DICKER, FEUZ, VOLTENAUER & MARCEAU MILLER. LA LITTERATURE EST UN BUSINESS.
Joël Dicker : La Très Catastrophique Visite Du Zoo.
Selon Edistat, l'estimation s'élève à près de 50'000 exemplaires vendus en une semaine faisant en sorte que, dès sa parution, le roman figure en tête du classement des meilleurs ventes, toutes catégories confondues. C'est ainsi qu'il faut évoquer l'oeuvre de Joël Dicker et notamment La Très Catastrophique Visite Du Zoo, en se focalisant davantage sur le phénomène des ventes que sur l'aspect du texte, même si l'on vous explique qu'il s'agit d'un roman à très large spectre destiné autant à la jeunesse qu'aux adultes et qu'il aborde les sujets de la démocratie, de la tolérance et de l'inclusion au gré d'une enquête assez similaire à ses précédents récits s'inscrivant sur le registre très prononcé du suspense. Que voulez-vous, on ne change pas une équipe qui gagne, ce d'autant plus que le romancier est également devenu éditeur. Pour ce qui est du contenu, on fera mention de l'aspect formaté, calibré et sans aucune once d'aspérité ou d'originalité afin de faire en sorte de plaire au plus grand nombre en s'inspirant, d'une manière plutôt lourde, des textes de Goscinny et de son fameux Petit Nicolas illustré par Sempé dont Joël Dicker aurait dissous toute la force narrative pour nous restituer une intrigue extrêmement fade, en dépit de la présence de ces enfants spéciaux se révélant plutôt ordinaires. Mais finalement peu importe le contenu, car l'ensemble des médias se rangent désormais derrière le romancier genevois qui a su faire coïncider la sortie de son nouveau roman avec cette campagne de
sensibilisation #11marsjelis où il diffuse notamment sur Instagram, un clip promotionnel mettant en scène une multitude de personnalités s'associant à cette démarche de lecture, ceci en collaboration avec sa maison d'éditions Rosie & Wolfe ce qui en dit long sur le redoutable sens du marketing de l'entrepreneur Joël Dicker à qui l'on ne saurait reprocher de marteler cette injonction de se plonger dans les livres, surtout les siens qu'il imprime à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires. Tout juste admettra-t-on une pointe d'agacement lorsqu'il se fait donneur de leçon en expliquant "avec modestie et humilité" que l'industrie du livre a raté quelque chose qui est de fédérer les gens avec une explication assez simpliste qui caractérise d'ailleurs ses textes. Ce côté donneur de leçon on le retrouve également dans la postface de La Très Catastrophique Visite Du Zoo où Joël Dicker s'émeut de la fermeture des librairies qu'il met sur le compte de l'érosion du lectorat sans évoquer l'augmentation des charges et bien évidemment sans mentionner la concurrence des plateformes numériques et des grandes surfaces où ses ouvrages sont abondamment mis en avant par l'entremise d'Interforum, filiale d'Editis qui diffuse et distribue sa maison d'éditons. Joël Dicker semble d'ailleurs s'être résigné quant au côté immuable de la fermeture des librairies puisque sur le site de son entreprise figure désormais un lien de la grande plateforme numérique américaine nous dirigeant vers la vente en ligne de son nouveau roman, démarche qu'il se gardait bien d'effectuer auparavant. Mais on sent bien qu'avec la parution de La Très Catastrophique Visite Du Zoo, Joël Dicker est passé sur un autre registre beaucoup plus intense du marketing, ce qu'on ne saurait lui reprocher d'ailleurs. Il faut bien vendre et tant pis pour ce qui est de l'abandon des idéaux se diluant dans des injonctions paradoxales dont il n'a pas l'apanage dans le milieu de la littérature. Et tout le monde est sur le pont, en rang serré, pour mettre en exergue la démarche entrepreneuriale de l'auteur que des lecteurs et des journalistes enthousiastes défendent avec une certaine véhémence. Ainsi, pour les détracteurs qui se pencheraient sur le contenu des textes comme ça été le cas pour La Vérité Sur L'Affaire Harry Québert, Le Livre Des Baltimore ou La Disparition De Stéphanie Mailer, la cohorte de fans de Joël Dicker vous ramènera immanquablement vers un amalgame abscons où émerge des notions comme le mépris tant de l'auteur que des lecteurs, ou comme l'élitisme qui font que l'on exècre forcément tout ce qui a trait au succès en lien avec la littérature populaire qu'il ne faudrait pas lire. Joël Dicker se lâchait d'ailleurs sur le sujet en 2012 à l'occasion d'un entretien sur la RTS, en expliquant qu'avec le succès de La Vérité Sur L'Affaire Harry Québert, il intègre "le grand club de la Suisse qui gagne" tandis que ceux qui le critiquent font bien évidemment partie "du petit club de ceux qui aiment perdre.…" On appréciera. Mais à titre de contre-exemple, on citera Zep, un autre suisse qui plus est genevois, qui a su concilier succès et popularité tout en conservant cette dimension artistique imprégnée d'audace et d'originalité tout comme Manu Larcenet et Pierre Lemaître qui ne se sont pas asséchés sous la lumière artificielle du marketing. Et puis si l'on reprend l’image des brocolis chers à Joël Dicker, on pourra expliquer que si l'on n’aime pas ce légume, il ne s'agit pas d'un manque de respect à l'égard du producteur et encore moins vis à vis de celles et ceux qui en consomment et qui le dégustent avec plaisir. Chacun mange ce qu’il veut et ce qu’il lui convient. Et pour en revenir à la littérature, il faudra souligner le fait que les personnes qui jettent comme moi, un regard critique sur l'oeuvre de Joël Dicker et tout ce qui entoure ses démarches de marketing, ne sont pas forcément toutes issues d'un pseudo sérail littéraire élitiste qui conspuerait le moindre succès qui n'a d'ailleurs absolument rien à voir avec la qualité du texte. Cela se saurait.
Nicolas Feuz & Marc Voltenauer : Ultimatum.
Dans le domaine du marketing, ils n'ont rien à envier à Joël Dicker et après une petite baisse de visibilité en matière de présence médiatique à l'occasion de la parution de leurs derniers ouvrages, Nicolas Feuz et Marc Voltenaueur reviennent en force dans le paysage des médias helvétiques en publiant Ultimatum, un roman écrit en duo qui met en scène leurs personnages respectifs que sont l'inspecteur Andreas Auer et le procureur Norbert Jemsen qui vont faire face à une menace d'attentat d'envergure qui va frapper la Suisse. Là également, le contenu importe peu et l'on retrouve ce côté guide touristique de la Suisse pour les nuls, ainsi que ce côté burlesque, quelque peu involontaire, avec des tueurs déguisés en Père Noël ou prenant le nom de personnages de dessins animés de Walt Disney tandis que le récit prend l'allure d'un thriller aux connotations complotistes avec cette propension pesante à mettre en avant la documentation qu'ils ont accumulée lors de la rédaction de l'ouvrage et qui émerge un peu trop, en brisant ainsi le rythme d'une intrigue bancale. Il va de soi que c'est cette écriture à quatre mains qui est désormais mise en exergue que ce soit dans les articles de presse ainsi que sur les plateaux de la télévision qui ne font guère mention de la qualité du texte qui connaît, comme toujours, un certain retentissement en Suisse romande puisqu'ils figurent en bonne place dans le classement des ventes de la chaîne des librairies Payot, juste derrière un certain Joël Dicker qui leur doit peut-être une certaine inspiration en matière de marketing, puisque Nicolas Feuz et Marc Voltenauer se sont tournés bien avant lui vers le marché de la littérature jeunesse en publiant des intrigues policières pour le compte des éditions Auzou. Et la démarche n'est, de loin pas, anodine ni désintéressée, parce que ces romanciers ont bien compris qu'il s'agissait d'un marché en pleine expansion qui ne connaît pas vraiment la crise, en dépit d'un léger recul des ventes ces deux dernières années, et qu'elle contribuait à asseoir leur notoriété. Pour preuve, à l'occasion du Salon du livre à Genève, Nicolas Feuz et Marc Voltenauer seront davantage présents sur le stand Auzou pour dédicacer leurs livres jeunesses et consacreront beaucoup moins de temps à signer leur dernier thriller. Mais qu'à cela ne tienne, on ne saurait reprocher à ces deux romanciers suisses de vouloir vendre des livres, si ce n'est que de se laisser aller à une écriture formatée avec une absence de style assez caractéristique qui se décline au gré de chapitre extrêmement courts.
Le Roman De Marceau Miller
Mais l'incarnation du coup marketing littéraire dans ce qu'il y a de plus dévoyé revient, pour ce début d'année 2025, aux éditions de La Martinière publiant Le Roman De Marceau Miller qui prend pour cadre les bords du lac Léman, non loin de la Suisse. Est-ce un signe ? Une prolifération de ce qui se fait de plus mauvais en matière de littérature industrielle dans la région ? Toujours est-il que l'argument de vente réside dans l'identité mystérieuse de l'auteur dont on se garde bien de nous dévoiler le nom, histoire de nous faire un peu frémir, tandis que l'éditrice surenchérit en nous assurant que les droits à l'étranger font l'objet d'enchères ou de préemptions émanant d'une multitude de maisons d'éditions prestigieuses, mais dont on ne voit toujours pas l'issue. On parle de montants à "6 chiffres" voire même “7 chiffres" sur le site dédié à ce fameux Marceau Miller. Avec de tels effets d'annonce, il va de soi que journalistes et influenceurs éclairés se sont engouffrés dans la brèche pour brandir ce qui apparaît pour eux comme un nouveau phénomène éditorial à venir, ceci bien évidemment dans le cadre de collaborations commerciales rémunérées. Alors pour s'extraire de l'enfumage autour de ce roman aux chiffres vertigineux, on notera que selon les éléments fournis par Edistat, la vente cumulée des ouvrages s'élève à 9'099 exemplaires depuis sa parution au 17 janvier 2025 (performance honorable sans être faramineuse), qu'il s'est classé à la 116ème position des meilleurs ventes durant la première semaine avant de disparaître du classement et que l'on se demande dès lors, au vu de la muraille de livres qui trônent dans les grandes chaînes de librairie, combien d'entre eux finiront au pilon. Mais rien n'est encore perdu, on garde espoir. Néanmoins, pour revenir au contenu, on dira, à la lecture de ce texte laborieux, que l'on comprend que son auteur ait souhaité rester anonyme : la honte sans aucun doute, conjuguée à une mythomanie exacerbée qu'il ne faudrait cependant pas trop afficher. Désireux de lever le voile de cet anonymat, on fustigera celles et ceux qui ont voulu en attribuer la paternité à une application de l'intelligence artificielle qui aurait sans doute fait beaucoup mieux que ce condensé d'inepties reprenant les fameux codes du thriller haletant, ce qui n'est pas forcément un gage de qualité de nos jours. On remarquera, entre autre, qu'en guise de documentation, l'auteur s'est probablement appuyé sur Google Maps en prenant soin de donner la référence de chacune des routes empruntées par les protagonistes d'une mauvaise intrigue dont on peut survoler de nombreux passages tant ils apparaissent aussi répétitifs que dépourvus d'intérêt, sans que cela ne pérore cette lecture fastidieuse, bien au contraire.
Joël Dicker : La Très Catastrophique Visite Du Zoo. Editions Rosie & Wolfe 2025.
Nicolas Feuz & Marc Voltenauer : Ultimatum. Editions Istya & Cie 2025.
Anonyme : Le Roman De Marceau Miller. Editions La Martinière 2025.
A lire en écoutant : I'll Stay Here de Balthazar. Album : Applause. 2010 Maarten Devoldere / Jinte Dprez.

Des souvenirs étranges qui font peu à peu surface, un lourd secret familial que sa sœur lui dévoile, il n’en fallait pas plus pour que l’inspecteur Andreas Auer débarque sur l’île de Gotland en quête de ses origines. Mais bien vite, ses recherches vont prendre la tournure d’une enquête policière, puisqu’en remuant le passé, Andreas Auer va mettre à jour un sordide fait divers qui a jadis bouleversé la tranquillité des insulaires. Meurtres rituels sur fond de coutumes vikings, les crimes s’enchaînent sur l’île de Gotland au grand dam des autorités qui pourront compter sur la sagacité de l’inspecteur suisse pour faire la lumière sur de terribles événements qui ont bouleversé son enfance. Mais pour découvrir la vérité, il devra faire face à cette confrérie viking terrifiante, dont certains membres, empêtrés dans un engrenage de folie meurtrière, n’hésiteront pas à éliminer toutes celles et ceux qui auraient la volonté de s’opposer à eux. Et peu importe qu’il s’agisse d’un policier helvétique. A la recherche de réponses qu’il trouvera dans le passé de cette île envoûtante, l’inspecteur Andreas Auer devient une cible qu’il faut abattre.
A l’Opéra de Berlin, alors qu’il assiste à une représentation de La Walkirie, un couple est froidement exécuté par un mystérieux tueur à gage déterminé. Une fois son forfait accompli, l’assassin apprend qu’il doit se rendre en Suisse afin de poursuivre sa mission. Tout d’abord Genève, puis un petit village vaudois dont il n’a jamais entendu parler : Gryon où l’inspecteur Auer à fort à faire suite à un règlement de compte rural qui vire au drame. Et puis il y a cet individu étrange, l’homme qui s’enivrait du parfum de sa mère, qui doit accomplir des actes terribles pour assouvir ses phantasmes. Des femmes qui disparaissent, des cadavres qui s’amoncellent et le temps qui presse pour démêler ce terrible imbroglio d’événements sanguinolents. Tourmenté et acculé dans ses derniers retranchements, Andreas Auer devra compter sur son compagnon Mickaël et sur son équipe d’enquêteurs chevronnés qui l’aideront à surmonter les terribles épreuves qui l’attendent. Mais au cœur du mal et de la folie rien ne lui sera épargné.
« Andreas prit dans sa cave à cigares un modèle nommé the five.sixty – 5.60 – de la marque El Sueno, que son marchand habituel lui avait conseillé. Bien qu’il se fut mis en tête de ne fumer que des havanes, il s’était laissé persuader qu’il serait déçu en bien, comme on dit dans le canton de Vaud. Il lui avait expliqué que les feuilles de tabac provenaient des endroits les plus reculés de Saint Domingue et du Nicaragua, là où – sous entendu, contrairement à Cuba – les traditions étaient restées fidèles aux méthodes issues d’une culture ancestrale. Le 5.60 était un modèle trapu. Le cinq indiquant sa taille, 12,7 cm et le soixante son cepo, son diamètre, 60/64 de pouces, soit 2,4 cm. Il était donc plus épais que le module Robusto qu’il affectionnait particulièrement. Une grosse cylindrée …
"Les yeux cernés de fatigue, Karine se concentrait tant bien que mal sur les virages en épingles qui s’enchaînaient. Son portable avait sonné alors qu’elle faisait l’amour, pour la troisième fois de la nuit, avec son amant, chez lui.
Mais finalement peu importe la qualité du texte. Ce qui compte c'est la vente. Et de ce côté-là il n'y a rien à redire car Marc Voltenauer possède des capacités exceptionnelles dans le domaine, ce qui lui a permis de mettre en place un plan marketing d'une redoutable efficacité. Ainsi, pour la promotion de Qui A Tué Heidi ? tout le petit monde du livre a répondu présent et l'on a rarement vu un tel battage médiatique avec une presse unanime louant le talent de Marc Voltenauer tout comme les animateurs radio et chroniqueurs pour la télévision. Comme quoi la diversité des médias romands, en matière de critiques littéraires, est un concept un peu surfait. Reste à déterminer si les journalistes ont salué les bonnes dispositions du vendeur ou le talent de l’écrivain car, comme pour l’ouvrage précédent, la plupart des articles ne font que mentionner les particularités helvétiques du roman, le parcours de l’écrivain et ce fameux chiffre de vente vertigineux que l’on dit un peu surfait. Tout juste si l'on relève, dans ce beau concert de louanges, quelques petites notes discordantes avec Isabelle Falconnier qui parle d’une légère déception au niveau du style (Bon pour la tête 19.08.2017) tandis que Mireille Descombes signale quelques pêchés de jeunesse (Le Temps 19.08.2017). Mais rien de bien méchant. Et qu’à cela ne tienne, Marc Voltenauer pourra toujours compter sur son réseau de blogueurs passionnés qu’il a patiemment constitué et qui est désormais totalement acquis à sa cause à grand coup de SP dédicacés et autres opérations visant à séduire son lectorat.
