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  • Christian Roux : Fille De. L'effacement.

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    Service de presse.

     

    Après avoir suivi une formation de pianiste et effectué une multitude de métiers, on dit de lui désormais qu'il est un intermittent du spectacle, expression visant à définir la passion de Christian Roux pour la musique, la danse, le théâtre, le cinéma et bien évidemment la littérature, autant de domaines où il exerce désormais en mettant en place des projets artistiques dont on découvre certains aspects sur son site Nicri Productions. En ce qui concerne l'écriture, que ce soit tant pour la jeunesse que pour les adultes, Christian Roux a fait du roman noir, son genre de prédilection en mettant en scène des individus en rupture ou à la marge des valeurs et normes sociales afin de dénoncer l'exclusion et le rejet dont ils sont victimes. Avec des ouvrages édités principalement par la maison Rivages, on croise ainsi le parcours de Larry dans L'Homme A La Bombe (Rivages/Noir 2012) où ce chômeur désespéré se lance dans une série de braquages plutôt que de continuer à subir des entretiens d'embauche stériles et humiliants tandis que dans Kadogos (Rivages/Noir 2009) on découvre l'activité atypique de Marnie exécutant des malades en phase terminale. Puis en conciliant littérature et musique, Christian Roux publie Adieu Lili Marlène (Rivages/Noir 2015) où l'on rencontre de Julien, pianiste dans un restaurant qui doit jouer régulièrement cette emblématique chanson allemande des années 50 à la demande d'une cliente âgée disparaissant subitement du jour au lendemain, tandis que son passé de trafiquant le rattrape soudainement. Dans Que La Guerre Est Jolie (Rivages/Noir 2018), on assiste à l'opposition des habitants d'un quartier populaire dont une ancienne usine investie par un collectif d'artistes qui doivent faire face à une municipalité bien déterminée à implanter un ensemble résidentiel haut de gamme en employant des moyens plus illégaux les uns que les autres. De manière sous-jacente, Christian Roux explore ainsi cette confrontation à la violence insidieuse d'une société sans pitié à laquelle ces personnages acculés, répondent de manière parfois brutale et dont on découvre d'autres aspects au sein d'un cercle familiale dysfonctionnel de braqueurs avec Fille De, nouveau roman de l'auteur. 

     

    Samantha, 26 ans, que tout le monde surnomme Sam, est une mécanicienne experte qui tient un garage sur les hauteurs de Cassis. Une vie bien réglée et sans histoire qui bascule avec l’arrivée de Frank lui rappelant son adolescence où elle intégrait la bande de braqueurs dirigée par son père Antoine avec qui elle a coupé les ponts alors qu’elle avait 20 ans. Mais juste après les avoir quittés, ils ont mis au point un dernier coup qui a mal tourné contraignant Antoine à planquer le butin tandis que Frank se faisait alpaguer. Mais après avoir purgé sa peine, Frank désire récupérer sa part légitime du butin. Néanmoins, en retrouvant Antoine dans un centre médicalisé, il constate que le vieil homme a perdu un grand partie de sa mémoire à la suite d’une crise cardiaque. Afin qu’il recouvre ses sens, Frank contraint Sam à accompagner son père sur les différents lieux où ils ont vécu durant leur passé tumultueux. Elle entame donc un périple incertain sur les routes de France avec celui dont elle ne voulait plus entendre parler. Mais peut-on renoncer aussi facilement à être la « fille de » ?

     

    Les récits de Christian Roux sont à l'image de la déflagration d'un coup de feu, à la fois brefs et cinglants tout en prenant soin de tout décimer sur leur passage avec ce sentiment de chute sans fin, ponctuée d'éclats d'une violence qui devient un exutoire ultime comme c'est le cas pour Fille De où les retrouvailles entre un père et une fille ne vont pas se dérouler comme l'on pourrait s'y attendre. Certainement en partie dû à son activité de scénariste (il a adapté deux de ses romans pour la télévision et pour le théâtre), Christian Roux possède également ce sens inné de la narration qui nous saisit immédiatement en nous entraînant sur des registres dans lesquels on se laisse irrémédiablement surprendre à l'instar de cette confrontation entre Sam, son père Antoine et Frank son inséparable complice. Au détour d'une écriture aussi sobre qu'efficace comme le démontre d’ailleurs ces quelques scènes de braquages que Donald Westlake ne renierait pas, Christian Roux nous donne l'occasion d'explorer cette cellule familiale étrange, comme retirée du monde, dans laquelle Sam a baigné durant toute son enfance et son adolescence. A son corps défendant, cette jeune femme de caractère va donc revivre les moments tragiques de son passé et découvrir quelques secrets de famille entourant tant la mort de sa mère dans des circonstances terribles que la disparition odieuse de son amour de jeunesse. Ponctuée d'une bande-son signée Tom Waits, l'intrigue s'articule donc autour des rapports tendus entre ces trois personnages en quête du dernier coup à jouer qui prend soudainement une toute autre tournure avec cet enjeu sous-jacent de trahison devenant l'un des thèmes majeurs du récit. Mais au-delà du fracas des rapports qui s'instaurent entre les différents protagonistes, Fille De se construit également autour de cette relation entre un père dont la mémoire s'efface peu à peu et une fille qui aspire à se reconstruire, voire à renaître dans une démarche rédemptrice non dénuée d'émotion mais sans pour autant sombrer dans le pathos et avec cette notion de transmission imprégnant l'ensemble d'un texte d'une redoutable intensité. 

     

     

    Christian Roux : Fille De. Editions Rivages/Noir 2024.

    A lire en écoutant : Blue Valentine de Tom Waits. Album : Blue Valentines. 1978 Asylum Records.

  • SIMONE BUCHHOLZ : HOTEL CARTHAGENE. FEVER.

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    Ce sont des phrases affutées comme des scalpels, saisissant en quelques mots l'atmosphère d'un lieu ou les contours de la personnalité d'un personnage qui font de l'écriture de Simone Buchholz une expérience narrative à nulle autre pareille où l'intensité de l'intrigue se conjugue avec le spleen imprégnant l'ensemble des récits mettant en scène la procureure Chastity Riley, ses collègues de la brigade criminelle ainsi que ses amis du quartier rouge de Hambourg. La particularité de l'ensemble de la série réside également autour de l'interaction entre une procureure qui s'efface parfois au profit de son entourage dans une déclinaison de relations d'amitié dont certaines d'entre elles prennent la forme de liaisons à la fois denses et tumultueuses. Afin d'en saisir toute l'évolution subtile, il conviendra d'appréhender le parcours de la procureure Chastity Riley dans l'ordre chronologique, ce d'autant plus que la publication en France a fait l'impasse sur certains romans de la série débutant avec Quartier Rouge publié en 2015 par Piranha Editions qui n'a pas poursuivi l'aventure. Mais c'est en 2021 que l'oeuvre de Simone Buchholz prend son essor dans le paysage de la littérature noire francophone avec l'initiative des éditions de l'Atalante inaugurant sa nouvelle collection de polars avec Nuit Bleue (Atalante/Fusion 2021), sixième opus des enquêtes de Chastity Riley (Chas pour les intimes) se poursuivant avec Béton Rouge (Atalante/Fusion 2022) et Rue Mexico (Atalante/Fusion 2023) qui ne font que confirmer l'engouement pour cette enquêtrice atypique que l'on retrouve donc avec Hôtel Carthagène, un huis-clos s’articulant autour d'une prise d'otage prenant, comme l'on peut s'y attendre, une tournure plus que déroutante.  

     

    De nos jours à Hambourg, rien ne va plus à l'hôtel River Palace où douze hommes hommes armés débarquent dans le bar situé au dernier étage de l'établissement en prenant en otage l'ensemble de la clientèle dont fait partie Chastity Riley célébrant l'anniversaire d'un collègue retraité qui a également invité ses anciens partenaires de la brigade criminelle. Une longue nuit d'attente et de tension en perspective, ce d'autant plus que les revendications des preneurs d'otage sont plutôt floues.
    En 1984, Henning Garbarek débarque en Colombie et prend ses quartiers du côté de Carthagène en quête d'une nouvelle vie alors que plus rien ne l'attend en Allemagne. Assimilant rapidement la langue du pays, le jeune homme va jouer le rôle d'intermédiaire entre des truands de Hambourg et le boss du cartel de la région qui l'a pris sous son aile. Mais peut-on vivre durablement du trafic de drogue ?

     

    Dédié à Alan Rickman, on comprend rapidement que l'intrigue empruntera quelques aspects propre aux films d'action tels que Die Hard permettant à Simone Buchholz de rendre ainsi hommage à l'acteur britannique qui s'est fait connaître avec ce rôle emblématique de terroriste allemand. Et l'on doit bien avouer que la romancière s'y entend pour construire un récit agité et rythmé qui ne s'embarrasse pas de détails ce qui confère au texte cette sensation fulgurante qui convient parfaitement à la tonalité du récit et plus particulièrement pour tout ce qui a trait à la prise d'otage où Chastity Riley joue davantage un rôle d'observatrice que de partie prenante. Il faut dire que, blessée à la main, notre héroïne est atteinte d'une fièvre que la consommation d'alcool, n'arrange sans doute pas ce qui l'entraine dans une démarche introspective délirante où elle passe en revue les rapports qu'elle entretient avec les différents partenaires qui ont partagé sa vie en prenant la forme d'une espèce de manège psychédélique où embarque chacune des personnes présentes dans le bar. On observe également les rapports ambigus qui se nouent entre Chastity Riley et le leader des preneurs d'otage tout en se demandant qu'elles sont les motivations de ce groupe de malfrats qui s'en prennent plus particulièrement à l'un des clients de l'établissement. Pour en avoir une idée, on trouvera la réponse avec Henning Garbarek, dont le parcours s'insère en alternance dans le déroulement de cette prise d'otage. On y découvre ce jeune homme en quête d'une autre vie que celle que l'on pourrait lui offrir à Hambourg, le conduisant à embarquer sur un cargo qui le conduira à Carthagène. A mesure se dessine le destin tragique d'un homme entraîné, presque à son corps défendant, dans les aléas du trafic de drogue et plus particulièrement de l'émergence de la cocaïne, des cartels et de la violence qui découle. Et il faut bien admettre que Simone Buchholz s'y entend pour saisir l'atmosphère de cette ville d'Amérique du Sud dont elle restitue la part de rêve mais également la partie cauchemardesque bouleversant de manière brutale la vie de ceux qui croient avoir échappé à leur destin. Tout cela s'achève sur un final explosif que la romancière décline avec une habilité saisissante pour bousculer, une fois encore, l'existence de Chastity Riley désormais en quête de ses origines du côté de Glascow et dans ce qui va apparaître comme l'ultime récit de la série. Il ne nous reste plus qu'à espérer que les premiers romans mettant en scène notre procureure hambourgeoise préférée soient traduits, ce d'autant plus que Simone Buchholz semble avoir révisé les textes des deux premiers ouvrages et qu'ils mériteraient bien le regard expert de Claudine Layre qui a su restituer en français la quintessence d'une écriture hors norme. 

     

     

    Simone Buchholz : Hôtel Carthagène (Hotel Cartagena). Editions de l'Atalante/collection Fusion 2024. Traduit de l'allemand par Claudine Layre.

    A lire en écoutant : Fever interprété par Peggy Lee. Album : Fever. 1960 - BNF Collection 2014.

  • Richard Lange : Les Vagabonds. Passagers de la nuit.

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    Service de presse.

     

    Dans les récits de vampires, il y a toujours eu un côté sophistiqué émanant de ce personnage fantastique traversant les âges, à l'image du plus emblématique d'entre eux, le comte Dracula donnant son titre au légendaire roman épistolaire de Bram Stoker. Endossant un profil assez semblable, on a pu également apprécier le fameux Lestat de Lioncourt un des protagonistes principaux d'Entretien Avec Un Vampire d'Anne Rice qui devient le premier opus de la série Chronique des Vampires comptant 12 volumes. Outre le thème de la vie éternelle, on observe aussi cet aspect de l'amour impossible particulièrement prégnant dans une série telle que Twilight de Stephenie Meyer, œuvre incontournable de la littérature Young Adult. S'inscrivant dans un registre plus âpre mais faisant indéniablement partie des références, on lira Salem de Stephen King ou Laissez-Moi Entrer du suédois John Ajvide Lindqvist. Tout aussi âpre, en abordant pour la première fois le genre du fantastique, alors qu'il publiait des romans sombres mettant en scène des marginaux évoluant dans un contexte très réaliste, Richard Lange met à mal les clichés du romantisme gothique entourant la personnalité de ces vampires qu'il désigne comme Les Vagabonds, titre éponyme de son dernier roman intégrant la récente collection Rivages Imaginaire dont on espère qu'elle va prendre son essor.

     

    Leur vie n'est qu'une longue errance, de ville en ville, de motels miteux en logements sordides. Cela fait 70 ans que cela dure pour Jesse et son frère Edgar, un colosse souffrant de troubles mentaux. Ils vivent la nuit, à la marge du monde, en saignant leurs victimes afin de s'en nourrir, ce qui leur confère une vie éternelle et un pouvoir de régénérescence lorsqu'ils sont blessés. Ce sont des vagabonds craignant plus que tout le soleil destructeur. A la recherche de marginaux pour assouvir leur inextinguible soif de sang, ils arpentent les contrées désertiques de l'Arizona dans le courant l'été 1976. Du côté de Phoenix, Jesse tombe sous le charme de Johona, une barmaid qui va bousculer leurs habitudes au grand dam d'Edgar qui ne voit pas ce que viendrait faire cette femme dans leur existence. Et puis il leur faut faire face à cette bande de motards, Les Démons, des êtres nocturnes tout comme eux, à qui ils ont volé leur bien le plus précieux. S'ensuit une traque sans relâche, ponctuée d'affrontements sanguinaires qui vont les conduire à Las Vegas où l'on célèbre, comme partout ailleurs, le bicentenaire des Etats-Unis. Ils y croiseront la route de Sanders, un père dévasté, à la recherche du meurtrier de son fils que l'on a saigné à blanc, et qui a découvert l'existence de ces êtres surnaturels qu'il a juré de détruire jusqu'au dernier.

     

    Indéniablement, on appréciera avant tout l'originalité d'un roman tel que Les Vagabonds où l'auteur s'écarte de manière radicale, du genre extrêmement codifié du vampire dont il n'est d'ailleurs jamais fait mention dans l'ensemble d'un texte chargé d'énergie, mais aussi imprégné d'une forme de douleur omniprésente. Oubliez donc les teints livides et les crocs aiguisés pour suivre les parcours erratiques et incertains projetant l'ensemble de ces marginaux, qu'ils soient humains ou dotés de pouvoirs surnaturels, sur les grandes routes des Etats-Unis en évoluant dans une atmosphère extrêmement tourmentée et glauque. Dans une alternance de points de vue, on suivra donc l'errance de Jesse accompagné de son frère Edgar, un simple d'esprit se révélant plutôt encombrant, puis la chevauchée de cette bande de bikers aussi brutaux que démoniaques, et pour finir, la vaine recherche de ce père de famille voulant mettre à tout prix la main sur celui qui a assassiné son fils. C'est au détour d'une succession de confrontations d'une violence inouïe, que l'intrigue prend l'allure d'une course-poursuite dantesque où l'on règle ses comptes à coups de flingue, de poignard ou de scie à métaux pour décapiter ces individus surnaturels se désintégrant dans la poussière de ces contrées désertiques. Le tout est d'autant plus réjouissant que l'on évolue dans cette ambiance décadente et rock'n'roll propre à la période des seventies en conférant au récit un supplément d'explosivité outrancière nous rappelant à certains égards quelques scènes d'un film tel qu'Une Nuit En Enfer de Roberto Rodriguez avec l'aspect burlesque en moins. Il faut admettre que Richard Lange n'a pas son pareil pour dépeindre la vulnérabilité de ses personnages de la marge, quelle que soit leur condition, avec cette sensation d'accablement émanant de bon nombre d'entre eux. Une sensation d'autant plus prégnante lorsque l'on prend en considération cette vie éternelle qui ne mène nulle part, même si certains de ces individus fantasmagoriques semblent vouloir tirer leur épingle du jeu comme tend à le démontrer un épilogue aux allures mélancoliques qui va nous apaiser quelque peu après cette vague de violence saisissante. Mais bien au-delà de ces scènes tonitruantes, Les Vagabonds devient un récit fantastique d'une toute autre envergure en intégrant les réflexions de Jesse sur son devenir d'homme voué à la vie éternelle dont il ne sait plus que faire et qui en arrive à l'inéluctable dénouement parachevant cette intrigue d'une force déroutante. Un roman brillant qui sort des sentiers battus.

     

    Richard Lange : Les Vagabonds (Rovers). Editions Rivages/Imaginaire 2024. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par David Fauquemberg.

    A lire en écoutant : Riders On The Storm de The Doors. Album : L.A. Woman. 2021 Rhino Entertainment Company.