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03. Roman policier - Page 20

  • Colin Niel : Les Hamacs De Carton. La Série Guyanaise.

    Capture d’écran 2020-08-08 à 22.10.32.pngIngénieur agronome et en génie rural des eaux et forêts, Colin Niel a séjourné durant plusieurs années en Guyane française en participant notamment à la création du parc amazonien de la Guyane en tant que chef de mission. De ce territoire méconnu, multiculturel, abritant une biodiversité à nulle autre pareille l’homme s’est mis en tête de raconter les dérives qui en découle telles que l’immigration clandestine, l’orpaillage abusif par des garimperos sans scrupule et cette drogue qui ravage la jeunesse de la région. Tout un registre de dérives sociales qu’il décline par le biais du polar en mettant en scène, dans ce que l’on appelle désormais la Série Guyanaise, le capitaine de gendarmerie André Anato, un noir-marron en quête de ses origines. Edité depuis 2012 chez Rouerge Noir, la maison d’éditions a eu la bonne idée de composer un recueil des trois premiers romans de la série qui en compte désormais quatre et qu’il convient de lire dans l’ordre sans que cela ne soit vraiment
    indispensable. Néanmoins il faut prendre conscience que la quête du capitaine Anato quant à ses origines et aux événements tragiques qui ont frappé ses parents devient une espèce d’arche narrative qui relie l’ensemble des ouvrages ce qui explique que les trois premiers d’entre eux sont désormais publiés sous la forme de ce superbe recueil débutant avec Les Hamacs De Carton.

     

    Capture d’écran 2020-08-08 à 22.15.49.pngEn Guyane, les habitants d’un village niché sur les rives françaises du fleuve Maroni sont bouleversés en découvrant les corps sans vie d’une femme et de ses deux enfants qui semblent endormis dans leurs hamacs. Débutent alors les rites funéraires de ce peuple noir marron, tandis que le capitaine de gendarmerie André Anato, un « originaire », guyanais de naissance, doit composer avec les procédures policières qui se heurtent aux traditions que le chef du village doit faire perdurer afin de laisser la parole aux défunts. L’enquête entraîne le capitaine et son équipe de Cayenne au Suriname sur un territoire où les ethnies et les communautés se brassent en quête de leurs origines et d’un destin meilleurs qui passe peut-être par l’obtention de papiers d’identité permettant d’accéder à leurs rêves les plus fous, comme cette métropole lointaine qui devient l’eldorado tant convoité. Mais le parcours est semé d’embuches et de désillusions comme en témoigne ces dossiers suspendus s'accumulant depuis des années dans les tiroirs de l’administration française et que les fonctionnaires surnomment les hamacs de carton.Quand la folie des rêves devient meurtrière.

     

    Avec ce premier roman de la série, le lecteur va donc faire connaissance avec le capitaine de gendarmerie André Anato, premier officier « originaire » de Guyane qui ne connaît pourtant absolument rien de la région puisqu’il a toujours vécu dans la banlieue parisienne. Ayant perdu ses parents qui ont péri deux ans plus tôt dans un accident de voiture, il lui importe donc de renouer les liens avec les membres d’une famille qu’il n’a jamais connue. Ainsi se pose au travers de ce personnage central la question des origines qui devient l’un des thèmes du récit se déroulant au coeur d’un territoire où le brassage des ethnies et l’absence d’une frontière bien déterminée entre le Suriname et le Brésil jouxtant ce département d’outre-mer recouvert à 96 % d’une forêt équatoriale extrêmement dense, favorise une immigration clandestine assez intense. Le capitaine Anato est secondé dans ses enquêtes de deux officiers au profil diamétralement opposé que sont les lieutenants Pierre Vacaresse et Stéphane Girbal. Si le premier peine à s’acclimater, le second a fait de la Guyane une espèce de terrain de jeu qu’il apprécie et c’est sur cet antagonisme que se déroule les enquêtes de la Série Guyanais en mettant en scène ces trois enquêteurs aux profils si différents qui vont pourtant se compléter en fonction des affaires dont ils ont la charge. Il faut dire que Colin Niel développe ses intrigues de manière déconcertante en déroutant le lecteur avec des faits divers en apparence disparates qui vont pourtant révéler des liens parfois singuliers comme c’est le cas avec ce premier opus où les trois gendarmes semblent enquêter sur des affaires bien différentes comme la mort de cette famille dans un petit village reculé, niché au bord du fleuve Maroni, le décès accidentelle d’une joggeuse du côté de Cayenne et le meurtre crapuleux d'une jeune fille détroussée de son téléphone portable.

     

    Outre les investigations des gendarmes, Colin Niel développe avec Les Hamacs De Carton tout l’aspect des us et coutumes du peuple noir-marron en s’attardant particulièrement sur ce qui a trait aux funérailles d’une femme et de ses deux enfants que l’on a retrouvé morts dans leur carbet. On découvre ces rites par le biais du lieutenant Vacaresse contraint de rester dans ce village reculé de la Guyane, ceci pour les besoins de l’enquête afin d’interroger les habitants de la petite communauté qui semblaient marquer une distance à l’égard de cette famille. Loin d’être anecdotiques, ces éléments vont s’intégrer parfaitement dans le développement de l’intrigue tout comme le parcours de ce couple guyanais qui fait écho à l’enquête des gendarmes à mesure qu’ils avancent dans leurs investigations, nous permettant de prendre la mesure du casse-tête administratif pour l’obtention de papier d’identité qui devient ainsi l’enjeu central du récit. Et puis il y a cette nature luxuriante, cette atmosphère indéfinissable d’un pays hors norme que Colin Neil dépeint à la perfection ceci sans ostentation puisque ces paysages exotiques et cette ambiance métissée d’une Guyane lointaine qui devient pourtant si proche du lecteur, se suffisent à eux-mêmes.

     

    Premier roman à la fois rythmé et très émouvant d’une série prometteuse, Les Hamacs De Carton ne manquera pas d’époustoufler le lecteur avec ce cadre exceptionnel dont l’auteur sait tirer le meilleur parti pour nous immerger dans le contexte méconnu de cette région d’outre-mer dont il décline les travers par le prisme d’une intrigue policière singulière. Une réussite.

     

     

    Colin Niel : Les Hamacs De Carton. Recueil La Série Guyanaise. Editions du Rouergue Noir 2018.


    A lire en écoutant : Depois Dos Temporais de Ivan Lins. Album : Depois Dos Temporais. 1983 Universal Music Ltda.

     

     

     

  • WOJCIECH CHMIELARZ : LA CITE DES REVES. PULP FICTION.

    Capture d’écran 2020-08-06 à 13.31.10.pngIl importe désormais d'avoir une certaine attention pour les romans policiers en provenance des pays de l’est et plus particulièrement à la littérature noire issue de la Pologne avec ce que l’on peut considérer comme de grandes figures du genre comme Zygmunt Miloszewski qui s’est tourné vers la littérature blanche ou Wojciech Chmielarz qui devient la nouvelle référence dans le domaine du polar polonais avec sa série mettant en scène l’inspecteur Jakub Mortka surnommé Le Kub. Publiée chez Agullo, on découvrait cette nouvelle série policière avec Pyromane en suivant l’enquête de ce policier revêche affecté  à la brigade criminelle de Varsovie qui tournait autour d’une série d’incendies meurtriers. Avec La Ferme Aux Poupées Le Kub nous entrainait dans son exil dans les Carpates où il mettait à jour un trafic de traite de femmes destinées à la prostitution. Avec La Colombienne on assistait au retour en grâce de cet inspecteur opiniâtre réaffecté à Varsovie afin de s’atteler à une enquête périlleuse portant sur un trafic international de stupéfiant. Davantage focalisé sur le domaine de la politique et du trafic d’influence qui peut en résulter, Wojciech Chmielarz nous invite à retrouver, avec La Cité Des Rêves, son policier fétiche dont les investigations tournent autour d'un meurtre commis au sein d'une résidence cossue de la capitale polonaise.

     

    Les habitants de La Cité des Rêves sont en émoi lorsqu’ils apprennent que le gardien de cette résidence protégée a découvert le cadavre d’une jeune femme dans la cour de ces immeubles modernes, tout confort. C’est l’inspecteur Jakub Mortka qui est en charge de l’enquête secondé de la lieutenante Suchoka, surnommée La Seiche. Rapidement leurs soupçons portent sur une femme de ménage ukrainienne qui a pris la fuite le matin même du meurtre. Mais au fil de leurs investigations, les deux policiers vont mettre à jour les étranges comportements de certains habitants dont un ancien jeune député ambitieux tombé en disgrâce qui affiche la volonté d'effectuer un retour en force dans les affaires politiques du pays. Mais quels sont les atouts de cet individu qui semble bénéficier de l’appui de quelques personnalités louches de la pègre polonaise auquel Jakub Mortka a déjà dû côtoyer pour son plus grand déplaisir.

     

    L’intérêt d’une intrigue telle que La Cité Des Rêves repose sur la multitudes de personnages qui entrent en ligne de compte dans un récit où chacun d’entre eux prend autant d’importance, si ce n’est plus, que les protagonistes principaux du livre qui semblent davantage en retrait, en particulier pour ce qui concerne Jakub Mortka devenant le centre névralgique des interactions entre les différents individus intervenant dans le cours de cette histoire complexe. On apprécie ainsi cette rigueur dans la construction narrative où chaque chapitre met en exergue à un intervalle régulier les différentes actions des nombreux personnages du roman qui nous fait penser au rythme d’un film tel que Pulp Fiction auquel l’auteur fait d’ailleurs référence. Plus que Le Kub ou La Seiche, les deux policiers chargés de l’enquête, on s’intéressera davantage à des individus tels que Piort Celtycki nous donnant une vision peu glorieuse du système politique polonais ou à un malfrat comme Mieszko qui se révèle moins balourd qu’il n’y paraît. Trafics d’influence, chantages, extorsions, le monde polonais tel que présenté par Wojciech Chmielarz est assez sombre ceci d’autant plus lorsqu’il dépeint le milieu politique mais également le milieu journalistique auquel il appartient. Tout cela nous donne une vision lugubre d’un pays qui n’a pas encore totalement rompu avec les anciennes pratiques d’un régime communiste corrompu et qui s'engouffre dans une logique capitaliste ne présentant pas ses meilleurs atours comme le démontre des jeunes polonais tels que Aleksandr Chelmonski et ses camarades d’infortune en quête d’argent pour financer leurs concepts informatiques les entraînant vers des dérives qu’ils ne peuvent plus maitriser. Victimes intègres ou personnes vulnérables, on s’intéressera également aux femmes qui interviennent dans le récit à l’instar de la courageuse étudiante journaliste Suzanna Latkowska ou de Svitlana, cette femme de ménage ukrainienne contrainte d’endosser un meurtre qu’elle se défend d’avoir commis. C’est d’ailleurs autour de ce personnage ambivalent que l’on appréciera le coup de génie Wojciech Chmielarz qui parvient toujours à nous surprendre avec quelques éléments ou détails qui révéleront toute leur importance au terme d’un épilogue qui laisse sans nul doute place à une suite. Outre ces nouveaux intervenants on prend également plaisir à revoir quelques personnages récurrents comme Dariusz Kochan, ancien adjoint du Kub qui est relégué aux archives pour déterrer quelques « cold case » lui permettant d’obtenir un certain succès, ceci presque à son corps défendant dont une affaire tournant autour du caïd Borzestowski que l’on avait croisé dans les romans précédents de la série.

     

    Complexe, mais extrêmement bien mené, La Cité Des Rèves révèle tout le talent de Wojciech Chmielarz qui, dans la précision du détail, parvient à nous surprendre jusqu’à la toute dernière ligne d’un texte plaisant et abouti.

     

     

    Wojciech Chmielarz : La Cité Des Rêves (Osiedle Marzen). Editions Agullo Noir 2020. Traduit du polonais par Erik Veaux.

     

    A lire en écoutant : Eden de Talk Talk. Album : Spirit of Eden. 1997 Parlophone Records Ltd.

     

     

  • JAMES LEE BURKE : NEW IBERIA BLUES. FANTOMES DU BAYOU.

    James Lee Burke, New Iberia blues, éditions rivagesImpossible de tirer la prise et de dire adieu à une série emblématique de la littérature noire qui a débuté en 1991 avec Prisonnier Du Ciel mettant en scène la première enquête de Dave Robicheaux, alias Belle-Mèche. On découvrait ainsi, par l’entremise des éditions Rivages et des traductions du regretté Freddy Michalsky, l’oeuvre de James Lee Burke avec son écriture grandiloquente et hypnotique submergeant le lecteur d’émotions et de sensations qui ne sont pas sans lien avec cette région de la Louisiane qu’il sait dépeindre à la perfection. Avec La Pluie De Néon, préquel des aventures de Robicheaux, la série ne compte pas moins de 22 ouvrages qui nous ont accompagnés pendant trois décennies en suivant les péripéties de cet inspecteur hors-norme pouvant toujours compter sur ses partenaires comme Helen Soileau et l’inénarrable Clete Purcel ainsi que sur sa fille Alafair (prénom de la fille dur romancier) qui a grandi avec nous. Il faut admettre que James Lee Burke a su créer, avec tout un ensemble de paramètres subtils, une ambiance et une atmosphère attachante dont on ne peut se débarrasser d’un haussement d’épaule. J’ai ainsi marché dans les traces de Belle-Mèche à un point tel que je me suis rendu du côté de New Iberia pour voir si je ne le croiserais pas dans les rues de la paroisse. Véritables guides touristiques, les romans ne peuvent que vous inciter à découvrir cette Louisiane ensorcelante en dégustant quelques spécialités culinaires dans les restaurants de la Nouvelle-Orléans avant de s’égarer dans quelques bars éloignés du Vieux-Carré en se remémorant quelques scènes emblématiques d’une série policière qui nous marquera à jamais, même si l’on a pu éprouver quelques lassitudes voire même quelques déceptions à la lecture des derniers romans qui sentent tout de même le réchauffé comme c'est malheureusement le cas avec New Iberia Blues, dernier opus traduit de la série.

     

    Ce ne sont pas moins de trois appels pour des cris de femme provenant de la baie de New Iberia qui poussent Dave Robicheaux et sa nouvelle équipière à se rendre à proximité de la propriété de Desmond Cormier, grand réalisateur d’Hollywood qui est revenu dans sa Louisiane natale afin de réaliser son nouveau film. Robicheaux qui a bien connu l’homme dans sa jeunesse en profite pour lui rendre visite afin d’avoir un meilleurs point du vue pour retrouver une éventuelle victime. Et c’est en regardant la mer avec un télescope que l’inspecteur de New Iberia distingue une femme noire ligotée sur une croix flottant au gré du mouvement des vagues. Débute ainsi une série de crimes où l’assassin dispose ses victimes en fonction des représentations des suites du tarot. Déconcerté par ces meurtres d’un genre nouveau, Dave Robicheaux continue d’affronter ses démons tout en tentant de discerner si l’auteur ne pourrait pas être un des individus douteux qui compose l’entourage de Desmond Cormier.

     

    Bien ancré dans la paroisse de New Iberia, le récit fluctue au gré de meurtres qui s’enchainent à un rythme soutenu en reprenant d’une manière plutôt macabre les représentations des personnages emblématiques d’une suite de tarot. Dans ce contexte, Dave Robicheaux continue à porter sur ses épaules toute la douleur du monde et d’un passé qu’il n’a toujours pas exorcisé. Fidéle à lui-même Robicheaux fait du Robicheaux en affrontant les nantis représentés cette fois-ci par Desmond Cormier et son entourage hollywoodien tout en tentant de protéger les personnes de conditions modestes, proies de flics tripoux qui paient parfois le prix fort. On n'en attend pas moins de ses acolytes qui semblent plus en retrait comme Helen Soileau qui continue de veiller sur son vieux pops qu’elle ne ménage pourtant pas surtout lorsqu’il se tourne vers Clete Purcel personnage ingérable de la série qui reste pourtant dans cet opus extrêmement raisonnable. Comme à l’accoutumée on appréciera la dynamique entre ses protagonistes récurrents qui restent toujours bien dans leurs rôles respectifs avec des échanges incisifs qui sont la marque de fabrique de James Lee Burke. Si la dynamique entre ces individus semblent inscrite dans une dimension narrative éprouvée, on espère toujours que le changement viendra de personnages tels que Desmond Cormier ou Bailey Ribbons, nouvelle partenaire de notre détective qui semble tomber sous son charme en dépit d’une différence d’âge importante qui ne fait qu’accentuer sa culpabilité. Mais on savourera surtout le retour de Smiley Wimple, cet énigmatique tueur à gage qui va à nouveau semer le chaos tout autour de lui, ceci pour notre plus grand plaisir. A partir de là on continue à suivre Belle-Mèche dans ses pérégrinations du côté des bars mal famés à écouter du blues en sirotant du Dr Pepper ou du côté des bayous et des quartiers pauvres où il rencontre toujours une galerie de personnages atypiques comme Bella, cette chanteuse de blues aux charmes troubles qui va séduire notre héros. 

     

    Une nouvelle fois l'ennui d'une intrigue convenue est compensé par cette ambiance poisseuse et cette atmosphère à la fois chaleureuse et troublante qui font de New Iberia Blues un récit solide qui reste malheureusement sans surprise mais dont on sort tout de même étrangement charmé.

     

     

    James Lee Burke : New Iberia Blues (The New Iberia Blues). Éditions Rivages/Noir 2020. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christophe Mercier.

     

    A lire en écoutant : Sweet Blood Call de Lousiana Red. Album : Sweet Blood Call. 2011 Fat Possum Records.

  • Valerio Varesi : Or, Encens Et Poussière. Providence ou déterminisme.

    valerio varesi,or encens et poussière,agullo éditionsService de presse

     

    Ainsi on peut opposer roman noir et roman policier comme on l’observe ces derniers temps à la lecture de certains articles où la critique sociale au travers du fait divers définirait le roman noir tandis que la remise à l’ordre sociale au terme d’une enquête caractériserait le roman policier. Derrière cette définition un peu simpliste des genres composant la littérature noire on remarque une certaine propension à vouloir anoblir le roman noir qui deviendrait ainsi l’unique moyen d’expression permettant de dénoncer les dérives de notre monde. On ne saurait énumérer l’ensemble des romans policiers contredisant cette assertion et en ces temps troublés, où un besoin impérieux de fondamentaux et de repères nous permettant de conserver un certain équilibre, on appréciera de retrouver au détour d’une série de romans policiers un personnage tel que le commissaire Soneri dont les enquêtes dans la région de Parme permettent à son auteur Valerio Varesi de mettre en exergue les carences d’un pays dont les troubles fascistes ne sont pas encore complètement relégués dans un lointain passé. Pour ce romancier, également journaliste à La Repubblica, le roman policier est bel et bien politique puisqu’il émerge en filigrane de chaque roman mettant en scène son commissaire fétiche des relents de « peste brune » qui émergent à la surface d’une agglomération engoncée dans une voile de brume semblant ne jamais vouloir disparaître. Le thème est bien présent dans Le Fleuve Des Brumes (Agullo 2016), premier roman de la série, traduit en français, ainsi que dans La Pension De La Via Saffi (Agullo 2017)et bien évidemment dans Montelupo (Agullo 2018) qui met en lumière la figure tutélaire du père de Soneri, ancien partisan luttant contre les factions fascistes. Mais on ne saurait réduire les enquêtes du commissaire Soneri à une lutte simpliste des courant politiques qui secouent l’Italie pour prendre en considération d’autres problèmes sociaux laminant le pays à l’instar de la mafia dont on découvre les implications dans les régions du Nord avec Les Mains Vides  (Agullo 2019), récit désespérant où les investigations du policier ne font que renforcer cette sensation de mal endémique que l’on ne pourrait résoudre au terme d’une simple enquête de police. C’est cette incertitude et ce désespoir qui habite cet enquêteur attachant dont les pérégrinations au détour des ruelles et avenues de la ville de Parme ne cessent de nous charmer et que l’on retrouve dans Or, Encens Et Poussière, nouveau roman d’une série qui n'a pas fini de nous surprendre.

     

    Le brouillard recouvre une nouvelle fois la région de Parme provoquant un immense carambolage sur l’autoroute. Incapables de se repérer dans la brume, les patrouilles de police doivent compter sur l’aide du commissaire Soneri pour se repérer dans cette région qu’il connaît bien. Alors qu’apparaissent, tels des ombres fantomatiques, des taureaux échappés de l’un des camions accidentés et tandis que l’on devine au loin les lueurs des phares des voitures encastrées, c’est un corps calciné découvert au pied d’un talus qui va retenir l’attention du commissaire, ceci d’autant plus que le cadavre n’a rien à voir avec le carambolage qui vient de se produire. La victime, une jeune femme séduisante d’origine roumaine, avait charmé toute une série d’amants issus des hautes sphères de la ville parmesane. Séductrice damnée ou jeune femme naïve, le commissaire Sonerie va devoir composer avec les multiples facettes de cette femme fascinante qui gravitait dans la communauté des roms dont elle était issue en tentant de s’extirper à tout prix de sa condition. Un prix bien trop élevé pour Soneri qui compte bien retrouver l’auteur de ce meurtre quitte à bousculer la bourgeoisie de cette bonne ville de Parme se croyant à l’abri d’une justice bien trop aveugle.

     

    La ville de Parme telle que décrite par Valerio Varesi n’est pas un personnage à part entière, mais une entité organique où l’on erre dans un dédale de ruelles, avenues et places qui sont autant de raccourcis, détours et voies sans issues, reflet des réflexions sinueuses d’un commissaire tourmenté, toujours en proie aux doutes et à l’incertitude quant à l’orientation de ses enquêtes et qui ne trouve l’apaisement que dans ces longues pérégrinations au coeur d’une cité embrumée ou dans les saveurs d’un bon repas chez Alceste, son ami aubergiste qui le gratifie de spécialités de la région. Or, Encens Et Poussière débute avec cette scène d’anthologie dans la campagne parmesane où l’on croise taureaux et vaches égarées dans la brume avant de découvrir un cadavre calciné à proximité d’un carambolage dantesque, non loin d’un campement de gitans. Il n’en faut pas plus pour le commissaire Soneri pour entamer une enquête chaotique où la victime opère encore de son charme sur ce policier rêveur en quête de vérité. Comme à l’accoutumée avec Valerio Varesi tout n’est que suggestion et rumeur avec cette thématique des gens du voyage qui apparaissent dans un trafic d’or commandité par quelques notables de la ville. Il n’y aura donc pas de propos pontifiants sur ces communautés avec un auteur qui préfère s’attarder sur les apparences d’une bourgeoisie dévoyée qui reste en quête de respectabilité. Dans ce registre on appréciera donc l’apparition de Sbarazza, ce noble déchu, un brin clochard qui devise avec le commissaire sur le déterminisme ou la providence nous rappelant ainsi que l’auteur a été étudiant en philosophie et que le hasard devient forcément l’un des moteurs essentiels des enquêtes de son personnage central.

     

    Avec cette belle humanité et cette sensibilité imprégnant l’ensemble de ses personnages, Valerio Varesi s’emploie une nouvelle fois à mettre en exergue les frasques des notables d’une ville au charme indéfinissable que l’on prend plaisir à retrouver en compagnie d’un commissaire emblématique qui devient l’icône du roman policier italien. Or, Encens et Poussière, un beau titre pour un bel ouvrage qui nous enchante.

     

     

    Valerio Varesi : Or, Encens Et Poussière (Oro, Incense E Polvere). Traduit de l’italien par Florence Rigolet. Agullo noir 2020.

     

    A lire en écoutant : Ultimo Amore de Vinicio Capossela. Album : L’Indispensabile. 2003 CDG East West Divisione Warner Music Italia S.R.L.

  • GILLES SEBHAN : LA FOLIE TRISTAN. LE ROYAUME DES INSENSES.

    gilles seb han,la folie triste,rouergue noirCe qu’il y a de réjouissant avec la littérature noire c’est de se retrouver confronté parfois à des univers à la fois surprenants et dérangeants comme ceux que nous propose Gilles Sebhan, auteur notamment de deux biographies du très contreversé Tony Duvert et du peintre Stéphane Mandelbaum dont l’œuvre provocante réalisée, pour une grande partie, au stylo bille évoque un univers violent de souffrance, de mort et de sexe au détour de portraits et d’autoportraits dissonants et inquiétants. Vivant à la marge de la société, ces deux artistes marginaux ont en commun une mort tragique au terme d’un isolement volontaire pour l’un et d’un crime sordide pour l’autre. Au confin de la folie, Gilles Sebhan s’intéresse donc à cet environnement trouble de l’enfance meurtrie dont on percevait quelques éléments singuliers avec Cirque Mort (Rouergue 2018) mettant en scène le lieutenant Dapper que l’on retrouve dans La Folie Tristan, second opus qui débute là où s’achevait le livre précédent qu’il est d’ailleurs fortement recommandé de lire avant d’entamer ce récit tournant une nouvelle fois autour de ce mystérieux établissement psychiatrique pour enfants d’une petite ville du nord de la France.

     

    Le lieutenant Dapper se remet d’une blessure par balle que lui a infligé le ravisseur de son fils Théo. Après avoir abattu le criminel, l’officier de police est considéré comme un héro qui est parvenu à reconstituer le cadre familial idéal dans lequel il évolue. Mais suite à cet enlèvement, le père s’aperçoit qu’il est incapable de renouer les liens avec son fils qui fait preuve d’un comportement étrange, probablement en lien avec les trois mois de captivité qu’il a subit. Alors qu’il se réfugie dans le travail, le lieutenant Dapper est confronté à un nouvel enlèvement, celui d’une femme qui lui avait fait part de son inquiétude quant au comportement inquiétant d’un homme aux allures martiales, accompagné d’un enfant présentant des déficiences mentales. Un indice qui conduit le policier une nouvelle fois du côté de l’établissement psychiatrique du docteur Tristan pour tenter d’obtenir des réponses auprès du praticien et de ses jeunes internés comme Ilyas, cet enfant troublant qui l’a aidé à retrouver son fils. Des réponses qui vont rejaillir sur son propre passé et le conduire à découvrir les mystères qui entourent son enfance. Dérives et folies vont à nouveau s’abattre sur cette petite ville qui cultive les secrets enfouis des origines.

     

    On ne s’attendait pas vraiment à une suite au terme de Cirque Mort, premier roman policier de Gilles Sebhan qui s’articulait autour de la disparition de Théo et du massacre d’animaux d’un cirque itinérant. Alors que l’on considère souvent le roman policier comme une epèce de remise à l’ordre de la société au terme d’un crime résolu, il est intéressant de constater que tel n’est pas le cas avec un auteur qui nous invite à retrouver cet univers singulier où les retrouvailles d’un père et d’un fils n’ont rien du happy end que l’on s’imaginait au terme du premier opus. Avec La Folie Tristan, Gilles Sebhan s’emploie donc à décortiquer les rapports qui unissent les différents personnages d’un récit qui tourne autour d’une nouvelle affaire d’enlèvement qui n’a rien d’exceptionnel. On regrette même cette intrigue policière plutôt simpliste où apparaît Marlène, une quarantenaire séduisante, au prise avec deux terrifiants ravisseurs. Mais avec Gilles Sebhan, l’essentiel est ailleurs puisque le schéma narratif de cette intrigue policière n’est qu’un prétexte pour mettre en exergue les liens entre les divers protagonistes du récit en se focalisant plus particulièrement sur le lieutenant Dapper et le docteur Tristan qui règne toujours, tel un desposte, sur son petit royaume des insensés comme il se plaît à surnommer ces étranges pensionnaires de l’hôpital psychiatrique qu’il dirige. On retrouve donc avec une certaine délectation cette atmosphère dérangeante qui plane au-dessus de l’ensemble d’un roman qui nous apporte tout un lot de révélations dont on mesurera probablement toutes les conséquences dans un troisième ouvrage, Feu Le Royaume, qui vient de paraître.

     

    Enfance meurtrie tournant autour de la transmission et de la filiation au travers de l’héritage qu’il soit matériel, génétique et psychique, Gilles Sebhan met en avant toute la souffrance et la violence des secrets enfouis qui ne sont pas sans rappeler les parcours de l’écrivain Duvert ou du peintre Mandelbaum dont les allusions affleurent au fil des pages comme ce personnage qui trouve la mort dans des circonstances similaires à celle du dessinateur maudit. Il résulte finalement de La Folie Tristan une confrontation grinçante entre l’univers psychiatrique et le monde policier incarnés par le docteur Tristan pour l’un et le lieutenant Dapper pour l’autre. Et c’est au gré de ces téléscopages entre ces deux entités que l’on peut mesurer la fragilité des certitudes des uns et des autres alors que les enfants endossent paradoxalement un savoir et une sagesse mystérieuse qui dépassent le monde des adultes tentant vainement de décortiquer cette logique enfantine, telle une équation insoluble. C’est particulièrement le cas avec Ilyas, jeune garçon mutique, qui semble doté d’une perpection exacerbée lui permettant de déceler les secrets les plus intimes des individus qu’il croise sur son chemin. Ainsi l’enquête policière prend-t-elle parfois des allures de récit fantastique permettant quelques facilités au niveau de la résolution de l’affaire.

     

    Second opus de ce qui apparaît comme une trilogie qu’il convient de lire dans l’ordre de parution, La Folie Tristan poursuit donc l’exploration de cette enfance dévoyée rejaillissant tragiquement sur la psyché d’adultes qui ne cessent d’expier les fautes de leurs ascendants. Une somme de douleurs et de souffrances, baignant dans un climat dérangeant qui nous interpelle.

     

    Gilles Sebhan : La Folie Tristan. Editions du Rouergue/Noir 2019.

    A lire en écoutant : Tristan de William Sheller. Album : Avatar. 2017 Mercury Music Group.