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  • SANDRINE COHEN : ANTOINE, UN FILS AIMANT. PRENDRE TA DOULEUR.

    sandrine cohen,antoine un fils aimant,éditions belfondSi elle a endossé le rôle d'actrice et de scénariste, c'est la réalisation de deux documentaires portant sur des faits divers qui lui ont inspiré l'écriture de son premier roman récompensé en 2021 par le prestigieux Grand Prix de Littérature Policière saluant cette analyse des violences intrafamiliales dont elle décortique les mécanismes impitoyables conduisant au meurtre. Il faut dire qu'avec Rosine, Une Criminelle Ordinaire (Editions du Caïman 2020), Sandrine Cohen marquait les esprits avec ce personnage de Clélia Rivoire, enquêtrice de personnalité, chargée de faire la lumière sur le parcours de vie d'une mère coupable d'un double infanticide. On s'éloigne donc des archétypes du policier, du juge d'instruction, du procureur, de l'avocat ou bien même du journaliste pour aborder le fait divers, d'une manière un peu moins conventionnelle, avec cette femme  de caractère prenant prend à bras le corps les dossiers qui lui sont confiés, avec une certaine tendance à déborder du cadre de sa fonction en nous permettant de nous immerger littéralement dans les interstices de l'intimité d'un cadre familiale qui s'est disloqué peu à peu pour laisser place à une tragédie se révélant inévitable. Avec Sandrine Cohen, il n'est absolument pas question de justifier le crime, mais d'en comprendre les mécanismes qui peuvent conduire une mère de famille ordinaire à commettre l'irréparable en mettant à plat les schémas redoutables d'une violence larvée se déroulant à l'abri des regards où le bourreau et sa victime s'ingénient à préserver les apparences pour des raisons diamétralement opposées car il est souvent question de manipulations et de honte. Mais la particularité de Rosine, Une Criminelle Ordinaire réside dans le fait de nous glisser viscéralement dans les méandres complexes et parfois contradictoires des pensées de Clélia Rivoire pour ressentir chaque parcelle des sentiments qui l'anime durant la constitution de son dossier mais également durant la phase finale du procès qui demeure un moment d'une rare intensité. On retrouve d'ailleurs tout cela, dans Antoine, Un Fils Aimant, second volet de ce qui apparaît comme une nouvelle plongée dans l'intimité d'une famille marquée par un parricide tandis que l'on prend la mesure des failles de Clélia Rivoire prenant davantage d'ampleur en dépit de son entourage qui tente de l'aider à surmonter les traumas du passé alors qu'elle oscille entre colère et détresse, tandis que plane en permanence ce furieux sentiment de révolte qui la ronge de l'intérieur. 

     

    Passionné de droit, Antoine Durand est un lycéen brillant qui vit dans l'agglomération cossue de Meudon au sein d'une famille sans histoire jusqu'à ce dimanche de février où il s'empare du fusil que son père, en revenant de la chasse, venait de déposer dans la cuisine. A la police dépêchée sur place, le jeune garçon explique avoir pointé l'arme sur son père par défi, comme s'il s'agissait d'une plaisanterie. Mais le fusil est chargé, le coup part et Xavier Durand s'effondre sous le regard de sa femme Cybèle et de sa fille Melissa qui ne disent pas autre chose. L'homme meurt sur le coup. En tant qu'enquêtrice de personnalité nantie par le juge d'instruction Isaac Delcourt, Clélia Rivoire se rend à la maison d'arrêt pour mineurs où est détenu Antoine afin de retracer son parcours et dresser le portrait social de son entourage pour en retranscrire tous les éléments nécessaire à la tenue du procès. Mais lors de l'entretien, Clélia est perturbée par l'attitude du jeune prévenu qui semble être de marbre en déclinant un discours maîtrisé de bout en bout avec une assurance peu commune tout en disposant d'excellentes connaissances des procédures judiciaires. Que se dissimule-t-il derrière cette froide arrogance ? Et pourquoi essaie-t-il de se dérober à l'aide que Clélia peut lui apporter ?

     

    Même si Sandrine Cohen prend soin d'apporter quelques précisions en début de récit quant au parcours de Clélia Rivoire, notamment pour ce qui a trait au viol dont elle a été victime, ainsi que sur ses rapports avec son ami le commissaire Samuel Varda et surtout avec le juge d'instruction Isaac Delcourt, faisant office de mentor, voire même de père de substitution, il importe de lire tout d'abord Rosine, Une Criminelle Ordinaire pour intégrer certains aspects de sa personnalité et notamment cette colère qui gronde en elle à chaque instant. Cela importe d'autant plus que la romancière distille des flashs récurrents de ce qui apparaît comme un drame que son héroïne semble avoir vécu durant sa jeunesse mais dont on ignore les contours, ce qui est d'ailleurs regrettable avec cette propension à faire durer le suspense plus que nécessaire. D'un point de vue narratif, Antoine, Un Fils Aimant reprend le même schéma que l'ouvrage précédent avec tout d'abord l'aspect de l'enquête de personnalité menée par Clélia Rivoire qui assiste, dans un second temps, au procès du prévenu dont elle a eu la charge, dans un climat de tension assez oppressant. L'une des particularités du récit réside dans cette écriture parfois frénétique illustrant parfaitement le chaos des pensées de cette enquêtrice de personnalité hors norme, se révélant beaucoup plus impliquée que ses fonctions ne l'exige, en nous permettant ainsi de passer au crible les dysfonctionnements de chaque membre de la famille Durand avec lesquels elle s'entretient afin de comprendre les origines d'une tragédie qui apparaît comme inéluctable au fil des révélations qu'elle met à jour. Dotée d'une sensibilité exacerbée, se conjuguant avec son parcours de vie chaotique, c'est peu dire que Clélia Rivoire est parfaitement à même de saisir les aspérités de ses interlocuteurs et de ressentir certaines failles lors des échanges avec Antoine, ce prévenu mineur apparaissant comme bien trop sûr de lui à l'inverse de sa mère complètement désemparée tout comme sa soeur Melissa, toutes deux véritablement chagrinées par le drame qui les frappe. Avec un texte dépourvu de chapitre, accentuant cette sensation d'urgence qui imprègne l'intrigue, Sandrine Cohen s'emploie ainsi à démonter chacune de pièces qui compose ces mécanismes du fait divers s’inscrivant dans le pur registre du roman noir, sans jamais surjouer avec les révélations fracassantes émergeant des investigations de Clélia Rivoire. C'est encore plus prégnant durant la phase du procès que Sandrine Cohen met en scène avec un réalisme extrême sans que cela  ne nuise au suspense, bien au contraire, puisqu'on y assiste en adoptant toujours le point de vue de son héroïne en proie à un déséquilibre nerveux de plus en plus latent qui nous tient encore plus en haleine. Et puis, il y a cette dualité qui compose la personnalité de Clélia Rivoire qui en font un femme exceptionnelle à l'image d'une Ghjulia Boccanera ou d'une Chastity Riley et qui ont en commun cette fragilité certes, mais également cette force et cette colère qui animent chacune de leurs démarches assumées, parfois empruntes de maladresse et de défiance à l'égard du monde qui les entoure, mais toujours parfaitement actées dans un registre de spontanéité et de sincérité admirable. Ainsi, Antoine, Un Fils Aimant se révèle être un roman noir naturaliste d'une envergure peu commune et dont l'épilogue final époustouflant laisse présager une suite, quand bien même on pourrait en rester là avec ce qui apparaît comme diptyque parfait.

     


    Sandrine Cohen : Antoine, Un Fils Aimant. Editions Belfond/Noir 2025.


    A lire en écoutant : Nocturne No. 13 in C Mino, Op. 48 No. 1 de Chopin. Album : Claudio Arrau - Chopin: The Nocturnes. 1978 Universal International Music B.V.

     

  • Valerio Varesi : L'Autre Loi. La bombe humaine.

    IMG_0834.jpegService de presse.

     

    A raison d'un roman par année, paraissant avec le retour des beaux jours, comme pour saluer cette émergence de la nature se conjuguant avec cette effervescence des idées et des thèmes abordés, voilà que l'on entame déjà la dixième enquête du commissaire Franco Soneri officiant au sein de la ville de Parme et de sa région de l'Emilie Romagne, si chère à son auteur Valerio Varesi, journaliste engagé aux convictions aussi profondes qu'assumées qui rejaillissent dans l'ensemble de son oeuvre. A la parution de chaque ouvrage, on évoque désormais le dernier ou le nouveau Soneri à l'instar de son homologue Andrea Camilleri et de son fameux commissaire Montalbo partageant avec son collègue parmesan le goût de la bonne chère ainsi qu'une certaine notoriété plus que méritée et dont on se réjouit, une fois encore, de partager les investigations toujours imprégnées de connotations sociales et philosophiques extrêmement prégnantes au fil des textes qui se renouvellent constamment, ce qui n'est de loin pas une évidence. En effet, on a vu tant de séries policières s'étioler dans une espèce de routine délétère comblant l'absence d'intrigue vigoureuse pour se réfugier dans la facilité d'une structure narrative récurrente comme on a pu le constater avec l'inspecteur Charlie Resnick de John Harvey ainsi qu’avec le détective Dave Robicheaux de James Lee Burke qui comptent tous deux quelques ouvrages de trop, malgré le fait que l'on ait pu apprécier bon nombre de leurs livres. Il n'en sera rien avec les romans de Valerio Varesi, dont on se demande seulement s'il sera capable de faire aussi bien que l'ouvrage précédent dont chacune des intrigues servent finalement de prétexte pour développer des sujets de société qui ont marqué son auteur s'employant à en disséquer les éléments tant du point de vue social que philosophique sans pour autant alourdir son texte qui demeure toujours aussi fluide et limpide et surtout extrêmement abordable tout en nous enrichissant des réflexions d'un commissaire Soneri apparaissant toujours sur les registres du doute et de l'incertitude caractérisant certains aspects de sa personnalité et dont on ne connaît finalement pas grand chose, hormis le fait qu'il a été marié, qu'il a perdu un enfant en bas âge et qu'il partage sa vie avec l'avocate Angela Cornelio. On apprend également que son père a intégré le mouvement des partisans durant la seconde guerre mondiale et que cet engagement rejaillit dans les convictions d'un policier se révélant peu conventionnel tout comme son ami Nanetti, responsable de la section scientifique de la police, avec qui il partage quelques repas au Milord, où ils ont leurs habitudes. Mais hormis ces quelques éléments récurrents dont il n'abuse jamais, Valerio Varesi a pris soin de ne pas installer d'arche narrative entre les différents volumes, ce qui fait que l'on peut les aborder sans nécessairement devoir respecter l'ordre chronologique des parutions et apprécier chacun d'entre eux s'inscrivant dans la différence des thèmes abordés qui vous éclaireront sur l'évolution de la société italienne notamment pour tout ce qui trait à la montée du populisme apparaissant notamment dans L'Autre Loi, nouveau roman en date, publié dans sa version originale en 2017, bien avant l'émergence du gouvernement de Giorgia Meloni, figure emblématique de l'extrême-droite italienne. 

     

    Alors qu'ils raccompagnent Gilberto Forlai, un vieil aveugle errant sur les voies de chemin de fer de la gare de Parme, les agents découvrent à son domicile le corps sans vie d'un jeune migrant prénommé Hamed qui logeait chez lui en échange d'une aide pour les tâches domestiques. De permanence, l'enquête est confiée au commissaire Soneri qui va investiguer auprès de la communauté musulmane implantée à San Leonardo, une modeste banlieue de Parme où la tension entre immigrés et locaux devient de plus en plus prégnante avec des affrontements violents faisant de nombreux blessés suite à des agressions au couteau. Mais au-delà de l'extrémisme religieux couplé au trafic de stupéfiants ravageant le quartier, le commissaire Soneri comprend bien que l'on atteint un point de non-retour avec une haine viscérale qui imprègne l'ensemble des belligérants aveuglés par leurs propres certitudes. Dans ce contexte bouillonnant, il faudra faire preuve de lucidité et de clairvoyance pour démêler le vrai du faux où le repli sur soi et le rejet de l'autre deviennent la norme au sein d’un environnement que le policier peine à cerner.

     

    Capture.PNGTémoin de son espace et de son environnement, on observera, en découvrant l'œuvre de Valerio Varesi, cette évolution de la société italienne durant les 14 années qui séparent, dans sa version originale, la parution du Fleuve Des Brumes (Agullo noir 2016) de celle de L'Autre Loi (Agullo 2024) et plus particulièrement de ce qui a trait au fascisme apparaissant comme une résurgence lointaine du passé, nourrie de rancœurs,  pour laisser place à cette montée du populisme imprégnée de colère qui émerge au gré de cette nouvelle intrigue policière mettant en scène un commissaire Soneri apparaissant plus que décontenancé par l'ampleur de ce phénomène social. A partir de là, Valerio Varesi s'emploie à décortiquer les mécanismes de cette haine larvée de ressortissants italiens bien décidés à s'en prendre aux migrants qui peuplent les quartiers sensibles de la ville de Parme, en leur imputant la responsabilité de tous leurs maux. Il va de soi que c'est plus particulièrement la communauté musulmane qui en fait les frais avec une impressionnante montée de violence s'articulant autour d'un véritable rejet de part et d'autre que l'auteur met en scène avec une redoutable acuité dépourvue de tout parti pris et qui se décline autour de la personnalité d'individus engoncés dans leur haine et leur certitudes, que ce soit l'imam Brahimi ou le politicien Pellacini qui, au-delà des idéologies qui les opposent, ont en commun cette volonté de s’engager vers un extrémisme radical. Mais si ces leaders apparaissent en second plan, au gré des conversations aux entournures philosophiques que le commissaire Soneri peut avoir avec eux malgré son aversion, l'intrigue s'articule autour de celles et ceux qui en sont les victimes collatérales, et plus particulièrement du meurtre du jeune migrant Hamed Kalimi que l'on a retrouvé au domicile de Gilberto Forlai, un vieil aveugle démuni, au comportement ambivalent dont Valerio Varesi dresse un portrait absolument bouleversant. C'est d'ailleurs dans l'élaboration de ces individus pétris d'humanité, avec toutes les failles que cela comporte, que réside le talent du romancier à dresser une intrigue toute en nuance où l'on découvre, au rythme de l'avancement d'une enquête incertaine, les atermoiements de protagonistes refusant d'intégrer ce processus de violence radicale, en dépit de la peur qui les étreint. Ainsi, le commissaire Soneri parcourt les rues de la ville de Parme en croisant des patrouilles citoyennes prêtent à en découdre pour rendre justice à leur manière vis-à-vis de migrants qu'ils abhorrent, ceci plus particulièrement du côté du quartier de San Leonardo qui n'a rien de touristique. Il n'en demeure pas moins que l'agglomération est toujours mise en valeur avec notamment une incursion dans la célèbre et sublime bibliothèque Palatine de Parme et de ses environs dont le magnifique Palazzo della Pilotta, situé non loin du bâtiment de la questure où le commissaire Soneri travaille avec son équipe, quand il ne s'égare pas du côté des contreforts du massif des Apennins dont on appréciera les paysages hivernaux, parfois brumeux, ainsi que les spécialités culinaires concoctées par l'aubergiste du village que le policier s'empresse de déguster en dépit des problèmes de santé qui le contraignent à suivre un régime que sa compagne Angela s'évertue à lui faire respecter. Sans jamais abuser du procédé, on retrouve une certaine récurrence salutaire dans le déroulement de l'intrigue que ce soit les échanges parfois incisifs avec son collègue et ami Nanetti, les repas gourmands au Milord ainsi que les rapports avec sa compagne Angela prenant davantage de place dans le cours de l'intrigue tandis que Franco Soneri, parfois en plein désarroi, exprime ses sentiments vis-à-vis d'elle, avec plus de ferveur que de coutume. Témoignage et analyse d'une société basculant vers un populisme prégnant se conjuguant avec l'extrémisme radical islamiste qui marquent le pas au sein de la ville de Parme, mais également du pays, L'Autre Loi apparaît comme un roman policier extrêmement brillant qui met à jour les clivages entre les différentes communautés bien décidées à s'imposer coûte que coûte dans une spirale de violence que la police seule, n'est pas en mesure d'endiguer comme en témoigne l'épilogue où le commissaire Soneri fait en sorte de rester à la place qui est la sienne sans jamais outrepasser le cadre de ses fonctions en conférant ainsi davantage de réalisme à une intrigue aussi grandiose que la couverture.


    Valerio Varesi : L'Autre Loi (Il Commissario Soneri E La Legge Del Corano). Editions Agullo/Noir 2025. Traduit de l'italien par Gérard Lecas.

    A lire en écoutant : Blue Rondo A La Turk de Dave Brubeck. Album : Time Out. 1959, Columbia Records. 

  • DICKER, FEUZ, VOLTENAUER & MARCEAU MILLER. LA LITTERATURE EST UN BUSINESS.

    joël dicker,marc voltenauer,nicolas feuz,le roman de marceau miller,rosie & wolfe,la martinière,istya & cie,la très catastrophique visite du zoo,ultimatumJoël Dicker : La Très Catastrophique Visite Du Zoo.


    Selon Edistat, l'estimation s'élève à près de 50'000 exemplaires vendus en une semaine faisant en sorte que, dès sa parution, le roman figure en tête du classement des meilleurs ventes, toutes catégories confondues. C'est ainsi qu'il faut évoquer l'oeuvre de Joël Dicker et notamment La Très Catastrophique Visite Du Zoo, en se focalisant davantage sur le phénomène des ventes que sur l'aspect du texte, même si l'on vous explique qu'il s'agit d'un roman à très large spectre destiné autant à la jeunesse qu'aux adultes et qu'il aborde les sujets de la démocratie, de la tolérance et de l'inclusion au gré d'une enquête assez similaire à ses précédents récits s'inscrivant sur le registre très prononcé du suspense. Que voulez-vous, on ne change pas une équipe qui gagne, ce d'autant plus que le romancier est également devenu éditeur. Pour ce qui est du contenu, on fera mention de l'aspect formaté, calibré et sans aucune once d'aspérité ou d'originalité afin de faire en sorte de plaire au plus grand nombre en s'inspirant, d'une manière plutôt lourde, des textes de Goscinny et de son fameux Petit Nicolas illustré par Sempé dont Joël Dicker aurait dissous toute la force narrative pour nous restituer une intrigue extrêmement fade, en dépit de la présence de ces enfants spéciaux se révélant plutôt ordinaires. Mais finalement peu importe le contenu, car l'ensemble des médias se rangent désormais derrière le romancier genevois qui a su faire coïncider la sortie de son nouveau roman avec cette campagne de joël dicker,marc voltenauer,nicolas feuz,le roman de marceau miller,rosie & wolfe,la martinière,istya & cie,la très catastrophique visite du zoo,ultimatumsensibilisation #11marsjelis où il diffuse notamment sur Instagram, un clip promotionnel mettant en scène une multitude de personnalités s'associant à cette démarche de lecture, ceci en collaboration avec sa maison d'éditions Rosie & Wolfe ce qui en dit long sur le redoutable sens du marketing de l'entrepreneur Joël Dicker à qui l'on ne saurait reprocher de marteler cette injonction de se plonger dans les livres, surtout les siens qu'il imprime à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires. Tout juste admettra-t-on une pointe d'agacement lorsqu'il se fait donneur de leçon en expliquant "avec modestie et humilité" que l'industrie du livre a raté quelque chose qui est de fédérer les gens avec une explication assez simpliste qui caractérise d'ailleurs ses textes. Ce côté donneur de leçon on le retrouve également dans la postface de La Très Catastrophique Visite Du Zoo où Joël Dicker s'émeut de la fermeture des librairies qu'il met sur le compte de l'érosion du lectorat sans évoquer l'augmentation des charges et bien évidemment sans mentionner la concurrence des plateformes numériques et des grandes surfaces où ses ouvrages sont abondamment mis en avant par l'entremise d'Interforum, filiale d'Editis qui diffuse et distribue sa maison d'éditons. Joël Dicker semble d'ailleurs s'être résigné quant au côté immuable de la fermeture des librairies puisque sur le site de son entreprise figure désormais un lien de la grande plateforme numérique américaine nous dirigeant vers la vente en ligne de son nouveau roman, démarche qu'il se gardait bien d'effectuer auparavant. Mais on sent bien qu'avec la parution de La Très Catastrophique Visite Du Zoo, Joël Dicker est passé sur un autre registre beaucoup plus intense du marketing, ce qu'on ne saurait lui reprocher d'ailleurs. Il faut bien vendre et tant pis pour ce qui est de l'abandon des idéaux se diluant dans des injonctions paradoxales dont il n'a pas l'apanage dans le milieu de la littérature. Et tout le monde est sur le pont, en rang serré, pour mettre en exergue la démarche entrepreneuriale de l'auteur que des lecteurs et des journalistes enthousiastes défendent avec une certaine véhémence. Ainsi, pour les détracteurs qui se pencheraient sur le contenu des textes comme ça été le cas pour La Vérité Sur L'Affaire Harry Québert, Le Livre Des Baltimore ou La Disparition De Stéphanie Mailer, la cohorte de fans de Joël Dicker vous ramènera immanquablement vers un amalgame abscons où émerge des notions comme le mépris tant de l'auteur que des lecteurs, ou comme l'élitisme qui font que l'on exècre forcément tout ce qui a trait au succès en lien avec la littérature populaire qu'il ne faudrait pas lire. Joël Dicker se lâchait d'ailleurs sur le sujet en 2012 à l'occasion d'un entretien sur la RTS, en expliquant qu'avec le succès de La Vérité Sur L'Affaire Harry Québert, il intègre "le grand club de la Suisse qui gagne" tandis que ceux qui le critiquent font bien évidemment partie "du petit club de ceux qui aiment perdre.…" On appréciera. Mais à titre de contre-exemple, on citera Zep, un autre suisse qui plus est genevois, qui a su concilier succès et popularité tout en conservant cette dimension artistique imprégnée d'audace et d'originalité tout comme Manu Larcenet et Pierre Lemaître qui ne se sont pas asséchés sous la lumière artificielle du marketing. Et puis si l'on reprend l’image des brocolis chers à Joël Dicker, on pourra expliquer que si l'on n’aime pas ce légume, il ne s'agit pas d'un manque de respect à l'égard du producteur et encore moins vis à vis de celles et ceux qui en consomment et qui le dégustent avec plaisir. Chacun mange ce qu’il veut et ce qu’il lui convient. Et pour en revenir à la littérature, il faudra souligner le fait que les personnes qui jettent comme moi, un regard critique sur l'oeuvre de Joël Dicker et tout ce qui entoure ses démarches de marketing, ne sont pas forcément toutes issues d'un pseudo sérail littéraire élitiste qui conspuerait le moindre succès qui n'a d'ailleurs absolument rien à voir avec la qualité du texte. Cela se saurait. 

     

    joël dicker,marc voltenauer,nicolas feuz,le roman de marceau miller,rosie & wolfe,la martinière,istya & cie,la très catastrophique visite du zoo,ultimatumNicolas Feuz & Marc Voltenauer : Ultimatum.


    Dans le domaine du marketing, ils n'ont rien à envier à Joël Dicker et après une petite baisse de visibilité en matière de présence médiatique à l'occasion de la parution de leurs derniers ouvrages, Nicolas Feuz et Marc Voltenaueur reviennent en force dans le paysage des médias helvétiques en publiant Ultimatum, un roman écrit en duo qui met en scène leurs personnages respectifs que sont l'inspecteur Andreas Auer et le procureur Norbert Jemsen qui vont faire face à une menace d'attentat d'envergure qui va frapper la Suisse. Là également, le contenu importe peu et l'on retrouve ce côté guide touristique de la Suisse pour les nuls, ainsi que ce côté burlesque,  quelque peu involontaire, avec des tueurs déguisés en Père Noël ou prenant le nom de personnages de dessins animés de Walt Disney tandis que le récit prend l'allure d'un thriller aux connotations complotistes avec cette propension pesante à mettre en avant la documentation qu'ils ont accumulée lors de la rédaction de l'ouvrage et qui émerge un peu trop, en  brisant ainsi le rythme d'une intrigue bancale. Il va de soi que c'est cette écriture à quatre mains qui est désormais mise en exergue que ce soit dans les articles de presse ainsi que sur les plateaux de la télévision qui ne font guère mention de la qualité du texte qui connaît, comme toujours, un certain retentissement en Suisse romande puisqu'ils figurent en bonne place dans le classement des ventes de la chaîne des librairies Payot, juste derrière un certain Joël Dicker qui leur doit peut-être une certaine inspiration en matière de marketing, puisque Nicolas Feuz et Marc Voltenauer se sont tournés bien avant lui vers le marché de la littérature jeunesse en publiant des intrigues policières pour le compte des éditions Auzou. Et la démarche n'est, de loin pas, anodine ni désintéressée, parce que ces romanciers ont bien compris qu'il s'agissait d'un marché en pleine expansion qui ne connaît pas vraiment la crise, en dépit d'un léger recul des ventes ces deux dernières années, et qu'elle contribuait à asseoir leur notoriété. Pour preuve, à l'occasion du Salon du livre à Genève, Nicolas Feuz et Marc Voltenauer seront davantage présents sur le stand Auzou pour dédicacer leurs livres jeunesses et consacreront beaucoup moins de temps à signer leur dernier thriller. Mais qu'à cela ne tienne, on ne saurait reprocher à ces deux romanciers suisses de vouloir vendre des livres, si ce n'est que de se laisser aller à une écriture formatée avec une absence de style assez caractéristique qui se décline au gré de chapitre extrêmement courts. 


    joël dicker,marc voltenauer,nicolas feuz,le roman de marceau miller,rosie & wolfe,la martinière,istya & cie,la très catastrophique visite du zoo,ultimatumLe Roman De Marceau Miller


    Mais l'incarnation du coup marketing littéraire dans ce qu'il y a de plus dévoyé revient, pour ce début d'année 2025, aux éditions de La Martinière publiant Le Roman De Marceau Miller qui prend pour cadre les bords du lac Léman, non loin de la Suisse. Est-ce un signe ? Une prolifération de ce qui se fait de plus mauvais en matière de littérature industrielle dans la région ? Toujours est-il que l'argument de vente réside dans l'identité mystérieuse de l'auteur dont on se garde bien de nous dévoiler le nom, histoire de nous faire un peu frémir, tandis que l'éditrice surenchérit en nous  assurant que les droits à l'étranger font l'objet d'enchères ou de préemptions émanant d'une multitude de maisons d'éditions prestigieuses, mais dont on ne voit toujours pas l'issue. On parle de montants à "6 chiffres" voire même “7 chiffres" sur le site dédié à ce fameux Marceau Miller. Avec de tels effets d'annonce, il va de soi que journalistes et influenceurs éclairés se sont engouffrés dans la brèche pour brandir ce qui apparaît pour eux comme un nouveau phénomène éditorial à venir, ceci bien évidemment dans le cadre de collaborations commerciales rémunérées. Alors pour s'extraire de l'enfumage autour de ce roman aux chiffres vertigineux, on notera que selon les éléments fournis par Edistat, la vente cumulée des ouvrages s'élève à 9'099 exemplaires depuis sa parution au 17 janvier 2025 (performance honorable sans être faramineuse), qu'il s'est classé à la 116ème position des meilleurs ventes durant la première semaine avant de disparaître du classement et que l'on se demande dès lors, au vu de la muraille de livres qui trônent dans les grandes chaînes de librairie, combien d'entre eux finiront au pilon. Mais rien n'est encore perdu, on garde espoir. Néanmoins, pour revenir au contenu, on dira, à la lecture de ce texte laborieux, que l'on comprend que son auteur ait souhaité rester anonyme : la honte sans aucun doute, conjuguée à une mythomanie exacerbée qu'il ne faudrait cependant pas trop afficher. Désireux de lever le voile de cet anonymat, on fustigera celles et ceux qui ont voulu en attribuer la paternité à une application de l'intelligence artificielle qui aurait sans doute fait beaucoup mieux que ce condensé d'inepties reprenant les fameux codes du thriller haletant, ce qui n'est pas forcément  un gage de qualité de nos jours. On remarquera, entre autre, qu'en guise de documentation, l'auteur s'est probablement appuyé sur Google Maps en prenant soin de donner la référence de chacune des routes empruntées par les protagonistes d'une mauvaise intrigue dont on peut survoler de nombreux passages tant ils apparaissent aussi répétitifs que dépourvus d'intérêt, sans que cela ne pérore cette lecture fastidieuse, bien au contraire.

     


    Joël Dicker : La Très Catastrophique Visite Du Zoo. Editions Rosie & Wolfe 2025.

    Nicolas Feuz & Marc Voltenauer : Ultimatum. Editions Istya & Cie 2025.

    Anonyme : Le Roman De Marceau Miller. Editions La Martinière 2025.

    A lire en écoutant : I'll Stay Here de Balthazar. Album : Applause. 2010 Maarten Devoldere / Jinte Dprez.

  • Simone Buchholz : River Clyde. Le passage.

    simone buchholz,rive clyde,collection fusion,éditions de l'atalanteToutes les bonnes chose ont une fin mais on regrettera bien évidemment le fait que la série des investigations de la procureure Chastity Riley s'achève avec River Clyde ce dernier roman de Simone Buchholz qui semble donc avoir fait le tour de cette héroïne hors-norme dont elle a distillé   les récits en publiant dix ouvrages parmi lesquels cinq sont traduits en français par Claudine Layre pour la collection Fusion des éditions de l'Atalante, dirigée par Caroline de Benedetti et Emeric Cloche, bien connus dans le milieu de la littérature noire avec leur association Fondu Au Noir. Autant dire que l'on a été véritablement séduit par cet emploi vertigineux de l'ellipse, ainsi que ces dialogues  incisifs mettant en scène des individus attachants gravitant autour de la personnalité parfois éthérée de cette femme insaisissable où l'incertitude devient sa force de caractère tout en révélant certaines failles notamment pour ce qui a trait à ses origines. Issue d'un amour entre un soldat américain basé en Allemagne qui se suicidera alors qu'elle est adolescente et d'une mère allemande qui l'a abandonnée sans un mot, Chastity Riley incarne bon nombre de ces enfants  allemands partagés entre deux cultures que Simone Buchholz a côtoyé à l'école qui s'est donc penchée sur cette quête des origines qui rejaillit plus particulièrement dans River Clyde avec cette incursion en Ecosse, du côté de Glascow et de sa région, même si la ville de Hambourg apparaît encore une fois au gré d'une intrigue parallèle. Parce qu'il va de soi que la série de la procureure Chastity Riley met également en évidence cette ville portuaire de Hambourg avec cette ouverture au monde dont on a un échantillon en évoluant dans le secteur de Sankt Pauli, ce quartier populaire où l'on côtoie des communautés étrangères relativement pauvres ainsi que des individus venus faire la fête dans la multitude de bars et de salons où les prostituées travaillent dans une ambiance extrêmement animée. Bien loin des clichés qui pourraient émaner d'un tel environnement, Simone Buchholz a fait en sorte de nous livrer des récits imprégnés d'une certaine poésie tout en abordant des thème sociaux issus de l'actualité du moment que ce soit les problèmes de stupéfiants transitant par le port, la lutte inégale des classes ainsi que les difficultés en lien avec l'intégration des étrangers, ceci avec une pertinence totalement dénuée de naïveté. 

     

    Après l'explosion au dernier étage du bar de l'hôtel où ils célébraient un départ à la retraite, personne ne s'est vraiment remis des événements tragiques et notamment de la disparition de l'un des leurs qui a marqué à tout jamais les membres de l'équipe de la brigade criminelle et bien évidemment la procureure Chastity Riley qui est désormais en disponibilité. Et puis il y cette lettre d'un avocat de Glascow l'informant qu'elle est désormais l'héritière d'une maison au fin fond de l'Ecosse et qui appartenait à sa tante paternelle qu'elle n'a jamais connu. Alors voilà Chastity Riley qui se balade sur les bords de la Clyde River tandis que les fantômes du passé ressurgissent au gré d'une errance jalonnée de rencontres impromptues, parfois surnaturelles. Et du côté de Hambourg, Stepanovic et Calabretta, ainsi que le reste de l'équipe, reprennent du service en investiguant du côté de promoteurs immobiliers sans foi ni loi qui ont incendié un ensemble d'immeubles vétustes du quartier de Sankt Pauli. Mais pas certain que cela ne concerne vraiment Chastity Riley qui s'est lancée dans une enquête intime à la recherche de ses racines dans les méandres du loch recelant quelques secrets qui lui permettront peut-être de se reconstruire.

     

    simone buchholz,rive clyde,collection fusion,éditions de l'atalanteVéritable fil conducteur de la narration, le fleuve donnant son titre au roman River Clyde devient une espèce d'entité magique faisant office de passeur entre le monde invisible et l'univers chamboulé de Chastity Riley qui tente de se remettre des événements que l'on a découvert dans Hôtel Carthagène (Fusion 2024) qu'il est recommandé de lire avant, afin de saisir toutes les nuances des intrigues qui touchent son entourage. Si le thème de l’origine a toujours été présent dans les aspects de la personnalité de la procureure hambourgeoise, il s’inscrit dans une dimension beaucoup plus prégnante au cours de ce dernier opus prenant l’allure d’une véritable introspection, aux connotations parfois oniriques, ponctuée de très belles rencontres au gré de ses pérégrinations que ce soit du côté de Glascow, ville extrêmement bien incarnée, ou du côté de la région de Garelochhead, au milieu des landes et lochs écossais où se situe la maison que sa tante Eliza lui a légué, ce qui va lui permettre de se connecter avec l'histoire de sa famille, du côté paternel dont elle ignore pratiquement tout. Toujours dans la mesure, Simone Buchholz se garde bien de nous entrainer sur le registre des révélations fracassantes ou d'une pseudo enquête policière nous dévoilant les raisons du suicide de son père. Il en va d'ailleurs de même pour ce qui a trait aux investigations des incendies intentionnels des immeubles de Hambourg dont s'occupe les membres de la brigade criminelle qui, tout comme Chastity Riley, tentent de surmonter leur chagrin chacun à leur manière, et que la romancière met en scène au rythme d'une longue filature où les policiers deviennent davantage témoins qu'enquêteurs alors qu'une espèce de justice "naturelle" des choses se met en place, tout en s'attardant également du côté du Nuit Bleue (Fusion 2021) où Chastity Riley a passé tant de temps à écluser quelques verres de bière et de gin en compagnie des tenanciers de l'établissement dont elle est extrêmement proche. Comme à l'accoutumée, c'est la richesse et l'originalité de la mise en scène qui séduit le lecteur avec un texte intense où l'émotion se distille autour de ces échanges à la fois marquants et sobres qui caractérisent chacun des personnages d'une série qui prend fin dans le cadre d'une atmosphère envoûtante dont on s'extrait avec regret. On saluera néanmoins le fait que Simone Buchholz a préféré mettre fin à une série policière singulière plutôt que de prendre le risque de nous livrer l’ouvrage de trop comme c’est souvent trop le cas dans le domaine de la littérature noire. Et puis on notera, avec un certain plaisir, que Nuit Bleue premier roman des enquêtes de Chastity Riley intègre désormais la collection des éditions Rivages/Noir, en espérant qu’il en sera de même pour l’ensemble des ouvrages de Simone Buchholz.

     

     


    Simone Buchholz : River Clyde (River Clyde). Editions de l'Atalante/collection Fusion 2025. Traduit de l'allemand par Claudine Layre.

    A lire en écoutant : Slow Like Honey de Fiona Apple. Album : Tidal. 1996 Epic Records.

  • TIM DORSEY : FLORIDA ROADKILL. TORTUES ET PELICANS.

    tim dorsey,florida roadkill,éditions rivagesS'il est né dans l'Indiana, sa terre d'adoption a toujours été la Floride où il a tout d'abord travaillé comme journaliste du côté de Tampa, puis de Tallahassee avant de se lancer dans l'écriture en publiant 26 romans noirs mettant en scène Serge A. Storms, le plus barré des tueurs psychopathes qui s'inscrit dans la lignée de ces personnages floridiens décalés qui peuplent les récits de John D. MacDonald ou de Carl Hiassen qui surgit d'ailleurs dans l'un de ses ouvrages déjantés. Tim Dorsey apparaît donc comme un auteur singulier et détonant que l'on découvre en 2000 avec la publication en français de Florida Roadkill qui figure dans l'emblématique collection Rivages/Noir en compagnie de six autres opus de la série qui n'ont malheureusement pas rencontré leur public en dépit de la véhémente insistance d'un blogueur afficionados de l'auteur qui ne s'est toujours pas remis de cette immersion dans un univers aussi hilarant que tonitruant. Et si l'on veut avoir une idée de la personnalité du romancier, on s'attardera sur la photo de son profil Facebook cet aspect cocasse qui émerge de ses textes. Mais au-delà de l'aspect désopilant de ses textes qui vous feront rire aux éclats, à moins d'avoir subi une lobotomie, on ne manquera pas d'apprécier la redoutable et énergique capacité de narration de Tim Dorsey qui vire parfois vers un surréalisme hilarant ainsi que le véritable cri d'amour à l'égard de la Floride dont il distille certains pans de son histoire et de sa culture sur un registre tout aussi survolté, tout en nous sensibilisant sur la préservation tant du patrimoine que de la nature, faisant notamment l'objet d'une convoitise immodérée des promoteurs immobiliers de la région et de leurs partenaires qu'il fustige allègrement, c'est le moins que l'on puisse dire, au gré d'un humour au vitriol.

     

    tim dorsey,florida roadkill,éditions rivagesOn dit de lui qu'il est un obsessionnel-compulsif, maniaco-dépressif, rétenteur anal, paranoïaque et schizophrène qui se révèle également extrêmement érudit notamment pour tout ce qui a trait à la Floride où il a toujours vécu. Pourtant durant son incarcération Serge A. Storms s'est merveilleusement bien entendu avec Coleman un junkie complètement abruti qu'il a pris sous son aile à sa sortie de prison. Ne s'embarrassant pas trop de la morale, les deux compères acceptent de prendre part à cette formidable escroquerie à l'assurance que la sculpturale Sharon leur propose afin d'assouvir leur train de vie plus que dissolu avec notamment une consommation immodérée de substances illicites. Mais le projet tourne court et voilà que le trio se lance à la poursuite d'une mallette contenant cinq millions de dollars en sillonnant les routes pour se rendre jusqu'aux Keys en croisant de près ou de loin le séducteur le plus maudit de la région, l'assureur le plus véreux de l'état, le cartel le plus minable du pays, le groupe de motards le plus nul du monde et le propriétaire de camping le plus odieux de l'univers. Mais quoi qu'il advienne, rien n'empêchera Serge le psychopathe de regarder les matchs baseballs des World Séries quitte éliminer, avec une inventivité sans égale, tous les obstacles qui se présentent à lui. Et autant dire qu'ils sont bien nombreux.  

    tim dorsey,florida roadkill,éditions rivagesSi les récits de Tim Dorsey prennent une forme outrancière, on notera que la seule faute de goût de l’auteur réside dans le fait de nous avoir quitté prématurément en 2023 à l’âge de 62 ans en laissant désormais orphelin Serge A. Storm et la kyrielle d’individus fantasques qui l’ont accompagné durant toute la série d’aventures déjantées et burlesques dont les ressorts comiques frisent le génie. Mais que l’on ne s’y trompe pas, Florida Roadkill n’a rien d’un roman foutraque qui partirait dans tous les sens, sans aucune maîtrise. Bien au contraire, on relèvera le sens aigu de la mise en scène de l’auteur qui réussit à contrôler l’ensemble des intrigues éparses du roman afin de faire en sorte d’arriver à une formidable conjonction des événements qui s’emboîtent à la perfection au gré d’une course poursuite finale décapante. S’il présente tous les aspects du serial killer, on apprécie chez Serge A. Storm le choix de ses victimes ainsi que son inventivité dans la manière de les éliminer qui ne manquera pas de réjouir les lecteurs avec ce sentiment d’exutoire qui émerge en permanence. Il faut dire qu’elles sont gratinées les crapules odieuses qui côtoient ce tueur redoutable qui n’est pas dénué d’un certaine sensibilité notamment à l’égard de l’environnement qui l’entoure et qu’il entend bien préserver à sa manière, tout en tenant compte de ses intérêts et de ceux de Coleman, son abruti d’acolyte qui l’accompagne durant toutes ses aventures de Tampa, jusqu’au bout des Keys. Mais Florida Roadkill, c’est aussi l’occasion de présenter les différents aspects méconnus et décalés du Sunshine State que ce soit les bars les plus originaux qui existent vraiment et que ses protagonistes fréquentent au gré de circonstances parfois complètement farfelues, ou que la librairie de Haslam que Jack Kerouac fréquentait assidûment et qui a malheureusement mis la clé sous la porte en 2020. Et puis on apprécie véritablement ces portraits d’individus hors-normes ainsi que leurs parcours chaotiques tout en mettant en exergue, sur un registre extrêmement féroce, les dysfonctionnements sociaux d’une région magnifique suscitant certaines convoitises redoutables que Tim Dorsey dépeint avec cette ironie mordante qui le caractérise. Ainsi, Florida Roadkill  se révèle être un roman noir faisant également office de guide touristique aussi déjanté qu’hilarant qui s’inscrit dans la dimension d’une originalité résolument hors-norme.

    Tim Dorsey : Florida Roadkill (Florida Roadkill). Traduit de l'anglais (Etat-Unis) par Laetitia Devaux. Editions Rivages/Noir 2017. 

    A lire en écoutant : Hot Stuff de The Rolling Stone. Album : Black and Blue. 2012 Promotone B.V.