SEBASTIEN VIDAL : DE NEIGE ET DE VENT. RECLUS.
On dira bien ce que l'on voudra des prix littéraires, dont certains d'entre eux font l'objet de polémiques avec des suspicions de collusions et de favoritisme, il n'en demeure pas moins qu'ils projettent, tous autant qu'ils sont, un éclairage bienvenu tant sur la sélection que sur le récipiendaire permettant ainsi de faire basculer le destin d'un livre et de son auteur. Avec l'émergence des centres culturels Leclerc, son dirigeant, grand opposant du prix unique du livre, créait en 2008 le prix Landerneau, du nom de sa commune d'origine, se concentrant tout d'abord sur la littérature blanche, jusqu'à ce que d'autre genres apparaissent quatre ans plus tard, à l'instar du prix Landerneau polar qui est l'un des premiers événements importants de l'année célébrant la littérature noire. Parmi les lauréats figurent quelques figures imposantes du roman policier ou du roman noir telles que Hervé Le Corre, Sandrine Collette, Colin Niel, Gwenaël Bulteau ainsi que l'ancien policier Hugues Pagan. Pour l'année 2024, c'est Sébastien Vidal, un autre membre des forces de l'ordre, au sein de la gendarmerie cette fois où il a officié durant 24 ans, qui obtient le prix Landerneau polar avec De Neige Et De Vent publié auprès de la maison d'éditions indépendante Le Mot et le Reste qui a déjà édité deux autres de ses romans Ca Restera Comme Une Lumière (Le Mot et le Reste 2021) et Où Reposent Nos Ombres (Le Mot et le Reste 2022). Il est également l'auteur d'une trilogie mettant en scène l'adjudant de gendarmerie Walter Brewski enquêtant dans la région de la Corrèze où le romancier a d'ailleurs élu domicile, ce qui explique sans doute cette prédominance aux ambiances rurales qui imprègnent l'ensemble de son œuvre et plus particulièrement De Neige Et De Vent dont la magnificence du cadre hivernal se situe à la frontière naturelle que forme les Alpes entre la France et l'Italie.
Dans cette région reculée des Alpes, le village de Tordinona constitue la dernière localité avant le col conduisant vers l'Italie et qu'empruntent Victor Pasquinel, travailleur itinérant accompagné de son chien Oscar. Tant bien que mal, ils se frayent un chemin dans cette accumulation de neige tandis qu'une tempête s'abat sur la région les contraignant à trouver refuge dans l'unique café du village. Au même moment, le garde champêtre découvre le corps sans vie de la fille du maire ce qui suscite un regain d'émotion tandis que la bourgade se retrouve soudainement coupé du monde, suite à une avalanche qui emporte le pont, unique voie d'accès vers la vallée. Marcus et Nadia, composant la patrouille de gendarmerie également bloquée dans la localité, vont devoir s'interposer pour empêcher les habitants bien décidés à faire justice eux-mêmes en s'en prenant à ce voyageur égaré qu'ils considèrent comme le meurtrier tout désigné. Sous la conduite du maire, les hommes armés vont donc assiéger la mairie, où Nadia, Marcus et Victor ont trouvé refuge, en employant tous les moyens pour les déloger. S'ensuit un rapport de force de plus en plus tendu jusqu'à l'inévitable confrontation qui va faire parler la poudre. Sera-t-il possible alors possible de faire marche arrière et de revenir à la raison au sein de cet environnement à la fois hostile et isolé où la loi n'a plus cours ?
Il faut se féliciter de cette mise en avant providentielle d'un roman tel que De Neige Et De Vent nous permettant ainsi d'apprécier l'écriture somptueuse de Sébastien Vidal, possédant l'indéniable talent, pas si évident que cela, de décliner une histoire d'une belle intensité en conjuguant l'introspection de ses personnages avec la description subtile de paysages rudes qui les entoure et dont l’ensemble est entrecoupé d'une succession de confrontations aussi vives que brutales s'inscrivant dans un registre extrêmement réaliste. D'entrée de jeu, le romancier pose le cadre de cette oppression hivernale au gré d'une tempête de neige s'abattant sur cette localité de Tordinona dont le nom fait certainement référence à cet ancien quartier de Rome abritant une prison avant que l'on y bâtisse le premier théâtre public de la cité. Et c'est bien ce qui apparaît au détour de cette dramaturgie aux allures de western contemporain se déroulant dans cet environnement à la fois majestueux et sans issue présentant ainsi l'aspect d'une prison à ciel ouvert. A partir de là, émerge du texte une force évocatrice troublante, imprégnée parfois d'une note poétique nous permettant de saisir immédiatement cette ambiance à la fois âpre et puissante qui plane sur l'ensemble du récit. Il y est donc bien évidemment question de nature, mais également de nature humaine avec tout ce qu'elle a de plus atavique autour de cette communauté repliée sur elle-même n'acceptant pas la différence et observant d'un très mauvais oeil celles et ceux qui n'appartiennent pas à leur monde à l’instar du maire Basile Gay, figure toute-puissante du village et incarnation des dérives et de la folie qui embrasent les habitants dès lors que la colère les submerge à la suite du drame qui le touche. Entre chagrin et fureur, on apprécie le caractère nuancé du personnage dont on découvre le désarroi lorsqu’on le retrouve dans l’intimité de la chambre de sa fille désormais disparue à se remémorer quelques souvenirs épars tout en distillant sa haine de l’étranger et également de l’autorité qui entend se mettre sur son chemin de justicier vengeur. Ainsi, Sebastien Vidal, bâtit une intrigue aussi classique que solide où les événements s’enchainent dans une escalade d'affrontement mettant en scène Victor, cet homme de passage, dont le profil présente quelques similitudes avec son auteur et plus particulièrement sur le sujet de l’écriture, tandis que les deux jeunes gendarmes que sont Nadia et Marcus évoquent sans nul doute quelques réminiscence de son ancien métier au sein des forces de l’ordre avec cet idéal et les valeurs qui en découlent. Mais au-delà, de ces nobles sentiments, il y a la violence et les doutes qui jaillissent et ceci plus particulièrement pour Marcus s’interrogeant sur le sens de la mission et sur sa capacité à l’accomplir en surmontant l’adversité. Il en va de même pour ce mystérieux vétéran qui voit dans cette flambée de violence, l’occasion de protéger les plus faibles ce qu’il n’a pas forcément eu à faire lorsqu’il était engagé sur les conflits. Tout cela, Sébastien Vidal l’intègre au gré d’un récit au lyrisme dynamique, qui nous questionne en permanence sur notre rapport à l’autre dans un contexte où les règles n’ont plus cours en libérant ainsi la part sauvage de l’homme, que ce soit pour le meilleur et pour le pire.
Sébastien Vidal : De Neige Et De Vent. Editions Le Mot et le Reste 2024.
A lire en écoutant : Neve (Versione Integrale) d'Ennio Morricone. Album : Quentin Tarantino's The Hateful Eight (Original Motion). 2015 Cine-Manic Productions Limited.

Depuis quelques années on observe une résurgence du western, genre littéraire populaire par excellence, dont les premiers récits de conquête et de bravoure ont contribué à l’essor du rêve américain avant que ne débarquent dans les années 70, des auteurs s’ingéniant à démystifier cette épopée sanglante en révélant un contexte historique beaucoup moins glorieux. Ainsi par le biais d’une ligne éditoriale davantage orientée sur le réalisme de cette époque, on découvre avec les éditions Gallmeister des auteurs comme Glendon Swarthout (
Avec Léman Noir, recueil rassemblant des nouvelles d'auteurs romands confirmés, Marius Daniel Popescu est sans doute l'un des acteurs qui a contribué à l'essor de la littérature noire en Suisse Romande. Ecrivain et poète, il est également le fondateur en 2004 du journal littéraire Le Persil, lui permettant de diffuser ses textes, mais qui devient rapidement la tribune libre des auteur novices et confirmés de la Suisse romande.
toujours pour l'auteur de
Dans ce même numéro, on appréciera Le Cortège d'Olivier Beetschen, fulgurante nouvelle évoquant l'enterrement du Général Guisan où l'événement rassemblant tout un peuple oscille subtilement entre faits historiques, souvenirs d'enfance et critique sociale d'un pays où l'on est amené, l'air de rien, à courber l'échine. Auteur d'une trilogie policière aux accents surnaturels se déclinant avec La Dame Rousse (L'âge d'Homme 2017),
Nouvelle venue au sein du journal Le Persil, on découvre également Le Chien, un récit d'Emmanuelle Robert, l'une des révélation de la littérature noire helvétique avec Malatraix (Editions Slatkine 2021) et Dormez En Peilz (Editions Slatkine 2023). La nouvelle s'articule autour d'une jeune fille composant avec la garde partagée de ses parents divorcés et qui intègre un nouveau quartier tout en soupçonnant ses voisins de maltraitance animale. A noter qu'Emmanuelle Robert sera l'une des invitées du 27ème Festival International du Roman Noir à Frontignan plus communément désigné sous l'appellation emblématique de FIRN désignant l'un des grands événements du polar en France.
Et puisque l'on parle du FIRN, vous y croiserez peut-être la silhouette massive d'Yves Ours Koskas en quête d'auteurs et de romancières à ramener dans le giron de sa maisonnette d'éditions Ours Editions qui publie des textes courts sous forme de livres fait maison, cousu-main, avec une impression en reprographie et dont les cahiers sont pliés et repliés soigneusement à la main. L'autre particularité d'Ours Editions est de privilégier les écrivains qui conservent la propriété de leur texte dès la publication, tout en obtenant la moitié du montant de la vente de leur ouvrage. Dernier point important, et non des moindres, les récits qu'Ours publie sont tous formidables et vous pouvez les découvrir sur son site
Au sein de la maison d'éditions vous trouverez Les Fatals En Concert, le récit Tête-Bêche de Stéphanie Glassey, romancière du remarquable
Avec En Campagne, sublime récit surréaliste de Séverine Chevalier, la romancière nous donne la sensation de survoler cette fameuse "ruralité" que l'on semble affectionner mais qui disparaît peu à peu, par vague, tandis que dans les rayons d'un supermarché Marie-Line et ses amies remplacent les produits des rayons par des pierres incarnant peut-être le poids de cette absurdité qui régit le monde, notre monde qui s'efface. Il y a toujours cette musique harmonieuse chez Séverine Chevalier ponctuée de ces grincements perturbant des intrigues d'une rare intensité telles que
Il baigne dans le polar depuis toujours avec des récits âpres se déroulant, pour la plupart, dans un environnement rural et qu'il publie auprès de petites maison d'éditions indépendantes comme in8, Caïrn et Caïmans pour son dernier roman Bad Run. A la lecture, de Tu M'As Bien Vu ! texte court, aussi rude que cinglant qui vous percute dès la première ligne et vous achève sur une dernière phrase à l'impact mortel, il y a cette interrogation qui flotte dans l'air : Qu'est-ce que j'attends pour lire les autres romans noirs de Jérémy Bouquin ?
Il vaut mieux en rire qu'en pleurer, ou peut-être faire les deux lorsque l'on lit les romans de Sébastien Gendron où le côté déjanté de ses intrigues ne fait que mettre en exergue l'absurdité de notre société à l'instar de Fin De Siècle (Série Noire 2022) dystopie sanglante et cruelle, de Camping Paradis (Série Noire 2022) aux allures de western rural ou de son dernier roman
Si cela ne suffit pas, vous trouverez également chez Ours Editions un texte de Michèle Pedinielli revisitant brillamment Kafka d'une manière singulière avec A L'Envers où un cafard se rend compte de bon matin, à son grand désarroi, qu'il a intégré le corps de Gregor Samsa, propriétaire de la chambre. Critique sociale par excellence, le récit vire au fait divers sanguinolent avec un ultime clin d'oeil à un autre ouvrage du romancier austro-hongrois. Comme toujours, il y a cette tonalité mordante que l'on retrouve dans l'ensemble des romans de Michèle Pedinielli, se déclinant autour des enquêtes de l'emblématique détective privée niçoise, Ghjulia Boccanera avec laquelle on fait connaissance dans