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03. Roman policier - Page 21

  • JAMES LEE BURKE : ROBICHEAUX. LE POIDS DU MONDE.

    rivages thriller,james lee burke,robicheauxOn parle souvent de retrouvailles avec un vieil ami lorsque l’on évoque la parution d’un nouveau roman de James Lee Burke mettant en scène le shérif Dave Robicheaux, plus communément surnommé Belle Mèche et dont les aventures nous ont accompagnés durant plusieurs décennies en suivant les investigations de ce légendaire flic de New Ibéria qui devient ainsi la paroisse la plus célèbre de la Louisiane. Une série comptant pas moins de vingt-et-un romans dont certains figurent parmi les monuments de la littérature noire et transcendent les genres comme Prisonniers Du Ciel (Rivages/Thriller 1992) ou Dans La Brume Electrique Avec Les Morts Confédérés (Rivages/Thriller 1994), Purple Can Road (Rivages/Thriller 2007), La Nuit La Plus Longue (Rivages/Thriller 2011) ou Swan Peak (Rivages/Thriller 2012).  Mais comme dans toutes longues relations amicales, on a pu éprouver quelques déceptions à la lecture de certains ouvrages de cette série emblématique en décelant quelques facilités notamment au niveau de l’intrigue à l’exemple de L’Arc-En-Ciel De Verre (Rivages/Thriller 2013) et Créole Belle (Rivages/Thriller 2014) qui m’ont incité à faire l’impasse sur Lumière Du Monde (Rivages/Thriller 2016). Mais après trois ans sans nouvelle, la curiosité l’emporte sur toutes les réserves pour découvrir Robicheaux, nouveau roman de la série dont la sécheresse du titre résonne comme un point final.

     

    Plus vulnérable que jamais, Dave Robicheaux  peine à se remettre de la disparition de Molly, son épouse qui a trouvé la mort lors d’un accident de la route. Pour ne rien arranger, Clete Purcel, son ami de toujours, semble être en délicatesse avec un nervis de la mafia, Fat Tony Nemo et un riche propriétaire de casino, Jimmy Nightingale, en lice pour une candidature au sénat et qui pourrait être impliqué dans la disparition de huit jeunes femmes sur l’espace d’une vingtaine d’années et que l'on a retrouvées mortes du côté de la paroisse de Jeff Davis. Entre colère, solitude et désarroi, Dave Robicheaux  flirte dangereusement avec ses vieux démons qu’il tente de mettre de côté au détour d’une biture carabinée dont il n’a plus guère de souvenirs. Jointures des mains éraflées, contusions sur le crâne et articulations douloureuses, il semblerait que la nuit n’ait pas été de tout repos pour cet homme qui était parvenu à rester sobre depuis tant d’années. Et l’incident pourrait paraître anodin, si l’on n’avait pas retrouvé, au petit matin, le corps du chauffard impliqué dans l’accident de Molly. L’homme a été battu à mort. Se pourrait-il que Dave Robicheaux ait franchi la limite à ne pas dépasser ? Lui-même semble prêt à le croire.

     

    Au terme de la lecture de Robicheaux, on ne peut s’empêcher d’éprouver un sentiment de déjà-vu avec un schéma narratif éprouvé où l’intrigue gravite autour d’un riche propriétaire terrien ambivalent plus ou moins inquiétant, un membre de la pègre atypique se révélant plus dangereux qu’il n’y paraît et un tueur psychopathe dont les exactions vont impacter les membres de la petite communauté de New Ibéria. Si l’on y ajoute l’éternel désarroi de Dave Robicheaux, les peines de cœur de Clete Purcel et même l’apparition de quelques fantômes de soldats confédérés surgissant de la brume de marécages, on comprendra que ce dernier opus répondra aux attentes des aficionados souhaitant retrouver tous les ingrédients qui ont fait le succès de la série. Alors bien sûr il y a le charme de ces opulentes descriptions d’une Louisiane envoûtante et l’enchantement de quelques dialogues percutants qui constituent la marque de fabrique d’un auteur qui ne parvient plus à se renouveler. Le compte n’y est donc pas, même si l’on note ici et là quelques évolutions dans le parcours des personnages qui hantent la série. Tout d’abord la disparition de Molly qui réalimente la détresse de Dave Robicheaux replongeant dans les affres de la boisson avec une mise en abîme qui tourne court puisque l’enjeu, avec un tel personnage légendaire, demeure couru d’avance. On retrouve donc un individu en bout de course, toujours en proie à ses cauchemars, qui tente de lutter du mieux qu’il peut contre les forces du mal. Parce qu’il émerge du texte une dimension spirituelle qui prend de plus en plus d’importance dans l’œuvre de James Lee Burke, l’intrigue prend parfois une tournure étrange au gré des introspections d’un héro tourmenté qui trouverait une certaine forme de réconfort dans les préceptes de la Bible. Bien rôdée, la dynamique entre les différents acteurs récurrents de la série fonctionne toujours afin de pimenter l’intrigue au gré des frasques de Clete Purcel et des commentaires tranchants d’Helen Soileau qui sont toujours au rendez-vous en formant avec ce bon vieux Belle Mèche un trio bancal ne manquant pas de charme, malgré un sentiment d’essoufflement qui imprègne d’ailleurs l’ensemble de l’intrigue tournant autour de Jimmy Nightingale, ce richissime candidat au Sénat et Smiley, cet étrange et inquiétant tueur psychopathe que l'on retrouvera semble-t-il dans le prochaine roman de la série. C'est probablement avec ces deux protagonistes, dont les portraits sont fort bien dressés, que l'on retrouvera un regain d'intérêt pour un récit dont les entournures se révéleront à la fois denses et complexes, mais sans surprises.

     

    A n'en pas douter, Robicheaux comblera donc les fans de la série sans pour autant avoir d'ambition en matière d'intrigue qui tourne désespérément en rond. Cependant, on ne peut s'empêcher d’apprécier la richesse d’une écriture solide et cette extraordinaire atmosphère que l’auteur distille avec un talent indéniable au gré de ses romans qui charmeront tout de même les lecteurs les plus lassés dont je fais partie.

     

    James Lee Burke : Robicheaux (Robicheaux). Rivages/Thriller 2019. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christophe Mercier.

    A lire en écoutant : I’am Coming Home (live) de Clifton Chenier. Album : Live ! Clifton Chenier & The Red Hot Louisanian Band. 1993 Arhoolie Production Inc.

  • Olivier Beetschen : L’Oracle Des Loups. Légendes éternelles.

    olivier beetschen, l'oracle des loups, éditions l'âge d'hommeTerre imprégnée de légendes, théâtre d’un grand nombre de batailles emblématiques qui ont marqué la période moyenâgeuse de la Suisse, la région rurale de Fribourg, et plus particulièrement sa ville éponyme dont le caractère médiévale demeure encore soigneusement conservé, devient le cadre d’un roman policier d’Olivier Beetschen où les histoires d’autrefois s’agrègent aux récits d’aujourd’hui pour distiller, avec L’Oracle Des Loups, une intrigue singulière baignant dans une atmosphère envoûtante qui transporte le lecteur à travers les époques, dont les lendemains de l’épique bataille de Morat. Second opus de ce qui apparaît comme une trilogie à venir, entamée avec La Dame Rousse (L’Âge D’homme 2016)on retrouve donc dans L’Oracle Des Loups quelques personnages et certains éléments du premier roman ce qui nous inciterait à découvrir les deux ouvrages dans l’ordre, afin d’en saisir tous les détails et pour avoir une meilleure appréhension de l’ensemble, sans que cela n’apparaisse comme une recommandation indispensable puisque l’auteur parvient tout de même à intégrer les événements du livre précédent au fil d’une intrigue policière qui se révèle plutôt habile.

     

    L’Albinos serait-il de retour à Fribourg ? Tout porte à le croire avec les événements qui secouent la cité. Il y a tout d’abord l’explosion de cet appartement dans la vieille ville, puis la découverte d’un corps décapité au bord de la Sarine qui sont les méthodes usuelles d'intimidation du narcotrafiquant. Chargé de l’enquête, l’inspecteur René Sulić, ancien membre de la brigade des stupéfiants, au physique atypique et grand amateur de Villon et de cafés «fertig», peut compter sur l’aide de son mentor de la brigade criminelle, le légendaire inspecteur Verdon. A la recherche du mystérieux criminel, ses investigations le mènent du côté de la vallée de la Jogne à la rencontre d’Edwige, une jeune universitaire qui lui fait découvrir la légende revisitée des Griffons Rouges retraçant les exploits de ces combattants fribourgeois qui se distinguèrent durant la bataille de Morat. Fracas des combats d’autrefois s’entremêlant aux exactions présentes, légendes oubliées remontant à la surface tandis que les règlements de compte s’enchaînent, René Sulić va avoir fort à faire pour démêler les entrelacs d’une intrigue qui nous entraînent dans les gouffres d’un passé sur lequel veille les loups.

     

    Dans cet enchevêtrement du temps et des époques, l’inspecteur René Sulić devient le pivot de deux univers qui se côtoient dans le contexte d'un récit policier à l'allure classique, imprégné d’une dimension onirique pleine de charme et de surprise d’où émane en permanence une atmosphère à la fois étrange et poétique. Sur les traces de cet enquêteur hors norme, choisissant de se déplacer la plupart du temps à pied, on découvre, au gré de ses pérégrinations, un environnement au charme indéniable, que ce soit les ruelles des vieux quartiers de la ville révélant un passé chargé d’histoire ou cette énigmatique vallée de la Jogne renfermant quelques légendes millénaires. Si les crimes s’enchaînent à un rythme soutenu en laissant présager quelques règlements de compte entre trafiquants, les investigations prennent une toute autre ampleur à mesure que l’inspecteur Sulić s’imprègne d’une légende revisitée qui prend le pas sur les aspects les plus concrets d’une enquête révélant quelques rebondissements inattendus. Songes, rêveries, on pense au personnage de Corto Maltese dans Les Helvétiques (Casterman 1988) avec cette dimension onirique qui prend le pas sur l'aventure tout en distillant ces légendes d'un autre âge affleurant à la surface du présent.

     

    Oscillant sur deux registres que sont l’enquête policière et cette légende qui traverse le temps, Olivier Beetschen parvient mettre en scène une intrigue solide, teintée de quelques nuances surnaturelles qui s’insèrent parfaitement dans l’ensemble d’un roman envoûtant, grâce à une écriture sobre, sans emphase, au service d’un texte extrêmement efficace au charme indéniable. Dépassant ainsi les codes du genre, L’Oracle Des Loups nous révèle, au gré de cette étrange histoire, les facettes d’une ville de Fribourg ensorcelante où les fantômes du passé demeurent toujours présents en jaillissant même des flots de la Sarine pour nous livrer un dernier chant chargé d’émotion.

     

    L’Oracle Des Loups est en lice pour le prix du Polar romand 2019.

     

    Olivier Beetschen : L’Oracle Des Loups. Editions L’Âge D’homme 2019.

    A lire en écoutant : Angel From Montgomery de Bonnie Raitt. Album : Streetlights (Remastered). 1974 Warner Records Inc.

  • STEPHANIE GLASSEY : CONFIDENCES ASSASSINES. MEMOIRE MORTELLE.

    stéphanie glassey, confidences assassines, plaisir de lireS’il avait été publié de nos jours, Aline (Plaisir de lire 2007), premier roman de Charles Ferdinand Ramuz, aurait très certainement pu trouver sa place dans la collection Frisson de la maison d’éditions Plaisir de lire avec cette tragédie classique, véritable réquisitoire social, évoquant la dérive funeste d’une jeune femme séduite puis abandonnée à son sort, dont l’intrigue, imprégnée d’une colossale force poétique brut, intègre finalement tous les éléments qui constituent un roman noir. Si chez Plaisir de lire, l’ensemble de l’œuvre de Ramuz figure dans la collection Patrimoine vivant, on ne manquera pas d’apprécier dans cette collection Frisson, créée en 2007, Confidences Assassines, premier roman de Stéphanie Glassey dont l’une des protagonistes se prénomme justement Aline et dont la trame policière prend pour cadre la localité de Basse-Nendaz, village montagnard du canton du Valais où l’assassinat d’une épicière retraitée va bouleverser cette apparente quiétude qui règne sur la région.

     

    Rien ne va plus à Basse-Nendaz. Dans l’établissement médico–social de la bourgade, on découvre le corps sans vie de Juliette en s’apercevant bien vite qu’il s’agit d’un meurtre comme en atteste l'examen médico-légal exigé par le fils de la victime. Qui pouvait bien en vouloir à cette paisible épicière retraitée sans histoire ? Bien rapidement, on soupçonne Aline, cette aide-soignante un peu bizarre, qui passe aux aveux avant de périr asphyxiée en boutant le feu dans sa cellule. Affaire classée pour la police, mais pas pour Jane, sa collègue de travail, qui ne croit pas à cette version d’un « ange de la mort » au service d’une victime consentante. Sollicitant l’aide de Charlotte, son amie d’enfance et de Léon, leur ancien professeur quelque peu porté sur la boisson, les trois enquêteurs amateurs vont tenter d’éclaircir les zones d’ombre entourant la mort de Juliette. Mais de rumeurs en confidences, le trio de détectives en herbe va mettre à jour quelques secrets enfouis qui ne se révéleront pas forcément en lien avec le meurtre qui les occupe. En contrepoint de cette enquête maladroite, puisera-t-on les réponses en suivant la terrible destinée d’Adèle dont le parcours de vie s’étend du début du XXème siècle jusqu’à nos jours, dans le contexte d’une époque terrible où l’on ne peut accepter la différence ?

     

    Un récit foisonnant pour un texte dense, imprégné d’un style quelque peu lyrique, parfois un brin démonstratif, dont on appréciera toute la beauté de métaphores qui résonnent toujours avec justesse au gré d’une intrigue mouvementée et incertaine se déclinant sur deux époques, on ressort quelque peu étourdi au terme de la lecture de ce premier roman de Stéphanie Glassey qui nous laisse pantelant. Confidences Assassines est avant tout un prétexte pour découvrir tout le tissu social d’un village que la romancière décrit à la perfection par le prisme d’un crime qui va perturber l’ordre établi au sein de ce petit microcosme en nous permettant de prendre la pleine mesure d’une impressionnante galerie de personnages aux caractères savamment étudiés qui leurs confèrent ainsi un charme indéniable au rythme d’interactions, d’échanges et de réflexions d’une singulière richesse. Il se dégage ainsi de cet ensemble une ambiance et une atmosphère extraordinaire, exacerbée par la beauté des paysages décrits dans lesquels évoluent les personnages que ce soit sur les hauteurs de la vallée du Rhône ou dans l'opulente région de Zürich.

     

    L'enjeu du roman consiste à déterminer s'il existe une forme de conspiration ayant poussé Aline à commettre son forfait. Et c'est au terme d'une enquête chaotique menée par une équipe d'amateurs, démunis de moyen que l'on découvrira quelques réponses qui se révéleront plutôt surprenantes à l'instar de cet épilogue déconcertant suscitant davantage de questions et dont les explications académiques sur l'hypnose, sujet chère à la romancière, se révèlent dispensables tout en se demandant comment un docteur en psychiatrie a pu contourner les instances médico-légales ainsi que les institutions policières pour garder sa patiente. Il n'en demeure pas moins que l'enquête prend une tournure réaliste pleine de rebondissements et d'incertitudes, que l'on retrouve dans certains récits de Dürrenmatt, en côtoyant ces deux jeunes femmes volontaires que sont Jane et Charlotte, secondées par l'inénarrable Léon, ancien flic reconverti dans l'enseignement, cloué dans un fauteuil roulant et dont les vers de Racine, qu'il cite à tout bout de champ, tombent toujours fort à propos.

     

    Mais si le charme de l’enquête reste indéniable, Confidences Assassines prend une toute autre ampleur en suivant, sur une alternance du passé et du présent, la destinée d’Adèle dont l’ascendance et la descendance vont impacter toute sa vie prenant la forme d’une longue tragédie sans fin, imprégnée de colère, de désespoir et dont certains événements ne manqueront pas de marquer d’autres membres de la communauté. Fille honnie, dont l’exil à Zürich devient un long calvaire, Adèle retrouve cette rage de vivre lors de son retour au village avec cette envie de revanche sur le monde qui l’a rejetée et dont l’apaisement, au terme de sa vie, se décline sur quelques pages d’une rare beauté. Avec ce personnage hors norme, on pense bien évidemment à l’Aline de Ramuz, mais également au Journal D’Une Femme De Chambre d’Octave Mirbeau (et non pas Mirabeau comme indiqué dans les œuvres citées de l’ouvrage) en découvrant, au gré de l’ascension sociale d’Adèle et de son mariage avec un homme d’affaire peu scrupuleux, tous les travers de la bourgeoisie helvétique du début du XXème siècle tout en évoquant quelques moments peu reluisants de l’histoire suisse, comme la fourniture d’armement au régime nazi.

     

    Transactions immobilières douteuses et souvenirs mortels aux conséquences tragiques, Stéphanie Glassey dépeint, avec un indéniable talent et une véritable force évocatrice, ce Valais au charme rugueux dont on découvre les terribles secrets au gré de Confidences Assassines.

     

    A noter que Confidences Assassines est en lice pour le prix du Polar romand 2019 et que l'on pourra retrouver la romancière Stéphanie Glassey à l'occasion du salon Le Livre Sur Les Quais qui se tiendra à Morges du 6 au 8 septembre 2019.

     

    Stéphanie Glassey : Confidences Assassines. Editions Plaisir de lire, collection Frisson 2019.

    A lire en écoutant : Danse Macabre par Camille Saint-Saëns. Album : Saint-Saëns : Danse Macabre – Philharmonia Orchestra & Charles Dutoit. 1981 Decca Music Group Limited.

  • Wojciech Chmielarz : La Colombienne. Traînée de poudre.

    Capture d’écran 2019-08-01 à 12.05.07.pngMême s’il ne s’agit pas à proprement parler d’un phénomène, on assiste à une recrudescence de publications de polars et de romans noirs en provenance des pays de l’est, et plus particulièrement de Pologne dont la série à succès composée de trois romans de Zygmunt Miloszewski mettant en scène le procureur Teodore Szacki débutant avec Les Impliqués (Mirobole 2013) puis se poursuivant avec Un Fond De Vérité (Mirobole 2014) pour s’achever avec La Rage (Fleuve Noir 2016). Toujours en provenance de Pologne, mais se situant dans un autre registre, on découvrait deux romans de Magdalena Parys 188 Mètres Sous Berlin (Agullo Noir 2017) et Le Magicien (Agullo Noir 2019) dont les intrigues se déroulant en Allemagne, évoquaient les résurgences et les vieilles rancœurs trouvant leurs origines durant cette période trouble de la guerre froide. Un ensemble de romans incisifs, imprégnés d’une critique sociale mettant en lumière les carences du pays, tout comme cette nouvelle série de Wojciech Chmielarz où l’on suit les enquêtes de l’inspecteur Jakub Morkta surnommé Le Kub dont les investigations nous ont conduit tout d’abord à Varsovie avec Pyromane (Agullo Noir 2017) pour nous entraîner ensuite du côté de Kretowic avec La Ferme Aux Poupées (Agullo Noir 2018). La Colombienne, troisième opus de la série, marque donc le retour de ce flic atypique à nouveau affecté à Varsovie après son exil dans une province perdue qui l’aura marqué à plus d’un titre.

     

    En échange de quelques jours de tournages publicitaires sur les plages paradisiaques de Colombie, un groupe de jeunes polonais profite de ces vacances à moindre frais. Mais à l’annonce de l’annulation du tournage, le séjour tourne au cauchemar alors qu’il faut rembourser les frais engagés sous la menace de narcotrafiquants qui leur proposent une solution qu’ils ne peuvent refuser. A Varsovie, on retrouve le corps éventré d’un homme pendu par les pieds sous le pond de Gdansk. Chargé de l’enquête, l’inspecteur Mortka s’intéresse rapidement à l’entreprise d’investissements pour laquelle travaillait la victime. Trafic de stupéfiants, règlements de compte et blanchiment d’argent, les investigations prennent de plus en plus d’ampleur à mesure que les crimes s’enchaînent et que le tueur déterminé devient de plus en plus audacieux.

     

    Si la lecture de l’ensemble de la série n’est pas indispensable et que l’on peut découvrir chaque ouvrage indépendamment les uns des autres, il est cependant préférable de suivre l’ordre de parution des romans pour prendre la pleine mesure d’un personnage dont les contours et les caractéristiques se dévoilent au fur et à mesure des événements auxquels il a du faire face lors de ses différentes investigations. L’inspecteur Jakub Mokta plus, communément désigné sous le sobriquet du Kub, détonne dans le paysage du roman policier, parce qu’au delà des failles qu’il peut présenter, notamment au travers du naufrage de son mariage, l’homme reste résolument ordinaire et mène une vie plutôt ennuyeuse. Pas de vice, pas de passion, Le Kub s’investit complètement pour ses enquêtes sans pour autant posséder de quelconques facultés de déduction exceptionnelles, hormis son acharnement et son implication pour mener à bien ses investigations. On appréciera également l’entourage du Kub qui présente des caractéristiques similaires, particulièrement en ce qui concerne leur évolution, à l’instar de son partenaire, l’inspecteur Kochan, dont les problèmes domestiques prennent une tournure dramatique, permettant à l’auteur de mettre une nouvelle fois en avant toutes les dérives des violences conjugales, aux entournures d’une enquête dévoilant les aspects inquiétants d’individus dont les femmes ont la caractéristique de s’être suicidées dans des pièces closes de l’intérieur.

     

    Mais il va de soi qu'avec un titre et une illustration assez explicites ornant la couverture, La Colombienne tourne principalement autour de la thématique du trafic de stupéfiants en découvrant "Polaco", mystérieux personnage inquiétant, contraignant de jeunes polonais à endosser le rôle de mule pour le compte de narcotrafiquants colombiens et qui prend une tournure dramatique pour l'une de ces jeunes victimes tentant vainement de s'y opposer. Découvrir l'identité de ce "Polaco", traquer un tueur déterminé donnant ainsi prétexte à toute une série de règlements de compte qui prennent la forme d'une vengeance plutôt sanglante, tels sont les enjeux de l'enquête dont Le Kub a la charge et qu'il devra résoudre avec l'aide d'une jeune policière débutante surnommée La Sèche, dont la force de caractère donne l'occasion à quelques échanges savoureux avec son mentor qui n'est pas en reste de répliques cinglantes. Il en résulte un récit dynamique partant parfois dans toutes les directions, sans pour autant se disperser, qui met en lumière les arcanes de cette nouvelle économie d'investisseurs audacieux n'hésitant pas à intégrer d'ingénieux systèmes de blanchiment d'argent dans le circuit économique de la Pologne. Un portrait du pays qui demeure toujours sans concession au détour d'un texte précis et prenant, on apprécie toujours autant ces enquêtes du Kub que Wojciech Chmielarz met en scène avec une redoutable efficacité pour nous révéler les dessous peu reluisants d'organisations criminelles se jouant toujours un peu plus des frontières, sur fond de spéculations boursières douteuses.

     

    Captivant récit décrivant les dérives d'un système économique gangréné par des individus peu scrupuleux, La Colombienne est un roman qui ne fait que confirmer le talent d'un auteur maitrisant parfaitement les mécanismes du suspense et les codes du polar pour nous livrer une intrigue passionnante à haute valeur sociale ajoutée.

     

    Wojciech Chmielarz : La Colombienne. Editions Agullo Noir 2019. Traduit du polonais par Erik Veaux.

    A lire en écoutant : Infidelity (Only You) de Skunk Anansie. Album : Stoosh. 1996 One Little Indian Records.

  • Tetsuya Honda : Rouge Est La Nuit. Mortel spectacle.

    tetsuda honda, rouge est la nuit, atelier akatomboOn trouve de nombreux éditeurs francophones qui se sont lancés occasionnellement dans la traduction de romans policiers japonais, mais c’est essentiellement avec des éditeurs comme Philippe Picquier et Actes Sud que l’on découvrait ce pan de la littérature noire qui reste encore bien trop méconnu. Aussi, depuis un peu plus d’un an, il est réjouissant de savoir que l’on peut compter sur la toute jeune maison d’éditions Atelier Akatombo, pour compléter l’offre dans ce domaine si particulier du polar nippon avec un catalogue comprenant déjà quatre romans policier traduits par Dominique et Frank Sylvain qui mènent à bien ce beau projet éditorial qui doit impérativement perdurer. D’ailleurs il suffit de s’attarder sur les somptueuses couvertures de la collection ainsi que sur le travail soigné de la maquette afin de déceler toute la passion du couple Sylvain pour tout ce qui a trait à la culture japonaise, eux qui ont séjourné durant de nombreuses années dans ce pays avant de revenir en France pour ramener dans leurs bagages une belle sélection de polars qui n’ont jamais été traduit jusqu’à présent. Ainsi a-t-on pu lire un roman de Seichô Matsumoto, Le Point Zéro (Atelier Akatombo 2018), publié dans sa version originale en 1958, qui mettait en scène une jeune femme à la recherche de son mari disparu. Beaucoup plus récent, mais toujours avec une héroïne occupant la place centrale d’une série policière comptant déjà cinq romans, on pourra ainsi mesurer, avec Rouge Est La Nuit de Tetsuya Honda, l’évolution de la place qu’occupe les femmes au sein de la société nipponne en suivant les investigations de Reiko Himekawa une des rares policières élevée au grade de lieutenant.

     

    A la périphérie de Tokyo, sur les bords d’un étang du parc Mitzumoto, on retrouve un corps emballé dans une bâche de chantier, comme prêt à être immergé dans l’eau. Au vu des multiples lacérations, la victime semble avoir été torturée avant d’être égorgée ceci sans que le voisinage ou les éventuels promeneurs ne remarquent quoi que ce soit. L’enquête échoit à la lieutenante Reiko Himekawa, unique officière de la division criminelle du département de la police métropolitaine de Tokyo, qui développe une approche intuitive lui permettant de comprendre la logique des meurtriers sur lesquels elle est amenée à enquêter. A la tête d’une brigade composée exclusivement d’hommes, la jeune policière, ne bénéficie guère d’appui au sein d’une institution policière plutôt machiste. Et à mesure que l’enquête progresse, révélant d’autres crimes similaires, elle devra faire face à la concurrence, parfois déloyale, d’un autre chef de brigade ambitieux, prêt à tout pour l’évincer. Mais la série de meurtres prend de l’ampleur, et il faudra toute l’abnégation de Reiko Himekawa et de son équipe pour mettre un terme aux agissements d’un tueur sévissant dans l’ombre des quartiers chauds de la ville de Tokyo qui étouffe dans la moiteur des nuits estivales. La chasse à l’homme peut commencer.

     

    Un tueur en série sévissant dans les rues de Tokyo, une enquêtrice au lourd passé, dotée d’un sens de l’intuition aiguisé, nul doute que nous nous trouvons dans le cadre narratif d’un thriller dont on a lu maintes variations plus ou moins réussies. Il ne faudrait pourtant pas passer à côté de ce premier roman de Tetsuya Honda qui présente la spécificité de mettre en scène Reiko Himekawa, une officière de police japonaise, évoluant dans une institution étatique extrêmement hiérarchisée dont on devine la faible place laissée aux femmes, particulièrement en ce qui concerne les fonctions de haut rang. Avec Rouge Est La Nuit le lecteur découvre les débuts d’une série policière qui permet de mettre en lumière la difficulté pour cette héroïne, aussi sensible que déterminée, de pouvoir exercer sa fonction dans un environnement extrêmement machiste où la lourdeur des plans dragues de ses subordonnés laisse la place aux réflexions désobligeantes, puis à la méfiance de ses supérieurs quand elle ne doit pas contrecarrer les basses manœuvres d’un de ses homologues, le lieutenant Kensaku Katsumata, un personnage qui se révélera beaucoup plus ambivalent qu’il n’y paraît. Outre les difficultés professionnelles, Reiko Himekawa doit également faire face aux membres de sa famille qui n’approuve pas ses choix, ceci d’autant plus qu’elle n’est toujours pas mariée au grand dam de sa mère qui s’inquiète de la dangerosité de sa fonction. Une inquiétude également liée à un traumatisme suite à l’agression dont la jeune femme a été victime lorsqu’elle était adolescente. Ainsi, au sein d’une société moderne qui préserve tout de même une place importante aux traditions, on perçoit toutes les complications auxquelles les femmes doivent faire face pour accéder à certaines fonctions.

     

    Outre les discriminations de genre, Rouge Est La Nuit permet aux lecteurs peu coutumiers de la culture japonaise d’appréhender le quotidien des habitants de Tokyo et de découvrir quelques quartiers méconnus de cette immense mégalopole. On observera, un peu surpris, que les enquêteurs empruntent les transports publics pour se rendre sur les scènes de crime et qu’il dorment au bureau lorsque l’affaire est sensible comme le mentionnait d’ailleurs David Peace dans Tokyo Année Zéro (Rivages/Noir 2010). Plus déconcertant encore, on s’aperçoit que les enquêteurs, pour des raisons budgétaires, ne sont pas tous dotés d’armes de service, ce qui donne lieu à une scène surréaliste où un officier de police doit tout d’abord se rendre dans un magasin de jouets pour acquérir un pistolet factice avant d’aller prêter main forte à sa collègue en difficulté.

     

    Les trois premières parties du récit, qui en compte cinq, débutent avec le point de vue du meurtrier dont on découvre quelques épisodes marquants de sa vie qui l’ont conduit à commettre les crimes sur lesquelles la lieutenante Reiko Imekawa doit enquêter. Même si le texte n’est pas dénué de quelques détails sordides expliquant les dérives d’un tel personnage, on appréciera la retenue de l’auteur qui a fait en sorte que l’on peut tout de même éprouver une certaine forme d’empathie pour cet étrange individu qui présente quelques fêlures. Cette mesure, cette absence de surenchère sanguinolente, permet d’apprécier une intrigue cohérente qui n’est tout de même pas dénuée de quelques rebondissements plutôt surprenants tout en appréciant une galerie de personnages dont l’étude de caractère permet de distinguer leur état d’esprit nuancé, suscitant un intérêt croissant qui pimente le récit.

     

    Roman policier original et détonant, empreint d’une certaine forme d’étrangeté inquiétante, Rouge Est La Nuit nous permet d’aller à la rencontre d’une nouvelle héroïne atypique qui semble avoir séduit plusieurs millions de lecteurs japonais. Il ne reste qu’à souhaiter qu’il en soit de même dans nos contrées occidentales alors que les enquêtes de la lieutenante Reiko Imekawa ont déjà fait l’objet d’adaptations pour le cinéma et la télévision japonaise. Une série prometteuse.

     

    Tetsuya Honda : Rouge Est La Nuit (Strawberry Night). Editions Atelier Akatombo 2019. Traduit du japonais par Dominique et Frank Sylvain.

    A lire en écoutant : Sweet and Low de Takuya Kuroda. Album : Edge. 2011 Takuya Kuroda.