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03. Roman policier - Page 18

  • Abir Mukherjee : Les Princes De Sambalpur. Les clés du pouvoir.

    Capture.PNG"Lire c'est voyager; voyager c'est lire" jamais la citation de Victor Hugo n'aura été aussi appropriée en ces temps quelque peu troublés où il ne nous reste plus que la lecture pour explorer d'autres horizons. Dans un tel contexte, on peut également profiter du voyage pour remonter dans le temps afin de nous retrouver à l'époque de l'Inde coloniale comme nous y a convié le romancier Abir Mukherjee avec son premier roman L'Attaque du Calcutta-Darjeeling en nous permettant ainsi de découvrir les aventures du capitaine britannique Sam Wyndham et de son acolyte indien, le sergent Satyendra Banerjee, officiant tous deux au sein de la police impériale du Bengale. Un dépaysement garanti que l'on retrouve avec Les Princes De Sampalpur, second opus de la série, qui prend pour cadre l'un des nombreux royaumes de l'Inde régit par les maharadjahs sous la haute autorité du vice-roi des Indes. Oscillant, dans un bel équilibre, entre le récit historique et l'intrigue policière on ne manquera pas d'apprécier cette intrigue nous rappelant les romans d'Arthur Conan Doyle et de son célèbre détective souffrant d'addiction tout comme Sam Wyndham qui fréquente assidument les fumeries d'opium afin de se remettre momentanément de son passé de vétéran de la Première guerre mondiale.

     

    Juin 1920. En visite à Calcutta, le prince de Sambalpur est assassiné alors qu’il était accompagné de son ancien camarade de classe, le sergent Banerjee et du capitaine Wyndham. Le meurtrier, un étrange homme religieux, est parvenu à prendre la fuite une fois son forfait accompli. Affecté par ce meurtre, les deux policiers accompagnent la dépouille du prince en étant persuadé de trouver le commanditaire du meurtre au sein du royaume suscitant bien des convoitises avec ses célèbres mines de diamants. Au terme du voyage, ils sont reçus par le vieux maharadjah de Sampalpur, extrêmement éprouvé par la disparition de son fils, qui décide de leur confier l’enquête concernant les circonstances entourant sa mort. En passant des rituels religieux funéraires à la chasse au tigre à dos d’éléphant, Wyndham et Banerjee vont tenter de démêler les multiples intrigues qui se nouent dans les couloirs du fastueux palais du maharadjah en essayant de découvrir les mobiles du meurtre qui leur permettront de démasquer l’assassin. Mais il leur faudra toute leur volonté, quitte à forcer les portes du zénana, le harem du maharadjah au sein duquel ils trouveront peut-être quelques réponses à leurs risques et périls.

     

    Au niveau de l’intrigue policière, Les Princes De Sambalpur prend l’allure d’un « whodunit » que ne renierait pas les amateurs de Sherlock Holmes, même si le capitaine Wyndham est doté d’un esprit de déduction bien moins alambiqué que son illustre homologue. L’enjeu du récit consiste donc à déterminer qui est le commanditaire du meurtre du prince en découvrant les mobiles de cet acte tout en constatant, au gré des investigations des deux policiers, que les raisons peuvent être multiples au sein d’un petit royaume où les convoitises sont nombreuses à l’instar de cette vente d’une mine de diamants dont le prix semble surévalué. C’est ainsi l’occasion de découvrir les multiples personnages qui composent ce petit microcosme qui a réellement existé au temps de la splendeur des maharadjahs dont la multitude de royaumes composaient avec l’occupant britannique en nous donnant une idée du fonctionnement qui régit ces deux entités dont l’instauration d’une institution telle que la Chambre des princes censée donner l’illusion d’une certaine autonomie desdits royaumes. On découvre ainsi tout l’aspect des enjeux politiques qui vont nous donner une idée des ambitions contradictoires des différentes factions que comptent le royaume de Sambalpur. C’est peut-être là que réside tout le génie de l’auteur qui parvient, au fil d’une intrigue policière bien menée, à intégrer les éléments du contexte historique de l’époque, ceci sans que l’on ne ressente une quelconque lourdeur. Et puis il faut bien avouer que l’on apprécie cette atmosphère exotique qu’Abir Mukherjee restitue avec une belle justesse conjuguée à un humour caustique que l’on ne manquera pas d’apprécier surtout lorsqu’il vient du sergent Banerjee qui porte une regard circonspect sur le monde qui l’entoure. Avec ce décalage entre la vision du capitaine Wyndham et celle du sergent Banerjee, c’est également l’occasion de mettre en lumière les différentes strates sociale qui composent l’Inde de l’époque à l’instar de cette scène où le personnage principal observe, depuis le luxueux compartiment du train du maharadjah qu'il occupe, une famille modeste qui attend sous la pluie battante de la mousson le train qu’ils doivent emprunter et dont l’arrivée semble incertaine. On observera également, au terme d’un récit dont l’épilogue surprendra plus d’un lecteur, la place faite aux femmes au sein d’un royaume de Sambalpur où le harem semble bien éloigné de l’image que l’on pourrait s’en faire avec des épouses et des concubines qui savent parfaitement composer avec leurs conditions pour parvenir à tirer les ficelles du pouvoir.

     

    Brillant second récit d’une série de romans policiers prometteurs, Les Princes De Sambalpur conjugue avec une belle maîtrise le récit historique et l’intrigue policière qui séduiront ainsi les lecteurs les plus exigeants en quête d’évasion. Exotique et caustique.

     

     

    Abir Mukherjee : Les Princes de Sambalpur. Editions Liana Levi 2020. Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Fanchita Gonzalez Batlle.

     

    A lire en écoutant : Prabhati de Yehudi Menuhin & Ravi Shankar. Album : Menuhin Meets Shankar. 1988 EMI Classic.

  • MAJ SJÖWALL & PER WAHLÖÖ : L’HOMME QUI PARTIT EN FUMEE. LE ROMAN D’UN CRIME.

    Capture d’écran 2020-12-06 à 18.13.57.pngDerrière l‘opulence d’un pays de cocagne régit par cet état-providence qui fait l’admiration de tous, la Suède devient le théâtre d’une série policière composée de dix romans mettant en scène Martin Beck, un policier placide dont les enquêtes mettent à mal ce fameux modèle suédois qui serait dépourvu d’inégalité sociale. Grattant la surface de ce tableau idyllique, l’ensemble des romans, rédigés entre 1965 et 1975 par Maj Sjöwall et Per Wahlöö, restent étonnamment modernes en dépit de l’absence de téléphones portables, d’ordinateurs et de prélèvements scientifiques. Il faut dire que sur la base de récits de procédural police assez lents, les deux auteurs abordent des thématiques sociales fondamentales qui restent toujours d’actualité à l’instar de Roseanna, premier roman de la série qui, au-delà de l’enquête sur sa disparition, évoquait la place de cette jeune femme émancipée et indépendante évoluant dans un monde machiste (on est en 1965) ne pouvant tolérer une certaine décomplexion qu’elle affiche notamment pour tout ce qui a trait à la sexualité. On découvre ainsi une enquête évoluant de manière incertaine sur plusieurs mois tant les indices sont peu nombreux alors que l’on fait la connaissance de policiers aux profils ordinaires dont fait partie Martin Beck. Second épisode de la série, L’Homme Qui Partit En Fumée a la particularité de se dérouler en grande partie au-delà du Rideau de fer, en Hongrie où le policier va parcourir les rues de Budapest à la recherche d’un journaliste disparu.

     

    Alors que la chaleur du mois d’août déferle sur Stockholm, Martin Beck rejoint sa famille sur une île de l’archipel en comptant bien profiter de ses vacances. Mais dès le lendemain, l’inspecteur doit retourner à la capitale pour une affaire urgente qui implique le ministère des affaires étrangères. En effet, le reporter suédois Alf Matsson a disparu en Hongrie alors qu’il effectuait un reportage pour le compte d’un magazine suédois qui a bien l’intention d’exploiter cette disparition en flairant un scoop. Mais pour les autorités, il n’est pas question d’avoir un incident avec un pays du bloc de l’est. Martin Beck doit donc se rendre à Budapest pour faire la lumière sur cette étrange disparition. Mais l’enquête s’avère difficile et à chaque nouvelle avancée, un obstacle infranchissable se dresse devant lui alors qu’il doit composer avec la police locale qui semble suivre chacun de ses pas. Qu’est-il advenu de ce journaliste dont on reste sans nouvelle ?

     

    L'homme Qui Partit En Fumée débute sur une scène de crime décrite par le menu détail avant de se rendre compte qu'il s'agit d'une photo que Martin Beck examine dans son bureau tandis que l'auteur du meurtre passe aux aveux dans une salle d'interrogatoire voisine. Un prologue d'autant plus surprenant qu'il s'enchaine sur quelques scènes estivales ordinaires où l'on suit le policier dans son quotidien tandis qu'il rejoint femme et enfants qui séjournent sur une île de l'archipel, dans une villa qu'il a louée pour les vacances. C'est une des particularités du cycle des romans de Maj Sjöwall et Per Wahlöö où le couple s'ingénie à mettre en exergue cette dichotomie entre la vie quotidienne et le processus du crime qui perturbe ce déroulement ordinaire. Bien loin d'être un prétexte, ledit crime s'inscrit dans le dysfonctionnement d'un modèle social-démocrate qui s'effrite en laissant entrevoir les carences des différentes strates sociales qui composent le pays. Avec L'Homme Qui Partit En Fumée, un titre qui n'aura jamais aussi bien convenu à l'intrigue que ce soit au propre tout comme au figuré, les deux auteurs se focalisent sur le milieu journalistique et sur les relations qu'entretiennent la Suède et la Hongrie se situant à l'époque derrière le Rideau de fer qui apparaît comme bien moins hermétique qu'il n'y paraît avec tout de même une police omniprésente s'employant à surveiller la diaspora des touristes qui se rendent notamment à Budapest. C'est d'ailleurs tout autour de cette surveillance que l'enjeu de l'intrigue fonctionne en se demandant ce qu'il a pu advenir d'Alf Matsson, un journaliste qui se révèle assez détestable avec cette propension à consommer de l'alcool plus que de raison et qui devient au fil de l'intrigue une victime pour laquelle on éprouve assez peu d'empathie. Comme pour Roseanna, Martin Beck se heurte aux aléas d'une enquête incertaine dont nous ne sommes pas sûr qu'elle puisse aboutir. A nouveau plongé dans le quotidien banal mais cette fois-ci d'une capitale d'un pays du bloc de l'est, on suit donc les pérégrinations d'un policier isolé qui goûte tout de même aux plaisirs touristiques que peut lui offrir la ville et notamment les bords du Danube jusqu'à une agression qui va faire basculer le déroulement de l'enquête. Des investigations d'autant plus incertaines qu'elles s'effectuent dans un climat de paranoïa assez inquiétant avec cette sensation permanente qu'a le policier d'être pris en filature sans savoir s'il s'agit de la police ou d'autres individus aux intentions hostiles. En ce qui concerne le milieu journalistique, il faut bien avouer que la profession est dépeinte sous un jour peu flatteur avec des journalistes qui s'adonnent davantage à la boisson qu'à leur métier et une rédaction qui semble plus soucieuse de réaliser un scoop que de savoir ce qu'il est advenu de son collaborateur. Un portrait de la corporation peu élogieux donc, ceci d'autant plus si l'on prend en considération le fait que Per Wahlöö a exercé le métier durant plusieurs années avant d'entamer sa carrière d'écrivain.

     

    Second volume du cycle du "Roman d'un crime", L'Homme Qui Partit En Fumée révèle toute la virtuosité d'un couple d'auteurs qui parvient à diffuser un climat de tension à partir d'une banale enquête de disparition dans le cadre d'une ville de Budapest dont le contexte se situe à l'époque pas si lointaine où le Rideau de fer divisait le monde en deux blocs.

     

    Maj Sjöwall & Per Wahlöö : L’Homme Qui Partit En Fumée (Mannen Some Gick Upp I Rök). Editions Rivages/Noir 2008. Traduit de l’anglais par Michel Deutsch.

     

    A lire en écoutant : Time And Again de Oscar Peterson Trio. Album : We Get Reguests. 2015 The Verve Music Group.

  • Joseph Knox : Somnambule. Retour de flamme.

    Capture d’écran 2020-11-30 à 18.37.36.pngJeune auteur britannique, Joseph Knox nous invite une nouvelle fois à partager l’atmosphère glauque de la patrouille de nuit composée de l’inspecteur borderline Aiden Waits et de son irascible acolyte Peter Sutcliff. Après avoir découvert le monde interlope de la nuit à Manchester et les écarts de ce flic atypique dans Sirènes (éditions du Masque 2018) on retrouvait ce personnage en mauvaise posture dans Chambre 413 (éditions du Masque 2019) où rejaillissait quelques pans de son passé tumultueux. Deux ouvrages qu’il est recommandé de lire avant d’entamer Somnambule, dernier opus d’une série où l’on retrouve quelques savoureux personnages secondaires à l’instar du superintendant Parrs, supérieur particulièrement retord qui manipule Aiden Waits pour les besoins de sa carrière alors que Zain Carver, caïd de la ville, a juré la perte de cet inspecteur déchu qu’il rend responsable de la mort de sa fiancée. Empêtré dans une affaire de chantage avec une policière corrompue, un règlement de compte avec un truand qui a juré sa perte et les basses manoeuvres d’une hiérarchie qui se déchire, Aiden Waits va devoir également composer avec une jeune coéquipière intègre qui semble vouloir rapporter tous ses faits et gestes au cours d’une enquête sur un fait divers vieux de dix ans qui défraie encore la chronique. 

     

    Martin Wick, surnommé le Somnambule, a toujours prétendu n’avoir aucun souvenir de la nuit où il a décimé toute une famille. Après dix années en prison, le meurtrier, atteint d’un cancer, n’en finit plus d’agoniser sur son lit d’hôpital alors qu’Aiden Waits est chargé de recueillir ses dernières confidences avec son collègue Peter Sutcliff. Mais Martin Wick ne se décide ni à mourir ni à parler. Et l’affaire tourne au fiasco lorsqu’un individu poignarde le planton avant de mettre le feu au lit de Martin Wick qui périt dans les flammes. Si Aiden Waits réchappe à l’attentat, son coéquipier, grièvement blessé est plongé dans le coma. Qui pouvait donc en vouloir au meurtrier ? S’agit-il d’une vengeance ? Est-on d’ailleurs bien sûr que Martin Wick était bien la cible de l’attentat ? Autant de questions auxquelles Aiden Waits n’est pas bien sûr d’obtenir la réponse. Une enquête qui va se dérouler sur le fil du rasoir. Aiden Waits en a l’habitude.

     

    Il faut bien avouer que c'est avec un certain plaisir sadique que l'on se prend à retrouver l'inspecteur Aiden Waits qui semblait emprunter la voie de la rédemption au terme du second roman de la série, Chambre 413. Mais que l'on se rassure, Aiden Waits reste l'éternel et incontrôlable chien fou qui se lance dans une contre-enquête où les apparences semblent plutôt trompeuses. A partir de ces éléments, les ressorts narratifs sont déjà connus et peuvent susciter un sentiment de déjà lu qui atténuera certains effets de surprise pour les lecteurs les plus aguerris. Mais avec un tel enquêteur au comportement si autodestructeur il faut tout de même s'attendre à un bouleversement d'une intrigue qui sort des sentiers battus au détour d'une kyrielle de circonstances qui font d'Aiden Waits, un homme aux abois qui se retrouve acculé de toute part. C'est principalement avec le chantage dont il est victime et auquel il ne peut se soustraire que l'on perçoit la tension à laquelle Aiden Waits est soumis ceci d'autant plus qu'il doit composer avec une coéquipière intègre, bien décidée à ne pas le lâcher d'une semelle. On appréciera donc les rapports conflictuels entre le personnage central en perdition et Naomi Black qui prend le relais de l'odieux Peter Sutcliff qui lutte entre la vie et la mort, victime collatérale d'un attentat dont on ignore s'il visait le détenu qu'il surveillait à l'hôpital ou Aiden Waits, affecté à la même mission de surveillance, qui semble être la cible d'une vengeance orchestrée par un vieil ennemi.

     

    Récit d’une grande noirceur, agrémenté de dialogues caustiques, Somnambule nous permet donc de retrouver un personnage charismatique dont le comportement autodestructeur donne du relief à une enquête qui sort définitivement de l’ordinaire au gré d’un récit prenant parfois l’allure d’un hard boleid déjanté.

     

    Joseph Knox : Somnambule (The Sleepwalker). Editions du Masque 2020. Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Jean Esch.

     

    A lire en écoutant : Fly Me To The Moon de Frank Sinatra (feat. Count Basie and His Orchestra). Album : Nothing But The Best (Remastered). 2008 Frank Sinatra Enterprises, LLC.

  • FRANCOIS MEDELINE : L’ANGE ROUGE. ORCHIDEE FATALE.

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    Service de presse.

     

    A la lecture des romans de François Médéline on ne peut s’empêcher d’éprouver une espèce de perte de contrôle avec des récits intenses comme La Politique Du Tumulte (La manufacture de livres 2012) parfois étranges comme Les Rêves De Guerre (La manufacture de livres 2014) voire même déjantés à l’instar de Tuer Jupiter (La manufacture de livres 2018) mettant en scène l’assassinat du président Macron. Comme à l’accoutumée, avec une écriture vive et un style tranchant qui donne le vertige, le lecteur, malmené dans la fureur du récit, va retrouver cette sensation de perte de contrôle dans son dernier opus, L’Ange Rouge dont l’action se situe à Lyon en mettant en scène un groupe de la brigade criminelle de Lyon traquant un tueur en série dont la particularité consiste à peindre une orchidée sur le corps de ses victimes. Flics borderlines, serial killer, à l’image des livres d’Ellroy dont il revendique l’influence, François Médéline nous concocte une intrigue aussi trouble qu’insensée dont l’ambition va bien au-delà des standards d’un thriller à la trame usée jusqu’à la corde, pour nous livrer un ouvrage ambitieux qui oscille entre le roman noir et le polar procédural.

     

    Lyon 1998. Alors que la nuit tombe, on distingue un étrange radeau dérivant sur les flots sombre de la Saône. Eclairée de torches enflammées, on peut distinguer sur l’embarcation un corps mutilé sur lequel on a peint une orchidée avant de le placer sur une croix en bois. Elaborée, macabre, la mise en scène marque les esprits pour celui que l’on appelle désormais le crucifié de la Saône  devenant ainsi une affaire spectaculaire qui échoit au commandant Alain Dubak et à son groupe de la brigade criminelle. Pression hiérarchique et médiatique, le groupe livre désormais une course contre la montre en traquant un tueur déterminé et audacieux qui les contraindra à violer les toutes les procédures tout en mettant leur intégrité physique en danger. Ils risquent bien d’y perdre aussi la raison.

     

    Que l'on se le tienne pour dit, L'Ange Rouge va bien au-delà des stéréotypes du thriller avec cette sempiternelle confrontation entre un serial-killer forcément retord et un enquêteur borderline dont le passé tourmenté ressurgit à mesure de l'avancée de ses investigations. François Médéline bouscule donc les codes à la façon d'un James Ellroy en nous offrant un récit extrêmement bien calibré où l'on retrouve, plus que le style syncopé, répétitif qu'il emploie, une intrigue à la fois adroite et profonde avec cette sensation de folie et parfois même de génie qui fait forcément référence au maître du polar américain. Pavé nerveux de près de 500 pages de ce qui s'avère être une série à venir, L'Ange Rouge s'articule autour de l'ensemble d'un groupe de la criminelle dont les protagonistes sont soumis bien évidemment aux aléas des investigations qu'ils doivent mener collectivement mais également aux pressions de la hiérarchie et des instances judiciaires dont on découvre toutes les arcanes et les enjeux que François Médéline décline avec rigueur et précision sans que l'on éprouve cette lourdeur d'une exactitude outrancière des procédures policières avec à la clé un mariage réussi en fiction et réalisme qui comblera les lecteurs les plus exigeants. Même si l'on découvre l'ensemble des membres qui compose ce groupe de la brigade criminelle de Lyon, il va de soi que l'on va se focaliser sur deux enquêteurs atypiques que sont Alain Dubak, commandant dudit groupe secondé de Mamy, son adjointe inamovible de la vieille école qui se gave de sucreries et sait manier le tonfa avec dextérité lui permettant de "dialoguer" avec les prévenus les plus mutiques. Un duo détonant qui compose avec les autres membres du groupe ainsi que les services d'appuis de la police qu'ils soient scientifiques ou psychologiques qui vont intervenir dans cette enquête qui risque à tout moment de s'enliser dans les méandres des fausses pistes. Personnage central du récit, on appréciera ce commandant Dubak, forcément borderline, mais pas trop, qui oscille entre certitudes et doutes en le faisant parfois basculer du côté de "procédures" qui ne sont pas forcément conformes aux directives policières. Issu de la brigade des stupéfiants où il a été affecté trop longtemps en consommant les produits qu'il saisissait, Dubak est un homme blessé, fragile qui tente de se remettre de ses excès, même si la démarche se révèle plutôt difficile tant les tentations sont nombreuses. Mais cette fragilité devient une force avec cette capacité à se retrouver sur le seuil de la folie qui devient un atout dans le cadre de cette traque au tueur en série.

     

    Et puis avec L'Ange Rouge il y a cette ville de Lyon et sa région que l'on découvre au gré d'un récit qui fait la part belle aux particularismes de la cité que ce soit sur le plan géographique bien sûr, mais également avec la dimension sociale et politique nous permettant de nous glisser dans les méandres des milieux extrémistes qu'ils soient de droite ou de gauche mais également dans le monde estudiantin de l'art. Natif de la région, François Médéline nous immerge ainsi avec quelques petites touches bien équilibrées dans le cadre de cette capitale de la Gaule que l'on parcoure dans tous les sens au détour du charme de ses traboules mais également d'endroits plus glauques comme les égouts de la ville abritant quelques sympathisants anarchistes qui vont interférer dans le cours de l'enquête. On le voit, même s'il s'agit bien d'un roman policier on retrouve quelques thématiques politiques, chères à l'auteur, qui donnent encore plus d'ampleur à un récit qui n'en manquait pas.

     

    Cocktail explosif de talent et de folie, L'Ange Rouge, premier opus d'une série à venir, nous réconcilie définitivement avec les histoires de tueur en série au détour d'un récit énergique et fascinant en côtoyant des personnages hauts en couleur que l'on se réjouit déjà de retrouver.

     

    François Médéline : L’Ange rouge. La Manufacture de livres 2020.

     

    A lire en écoutant : People Ain’t No Good de Nick Cave. Album : The Boatman’s Call. 2011 Mute Records Ltd.

  • COLIN NIEL : SUR LE CIEL EFFONDRE. LEGENDES PERDUES.

    sur le ciel effondré, Colin Niel, éditions du rouergue, série guyanaiseAu-delà du recueil composé de trois romans, La Série Guyanaise de Colin Niel poursuit son cours avec un quatrième volume nous permettant de retrouver le capitaine de gendarmerie André Anato en nous immergeant dans les profondeurs de la forêt guyanaise pour découvrir le territoire des Wayanas, peuple amérindien se détachant peu à peu de ses traditions au contact des garimperos et des évangélistes qui prolifèrent dans la région. Il faut noter que chacun des titres de cette série emblématique se rattache au thème abordé comme c’était le cas avec Les Hamacs De Carton qui faisait allusion à ces dossiers suspendus contenant les dossiers de centaines de citoyens guyanais souhaitant obtenir une naturalisation devenant de plus en plus hypothétique à mesure des aléas et exigences de l’administration française. Second volume de la série, Ce Qui Reste En Forêt  provenait de l’expression « ce qui se passe en forêt, reste en forêt » en se focalisant sur une petite communauté de scientifiques stationnée au coeur de la jungle guyanaise. Obia faisait tout simplement référence aux traditions du chamanisme du peuple Noir-Marron qui affectait particulièrement le capitaine Anato. Dernier roman de la série, Sur Le Ciel Effondré s’inscrit dans la légende poétique désignant le peuple Wayanas désormais démuni de toute magie et n’ayant plus d’accès aux cieux après avoir offensé leur dieu Kuyuli.

     

    L’adjudante Angélique Blakaman fait la fierté du corps de gendarmerie après sa conduite héroïque lors d’un attentat en métropole qui lui a laissé des stigmates sur son visage. Ces hauts faits lui ont permis de revenir au Haut-Maroni en Guyane, en obtenant un poste à Maripasoula, ville de son enfance. Mais le retour au pays est difficile avec le regard de sa mère qui ne la comprend plus et son frère paraissant refuser tout contact. Et il faut bien l’avouer, la ville a drastiquement changé en subissant l’influence du voisinage des villes sauvages du Suriname où pullule commerce chinois, bordels et dancings pour assouvir les besoins des garimperos revenant de leurs exploitations aurifères. Mais au-delà de ces derniers sursauts urbains s’ouvre l’immensité de la forêt et de la région de Tumuc-Humac où vivent les Wayanas, peuple amérindien subissant l’arrivée de cette civilisation débridée. Blakaman côtoie bon nombre de ces Wayanas dont Tapwili Maloko, une des figures du village qui sollicite son aide afin de retrouver son fils disparu. Faisant fi des restrictions de sa hiérarchie, l’adjudante Blakaman va demander l’appui du capitaine Anato, un Noir-Marron tout comme elle qui a fort à faire avec une bande de cambrioleurs écumant la région de Cayenne.

     

    Après avoir cherché les fondements de ses origines, le personnage du captaine André Anato évolue en intégrant désormais la culture Ndjuka et tout ce qui a trait à l’obia afin de lutter contre l’ensorcellement dont il a été victime. Paradoxalement, il faut bien admettre que ce protagoniste central de la série, semble plus en retrait dans cette intrigue qui se braque davantage sur l’adjudante Angélique Blakaman dont le profil se révèle extrêmement détonant avec notamment ses liens qu’elle entretient avec le peuple Wayanas dont on découvre par son entremise tout l’aspect culturel qui semble sur le déclin en dépit de tous les efforts de Tapwili Maloko, un amérindien qui s’ingénie à entretenir les traditions de son peuple dont certains membres se convertissent pourtant à la religion des évangélistes qui écument la région en quête de nouveaux fidèles. L’autre aspect du contexte social du peuple Wayanas se focalise autour du mal-être des jeunes avec une propension au suicide qui devient l’unique perspective face à un avenir incertain. Autour de ces malaises, Colin Niel, bâtit comme à l’accoutumée une intrigue à tiroir assez complexe qui tourne autour d’un trafic d’influence sur les mines d’or, une série de cambriolages qu’un trio de délinquants violents commet en séquestrant leurs propriétaires et la disparition du jeune Tipoy, le fils de Tapwili, que l’adjudant Blakaman s’est mise en tête de retrouver, même si son pères n'a plus aucun espoir de le revoir vivant.

     

    Sur Le Ciel Effondré a la particularité d’être un polar qui se déroule au rythme lent d’une intrigue qui prend l’allure des légendes Wayanas ponctuant les trois parties du roman. Au-delà des éclats de violence qui marquent le récit, iI émane de l’ensemble une sensation poétique assez sombre se déclinant sur le fond du décor évocateur de cette épaisse forêt équatoriale et de la langueur de ce fleuve boueux chargé d’or et d’alluvions transperçant cette région boisée de part en part. L’autre aspect du décor ce sont les sites urbains, tels que les cités dans les environs de Cayenne où l’on prend la mesure de la misère qui y règne, sans pourtant que Colin Niel ne cède au misérabilisme. C’est toute cette déclinaison de problèmes sociaux qui frappent cette région de la Guyane que l’auteur dépeint autour d’une intrigue policière à la fois réaliste et exotique qui prenant son temps pour s’installer afin d’en livrer tous ses ressorts qui se révéleront plutôt surprenants.

     

    Alliant les différentes cultures de ce département d’outre-mer, Sur Le Ciel Effondré confirme le talent de Colin Niel qui réussit à concilier l’exotisme d’une région envoûtante à la complexité d’une enquête intense révélant les maux mais également l’espoir que recèlent ce territoire guyanais à nul autre pareil.

     

    Colin Niel : Sur Le Ciel Effondré. Editions du Rouergue Noir 2018.

    A lire en écoutant : Minha Selva de Bernard Lavilliers. Album : Champs du possible. 1994 Barclay.