu'il travaillait en tant que physicien sur l'élaboration de la bombe nucléaire dans l'Ohio. C'est tout ce cauchemar américain que l'auteur décline de manière habile, par petites touches qui apparaissent en filigrane au gré des souvenirs de Hack mais également de ceux du patriarche de la famille Turner qui voit apparaître cette ville prenant naissance avec l'implantation de cette filière nucléaire, véritable poumon économique de la région. Et on peut dire que Dead Stars puise sa force narrative dans cette évocation latente imprégnant un texte âpre qui vous saisit d'effroi sans jamais virer vers un registre larmoyant ou un pamphlet pesant. Il en résulte une atmosphère oppressante rendue encore plus prégnante avec la disparition du fils de Hack et dont les recherches vont rythmer le récit d'une manière encore plus intense en découvrant ce lot de désillusion, de colère et voire même de violence qui anime l'ensemble des membres de la famille Turner. Il y est question de douleur et de non-dits tant pour Hack évidemment, que pour sa fille Nat qui souhaite quitter ce cercle familiale accablant dont elle n'attend plus rien. Ce sont des sentiments similaires qui anime Whitey, le frère de Hack, qui a repris le trafic de stupéfiants que leur père Robin, ancienne figure de la pègre, a mis en place pour renflouer l'exploitation du ranch dont il a la charge. Et c'est en suivant la progression de leurs recherches respectives parfois vaines, souvent maladroites, que l'on entre dans un véritable enfer à mesure que les vérités émergent dans une succession d'éclats soudains de fureur brutale bouleversant l'ensemble de ces protagonistes en remettant en question leur existence respective. Ainsi Dead Stars prend une dimension foisonnante au détour d'un impressionnant enchaînement d'événements que Benjamin Whitmer met en place avec cette sobriété et cette rigueur qui le caractérise, au gré d'une intrigue aussi sombre que captivante ce d'autant plus que l'on distingue quelques fragments des ouvrages précédents comme cette stèle où figure le nom de Cora, protagoniste principale que l'on découvrait dans Les Dynamiteurs alors que L'Usine servant de refuge pour sa bande d'orphelins devient La Factory, un squat où l'on organise des concerts sauvages. On sait même ce qu'il advient du directeur et du gardien-chef de la prison d'Old Lonesome, deux individus abjects du roman Evasion, qui croisent la route du patriarche de la famille Turner. Et si Benjamin Whitmer évoque des romanciers tels que Harry Crews, Larry Brown James Crumley et Edward Abbey dans son cercle d'influence, Dead Stars vous donne l'assurance, s'il y avait le moindre doute, qu'il n'a rien à envier à ces auteurs exceptionnels.
     

    Benjamin Whitmer : Dead Stars (Dead Star). Editions Gallmeister 2024. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jacques Mailhos.


    A lire en écoutant : In The Air Tonight de Phil Collins. Album : Face Value. 1981 Virgin, Atlantic.

  • KENT WASCOM. LE SANG DES CIEUX. EMPIRE DE POUSSIERE.

    ken wascom,le sang des cieux,éditions gallmeisterDepuis quelques années on observe une résurgence du western, genre littéraire populaire par excellence, dont les premiers récits de conquête et de bravoure ont contribué à l’essor du rêve américain avant que ne débarquent dans les années 70, des auteurs s’ingéniant à démystifier cette épopée sanglante en révélant un contexte historique beaucoup moins glorieux. Ainsi par le biais d’une ligne éditoriale davantage orientée sur le réalisme de cette époque, on découvre avec les éditions Gallmeister des auteurs comme Glendon Swarthout (Homesman ; Le Tireur), Bruce Holbert (Animaux Solitaires) et Lance Weller (Wilderness ; Les Marches De l’Amérique) qui participent à ce que l’on désigne désormais comme étant des western crépusculaires dépeignant avec force, la douleur d’un nouveau monde qui se bâtit dans un flot de sang et fureur. Dans ce même registre, à la fois sombre, sauvage et emprunt d’une terrible brutalité, Kent Wascom  nous livre avec Le Sang Des Cieux un texte puissant, mais passé totalement inaperçu, narrant la période trouble de la cession de la Louisiane au début du XIXème siècle, un territoire qui englobait un quart des Etats-Unis actuelle en s’étendant de la Nouvelle-Orléans jusqu’au confins des états du Montana et du Dakota du nord, sur fond de spéculation foncière et de conflits féroces avec le gouvernement espagnol.

     

    En 1861 Angel Woolsack se tient sur le balcon de sa demeure de la Nouvelle-Orléans en observant l’effervescence d’un peuple prêt à en découdre en faisant sécession avec les états confédérés. Mais l’homme vieillissant n’a cure de ces velléités guerrières car il sait bien que cet enthousiasme ne durera pas et se désagrégera dans la fureur des combats à venir. Au crépuscule de sa vie il ne lui reste que l’écho furieux de ses souvenirs, d’une jeunesse tumultueuse où le jeune prédicateur endossera le rôle de bandit pour devenir fermier tout en menant des campagnes belliqueuses contre les espagnols. Une existence jalonnée de drames et de coups d’éclat sanglants où les fantômes de ceux qu’il a aimé et de ceux qu’il a honnis, hantent encore sa mémoire. Car dans le fracas de cette sarabande belliciste, Angel Woolsack, le vieil esclavagiste dévoyé, se souvient de chaque instant de cette vie dissolue.

     

    Les dés sont jetés et les jeux sont faits au détour de ce prologue somptueux où chacune des phrases savamment travaillées scellent les destins de celles et ceux qui ont composé l’entourage d’Angel Woolsack tout en enveloppant le lecteur dans l’étouffante épaisseur d’un linceul poisseux et sanguinolent au travers duquel on perçoit cette rage guerrière et cette ferveur religieuse qui a animé la destinée d’un personnage hors du commun. Ponctué de chapitres aux consonances bibliques, Kent Wascom nous entraîne, au terme de ce prologue crépusculaire, dans une longue analepse où la fiction côtoie les faits historiques pour mettre en scène l’effervescence d’un monde qui reste à conquérir. Car dans le fracas des armes, l’incertitude des combats à mener on observe la rude vie de ces pionniers évoluant dans un contexte à la fois sauvage et mystique. Dans un tel univers, c’est avec une certitude sans faille qu’il puise dans une foi inébranlable qu’Angel Woolsack va donc façonner son destin au gré de d’amitiés fraternelles et de trahisons parfois meurtrières en maniant aussi bien le Verbe que le sabre pour parvenir à ses fins en s’associant aux frères Kemper dont il empruntera le nom. Du Missouri où il officie comme prêcheur aux rives du Mississippi où il travaille comme batelier, du côté de Natchez où il devient bandit c’est finalement dans les aléas de la conquête de la Floride occidentale convoitée tour à tour par les espagnols et les colons américains qu’Angel Woolsack et les deux frères Kemper vont tenter de s’arroger quelques territoires au gré de négociations hasardeuses et de campagnes féroces permettant d’entrevoir la complexité des rapports régissant les différentes nations se disputant l’immensité des terres composant la Louisiane de l’époque.

     

    Mais au-delà de la férocité des enjeux et des conquêtes d’un pays en devenir, de cet impressionnant tableau d’une contrée sauvage qui se bâtit dans la douleur des sacrifices et la cruauté des exactions, Kent Wascom parvient à mettre en scène un récit épique emprunt de fureur mais également d’une terrible humanité que l’on distingue notamment au travers de cette relation amoureuse qu’entretiennent Angel Woolsack et Red Kate, jeune prostituée farouche qui devient épouse et mère d’un enfant mentalement déficient tout en assistant son mari dans sa soif de conquête.

     

    Il émerge du texte de Kent Wascom une force bouleversante, presque organique, où la cruauté et la violence côtoient la douleur des désillusions en accompagnant le lecteur au fil des pérégrinations de ce prêcheur mystique devenu marchand d’esclaves sans illusion, de cette jeune proie fragile basculant dans la défiance d’un redoutable prédateur vieillissant qui n’aura cesse de vouloir asservir le monde à sa portée. Le Sang Des Cieux devient ainsi la terrible parabole d’un monde en mutation qui broie les âmes vertueuses pour mettre en avant celles et ceux qui vont façonner l’Amérique de demain. Un premier livre, un tour de force, une véritable démonstration.

     

     

    Kent Wascom : Le Sang Des Cieux (The Blood Of Heaven). Christian Bourgeois éditeur 2014. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Eric Chedaille.

    A lire en écoutant : Hurt interprété par Johnny Cash. Album : American IV: The Man Comes Around. American Recording Compagny 2002.

  • Manu Larcenet / Cormac McCarthy : La Route. De cendre et d'os.

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    "Il n'y a pas de Dieu et nous sommes ses prophètes."

     

    Lors de l'un des rares entretiens télévisés qu'il accorde pour le Oprah Winfrey Show, au gré d'un échange extrêmement convenu et quelque peu décevant, Cormac McCarthy révélait la difficulté d'être père à l'âge de 73 ans en observant son fils endormi, ce qui aurait été pour lui la source de son inspiration dans l'écriture de La Route (l’Olivier 2008), son roman post-apocalyptique d'une noirceur absolue, récompensé par le prix Pulitzer en 2007. Mais à la lecture du long monologue final du shérif Ed Tom Bell dans No Country For The Old Man (l’Olivier 2007) où il évoque son rêve dans lequel il est à cheval en traversant un défilé enneigé, en pleine nuit, dans une atmosphère sombre et glaciale, alors que son père le dépasse en éclairant le chemin à l'aide d'une flamme se consumant dans une corne, ne trouve-t-on pas déjà quelques esquisses de ce périple crépusculaire qui va marquer les esprits ? Monument de la littérature nord-américaine, La Route est salué de par le monde comme l'œuvre emblématique de l'auteur, même si certains détracteurs lui reprochent son côté "commercial", ce d'autant plus qu'il s'est vendu à plusieurs millions d'exemplaires, ce qui serait manifestement un gage d'une qualité moindre ou d'une attitude suspecte d'un écrivain en a route,cormac mccarthy,manu larcenet,éditions dargaud,éditions points,éditions de l'olivierquête de reconnaissance. On mettra de côté ces assertions puériles, ce d'autant plus que la puissance de ce texte saisissant et épuré ne semble nullement être remis en cause par celles et ceux que le succès rebute. Il faut parler ici de saisissement, parce que, si la fureur ainsi que la sauvagerie ont toujours imprégné les récits intenses de Cormac McCarthy, La Route se distingue par la prégnance de son désespoir profond, au sein d'une humanité qui se dissout dans une violence aveugle, teintée d'une forme de mysticisme féroce. Pour celles et ceux qui l'ont lu, on connait tous le symbolisme de La Route, cette ligne de vie fragile sur laquelle chemine un père et son fils qui détiendrait un reliquat d'humanité que la figure paternelle s'emploie à entretenir tout en lui inculquant les règles impitoyables de la survie dans ce milieu hostile où les hommes s'entredévorent. Projeté brutalement dans cet univers de mort et de destruction dans lequel évolue quelques cohortes de sectes s'adonnant au cannibalisme, on suit pas à pas le parcours de ces deux individus dans leur quotidien dépourvu de perspective si ce n'est que de se rendre vers le sud en quête d'un surcroît de chaleur, promesse bien incertaine. L'une des forces du récit, réside dans le fait que l'on ignore complètement les raisons qui ont conduit le monde dans un tel précipice de cendre et de mort, ce que ne respecte pas l'adaptation cinématographique de John Hillcoat, avec Viggo a route,cormac mccarthy,manu larcenet,éditions dargaud,éditions points,éditions de l'olivierMortensen dans le rôle principal, qui se révèle quelque peu décevante pour un film trop bavard laissant planer quelques lueurs d'espoir dont le roman est totalement dépourvu mais qui répond aux canons hollywoodiens de la famille idéale américaine. A partir de là, on pouvait réellement avoir quelques craintes avec l'annonce d'une adaptation sous la forme d'une BD par Manu Larcenet, même si le dessinateur nous a régulièrement ébloui avec des œuvres originales telles que Blast (Dargaud 2009 – 2013) et Le Combat Ordinaire (Dargaud 2003 – 2008), ou une adaptation somptueuse comme Le Rapport de Brodeck de Philippe Claudel (Dargaud 2015 – 2016) ou les illustrations incroyables que l'on trouve dans Le Journal D'Un Corps de Daniel Pennac (Futuropolis 2013).

     

    Plus personne ne se souvient du monde d'autrefois et de ce qu'il s'est produit pour qu'il plonge dans le chaos. Désormais, il ne reste plus que des terres arides et des ruines calcinées qu'arpentent quelques sectes et hordes barbares suivies d'une troupe d'esclaves constituant leur garde-manger. Dans ce décor apocalyptique où le soleil disparait derrière un rideau de cendre, un père chemine sur la route, accompagné de son enfant en poussant un caddie contenant leurs maigres affaires. En quête de nourriture, ils fouillent dans les décombres avec à la clé quelques découvertes parfois macabres. Et puis il y a ce froid perpétuel qu'il faut affronter ce d'autant plus qu'il n'est pas toujours possible de faire un feu afin de ne pas attirer l'attention. Ils se rendent donc vers le sud avec cette hypothétique espoir d'y trouver une vie meilleure. Mais pour cela, il faut éviter ces maraudeurs cherchant à s'emparer de leurs modestes possessions et qu'ils repoussent avec cet antique revolver qui ne contient que deux balles qu'il ne faut pas gaspiller car nécessaire pour mettre fin à leurs jours si le besoin s'en fait sentir.

     


    a route,cormac mccarthy,manu larcenet,éditions dargaud,éditions points,éditions de l'olivierOn peut le dire, l'annonce de Manu Larcenet se lançant dans cette adaptation graphique de La Route a fait grand bruit sur les réseaux sociaux et constitue l'un des grands événements littéraires de cette année 2024 que l'on attendait avec une certaine fébrilité. D'ailleurs, à l'occasion de cette parution, les éditions Points ont réédité le roman dans une version collector reliée avec l'ajout d'un cordon marque-page noir tandis que le texte est agrémenté d'une vingtaine d'illustrations de Manu Larcenet. On aurait bien évidemment souhaité qu'il s'agisse d'illustrations originales plutôt qu'extraites de la bande dessinée et quitte à se montrer pénible jusqu'au bout, la couverture aurait mérité d'être toilée avec un aspect rugueux qui aurait mieux convenu. Mais quoiqu'il en soit, il faut lire ou relire le roman dans cette version pour s'approprier ainsi l'univers respectif de ces deux génies qui se rencontrent autour de ce texte imprégné de la noirceur du romancier se diluant dans celle de l'illustrateur avec cette impressionnante sensation de symbiose. Et puis il faut bien appréhender l'album en tant que tel qui se décline également sous la forme d'une édition limitée qu'il faut absolument acquérir si vousa route,cormac mccarthy,manu larcenet,éditions dargaud,éditions points,éditions de l'olivier êtes en fond. En noir et blanc, cette version contient un cahier où figure des croquis ainsi que quelques planches qui n'ont pas été retenues dans l'édition définitive. Toujours dans ce tirage limité, on appréciera les gros plans du profil du père et du fils figurant sur la couverture et sur le dos de cet ouvrage somptueux et dont la minutie dans chaque trait nous rappellent les gravures de Gustave Doré ou d'Albrecht Dürer auxquels Manu Larcenet fait d'ailleurs référence, même si l'on pense également, dans une certaine mesure, aux illustrations de Bernie Wrightson. On fera donc l'acquisition des deux albums, mais s'ił faut choisir, on adoptera la version en couleur avec cette spectaculaire nuance de gris absorbant les quelques lueurs rougeâtres ou jaunâtre parfois bleuâtres éclairant certaines planches en offrant ainsi plus de profondeur à l'ensemble du récit et plus d'intensité dramatique sur quelques scènes clés de l'intrigue comme cet instant où le père et son fils observent cette colonne de barbares défilant sur La Route. Comme une espèce de lever et de tomber de rideau ponctuant le début et la fin d'un spectacle aux accents dramatiques, il y a cette espèce d'abstraction fascinante dans la contemplation de ces nuages de cendre qui vont d'ailleurs nous accompagner tout au long de 156 planches composant l'album restituant avec une rigueur incroyable l'ensemble de la trame narrative du roman de Cormac McCarthy qui font que le monde de l'écrivain se confond avec l'univers de Manu Larcenet. Sans être expert dans le graphisme, à la contemplation de chacune des planches, de chacune des cases de La Route, on mesure la progression du dessinateur, dans sa veine réaliste depuis Blast, qui a abandonné l'encre et le papier en adoptant la palette graphique depuis quelques années, en voulant explorer a route,cormac mccarthy,manu larcenet,éditions dargaud,éditions points,éditions de l'olivierl'infinie richesse de cette technologie numérique, pour un rendu plus précis dans le trait tout en devinant le travail considérable et cette créativité sous jacente qui émane de son oeuvre. Ce qui ne change pas, c'est le désespoir, la douleur et les tourments dont le dessinateur ne fait pas mystère et qui imprègnent son travail au gré de cette adaptation où rien ne nous est épargné comme cette scène où le père apprend à son fils comment mettre fin à ses jours avec le revolver qu'ils détiennent ou ce festin macabre qu'ils découvrent dans un campement abandonné. On appréciera également le soin apporté aux dialogues qui se déclinent dans une proportion congrue, comme dans le roman d'ailleurs, en nous laissant de longues plages de silence où l'on contemple l'immensité terrible de la désolation des lieux qui absorbent les personnages. Et puis au milieu de cette noirceur, il y a quelques instants lumineux comme cette baignade au pied de la cascade où la maigreur des corps nous renvoie à une autre époque de barbarie des camps de concentration tandis que le festin que le fils et le père dégustent dans un bunker inutilisé, nous rappelle cet instant de grâce dans le film Soleil Vert où Charlton Eston et Edward G. Robinson se délectent de quelques aliments frais devenus introuvables. Tout cela s'inscrit dans cette volonté exigeante de transcender le récit de Cormac Mccarthy dans ce qu'il y a de plus désespérant pour nous plonger dans un nihilisme absolu en nous laissant sur le bord de La Route au terme d'une scène finale encore plus incertaine que celle du romancier et qui font de l'adaptation de Manu Larcenet une oeuvre aussi magistrale qu'éprouvante. C'est peut-être l'une des définitions du terme chef-d’oeuvre.

     

     

    Bd : Manu Larcenet / Cormac McCarthy : La Route. Editions Dargaud 2024.

    Bd édition limitée (4000 exemplaires). Manu Larcenet / Cormac McCarthy : La Route. Editions Dargaud 2024.

    Cormac McCarthy : La Route (The Road). Editions Points 2024. Traduction de l'anglais (Etats-Unis) par François Hirsch. Illusrations de Manu Larcenet.

    A lire en écoutant : Chant of the Paladin de Dead Can Dance. Album : The Serpent's Egg. 2007 4AD Lt

  • Richard Lange : Les Vagabonds. Passagers de la nuit.

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    Service de presse.

     

    Dans les récits de vampires, il y a toujours eu un côté sophistiqué émanant de ce personnage fantastique traversant les âges, à l'image du plus emblématique d'entre eux, le comte Dracula donnant son titre au légendaire roman épistolaire de Bram Stoker. Endossant un profil assez semblable, on a pu également apprécier le fameux Lestat de Lioncourt un des protagonistes principaux d'Entretien Avec Un Vampire d'Anne Rice qui devient le premier opus de la série Chronique des Vampires comptant 12 volumes. Outre le thème de la vie éternelle, on observe aussi cet aspect de l'amour impossible particulièrement prégnant dans une série telle que Twilight de Stephenie Meyer, œuvre incontournable de la littérature Young Adult. S'inscrivant dans un registre plus âpre mais faisant indéniablement partie des références, on lira Salem de Stephen King ou Laissez-Moi Entrer du suédois John Ajvide Lindqvist. Tout aussi âpre, en abordant pour la première fois le genre du fantastique, alors qu'il publiait des romans sombres mettant en scène des marginaux évoluant dans un contexte très réaliste, Richard Lange met à mal les clichés du romantisme gothique entourant la personnalité de ces vampires qu'il désigne comme Les Vagabonds, titre éponyme de son dernier roman intégrant la récente collection Rivages Imaginaire dont on espère qu'elle va prendre son essor.

     

    Leur vie n'est qu'une longue errance, de ville en ville, de motels miteux en logements sordides. Cela fait 70 ans que cela dure pour Jesse et son frère Edgar, un colosse souffrant de troubles mentaux. Ils vivent la nuit, à la marge du monde, en saignant leurs victimes afin de s'en nourrir, ce qui leur confère une vie éternelle et un pouvoir de régénérescence lorsqu'ils sont blessés. Ce sont des vagabonds craignant plus que tout le soleil destructeur. A la recherche de marginaux pour assouvir leur inextinguible soif de sang, ils arpentent les contrées désertiques de l'Arizona dans le courant l'été 1976. Du côté de Phoenix, Jesse tombe sous le charme de Johona, une barmaid qui va bousculer leurs habitudes au grand dam d'Edgar qui ne voit pas ce que viendrait faire cette femme dans leur existence. Et puis il leur faut faire face à cette bande de motards, Les Démons, des êtres nocturnes tout comme eux, à qui ils ont volé leur bien le plus précieux. S'ensuit une traque sans relâche, ponctuée d'affrontements sanguinaires qui vont les conduire à Las Vegas où l'on célèbre, comme partout ailleurs, le bicentenaire des Etats-Unis. Ils y croiseront la route de Sanders, un père dévasté, à la recherche du meurtrier de son fils que l'on a saigné à blanc, et qui a découvert l'existence de ces êtres surnaturels qu'il a juré de détruire jusqu'au dernier.

     

    Indéniablement, on appréciera avant tout l'originalité d'un roman tel que Les Vagabonds où l'auteur s'écarte de manière radicale, du genre extrêmement codifié du vampire dont il n'est d'ailleurs jamais fait mention dans l'ensemble d'un texte chargé d'énergie, mais aussi imprégné d'une forme de douleur omniprésente. Oubliez donc les teints livides et les crocs aiguisés pour suivre les parcours erratiques et incertains projetant l'ensemble de ces marginaux, qu'ils soient humains ou dotés de pouvoirs surnaturels, sur les grandes routes des Etats-Unis en évoluant dans une atmosphère extrêmement tourmentée et glauque. Dans une alternance de points de vue, on suivra donc l'errance de Jesse accompagné de son frère Edgar, un simple d'esprit se révélant plutôt encombrant, puis la chevauchée de cette bande de bikers aussi brutaux que démoniaques, et pour finir, la vaine recherche de ce père de famille voulant mettre à tout prix la main sur celui qui a assassiné son fils. C'est au détour d'une succession de confrontations d'une violence inouïe, que l'intrigue prend l'allure d'une course-poursuite dantesque où l'on règle ses comptes à coups de flingue, de poignard ou de scie à métaux pour décapiter ces individus surnaturels se désintégrant dans la poussière de ces contrées désertiques. Le tout est d'autant plus réjouissant que l'on évolue dans cette ambiance décadente et rock'n'roll propre à la période des seventies en conférant au récit un supplément d'explosivité outrancière nous rappelant à certains égards quelques scènes d'un film tel qu'Une Nuit En Enfer de Roberto Rodriguez avec l'aspect burlesque en moins. Il faut admettre que Richard Lange n'a pas son pareil pour dépeindre la vulnérabilité de ses personnages de la marge, quelle que soit leur condition, avec cette sensation d'accablement émanant de bon nombre d'entre eux. Une sensation d'autant plus prégnante lorsque l'on prend en considération cette vie éternelle qui ne mène nulle part, même si certains de ces individus fantasmagoriques semblent vouloir tirer leur épingle du jeu comme tend à le démontrer un épilogue aux allures mélancoliques qui va nous apaiser quelque peu après cette vague de violence saisissante. Mais bien au-delà de ces scènes tonitruantes, Les Vagabonds devient un récit fantastique d'une toute autre envergure en intégrant les réflexions de Jesse sur son devenir d'homme voué à la vie éternelle dont il ne sait plus que faire et qui en arrive à l'inéluctable dénouement parachevant cette intrigue d'une force déroutante. Un roman brillant qui sort des sentiers battus.

     

    Richard Lange : Les Vagabonds (Rovers). Editions Rivages/Imaginaire 2024. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par David Fauquemberg.

    A lire en écoutant : Riders On The Storm de The Doors. Album : L.A. Woman. 2021 Rhino Entertainment Company.

  • CHRIS OFFUTT : LES FILS DE SHIFTY. PARADIS ARTIFICIELS.

    chris offut,les fils de shifty,éditions gallmeisterSans parler d'une école des Appalaches, il y a quelques similarités qui apparaissent dans l'œuvre d'écrivains tels que Ron Rash et David Joy comme cet amour de ces contrées perdues de la Caroline du Nord qu’ils distillent tout en abordant, avec une sobriété toute poétique, les vicissitudes de leur communauté qu'ils côtoient depuis toujours. Plus au nord, mais toujours situé dans le cadre de cette région montagneuse de l'est des Etats-Unis, on parlera plutôt d'une influence ou bien d'un courant littéraire qui englobe également l'œuvre de Chris Offutt dépeignant, avec un souffle similaire, les territoires escarpés du Kentucky où l'on observe la déshérence d'hommes et de femmes de la marge évoluant dans le marasme du déclin économique qui touche une population fortement précarisée. Alors forcément, dans un tel contexte, on parlera bien évidemment de romans noirs que l'on désigne parfois sous l'appellation réductrice de "country dark" en lien avec l'environnement dans lequel se déroule l'ensemble de ces récits. Country Dark, c'est d'ailleurs le titre de la version originale de Nuits Appalaches (Gallmeister 2019) roman emblématique de Chris Offut qui a contribué à sa renommée en France tout comme le recueil de nouvelles Kentucky Straight (Gallmeister 2018) ainsi que, dans une moindre mesure, Le Bon Fils (Gallmeister 2018) marquant ses débuts dans l'écriture. Au-delà de ses romans, on trouve le nom de Chris Offutt au générique de séries telles que Treme, True Blood ou Weeds, en tant que scénariste et producteur durant sa période où il a cédé aux sirènes d'Hollywood pour faire bouillir la marmite avant de s’installer dans le Mississippi. C'est désormais autour de ce qui s'annonce comme une trilogie que l'on retrouve Chris Offutt avec un premier opus intitulé Les Gens Des Collines mettant en scène Mick Hardin, vétéran de la guerre d'Irak et d'Afghanistan, devenu enquêteur pour le compte de l'armée et qui retourne dans la région de son enfance pour constater que son mariage est brisé tout en investiguant pour le compte de sa sœur Linda, shérif du comté, au sujet du meurtre d’une jeune veuve qui risque d’embraser la communauté prompte à faire justice elle-même. C'est peu dire que l'on avait apprécié d'évoluer dans l'univers à la fois âpre et attachant de ces collines boisées du Kentucky et que l'on se réjouit donc de retrouver Mick et sa sœur Linda dans Les Fils De Shifty, second ouvrage de la série.

     

    Rocksalt, Kentucky. Victime d'une blessure de guerre à la jambe, Mick Hardin tente de trouver un peu de réconfort auprès de sa sœur Linda qui l'héberge dans la maison familiale où ils ont vécu durant toute leur enfance. Avant de reprendre du service au sein de l'armée, il doit se débarrasser de son addiction aux antidouleurs, régler la procédure d'un divorce douloureux et gérer la nervosité de sa sœur qui est en pleine campagne électorale pour sa réélection au poste de shérif du comté. C'est peut-être la découverte du cadavre d'un dealer local sur un parking de la ville qui va sortir Mick Hardin de son marasme, ce d'autant plus qu'il s'agit du fils de la veuve Shifty Kissick qu'il connaît très bien. Estimant qu'il s'agit d'un énième règlement de compte entre dealers, la police ne compte pas enquêter, raison pour laquelle la veuve Shifty demande à Mick de découvrir le coupable. Des indices l'incite rapidement à penser qu'il s'agit d'une mise en scène, ce qui le pousse à fouiner dans les collines environnantes et plus particulièrement dans le secteur d'une mine abandonnée. Le temps presse, ce d'autant plus que le second fils Kissick est lui aussi abattu de deux balles. Qui peut bien en vouloir aux membres de la famille de Shifty ? Mick Hardin a intérêt à le découvrir rapidement s'il veut éviter toute escalade de la violence au sein d'une population qui a pour habitude de faire parler la poudre pour régler ses comptes. 

     

    De la crise des opioïdes frappant les Etats-Unis depuis 1995, Chris Offutt nous en rapporte les conséquences, par petites touches, au détour de l'addiction à l'oxycodone de Mike Hardin qui tente, tant bien que mal, de se sevrer de ce médicament qu'on lui a prescrit pour lutter contre ses douleurs à la jambe. C'est également cette implantation de dealers d'héroïne, ceci même dans les paysages les plus reculés de la région du Kentucky, qui nous permet de prendre la mesure de ce phénomène touchant l'ensemble d'une communauté semblant comme résignée face à une telle ampleur. Dans cet environnement en déshérence, on observe également que les perspectives d'avenir se résumant à intégrer les forces armées ou à se lancer dans le trafic de drogue tandis que les mines abandonnées servent de dépôts pour les résidus hautement toxiques de la fracturation hydraulique de schiste. Avec l'économie des mots que le caractérise, c'est donc autour de ces thèmes que Chris Offutt nous entraîne au gré d'une intrigue à la fois épurée et solide nous permettant de parcourir les collines de son enfance qu'il dépeint avec ce soupçon de poésie où l'on saisit quelques instants de grâce comme la voltige de quelques oiseaux du coin ou cette brise caressant les branches des arbres dans un balancement majestueux. Dans un bel équilibre, sans jamais glisser vers un misérabilisme ambiant ou une verve poétique outrancière, l'auteur conjugue la beauté des paysages du Kentucky, cher à son cœur, à la noirceur d'une intrigue policière violente prenant parfois l'allure d'un western contemporain notamment durant un règlement de compte final explosif. Et puis il y a tous ces personnages attachants que l'on voit évoluer dans leur quotidien à l'exemple de Johnny Boy Tolliver, adjoint du shérif tenant ses dossiers méticuleusement à jour, de son cousin Jacky Turner, un inventeur de génie, un peu barré, un brin "complotiste" qui remet en état le pick up Chevy 63 de Mick Hardin ou de Raymond Kissick, soldat au sein du corps de Marines, unique survivant de la fratrie qui va faire son coming-out auprès de sa mère, au détour d'un échange savoureux, imprégné de pudeur et d'une certaine tendresse. Mais Mick Hardin, en enquêteur tenace et impliqué parfois trop entêté, est également entouré de femmes qui lui tiennent la dragée haute, à l’instar de sa soeur Linda remettant régulièrement en cause son attitude renfermée et bien trop centrée sur lui-même, tout en endossant la fonction de shérif du comté et dont on suit le quotidien ordinaire ponctué de diverses obligations officielles en vue de sa réélection. Dotée d’un caractère tout aussi affirmé, endossant le rôle de matriarche d’une famille décimée par une succession de tragédies en lien avec le trafic de drogue, on apprécie le personnage de la veuve Shifty, et plus particulièrement cette dignité, mais également cette colère intérieure qui bout en elle, à l’annonce de la mort de ses deux fils. De tout cet ensemble parfaitement mis en scène, il émane une atmosphère âpre, imprégnant tant les personnages que l’environnement dans lequel ils évoluent au gré d’un texte d’un justesse sidérante. La drogue bien sûr, la guerre en arrière-plan, l’abandon économique et ces éclats de violence au sein d’un cadre somptueux, ce sont tous ces thèmes que Cris Offut aborde avec Les Fils De Shifty pour nous livrer le portait saisissant de vérité d’une Amérique désenchantée, mais pas désespérée.

     

     

    Chris Offutt : Les Fils De Shifty (Shifty's Boys). Editions Gallmeister 2024. Traduit de l'anglais (Etat-Unis) par Anatole Pons-Reumaux.

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