Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • BRIAN EVENSON : LA CONFRERIE DES MUTILES / MEMBRE FANTOME. AU NOM DE LA FOI.

    la confrérie des mutilés,membre fantôme,brian evenson,éditions rivages imaginaireLorsque le récit paraît en 2003, il se décline sous le format d'une nouvelle que l'auteur développera avec une suite qui formeront le roman culte qu'il est désormais devenu, ce d'autant plus qu'il n'était plus disponible et qu'il était nécessaire de le dénicher chez les bouquinistes, comme si l'on exhumait un texte précieux. Mais voilà que La Confrérie Des Mutilés de Brian Evenson fait l'objet d'une nouvelle parution dans la collection Imaginaire des éditions Rivages en  s'inscrivant dans le sillage de Membre Fantôme, dernier ouvrage du romancier, publié en avant-première mondiale pour les lecteurs francophones qui bénéficieront donc en primeur de la suite des enquêtes du détective privé Kline évoluant une nouvelle fois dans ce milieu de mutilés volontaires afin d'afficher leur foi et qui sont en quête d'un prophète dont il pourrait endosser le rôle, eu égard à la perte d'une de ses mains lors d'un règlement de comptes. C'est donc dans l'univers d'un hard-boiled aux connotations horrifiques que l'on retrouve Brian Evenson romancier, essayiste et traducteur qui enseigne également l'écriture créative au sein d'un institut littéraire en Californie où il vit désormais, du côté de Los Angeles, après avoir été prié de quitter l'Eglise mormone au regard de ses publications jugées inappropriées et dont il posait les bases d'un monde de violence cruelle et absurde avec La Langue D'Altman (Le Cherche Midi 2014) un recueil de 27 nouvelles traduit en français par Claro et qui est malheureusement indisponible, hormis sur le marché du livre d'occasion. De cette œuvre singulière, voire même dérangeante, mais toujours imprégnée d'une impressionnante densité, émerge ce fanatisme destructeur et cette quête de l'identité dont on avait déjà un aperçu avec Immobilité (Rivages/Imaginaire 2023) et L'Antre (Quidam 2023) deux roman d'anticipation nous plongeant dans les aléas de survivants évoluant dans l'atmosphère ravagée et viciée d'une Terre post-apocalyptique. Et dans ce qui apparaît comme une littérature de genre qu'elle soit tournée vers la science-fiction, le polar ou le fantastique aux entournures horrifiques, Brian Evenson se focalise sur ces questions existentialistes qui transparaissent dans l'ensemble de ses romans et autres nouvelles qui s'inscrivent dans un registre troublant à l'extrême qui ne manquera pas d'interpeller les lecteurs qui s'aventureront dans un environnement singulier qui secouera les plus blasés d'entre eux. Vous voilà prévenus. 

     

    la confrérie des mutilés,membre fantôme,brian evenson,éditions rivages imaginaireLa Confrérie Des Mutilés.


    Lors d'un règlement de compte, le détective privé Kline a perdu l'une de ses mains sans frémir en cautérisant lui-même la plaie avec un réchaud à gaz avant d'abattre son agresseur. S'il bénéficie d'une pension confortable lui laissant largement de quoi vivre, voilà qu'un mystérieux commanditaire insiste pour faire appel à ses services afin de savoir qui a tué le Prophète de leur confrérie composée uniquement de mutilés volontaires. Immergé au sein de cette congrégation, Kline prend peu à peu la mesure des enjeux qui se trament dans un environnement où le degré de la foi se mesure au nombre de mutilations volontaire de chaque fidèle en s'inscrivant ainsi dans une hiérarchisation hermétique de membres découpés où le Prophète atteint la somme extravagante de 12 amputations. Mais si les membres de la confrérie semblent unis dans une apparente unité de doctrine assez formelle, le détective va mettre à jour des divergences qui vont conduire certains d'entre eux vers un schisme destructeur, imprégné de mensonges et d'actes odieux qu'il va lui-même commettre afin de s'extirper de cette folie ambiante. 

     

    Avec Brian Evenson, l'horreur n'a rien d'esthétique et s'extirpe du registre complaisant d'une violence gratuite destinée à nourrir l'intrigue afin de se focaliser sur l'absurdité d'une foi où la cruauté et la douleur vous conduisent jusqu'à l'extase en devenant ainsi les thèmes centraux que le romancier aborde sans aucune complaisance dans La Confrérie Des Mutilés s'achevant sur une confrontation assez dantesque en forme d'interrogatoire irrationnel entre Kline, un détective privé quelque peu dépassé par les événements, et Borchert, gourou charismatique aux innombrables mutilations et imprégné de certitudes destructrices. Et c'est bien de certitude qu'il s'agit tout au long d'un récit à la fois étrange et terrifiant où chaque protagoniste s'enferme dans une logique terrible qui ne souffre aucune contradiction et qui sera d'ailleurs balayée dans une série de confrontations sanglantes et explosives qui prennent de plus en plus d'ampleur à mesure que Kline progresse dans des investigations prenant l'allure d'une croisade cauchemardesque dont il ne parvient pas à s'extirper bien au contraire. L'enjeu comme toujours avec Brian Evenson est de définir l'identité du protagoniste principal à l'instar d'un individu comme ce détective privé dont on se demande s'il ne 's'agirait pas de l'Elu qu'attendent les membre de La Confrérie Des Mutilés, ce d'autant plus qu'il suscite l'admiration au sein de ces fous furieux qui n'en reviennent pas qu'il se soit tranché la main sans aucun analgésique et qu'il ait cautérisé lui-même la plaie avec un réchaud à gaz. A partir de là, l'intrigue se décline sur un rythme très dynamique ponctué d'éclats d'une fureur effroyable trouvant pourtant sa logique dans la contradiction d'un fanatisme aveugle qui vire parfois au burlesque à l'instar de cette discussion entre deux fidèles autour de la valeur des mutilations et quant à savoir si celui qui s'est tranché trois doigts pourrait-il être le supérieur de celui qui s'est séparé d'une main. Tout cela se décline sur deux parties que sont La Confrérie Des Mutilés à proprement parler et Derniers Jours que Brian Evenson a écrit 6 ans plus tard et qui fait désormais partie du présent ouvrage en reprenant les mêmes thèmes dans une suite encore plus déjantée où l'on découvre une secte concurrente tout aussi tranchante où l'on règle également ses comptes à coup de hachoir dans univers complètement barré. Sans qu'il n'en soit d'ailleurs jamais fait mention hormis quelques allusions à la crucifixion du Christ et de la douleur qui en découle et qui semble être le postulat de cette congrégation, Brian Evenson, nous interpelle forcément sur notre rapport aux religions qui nous entourent dans ce qui apparait comme une analyse fine et intelligente de la foi et des croyances ainsi que de processus qui en résulte et dont il décortique les mécanismes avec une redoutable acuité qui fait froid dans le dos.


    la confrérie des mutilés,membre fantôme,brian evenson,éditions rivages imaginaireMembre Fantôme
    Kline n'est plus que l'ombre de lui-même, une véritable épave, après sa confrontation avec La Confrérie Des Mutilés dont les adeptes estiment que l'automutilation leur permet d'atteindre une certaine béatitude mystique. S'il ne reste plus que des cendres de la secte qu'il a décimée, Kline doit pourtant remettre le couvert pour le compte du mouvement dissident les "Paul" qui font désormais l'objet d'une élimination en règle de leurs fidèles dont on retrouve la moitié de leur corps littéralement découpés dans le sens de la longueur et accroché dans des congélateurs à l’aide de crochets de boucher. Chancelant, mais tout de même valeureux, Kline va mettre à jour, un schisme bien plus important, émergeant d'une secte féminine persuadée de la résurrection de la chair et qui s'inspire de ce phénomène de membre fantôme propre aux personnes mutilées se révélant pour leurs adeptes bien plus qu'une simple sensation. S'ensuit une confrontation avec la prophétesse Grida toujours flanquée d'Artem, un colosse chargé d'éliminer tous les obstacles d'une foi qui se décline dans le contexte d'une prophétie sanglante dans laquelle Kline doit tenir un rôle majeur.


    Dans La Confrérie Des Mutilés, les femmes faisaient une apparition furtive dans un calendrier affriolant où le nombre de leurs mutilations était en rapport avec le mois de l'année pour atteindre la consécration du mois de décembre où la fille porte en bandoulière une écharpe ornée de l'inscription "Miss Minimum". Dans un registre similaire, on assistait également à ce spectacle aux allures de cabaret plus que dérangeant où une effeuilleuse se dénudait complètement avant de se débarrasser langoureusement de ses prothèses pour le plus grand bonheur des adeptes de la secte. Avec cette suite directe des événements précédents qu'il convient de lire au préalable pour mieux saisir toute les nuances de l'outrance, de l'excès de cette folie furieuse apparaissant donc une nouvelle fois dans Membre Fantôme, on prend toutefois la mesure d'une dimension beaucoup plus féministe au gré d'un récit ne vous laissant aucun instant de répit. On plonge de cette manière, dans une cavalcade d'affrontements sanguinolents s'inscrivant dans une logique tout aussi absurde qu'implacable qui ne manquera pas d'interpeller le lecteur dans ce qui émerge du mécanisme d'une foi délétère qui s'emparera même d'un individu comme Kline plus agnostique que jamais, en dépit de la certitude de ces femmes qui font du phénomène du membre fantôme, que des mutilés ont pu observer avec une sensation de douleur provenant de leur membre disparu, un dogme qui alimente le courant d'une secte aux dérives meurtrières, c'est le moins que l'on puisse dire. Et même si l'intrigue est imprégnée d'une atmosphère inquiétante et singulière, entrecoupée d'éclats d'une fureur monstrueuse, Brian Evenson nous ramène à ces interrogations autour de la croyance au gré de dialogues aux intonations absurdes révélant la personnalité de protagonistes engoncés dans des convictions qui les aveuglent définitivement pour les entrainer sur le registre d'une violence habilement mise en scène qui sert durablement l'intrigue en faisant de Membre Fantôme un roman tout aussi magistral que La Confrérie Des Mutilés qui s'articulent tous les deux dans un registre aussi déconcertant que troublant, à la lisière du fantastique.

     

     

    Brian Evenson : La Confrérie Des Mutilés (The Brotherhood Of Mutilation / Last Day). Editions Rivages/Imaginaire 2025. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Françoise Smith.  


    Brian Evenson : Membre Fantôme (Phantom Limb). Editions Rivages/Imaginaire 2025. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jonathan Baillehache. 


    A lire en écoutant : Tell Me About The Forest (You Once Called Home) de Dead Can Dance. Album : Into The Labyrinth. 2007 4AD Ltd.

  • Alan Parks : Janvier Noir. Mauvais garçon.

    janvier noir,alan parks,éditions rivagesAprès avoir travaillé durant une vingtaine d'année dans l'industrie de la musique, sa première passion, en s'occupant notamment de Llyod Cole and the Commotions en tant que directeur créatif et manager pour la Warner, c'est avec l'effondrement des ventes des CD qu'il est licencié et qu'il retourne en Ecosse du côté de Glasgow où il a vécu durant toute une partie de son enfance. De là à dire qu'à toute chose malheur est bon, il n'y a qu'un pas, puisqu'Alan Parks se lance dans l'écriture en publiant Janvier Noir (Rivages/Noir 2018), premier roman d'une série mettant en scène l'inspecteur Harry Vincent McCoy officiant au sein de la police de Glasgow durant les années 70 qui va défrayer la chronique littéraire tant l'ouvrage suscite un engouement auprès des lecteurs et des critiques qui en redemandent tout comme sa maison d'éditions lui recommandant de concocter des récits intégrant dans leur titre tous les mois de l'année. Ainsi paraissent L'Enfant De Février (Rivages/Noir 2020), Bobby Mars Forever (Rivages/Noir 2022), Les Morts D'Avril (Rivages/Noir 2023), Joli Mois De Mai (Rivages/Noir 2024) et tout récemment Mourir En Juin (Rivages/Noir 2025) qui font désormais d'Alan Parks un candidat sérieux pour intégrer le fameux Tartan noir si tant est que ce groupe, dans lequel figurerait Ian Rankin et William McIlvanney, existe vraiment. Quoiqu'il en soit, Alan Parks revendique une certaine influence des romans de William McIlvanney que son père possédait à l'époque et qu'il a lu à son tour en le conduisant très certainement à reprendre cet environnement social du Glasgow des années 70 dans lequel il a évolué et dont il évoque certains lieux aujourd'hui disparus. Mais que l'on ne s'y trompe pas, la ville qu'Alan Parks dépeint n'a rien d'un personnage ou d'une espèce de guide touristique au charme suranné et s'inscrit plutôt comme le décor âpre d'une société en mutation où les usines disparaissent avec la perte d'emploi qui en résulte et la misère qui en découle, tandis que la zone périurbaine s'entend jusqu'à absorber les petites villes et villages environnants. C'est donc dans ce contexte qu'évolue l'inspecteur McCoy en ce début d'année 1973 glacial où l'on observe cette détresse d'individus marginaux que les nantis de la région n'hésitent pas à exploiter pour assouvir leurs plus bas instincts. 

     

    janvier noir,alan parks,éditions rivagesAu premier jour de l'année 1973, l'inspecteur McCoy se rend à la prison de Barlinnie pour apprendre d'un détenu qu'une jeune fille prénommée Lorna et travaillant dans un restaurant chic du centre-ville de Glasgow risquait d'être éliminée demain, sans autre précision. Néanmoins, après avoir identifié la victime potentielle qu'il ne parvient pas à joindre, le policier se rend à la gare routière où elle devrait débarquer du bus qui l'amène à son travail. Mais alors qu'il la distingue dans la foule du matin, un jeune homme surgit en exhibant un pistolet pour finalement ouvrir le feu en abattant la jeune femme avant de retourner l'arme contre lui et de s'effondrer aux pieds de McCoy qui n'a rien pu faire. Un événement qui fait les choux gras de la presse mais qui suscite des interrogations quant au mobile qui apparaît comme inexplicable. Ne se satisfaisant pas d'un pseudo "crime passionnel" McCoy et son adjoint Wattie vont enquêter dans les soubassements de la ville, malgré l'opposition de leurs supérieurs désireux de classer cette affaire où des notables semblent impliqués. Mais contre vent et marée, McCoy ne transigera pas quitte à faire appel à l'un des caïds de la ville avec qui il entretient des rapports plutôt troubles en matière de collusion. Mais que ne ferait-on pas pour un ami d'enfance ?

     

    On connaissait déjà le Glasgow rude et obscur, aux pubs parfumés à la clope sans filtre des seventies que William McIlvanney déclinait au gré des enquêtes de l'inspecteur Jack Laidlaw donnant d'ailleurs son titre Laidlaw (Rivages/Noir 2015) au premier roman de la série. Si le décor et le contexte social y sont toujours aussi prégnants, place à un Glasgow encore plus brutal, encore plus rythmé que Harry McCoy arpente sur une bande son rock'n roll, héritage du passé musical d'Alan Parks qui intègre donc le craquement du diamant sur le sillon des disques de Bob Dylan, des Rolling Stones et plus particulièrement de The Animals dont le titre emblématique The House Of The Rising Sun restera gravé dans vos mémoire avec cette scène finale d'anthologie qui résume bien l'extrême tension qui imprègne l'ensemble du récit. On y distingue même David Bowie passant par la plus grande ville d'Ecosse pour y donner un concert. Mais au-delà de l'anthologie musicale de l'époque, il faut bien admettre qu'Alan Parks possède le talent inné de mettre en place une intrigue policière diablement efficace qui s'inscrit dans les codes du polar solide qu'il dézingue parfois, même si l'on retrouve l'image du flic défiant la hiérarchie, buvant quelques bières de trop et s'acoquinant avec un ami d'enfance devenu caïd de la ville avec lequel il a une relation ambigüe. Néanmoins si les codes habituels du genre émergent de l'ensemble d'un roman comme Janvier Noir, il faut saluer le fait que l'auteur écossais prend soin de faire le petit pas de côté afin de déstabiliser le lecteur dans le climat d'une violence sourde et délétère que l'on observe au gré d'une enquête dans le milieu de la pornographie et de la prostitution en mettant en exergue cette lutte des classes où les nantis semblent bénéficier de tous les droits au détriment des marginaux qui en sont les victimes et dont on perçoit le désarroi au gré des investigations de l'inspecteur McCoy qui doit également faire face à la corruption endémique qui frappe l'institution policière dans laquelle il évolue. Et que ce soit pour l'inspecteur McCoy et son entourage, mais également pour ses adversaires, on appréciera cette pointe de vulnérabilité que l'on distingue dans chacun des personnages en faisant en sorte de conférer à l'ensemble du roman cette étincelle d'humanité qui rejaillit parfois au milieu d'un environnement sordide en n'épargnant absolument personne. A partir de ce constat, on ne manquera pas d'être touché par Janey, jeune prostituée dont McCoy s'est amouraché, qui devient l'incarnation de cette jeunesse libre basculant dans les dérives de la drogue, dont l'héroïne, nouvellement débarquée en ville en faisant rapidement des ravages au sein de la population, ou même de Teddy Dunlop, ce jeune aristocrate dont l'enfance malmenée nous renvoie, dans un autre registre, à celle de Harry McCoy et de son camarade Steve Cooper issus tous deux d'une institution religieuse où les services à l'égard des enfants étaient la norme. S'il ne révolutionne pas le genre, Janvier Noir incarne ce qui fait de mieux dans le domaine du roman policier poisseux qui vous bouscule au rythme d'une intrigue extrêmement sombre où les meurtres et les disparitions s'enchainent dans un climat social des séventies admirablement restitué et dont on découvrira l'enchainement qui se décline déjà sur une série de six ouvrages que l'on ne manquera pas de dévorer.

     

    Alan Parks : Janvier Noir (Bloody January). Editions Rivages/Noir. Traduit de l'anglais (Ecosse) par Olivier Deparis.


    A lire en écoutant : The House of the Rising Sun de The Animals. Album : The Best of The Animals. 2000 Parlophone Records Ltd.