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03. Roman policier - Page 21

  • B. MICHAEL RADBURN : L’ARBRE AUX FEES. DISPARITIONS ET EXTINCTIONS.

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    Service de presse

     

    Toujours une belle occasion d’explorer de nouvelles contrées par l’entremise de la littérature noire, ceci d’autant plus lorsque l’on s’aventure du côté de l’Océanie. Peter Temple pour Rivages Noir, Jane Harper pour Calmann-Lévy, Paul Cleave et Tony Cavanaugh chez Sonatine, les auteurs australiens sont de plus en plus nombreux à débarquer dans nos régions francophones avec polars, romans noirs et thrillers dont la majeure partie se déroule dans les environs de Melbourne. Mais c’est plus au sud, sur l’état insulaire de Tasmanie que B. Michael Radburn nous invite à découvrir L’Arbre Aux Fée, premier roman d’une série mettant en scène le ranger australien Taylor Bridges qui a choisi de s’exiler dans le parc national Ben Lomond, suite à la disparition de sa fille Claire dont il ne peut se remettre.

     

    Muté à sa demande, Taylor Bridges débarque en Tasmanie en tant que ranger où il a la charge de gérer le parc national Ben Lomond. Hanté par le souvenir de Claire, sa petite fille qui a disparu dans des circonstances tragiques, Taylor réside désormais à proximité de la petite localité de Glorys Crossing en comptant bien trouver une certaine quiétude dans la solitude des lieux. Mais avec les cauchemars et les crises de somnambulisme dont il est sujet, le ranger reste un homme tourmenté, ceci d’autant plus lorsqu’il apprend la disparition de Drew, une fillette du même âge que Claire. Impliqué plus que de raison dans les recherches, Taylor Bridges mène une enquête qui n’est pas du goût du chef de la police locale et des habitants qui se montrent hostiles. Mais rien n’arrêtera le ranger obstiné qui est persuadé que Drew est encore vivante tout en découvrant au gré de ses investigations que d’autres fillettes ont disparu avant elle. L’enquête va prendre davantage d’ampleur avec l’arrivée d’un inspecteur du continent qui va déterrer quelques secrets bien enfouis.

     

    Un long voyage aux antipodes de nos contrées, B. Michael Radburn nous emmène donc du côté de cette île méconnue, ancienne colonie pénitentiaire, située à près de 250 kilomètres au large de Melbourne. D’entrée de jeu, il est question de paysages montagneux figés par le froid avec des forêts de cèdres saupoudrées de neige et un lac artificiel qui ronge la petite localité fictive de Glorys Crossing s’apprêtant à être engloutie par l’inexorable montée des eaux. Il émane ainsi une atmosphère de désolation inquiétante, quelque peu gothique que l’auteur exploite à fond à l’exemple de ces cercueils du cimetière inondé remontant à la surface pour livrer quelques macabres révélations, de cette étrange tour à plomb qui servait à la fabrication de balles de fusil et de ce vieux poivrier sauvage dont la silhouette insolite donne son titre au roman. C’est dans ce décor à la fois sauvage et menaçant qu’évolue Taylor Bridges, garde forestier en quête de rédemption après la disparition de sa fille Claire. Hasard extraordinaire, c’est une autre fillette qui disparaît dès l’arrivée de Taylor. Ainsi, tout le récit s’articule autour de l’enlèvement de la jeune Drew avec une intrigue plutôt convenue pour ce genre de thèmes maintes fois rabâchés. Le récit est d’autant plus décevant que B. Michael Radburn ne se fatigue pas, en nous proposant des ressorts narratifs simplistes qui fonctionnent sur la base de coïncidences peu probables quand ce ne sont pas tout simplement des rêves prémonitoires qui permettent au ranger tourmenté, en proie à des crises de somnambulisme, de progresser dans son enquête.

     

    Comme s’il voulait aborder tous les thèmes en lien avec la Tasmanie, tout en se focalisant sur les aspects d’un thriller convenu avec le sempiternelle tueur en série rôdant dans les parages, ponctué d’éléments fantastiques, B. Michael Radburn nous donne l’impression de s’être égaré au gré d’une intrigue manquant singulièrement de tenue où bien trop de thèmes ont été effleurés à l’instar de la disparition des tigres de Tasmanie qu’il aborde de manière bien trop superficielle quand il ne s’autorise pas quelques entorses avec la réalité de la situation. On regrettera également cette galerie de personnages caricaturaux qui compose la petite communauté de Glorys Crossing en nous donnant l’impression d’avoir à faire à des bouseux ignares complètement déconnectés de la réalité, seule explication valable pour expliquer cet abandon des recherches d’une fillette, au bout de quelques heures, ou le fait de ne pas exploiter l’existence d’une faune que l’on croyait disparue qui empêcherait la mise en place d’un barrage auquel l’ensemble des habitants est opposé.

     

    Inaugurant une série à venir, L’Arbre Aux Fées, roman plein de promesses, se révèle au final plutôt décevant avec un auteur qui a pris le parti de rester sur des registres extrêmement convenus en dépit d’un cadre qui sort de l’ordinaire mais qui est fort mal exploité.

     

    Michael Radburn : L’Arbre Aux Fées (The Crossing, 2011). Editions Seuil/Cadre noir. Traduit de l’anglais (Australie) par Isabelle Troin.

    A lire en écoutant : Artic World de Midnight Oil. Album : Diesel and Dust. 1987 Midnight Oil Ents Pty Ltd.

  • Dorothy B. Hugues : Un Homme Dans La Brume. Voile déchiré.

    dorothy b. hugues,un homme dans la brume,rivages noirMême si l’on n’est pas forcément un adepte de mouvements sociaux comme #MeeToo, il importe tout de même de se questionner sur la représentativité des femmes, ceci notamment dans le domaine de la littérature noire pour débuter cette année 2020 en évoquant l’œuvre de Dorothy B. Hugues, romancière méconnue dans nos contrée francophones, qui fut une contemporaine d’auteurs tels que Hammett, Chandler et Goodis. A une époque où le pulp était une affaire exclusivement d’hommes et où l’on célèbrait les détectives privés désabusés, Dorothy B. Hugues se distingue avec des récits centrés sur des individus tourmentés dont la destinée vire au tragique comme c’est le cas avec Un Homme Dans La Brume qui fait l’objet d’une nouvelle traduction nous permettant de découvrir ce qui apparaît comme l’un des premiers thriller psychologique en nous confrontant aux réflexions d’un tueur psychopathe sévissant dans les rues de Los Angeles, alors que la seconde guerre mondiale est à peine achevée.

     

    Ancien pilote de chasse démobilisé au terme de la seconde guerre mondiale, Dix Steele est un homme solitaire qui arpente les rues de Los Angeles. En quête d’inspiration pour l’élaboration d’un roman policier, l’homme apparaît comme désœuvré en profitant de l’appartement de Berverly Hills que son ami Mel lui a prêté avant d’entamer un long séjour au Brésil. Au cours de ses pérégrinations nocturnes, Dix se rend à Santa Monica pour retrouver son ancien camarade de combat Brub Nicolai qui a intégré le LAPD en tant qu’inspecteur à la brigade criminelle et qui semble avoir trouvé le bonheur en épousant Sylvia. Mais avec un prédateur rôdant dans les rues de la ville en étranglant des jeunes femmes, Dix perçoit l’inquiétude qui ronge le couple. Les victimes se succèdent sans que l’on ne parvienne à identifier le tueur. Des victimes que Dix a croisées sur son chemin.


    Porté à l’écran en 1950 par Nicholas Ray, avec Humphrey Bogart en vedette, Le Violent est une adaptation du roman de Dorothy B. Hugues qui s'intéresse davantage sur l’envers du décor des studios hollywoodiens avec un scénariste en proie à des accès de violence incontrôlable. Le récit de la romancière s’articule sur un tout autre registre en se focalisant sur la confrontation des genres à une période où l’homme, après des années de conflit, doit retrouver sa place au sein d’une société où les femmes se sont émancipées en occupant des emplois habituellement destinés à la gent masculine. Personnage central de l’intrigue, Dix Steele incarne ce ressentiment larvé à l’égard des femmes qui vire à la folie furieuse au gré de réflexions et de préjugés misogynes. Alors qu’il côtoie Sylvia, l’épouse de son ami Brub Nicolai ou sa voisine Laurel qu’il veut séduire à tout prix, on perçoit cette colère et cette frustration vis à vis de femmes émancipées qui n’entrent clairement pas dans l’idée qu’il se fait d’une caste féminine qu’il juge forcément à un niveau inférieur. Il faut dire que Dix Steele apparaît comme un individu égocentrique et antipathique qui devient franchement inquiétant tandis que l’on retrouve des jeunes femmes étranglées dans les rues de Los Angeles. Mais tout en suggestion, notamment pour tout ce qui a trait aux meurtres, Dorothy B. Hugues prend soin d’entretenir le doute avec cet individu ambivalent dont on perçoit les fêlures et même le désarroi à mesure que les soupçons convergent vers lui. C’est une espèce de voile qui se déchire lentement pour distinguer la véritable personnalité d’un homme solitaire qui a perdu tous ses repères sans vouloir réellement l’admettre en se complaisant dans le costume d’un personnage idéal qu’il a façonné de toute pièce.

     

    Ainsi, dans cette inquiétante comédie de mœurs hollywoodienne, le lecteur découvre donc un individu qui entretient les apparences derrière une façade de faux-semblant au delà de laquelle on distingue les affres de la solitude et de la rancœur dans une ville de Los Angeles rutilante qui prend la forme d’un labyrinthe dantesque et étouffant où proies et bourreaux se rencontrent dans la lumière des néons des dîners et autres clubs selects pour disparaître dans cette brume qui emporte tout.

     

    Bénéficiant d’une nouvelle traduction de Simon Baril, on ne peut que saluer l’initiative des éditions Rivages qui ont su mettre au goût du jour Un Homme Dans la Brume, un roman à la fois saisissant et subtil qui n’a pas pris une ride et qui résonne même curieusement dans l’actualité évoquant la parité entre hommes et femmes.

      

    Dorothy B. Hugues : Un Homme Dans La Brume (In A Lonely Place, 1947). Rivages/Noir 2019. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Simon Baril.

    A lire en écoutant : Ruby My Dear de Thelonius Monk. Album : Thelonius Monk with John Coltrane. 2016 Concord Music Group, Inc.

  • NICOLAS FEUZ : L’OMBRE DU RENARD. L’IMPOSTURE.

    nicolas feuz,l'ombre du renard,éditions slatkine & cie« Tels sont surtout les comédiens, les musiciens, les orateurs et les poètes. Moins ils ont de talent, plus ils ont d’orgueil, de vanité, d’arrogance. Tous ces fous trouvent cependant d’autres fous qui les applaudissent. »

     

    Erasme ; Eloge de la Folie. 1509.

     

     

     

    Ce retour de lecture dévoile des éléments importants de l’intrigue.

     

     

    A n’en pas douter, Nicolas Feuz peut désormais revêtir son manteau de gloire, lui qui caracole en tête des ventes en Suisse romande en partageant cette consécration avec son camarade Marc Voltenauer, tout deux endossant ainsi dans la région le concept de l'écrivain 2.0 emprunté à Camilla Läckberg, Bernard Minier, Maxime Chattam, Franck Thilliez et autres auteurs à succès dont le marketing éprouvé devient un modèle du genre. Mais il en aura fallu du travail et des efforts pour parvenir à une telle consécration au rythme d’un agenda surchargé pour aller à la rencontre de ses lecteurs afin d’écouler sa marchandise en alternant des dédicaces dans les supermarchés, les librairies indépendantes, les chaînes de librairie, les kiosques à journaux et les salons de littérature noire où il se tient debout derrière des piles de livre en haranguant le passant tel un camelot de foire. Toutes les techniques de vente sont bonnes à prendre en occupant bien évidemment les réseaux sociaux où il peut s’afficher fièrement, bras croisés, à coté de son nouvel ouvrage en vente ou en alimentant l’actualité avec du matériel promotionnel, comme un roman policier pour jeunes adolescents ou une nouvelle fantastique, ce qui lui permet de poursuivre la promotion de son dernier opus, L’Ombre Du Renard paru à la fin de l’été. Succession de rencontres, séances interminables de dédicace, on aurait tort de croire qu’il s’agit là d’une corvée incontournable pour Nicolas Feuz qui confiait à une journaliste de la radio romande qu’il « kiffait » ce type d’activité. On décelait d’ailleurs dans la voix une certaine jubilation à l’idée d’étancher cette importante soif d’ego au gré des retours d’une horde de fans émerveillés. Ainsi Nicolas Feuz et Marc Voltenauer sillonnent désormais toute la Romandie en enquillant une impressionnante série de rencontres au rythme d’un agenda de ministre, ce qui explique d’ailleurs leur absence lors de la remise du prix du Polar romand 2019 pour lequel leurs derniers romans avaient été sélectionnés. Fuite des organisateurs ou constat lucide de la qualité de leurs œuvres respectives au regard de celles des autres concurrents en lice, sans doute ont-ils jugé qu’il n’était pas nécessaire de se déplacer pour regarder ce prix leur passer une nouvelle fois sous le nez et devoir applaudir le discret Frédéric Jaccaud récipiendaire de la récompense avec Glory Hole (Equinox - Les Arènes 2019), ceci au terme d’une sélection finale de qualité où figurait également Le Cri Du Lièvre (BSN Press 2019) de Marie-Christine Horn et L’Oracle Des Loups d’Olivier Beetschen (L'Âge d'Homme 2019). Mais au-delà de toutes ces activités promotionnelles, de ces classements et autres considérations mercantiles, de cette mise en scène de l’auteur posant avec son livre qu’en est-il de la créativité, du travail d’écriture et de la démarche artistique ? Pour Nicolas Feuz, il faut bien l’avouer, il s’agit là d’activités secondaires, presque d’un mal nécessaire pour atteindre les sphères de la notoriété dont il est si friand. Une tâche qu’il faut expédier au plus vite afin de répondre aux exigences commerciales en nous restituant des romans bâclés aux intrigues invraisemblables confinant parfois à l’absurde, ceci pour notre plus grand amusement à l’exemple de son dernier ouvrage, L’Ombre Du Renard, dont le récit tourne autour de la légende du trésor perdu du feldmarschall Rommel.

     

    Le 16 septembre 1943, alors que la Corse vit les dernières heures de l’occupation allemande, un convoi SS quitte précipitamment Bastia en emportant une étrange cargaison composée de six caisses contenant le trésor accumulé par Rommel au gré de ses campagnes militaires dans le nord de l’Afrique. Mais lors du transfert sur une barge, un chasseur américain bombarde l’embarcation qui coule à pic au large du Cap Corse. Les recherches restant vaines, l’histoire devient légende jusqu’à ce que l’on retrouve en 2018, du côté de Neuchâtel, à proximité du cadavre d’un bijoutier, un lingot d’or estampillé de la croix gammée dont la provenance ne laisse planer aucun doute. Il s’agit bien là d’une partie du trésor du Renard du Désert. Chargé de l’affaire, le procureur Norbert Jemsen, secondé de sa greffière Flavie Keller et de l’impétueuse inspectrice fédérale Tanja Stojkaj, va faire face à un groupuscule néo-nazi qui n’hésite pas à exécuter tous les individus qui se mettraient en travers de son chemin. S’enchaîne ainsi une succession de meurtres dont la piste sanglante mènera le trio suisse du côté d’un étrange monastère corse recelant bien des secrets. 

     

    Tout aussi condensé que Le Miroir Des Ames, premier roman de la série Jemsen, Nicolas Feuz obéit désormais aux critères commerciaux de sa maison d’éditions sans trop se soucier d’absurdes considérations artistiques. Avec 216 pages, l’ouvrage entre ainsi dans le moule afin de permettre à l’éditeur, qui a compris qu’il ne fallait pas miser sur un texte de qualité, de l’écouler plus facilement sur le marché des traductions ou, soyons fous, pour une éventuelle adaptation cinématographique. On souhaite d’ores et déjà bonne chance au scénariste chargé de l’adaptation. D’ailleurs, lorsqu’il parle de ses romans, Nicolas Feuz, qui ne lit quasiment pas, fait davantage référence au cinéma en évoquant notamment les films de James Bond, même si l’on pense plutôt aux adaptations d’OSS 117 de Michel Hazanavicius avec ce côté décalé, parfois absurde et ces intonations humoristiques qui ne sont pas forcément une volonté du romancier. Mais devant tant de complaisance au niveau de la violence et de vulgarité au niveau de certains échanges mieux vaut rire que pleurer. On appréciera donc ces tortures élaborées visant à émasculer les victimes (prologue) ou ces réparties recherchées à l'instar de cette tueuse psychopathe déclarant froidement : On va voir comme tu couineras quand je mettrai le feu à ta foufoune (chapitre 64). Pour le reste, on s'achemine sur le standard du thriller avec des phrases courtes qui ne sont pas toujours exemptes de quelques distorsions au niveau de la syntaxe que Nicolas Feuz adapte à sa guise.

     

    Ce conflit n’avait que trop duré et tué de soldats et de gens innocents (page 30).

     

    Son sang giclait noirâtre et par saccades entre ses doigts fripés (page 93).

     

    Au fond de la cuvette, il y avait le lac du Sanetsch, sa couleur glaciaire, et la station supérieure du téléphérique qui reliait le col à la vallée de Gstaad (page 192)

     

    Des yeux baladeurs :

    Les yeux de Beaussant quittèrent les jumelles et se focalisèrent sur l’écran de l’ordinateur portable posé à côté de lui (page 82).

     

    Ce constat sans appel après avoir découvert une victime émasculée, ligotée sur une chaise :

    À l’évidence, c’est un crime. Cet homme a été torturé à mort. Vous devriez ouvrir une information et me saisir du dossier (page 36). 

     

    De petites scories salutaires nous tirant de l'ennui d'un texte ponctué de formules toutes faites à l'instar des gerbes de sang qui giclent ou des rayons du soleil qui baigne les décors que l'auteur évoque tout au long de son intrigue. 

     

    Un peu comme lorsque l’on joue au jeu des sept erreurs, c’est bien au niveau des anomalies en terme de cohérence que l’on prend plaisir à lire un ouvrage de Nicolas Feuz qui ne nous déçoit jamais, ceci d’autant plus lorsqu’il affirme sérieusement que ses récits sont tirés de la réalité de sa profession de Procureur de la République comme il se plaît à le souligner régulièrement lors de ses entretiens avec les médias. Avec L’Ombre Du Renard, tout débute relativement normalement avec un thème intéressant issu de l’histoire de la seconde guerre mondiale jusqu’à ce que l’on arrive en Corse où tout part en vrille. Il y a tout d’abord Beaussant, ce gendarme, certes borderline, qui exécute froidement une tueuse à l’aéroport de Bastia avant de planquer le corps dans le coffre de sa voiture, ceci devant le procureur Jemsen et sa greffière qui ne semblent pas plus perturbés que ça. On se demande même, au terme du récit, ce qu’il est advenu du corps. Puis survient cette scène complètement absurde du tournage de film virant au massacre et dont on découvre les sombres desseins qui ne font que souligner l’indigence d’un plan qui n’a rien de machiavélique et dont on se demande encore comment il a pu fonctionner, hormis si l’on peut compter sur la bêtise crasse des protagonistes, ce qui n’est pas totalement exclu. D’ailleurs il faut bien s’interroger sur la pertinence des choix du gendarme Beaussant qui a cru bon de dissimuler le trésor dans une ancienne mine d’amiante, dont tout le monde connaît les dangers, et qui est désormais atteint d’un cancer incurable. Bien moins spectaculaires que celles relevées dans Le Miroir Des Ames (Slatkine & Cie 2018), Eunoto (The BookEdition 2017) ou Horrora Borealis (The BookEdition 2016), on décèle tout de même un lot  d’invraisemblances soutenues au gré d’un récit alambiqué où par ailleurs l’auteur peine toujours à développer le profil de son personnage central qui reste bien trop en retrait et dont on essaie encore de discerner les motivations qui le poussent à endosser son rôle de magistrat. Il faut dire qu’avec un récit aussi bref, Nicolas Feuz ne parvient pas à trouver l’équilibre entre digressions inutiles comme les considérations sur l’état de la presse romande ou la fiche technique d’un ancien site d’extraction d’amiante et le fil d’une intrigue décousue manquant singulièrement de tenue.

     

     

    Ainsi, en bon commercial qu’il est devenu, Nicolas Feuz répond donc aux attentes d’une maison d’éditions aux concepts éditoriaux formatés dans le domaine du thriller avec pour ambition d’atteindre des objectifs de vente plus conséquents et de plaire au plus grand nombre de lecteurs possible car l'auteur ressemble furieusement à Prosper Bouillon, hilarant personnage d’Eric Chevillard qui évoque les dérives du monde littéraire.

     

    « Prosper Bouillon n’écrit pas pour lui. Il ne pense qu’à son lecteur, il pense à lui obsessionnellement, avec passion, à chaque nouveau livre inventer la torture nouvelle qui obligera ce rat cupide à cracher ses vingt euros. »

     

    Prosper A L’œuvre d’Eric Chevillard. Editions Notabilia 2019.

     

    Nicolas Feuz : L’Ombre du Renard. Slatkine & Cie 2019.

    A lire en écoutant : Manteau De Gloire de Stephan Eicher. Album : Carcassone. 1993 Polydor.

  • JAMES LEE BURKE : ROBICHEAUX. LE POIDS DU MONDE.

    rivages thriller,james lee burke,robicheauxOn parle souvent de retrouvailles avec un vieil ami lorsque l’on évoque la parution d’un nouveau roman de James Lee Burke mettant en scène le shérif Dave Robicheaux, plus communément surnommé Belle Mèche et dont les aventures nous ont accompagnés durant plusieurs décennies en suivant les investigations de ce légendaire flic de New Ibéria qui devient ainsi la paroisse la plus célèbre de la Louisiane. Une série comptant pas moins de vingt-et-un romans dont certains figurent parmi les monuments de la littérature noire et transcendent les genres comme Prisonniers Du Ciel (Rivages/Thriller 1992) ou Dans La Brume Electrique Avec Les Morts Confédérés (Rivages/Thriller 1994), Purple Can Road (Rivages/Thriller 2007), La Nuit La Plus Longue (Rivages/Thriller 2011) ou Swan Peak (Rivages/Thriller 2012).  Mais comme dans toutes longues relations amicales, on a pu éprouver quelques déceptions à la lecture de certains ouvrages de cette série emblématique en décelant quelques facilités notamment au niveau de l’intrigue à l’exemple de L’Arc-En-Ciel De Verre (Rivages/Thriller 2013) et Créole Belle (Rivages/Thriller 2014) qui m’ont incité à faire l’impasse sur Lumière Du Monde (Rivages/Thriller 2016). Mais après trois ans sans nouvelle, la curiosité l’emporte sur toutes les réserves pour découvrir Robicheaux, nouveau roman de la série dont la sécheresse du titre résonne comme un point final.

     

    Plus vulnérable que jamais, Dave Robicheaux  peine à se remettre de la disparition de Molly, son épouse qui a trouvé la mort lors d’un accident de la route. Pour ne rien arranger, Clete Purcel, son ami de toujours, semble être en délicatesse avec un nervis de la mafia, Fat Tony Nemo et un riche propriétaire de casino, Jimmy Nightingale, en lice pour une candidature au sénat et qui pourrait être impliqué dans la disparition de huit jeunes femmes sur l’espace d’une vingtaine d’années et que l'on a retrouvées mortes du côté de la paroisse de Jeff Davis. Entre colère, solitude et désarroi, Dave Robicheaux  flirte dangereusement avec ses vieux démons qu’il tente de mettre de côté au détour d’une biture carabinée dont il n’a plus guère de souvenirs. Jointures des mains éraflées, contusions sur le crâne et articulations douloureuses, il semblerait que la nuit n’ait pas été de tout repos pour cet homme qui était parvenu à rester sobre depuis tant d’années. Et l’incident pourrait paraître anodin, si l’on n’avait pas retrouvé, au petit matin, le corps du chauffard impliqué dans l’accident de Molly. L’homme a été battu à mort. Se pourrait-il que Dave Robicheaux ait franchi la limite à ne pas dépasser ? Lui-même semble prêt à le croire.

     

    Au terme de la lecture de Robicheaux, on ne peut s’empêcher d’éprouver un sentiment de déjà-vu avec un schéma narratif éprouvé où l’intrigue gravite autour d’un riche propriétaire terrien ambivalent plus ou moins inquiétant, un membre de la pègre atypique se révélant plus dangereux qu’il n’y paraît et un tueur psychopathe dont les exactions vont impacter les membres de la petite communauté de New Ibéria. Si l’on y ajoute l’éternel désarroi de Dave Robicheaux, les peines de cœur de Clete Purcel et même l’apparition de quelques fantômes de soldats confédérés surgissant de la brume de marécages, on comprendra que ce dernier opus répondra aux attentes des aficionados souhaitant retrouver tous les ingrédients qui ont fait le succès de la série. Alors bien sûr il y a le charme de ces opulentes descriptions d’une Louisiane envoûtante et l’enchantement de quelques dialogues percutants qui constituent la marque de fabrique d’un auteur qui ne parvient plus à se renouveler. Le compte n’y est donc pas, même si l’on note ici et là quelques évolutions dans le parcours des personnages qui hantent la série. Tout d’abord la disparition de Molly qui réalimente la détresse de Dave Robicheaux replongeant dans les affres de la boisson avec une mise en abîme qui tourne court puisque l’enjeu, avec un tel personnage légendaire, demeure couru d’avance. On retrouve donc un individu en bout de course, toujours en proie à ses cauchemars, qui tente de lutter du mieux qu’il peut contre les forces du mal. Parce qu’il émerge du texte une dimension spirituelle qui prend de plus en plus d’importance dans l’œuvre de James Lee Burke, l’intrigue prend parfois une tournure étrange au gré des introspections d’un héro tourmenté qui trouverait une certaine forme de réconfort dans les préceptes de la Bible. Bien rôdée, la dynamique entre les différents acteurs récurrents de la série fonctionne toujours afin de pimenter l’intrigue au gré des frasques de Clete Purcel et des commentaires tranchants d’Helen Soileau qui sont toujours au rendez-vous en formant avec ce bon vieux Belle Mèche un trio bancal ne manquant pas de charme, malgré un sentiment d’essoufflement qui imprègne d’ailleurs l’ensemble de l’intrigue tournant autour de Jimmy Nightingale, ce richissime candidat au Sénat et Smiley, cet étrange et inquiétant tueur psychopathe que l'on retrouvera semble-t-il dans le prochaine roman de la série. C'est probablement avec ces deux protagonistes, dont les portraits sont fort bien dressés, que l'on retrouvera un regain d'intérêt pour un récit dont les entournures se révéleront à la fois denses et complexes, mais sans surprises.

     

    A n'en pas douter, Robicheaux comblera donc les fans de la série sans pour autant avoir d'ambition en matière d'intrigue qui tourne désespérément en rond. Cependant, on ne peut s'empêcher d’apprécier la richesse d’une écriture solide et cette extraordinaire atmosphère que l’auteur distille avec un talent indéniable au gré de ses romans qui charmeront tout de même les lecteurs les plus lassés dont je fais partie.

     

    James Lee Burke : Robicheaux (Robicheaux). Rivages/Thriller 2019. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christophe Mercier.

    A lire en écoutant : I’am Coming Home (live) de Clifton Chenier. Album : Live ! Clifton Chenier & The Red Hot Louisanian Band. 1993 Arhoolie Production Inc.

  • Olivier Beetschen : L’Oracle Des Loups. Légendes éternelles.

    olivier beetschen, l'oracle des loups, éditions l'âge d'hommeTerre imprégnée de légendes, théâtre d’un grand nombre de batailles emblématiques qui ont marqué la période moyenâgeuse de la Suisse, la région rurale de Fribourg, et plus particulièrement sa ville éponyme dont le caractère médiévale demeure encore soigneusement conservé, devient le cadre d’un roman policier d’Olivier Beetschen où les histoires d’autrefois s’agrègent aux récits d’aujourd’hui pour distiller, avec L’Oracle Des Loups, une intrigue singulière baignant dans une atmosphère envoûtante qui transporte le lecteur à travers les époques, dont les lendemains de l’épique bataille de Morat. Second opus de ce qui apparaît comme une trilogie à venir, entamée avec La Dame Rousse (L’Âge D’homme 2016)on retrouve donc dans L’Oracle Des Loups quelques personnages et certains éléments du premier roman ce qui nous inciterait à découvrir les deux ouvrages dans l’ordre, afin d’en saisir tous les détails et pour avoir une meilleure appréhension de l’ensemble, sans que cela n’apparaisse comme une recommandation indispensable puisque l’auteur parvient tout de même à intégrer les événements du livre précédent au fil d’une intrigue policière qui se révèle plutôt habile.

     

    L’Albinos serait-il de retour à Fribourg ? Tout porte à le croire avec les événements qui secouent la cité. Il y a tout d’abord l’explosion de cet appartement dans la vieille ville, puis la découverte d’un corps décapité au bord de la Sarine qui sont les méthodes usuelles d'intimidation du narcotrafiquant. Chargé de l’enquête, l’inspecteur René Sulić, ancien membre de la brigade des stupéfiants, au physique atypique et grand amateur de Villon et de cafés «fertig», peut compter sur l’aide de son mentor de la brigade criminelle, le légendaire inspecteur Verdon. A la recherche du mystérieux criminel, ses investigations le mènent du côté de la vallée de la Jogne à la rencontre d’Edwige, une jeune universitaire qui lui fait découvrir la légende revisitée des Griffons Rouges retraçant les exploits de ces combattants fribourgeois qui se distinguèrent durant la bataille de Morat. Fracas des combats d’autrefois s’entremêlant aux exactions présentes, légendes oubliées remontant à la surface tandis que les règlements de compte s’enchaînent, René Sulić va avoir fort à faire pour démêler les entrelacs d’une intrigue qui nous entraînent dans les gouffres d’un passé sur lequel veille les loups.

     

    Dans cet enchevêtrement du temps et des époques, l’inspecteur René Sulić devient le pivot de deux univers qui se côtoient dans le contexte d'un récit policier à l'allure classique, imprégné d’une dimension onirique pleine de charme et de surprise d’où émane en permanence une atmosphère à la fois étrange et poétique. Sur les traces de cet enquêteur hors norme, choisissant de se déplacer la plupart du temps à pied, on découvre, au gré de ses pérégrinations, un environnement au charme indéniable, que ce soit les ruelles des vieux quartiers de la ville révélant un passé chargé d’histoire ou cette énigmatique vallée de la Jogne renfermant quelques légendes millénaires. Si les crimes s’enchaînent à un rythme soutenu en laissant présager quelques règlements de compte entre trafiquants, les investigations prennent une toute autre ampleur à mesure que l’inspecteur Sulić s’imprègne d’une légende revisitée qui prend le pas sur les aspects les plus concrets d’une enquête révélant quelques rebondissements inattendus. Songes, rêveries, on pense au personnage de Corto Maltese dans Les Helvétiques (Casterman 1988) avec cette dimension onirique qui prend le pas sur l'aventure tout en distillant ces légendes d'un autre âge affleurant à la surface du présent.

     

    Oscillant sur deux registres que sont l’enquête policière et cette légende qui traverse le temps, Olivier Beetschen parvient mettre en scène une intrigue solide, teintée de quelques nuances surnaturelles qui s’insèrent parfaitement dans l’ensemble d’un roman envoûtant, grâce à une écriture sobre, sans emphase, au service d’un texte extrêmement efficace au charme indéniable. Dépassant ainsi les codes du genre, L’Oracle Des Loups nous révèle, au gré de cette étrange histoire, les facettes d’une ville de Fribourg ensorcelante où les fantômes du passé demeurent toujours présents en jaillissant même des flots de la Sarine pour nous livrer un dernier chant chargé d’émotion.

     

    L’Oracle Des Loups est en lice pour le prix du Polar romand 2019.

     

    Olivier Beetschen : L’Oracle Des Loups. Editions L’Âge D’homme 2019.

    A lire en écoutant : Angel From Montgomery de Bonnie Raitt. Album : Streetlights (Remastered). 1974 Warner Records Inc.