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03. Roman policier - Page 15

  • Tetsuya Honda : Invisible Est La Pluie. Yakuza love story.

    Invisible est la pluie, tetsuya honda, atelier akatomboC'est à la fin des années quatre-vingt que l'on découvre la littérature en provenance d'Extrême-Orient avec les éditions Picquier, du nom de son fondateur Philippe Picquier, qui nous permettait d'accéder aux œuvres d'auteurs méconnus, qu'ils soient japonais, chinois ou coréens. Sans s'attacher à un domaine spécifique, la maison d'éditions publie ainsi des essais, des romans, des ouvrages de sciences humaines et bien évidemment de la littérature noire. Dans ce domaine, d'autres maisons d'éditions se sont lancées dans l'aventure à l'instar des éditions Liana Levi publiant l'œuvre de l'auteur chinois Qiu Xiaolong relatant les enquêtes de l'inspecteur Chen, officiant à Shanghai ou d'Acte Sud /Actes noirs qui nous a permis de découvrir l'œuvre originale de Keigo Higashino, auteur emblématique de la littérature noire japonaise. Du Japon, il est exclusivement question avec Atelier Akatombo qui publie, depuis 2018, sous la direction de Dominique et Frank Sylvain, des romans en provenance du Pays du Soleil Levant avec un catalogue essentiellement composé de polars et romans noirs, même si l'on trouve également de la science-fiction, des mangas et de la littérature érotique. L'intérêt d'une telle maison d'éditions réside dans le fait qu'elle nous offre un bel éventail de la littérature noire japonaise avec notamment une série de référence de Tetsuya Honda qui met en scène les investigations de la lieutenante Reiko Himekawa, à la tête d'un groupe de la brigade criminelle de Tokyo et que l'on retrouve dans Invisible Est La Pluie, troisième opus de ladite série.

     

    A Tokyo, dans l'arrondissement de Nagano, on retrouve le cadavre de Kobayashi, un yakuza de seconde envergure, qui a été lardé de coups de couteau à l'intérieur même de son appartement. L'enquête échoit au DPMT, le département de la police métropolitaine, et plus particulièrement au deuxième groupe de la division d'enquête criminelle dirigé par la lieutenante Reiko Himekawa, ceci au grand dam de l'antigang qui veut récupérer l'affaire. Une rivalité au sein des forces de police qui fait écho à la guerre de succession qui ravage le gang de l'Ishidō auquel appartenait la victime. Dans ce climat délétère, il y a également cet appel anonyme évoquant une ancienne affaire qui a mal tourné en entachant la réputation du DPMT. Ne souhaitant pas que cette bavure policière ressurgisse dans l'actualité, la hiérarchie va interdire à Reiko Himekawa de creuser cette piste. Mais la policière obstinée va s'empresser de désobéir et mener seule, une enquête parallèle qui risque de la compromettre ainsi que ses supérieurs. Des investigations prenant une drôle de tournure avec la rencontre d'un agent immobilier séduisant s'avérant être un membre important des yakuzas. S'engage ainsi un troublant et dangereux jeu de séduction qui risque bien de mettre en péril la carrière de Reiko.

     

    Dans la littérature noire japonaise, rares sont les héroïnes exerçant la fonction de policière, qui plus est en occupant un poste de chef de groupe au sein de la brigade criminelle de Tokyo. En créant le personnage de la lieutenante Reiko Himekawa, son auteur Tetsuya Honda nous permet d'évoluer au cœur de l'univers très machiste du siège du Département de la Police Métropolitaine de Tokyo (DPMT) et de prendre la mesure des réflexions déplacées que subit la jeune policière au quotidien avec son lot défiance quant à ses capacités professionnelles ou remarques sexistes quant à son physique. Femme de caractère, déterminée dans ses actions, Reiko adopte une attitude plutôt résiliente notamment en ce qui concerne les tentatives de drague pitoyable qu'elle subit notamment avec un subordonné dépourvu de limite. Paradoxalement, c'est même parfois l'attitude protectrice des membres de son groupe qui peut poser problème en estimant qu'elle ne pourrait faire face à certaines situations en tant que femme. Ainsi Tetsuya Honda dresse un portrait peu flatteur de la société japonaise dans le contexte d'un sexisme exacerbé qui semble particulièrement prégnant au sein des forces de police. Mais avec Invisible Est La Pluie, Tetsuya Honda s'attarde plus particulièrement sur les manoeuvres de la hiérarchie policière qui essaie de se couvrir suite à une bavure qui risque d'entacher ses services en contraignant la lieutenante Reiko Himekawa à enquêter en solitaire, tandis que les différentes brigades s'écharpent pour récupérer une affaire mettant en cause un gang de yakuzas en pleine guerre de succession. On peut ainsi faire le parallèle entre les manoeuvres policières pour éviter la résurgence d'une vieille affaire embarrassante et les manoeuvres de yakuzas déterminés à reprendre les rênes du gang que l'auteur dépeint avec force de détails qui donnent une tonalité réaliste qui prévaut pour l'ensemble d'un récit nous dévoilant les contours d'une enquête qui va se révéler bien moins classique qu'il n'y parait. Dans le cadre de cette enquête solitaire dans le milieu de la pègre, on appréciera l'audace d'une enquêtrice déterminée faisant preuve d'une certaine fougue lorsqu'elle tombe sous le charme d'un yakuza séduisant qui pourrait bien être l'auteur du meurtre sur lequel elle enquête. Tout l'enjeu du suspense tourne donc autour de cette probabilité qui risque de compromettre la carrière de la lieutenante Reiko Himekawa.


    Ainsi, au détour d'une intrigue complexe, aux tonalités poétiques, Tetsuya Honda nous offre avec Invisible Est La Pluie, une balade exotique dans les rues de Tokyo en compagnie d'une policière au charme indéniable que l'on se réjouit de retrouver.

     

    Tetsuya Honda : Invisible Est La Pluie (Invisible Rain). Atelier Akatombo 2021. Traduit du japonais par Alice Hureau.

    A lire en écoutant : WARP de Clammbon. Album : モメント l.p. 2019 Tropical Company Limited.

  • VALERIO VARESI : LA MAISON DU COMMANDANT. REVOLUTION PERDUE.

    Capture.PNGL'air de rien on s'achemine déjà vers le sixième volume des enquêtes du commissaire Soneri débutant avec Le Fleuve Des Brumes, un roman à l'atmosphère envoûtante se déroulant sur les bords du Pô. Ce roman signait, il y a de cela cinq ans, les débuts de la maison d'éditions Agullo en devenant ainsi le fer de lance de cette collection noire avec une série policière emblématique rivalisant avec Andrea Camilleri et son commissaire Montalbano appréciant tout comme Soneri la bonne chère ou Maurizio De Giovanni et son commissaire Ricciardi partageant la même aversion pour le fascisme ordinaire qui sévit aussi bien à Naples que du côté de Parme, ceci en dépit des années qui séparent les deux séries. Mais du point de vue social et philosophique, c'est du côté de Giorgio Scerbanenco que l'on s'achemine en repensant à sa formidable série de quatre titres mettant en scène Duca Lamberti, médecin déchu qui se reconvertit en détective privé en ne cessant pas de s'interroger sur les motivations qui poussent certains individus à commettre l'irréparable. Mais pour en revenir au commissaire Soneri, on retrouvera avec La Maison Du Commandant cette ambiance embrumée de la région de la bassa, la basse plaine d'un Pô en crue qui va révéler quelques secrets remontant à la Seconde Guerre Mondiale pour nous rappeler, par certains aspects, les paysages qui nous charmaient dans Le Fleuve Des Brumes.

     

    Le commissaire Soneri est l'un des rares policiers à connaitre la bassa, cette plaine gorgée de brume et d'eau en subissant régulièrement les débordements du Pô en crue. Outre des braquages de banque qui deviennent de plus en plus fréquents dans la région, le commissaire Soneri à fort à faire ceci d'autant plus que l'on découvre, partiellement immergé au bord du fleuve, le corps sans vie d'un pêcheur d'origine hongrois, tué d'une balle dans la tête. Et puis non loin de là c'est également le cadavre décomposé d'un ancien partisan que l'on retrouve dans sa maison où il vivait reclus. Des affaires en apparence sans lien qui trouveront peut-être leur origine autour d'une sombre histoire de trésor de guerre ou dans l'affrontement entre les autochtones et les pêcheurs venus de l'est. Sur fond de surexploitation des richesses que peut offrir le fleuve qui subit les rejets d'industriels sans scrupule, Soneri mesure le désarroi d'une population qui a perdu toutes ses illusions.

     

    Ancien journaliste, mais également professeur en philosophie, on perçoit tout au long de l'oeuvre de Valerio Varesi ces échanges philosophiques qui émaillent les rencontres du commissaire Soneri avec les protagonistes qui croisent son chemin. On le distingue tout particulièrement avec La Maison Du Commandant qui permet au policier de débattre sur la légitimité d'actions délictueuses dans un environnement étatique particulièrement corrompu. Ainsi au gré de ses discussion avec Nocio figure locale de cette région de la bassa ou de Carega, professeur à la retraite, le policier perçoit la détresse des habitants face à une situation environnementale dégradée qui va de pair avec un tissu économique sur le déclin. C'est donc autour de ce constat social désastreux que va s'articuler une enquête aux entournures troubles et marécageuses à l'image de cette région embrumée où le Pô s'épanche au gré des crues et décrues qui livrent quelques indices venant à point nommé pour Soneri qui dirige la grande partie de ses investigations par le biais de conversations téléphoniques avec ses adjoints qu'il dirige ainsi à distance tout en se déambulant sur les digues du fleuve en compagnie de la belle Angela avec qui il partage quelques repas savoureux au Stendhal, suivis d'étreintes à la fois passionnées et furtives. L'autre thème du roman aborde cette montée du fascisme incarné par de jeunes individus qui ont perdu leurs illusions en se tournant vers le repli sur soi et l'exclusion pour s'en prendre, entre autre, à ces pêcheurs venus de l'est qui ne respectent pas les normes imposées. Une injustice qui suscite incompréhension et fureur quand ce n'est pas le désarroi qui prend le pas sur ces sentiments contrastés. C'est également l'occasion pour Valerio Varesi d'évoquer une certaine désillusion dans les rangs des partisans, à l'image du commandant Manotti que l'on retrouve mort depuis plusieurs jours alors qu'il vivait reclus, abandonné de tous, dans une vieille demeure qui va livrer quelques secrets. 

     

    Nouvelle enquête mélancolique du commissaire Soneri, La Maison Du Commandant ne fait que confirmer le talent d'un auteur qui nous fascine à grand coup d'atmosphère embrumée et d'enquêtes tortueuses, révélant le malaise social qui mine cette attachante région de l'Emilie-Romagne tandis que le Pô draine le désespoir d'habitants désemparés.

     

     

    Valerio Varesi : La Maison Du Commandant (La Casa Del Commandante). Editions Agullo/Noir 2021. Traduit de l'italien par Florence Rigollet.

    A lire en écoutant : The Man Who Owns The Place de Balthazar. Album : Rats. 2012 Play it Again Sam PIARS.

  • WOJCIECH CHMIELARZ : LES OMBRES. ABUS DE POUVOIR.

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    Service de presse.

    A l'évocation des cycles de romans policiers, j'ai beaucoup de peine à dire que les ouvrages peuvent se lire indépendamment les uns des autres même si cela peut être effectivement le cas à l'exemple des livres de Valério Varesi narrant les enquêtes du commissaire Soneri se déroulant dans la région de Parme et de la plaine du Pô. Néanmoins, en lisant les romans dans l'ordre, on découvre l'évolution d'un personnage complexe ainsi que ses rapports avec la cité où il vit qui s'impriment dans le passé et plus particulièrement dans son enfance avec les liens qu'il entretenait avec son père. Avec ces éléments, on prend ainsi la mesure de son positionnement dans le cours des investigations qu'il mène et parfois de la frustration qu'il éprouve lorsqu'il se heurte à un adversaire insaisissable tel que la mafia qui gangrène la ville. Lire dans le désordre une série policière devient d'ailleurs un exercice de plus en plus difficile puisque l'on constate que de nombreux romanciers élaborent parfois, sur l'ensemble des différents volumes, une arche narrative dont il sera difficile de saisir les contours si l'on ne respecte par l'ordre chronologique des parutions à l'exemple de la série emblématique de l'auteur polonais Wojciech Chmielarz mettant en scène l'inspecteur Jakub Morkta, surnommé Le Kub. Dans ce cycle, l'auteur prend la peine d'intégrer le cadre familial de son personnage central ainsi que celui de son acolyte l'inspecteur Darius Kochan en mettant en lumière l'inquiétant processus des violences domestiques qui semble frapper durement la société polonaise. L'autre aspect de l'arche narrative du cycle réside dans la confrontation récurrente entre le Kub et le truand Borzestowski qui trouve sa conclusion dans Les Ombres, dernier volet de la série.

     

    Rien ne va plus pour l'inspecteur Darius Kochan, un mari violent qui a été mis au placard en traitant de vieilles affaires criminelles qui sont restées irrésolues. Comme si cela ne suffisait pas, il est désormais soupçonné d'avoir abattu la femme d'un gangster disparu depuis des années ainsi que sa fille. Il faut dire que l'on a retrouvé son arme de service sur les lieux du crime et que sa fuite fait office d'aveux. Acculé, le fugitif va demander de l'aide à son ancien partenaire, Jakub Mortka dit Le Kub qui croit en son innocence et décide de faire la lumière sur cette étrange affaire. De son côté La Sèche, adjointe du Kub, a mis la main sur la vidéo d'un viol collectif mettant en cause des politiciens de haut rang. Persuadée que cette affaire va être étouffée par sa hiérarchie, elle décide de mener ses investigations seule. Mais les difficultés s'enchainent et la policière décide de se confier au Kub qui va rapidement constater que les deux affaires sont liées avec l'implication de Borzestowski, son ennemi de toujours, qui règne sans partage sur la pègre de Varsovie.

     

    Dans Les Ombres, le récit débute là où s'achevait l'intrigue du roman précédent, La Cité Des Rêves, en révélant notamment le contenu d'une mystérieuse clé USB où est stockée une vidéo compromettante qui implique d'importants dignitaires du gouvernement s'adonnant à un viol collectif sur un jeune prostitué. C'est l'occasion pour La Sèche d'enquêter sur les arcanes du monde politique et de découvrir l'ampleur du trafic d'influence incarné autour du personnage de Wiesek qui fraie avec les politiciens véreux, mais également avec les flics corrompus et bien évidemment avec les truands représentés par l'inquiétant Borzestowski. Un monde opaque que Wojciech Chmielarz dépeint à la perfection par le prisme des investigations d'une tempétueuse enquêtrice au caractère bien trempé qui détonne au milieu des portraits de femmes battues, phénomène social que l'auteur s'emploie à dénoncer, tant le problème semble être latent dans son pays. L'autre aspect de l'intrigue tourne autour de l'exécution de trois truands, une vieille affaire que Darius Kochan avait remis au goût du jour en découvrant leurs corps enterrés dans un coin reculé de la campagne polonaise. Reprenant l'enquête à son compte, Le Kub va rapidement découvrir que son vieil ennemi Borzestowski est impliqué dans cette triple exécution qui a fait de lui le caïd de la pègre de Varsovie. Deux enquêtes parallèles que Wojciech Chmielarz met en scène au gré d'une narration maîtrisée et qui vont trouver des liens surprenants pour s'achever au détour d'une scène finale dantesque se déroulant dans les entrailles d'un ancien bunker truffé de souterrains. On oscille donc entre l'intrigue sociale dénonçant les dérives d'une société polonaise en plein essor et le récit d'action captivant qui va nous amener son lot de révélations, ceci jusqu'aux dernières pages du roman en clôturant brillamment une série de polars passionnants qui font un état des lieux sans concession de la Pologne.

     

    Avec Les Ombres, Wojciech Chmielarz signe donc l'achèvement d'une série de romans policiers brillants dont l'arche narrative trouve une conclusion détonante qui ne manquera pas de saisir les lecteurs les plus blasés. A lire sans modération.

     

    Wojciech Chmielarz : Les Ombres (Cienie). Editions Agullo 2021. Traduit du polonais par Caroline Raszka-Dewez.

    A lire en écoutant : Fiolkowe Pole de Sobel, Piotrek Lewandowski. Single. 2021 DEF JAM Recordings Poland.

  • Simone Buchholz : Nuit Bleue. Poudre de cristal.

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    Service de presse.

    Dans nos contrées francophones, je crois que l'on sous-estime beaucoup trop l'importance de la littérature noire en provenance des pays germanophones que l'on désigne sous le nom de Krimi (Krimalroman) et qui reste un genre extrêmement populaire que ce soit bien évidemment en Allemagne et en Autriche mais également en Suisse-allemande où seul Sunil Man, romancier zurichois, a bénéficié d'une traduction en français avec son détective Vijay Kumar qui se débat entre ses origines indiennes et sa nationalité helvétique. En France, on constate le même phénomène où les traductions restent dans le domaine de l'anecdotique. Mais pour en savoir plus sur le sujet du Krimi, il est possible de consulter le site Fondu au noir qui consacre tout un chapitre aux chroniques des polars en provenance de ces contrées germanophones ainsi qu'une exposition dédiée au thème. Si l'on observe d'ailleurs l'affiche consacrée à cette exposition, on découvrira qu'il s'agit du Davidwache, célèbre poste de police se situant à Hambourg. bleu nuit,éditions de l'atalanta,collection fusion,krimi,chastity rileyUne sacrée "coïncidence" lorsque l'on pense que Caroline de Benedetti et Emeric Cloche, composant une partie de l'équipe Fondu Au Noir, dirigent la nouvelle collection Fusion de la maison d'éditions L'Atalante qui est consacrée au polar en nous proposant en guise d'inauguration, Nuit Bleue, un roman de Simone Buchholz mettant en scène la procureure Chastity Riley officiant justement à Hambourg et plus particulièrement dans le quartier populaire de Sankt Pauli. Davantage orientée vers les genres de la SF et de la Fantaisy, la maison d'éditions renouvelle donc l'expérience du roman policier en succédant ainsi à Insomniaque et ferrovière qui était en sommeil depuis 2016.

     

    Trouvant le réconfort dans les bars de son quartier de Sankt Pauli à Hambourg, la procureure Chastity Riley partage ses déboires avec Carla, Rocco, Klatsche, Faller et Calabretta, ses amis de toujours, qui ne seront pas de trop pour l'aider à affronter ce monde du crime extrêmement glauque. Après avoir dénoncé son supérieur hiérarchique corrompu, on aurait pu s'attendre à ce qu'elle obtienne une promotion, mais dans la ville portuaire de Hambourg, les choses se passent autrement. Désormais reléguée dans un placard, la tempétueuse magistrate est affectée à la protection des victimes. Femme de caractère, elle préfère donc arpenter les rues de la ville et fréquenter ses partenaires policiers plutôt que ses collègues juristes, ceci d'autant plus qu'elle doit se rendre à l'hôpital pour traiter l'étrange dossier d'un inconnu laissé pour mort qui refuse de collaborer avec la police. A grand renfort de bières, de cigarettes et de currywurst, Chastity Riley va en apprendre plus sur cet étrange individu qui va l'entrainer sur la piste d'un truand albanais souhaitant inonder la ville avec de nouvelles drogues de synthèse particulièrement nocives. 

     

    En Allemagne, Simone Buchholz fait partie des grands noms de la littérature noire avec sa série de dix polars mettant en scène l'atypique procureure Chastity Riley officiant à Hambourg et vivant au coeur du quartier chaud de la cité où elle croise bon nombre de ses amis dont Faller, un vieux flic bourru et Klatsche, amant occasionnel de la magistrate et ancien délinquant qui s'est reconverti comme patron du Blaue Nacht où elle a ses habitudes en éclusant un nombre conséquent de bières avant de se rendre au stade pour soutenir son équipe favorite, le FC Sankt Pauli. Sixième roman de la série, Nuit Bleue marque le changement de maison d'éditions pour intégrer la prestigieuse Suhrkamp Verlag qui correspond à un éditeur tel que Gallimard, et dont la lecture pourra se révéler quelque peu déstabilisante avec une forme d'écriture à la fois audacieuse et originale à l'instar de ces rétrospectives de 1982 jusqu'à nos jours où l'on découvre par petites touches, par petites notes, les parcours des différents protagonistes du récit et même, sur la fin, le point de vue des truands sur qui Chastity Riley enquête. Loin d'être conventionnelle, l'intrigue s'articule donc autour de cette mystérieuse victime mutique que la magistrate doit apprivoiser afin de découvrir les raison qui l'ont conduite à l'hôpital pour s'orienter ensuite vers un trafic de drogue s'opérant entre la Tchéquie et Hambourg qui nous donne à voir un autre visage de l'Allemagne réunifiée. Ne s'embarrassant pas de détails superflus, ne s'accrochant pas au réalisme d'une enquête débridée, Simone Buchholz va donc à l'essentiel en captant brillamment le caractère de ses personnages mais en déclinant également une superbe ambiance à la fois glauque et attachante de sa ville de Hambourg qu'elle sait dépeindre avec la force de métaphores bien élaborées qui nous éloigne de la carte postale touristique pour nous livrer les recoins méconnus de la ville des autochtones dont le fameux port où se déroule la confrontation finale et le stade du quartier où l'on assiste à l'épilogue d'un récit fulgurant (le mot n'est pas galvaudé, bien au contraire). 

     

    Avec Nuit Bleue on appréciera donc cette nouvelle voix détonante et originale de Simone Buchholz qui est parvenue à créer une héroïne à la fois atypique et complexe qui officie dans la non moins détonante ville de Hambourg que l'on prend plaisir à parcourir en compagnie de la cohorte de personnages attachants qui accompagnent la procureure Chastity Riley. Une belle découverte.

     

     

    Simone Buchholz : Nuit Bleue (Blaue Nacht). Editions L'Atalante, collection Fusion 2021. Traduit de l'allemand par Claudine Layre.

    A lire en écoutant : Loreleï de Nina Hagen. Album : Angstlost. CBS Records 1983.

  • ADRIAN McKINTY : NE ME CHERCHE PAS DEMAIN. CHAMBRE CLOSE.

    ne me cherche pas demain,adrian mckinty,actes sud,actes noirs,sean duffyAvant qu'il ne connaisse le succès avec La Chaîne et qu'il rencontre enfin son public, Adrian McKinty, auteur natif de l'Irlande du Nord, a galéré pendant de nombreuses années en écrivant un nombre  considérable de romans policiers dont la série mettant en scène le sergent Sean Duffy affecté au sein de la police royal de l'Ulster. L'une des particularités de cette série réside dans le fait qu'elle marie l'enquête policière avec le contexte historique du pays durant la période des Troubles des années 80 où l'IRA luttait farouchement contre la présence des forces britanniques en Irlande du Nord. Premier titre de la série, Une Terre Si Froide nous présente donc cet inspecteur catholique travaillant dans une administration policière à majorité protestante, contraint de vérifier chaque matin s'il n'y a pas un engin explosif installé sous le châssis de sa voiture. Avec une tonalité chargée d'un certain humour noir, au gré de cette atmosphère particulière d'une guerre civile qui lamine le pays, on retrouvait l'inspecteur Sean Duffy dans un second opus intitulé Dans La Rue J'Entends Les Sirènes qui nous permet de saisir les affres de la situation économique d'une Irlande du Nord ravagée par le chômage, les émeutes et les attentats. Bien que de qualité, la série ne semble pas connaître le succès, raison pour laquelle la maison d'éditions Stock renonce à traduire les trois autres opus. Il aura donc fallut attendre près de sept ans pour connaître la suite des investigations du sergent Sean Duffy avec l'initiative d'Actes Sud qui nous propose, avec Ne Me Cherche Pas Demain, de retrouver cet enquêteur atypique qui vient de tomber en disgrâce et semble prêt à être renvoyé de l'institution policière qui l'emploie tandis que la guerre civile sévit de plus belle.

     

    En 1983, le sergent Sean Duffy est renvoyé du CID et patrouille désormais en uniforme dans la petite localité de Carrickfergus, non loin de Belfast. A la tête de son groupe, il doit progresser fusil au poing en évitant d'être la cible des tireurs d'élite de l'IRA. Mais Sean Duffy doit aussi affronter sa hiérarchie qui trouve finalement un prétexte fallacieux pour l'exclure des forces de l'ordre. Au même moment, à la prison de Maze où sont incarcérés les membres de l'IRA, c'est Dermot  McCann, ancien camarade de classe de Sean Duffy, devenu expert artificier pour l'IRA, qui parvient à s'évader et à déjouer les barrages de la police en devenant ainsi la cible prioritaire des services de renseignements britanniques. Afin de retrouver cet individu considéré comme dangereux, le MI5 décide d'extirper Sean Duffy de sa retraite forcée pour mettre tout en oeuvre afin de débusquer le fugitif. Pour cela, il devra résoudre une ancienne affaire de meurtre, classée comme un accident et qui a tous les aspects d'une énigme en chambre close. Une quête insidieuse qui le mènera du côté de Brighton afin de déjouer un attentat à l'encontre du Premier ministre britannique, Margaret Tatcher.

     

    Doté d'un solide sens de la répartie et d'un humour grinçant, on prend un réel plaisir à retrouver le sergent Sean Duffy, ceci d'autant plus qu'il possède également une grande et excellente culture littéraire et musicale qu'il nous fait partager au gré de ses nombreuses introspections. On apprécie d'autant plus la démarche que l'ensemble de la série se déroule durant la période faste des années 80 et qu'elle nous permet de nous remémorer quelques morceaux et albums populaires de l'époque. Homme solitaire, Sean Duffy se caractérise bien évidemment dans son positionnement atypique au cours de cette guerre civile où, bien que catholique, il a choisi de lutter contre l'IRA en s'engageant au sein du RUC (Royal Ulster Constabulary) une force de police à prédominance protestante. Si la démarche n'est pas indispensable, il est tout de même recommandé de lire les deux premiers romans afin de mieux saisir tous les aspects de la personnalité de Sean Duffy et surtout les raisons de sa disgrâce qui ont fait en sorte qu'il soit  renvoyé du service des enquêteurs (CID) pour être affecté aux patrouilles en uniforme, activité extrêmement risquée durant cette période de guerre civile. Ainsi Ne Me Chercher Pas Demain, dont le titre fait référence à une chanson de Tom Waits, comme d'ailleurs tous les romans de la série, débute en nous immergeant dans le nouveau travail de Sean Duffy qui consiste à patrouiller en véhicule blindé et à effectuer des sorties en formation de tirailleur afin de ne pas être pris pour cible par une population hostile et plus particulièrement par les tireurs embusqués de l'IRA. Adrian McKinty nous donne ainsi un impressionnant aperçu du quotidien de cette force de police dont le personnel vit retranché dans des commissariats qui font régulièrement l'objet d'attentats comme on le découvrira d'ailleurs au cours de ce récit.

     

    Ne Me Cherche Pas Demain débute également avec l'évasion de prisonniers de l'IRA de la tristement célèbre prison de Maze et va se focaliser autour de l'attentat de Brighton qui s'est réellement déroulé en 1984 en prenant pour cible Margaret Tatcher qui présidait un rassemblement de son parti politique de l'époque. L'enjeu du récit consiste donc dans une traque que doit effectuer Sean Duffy pour débusquer Dermot McCann, un ancien ami et camarade de classe qu'il appréciait. Sans trop abuser du procédé, Adrian McKinty illustre donc l'aspect tragique de ce conflit fratricide qui opposait les membres d'une communauté catholique qui apparaît plutôt divisée à l'instar de Mary Fitzpatrick qui n'hésite pas à balancer son ex gendre à la condition que l'on fasse l'éclairage sur la mort de sa fille Lizzie. C'est l'autre aspect du récit qui consiste pour Sean Duffy à résoudre une affaire mystérieuse avec un meurtre en chambre close qui va lui donner du fil à retordre. On suit donc ainsi un récit passionnant où investigations et suspense font bon ménage au gré d'une intrigue dont le dénouement va se révéler plutôt explosif avec une confrontation entre deux "frères ennemis" que tout oppose désormais.

     

    Troisième volume de la série, Ne Me Cherche Pas Demain comblera donc toutes les attentes d'un lectorat impatient de découvrir la suite des aventures du sergent Sean Duffy. Une attente de sept ans qui en valait bien la peine. 

     


    Adrian McKinty : Ne Me Cherche Pas Demain (In The Morning, I'll Be Gone). Editions Actes Sud/Actes noirs 2021. Traduit de l'anglais (Irlande du Nord) par Laure Manceau.

    A lire en écoutant : I'll Be Gone de Tom Waits. Album : Frank's Wild Years. 1987 The Islands Def Jam Music Group.