JURICA PAVIČIĆ : MATER DOLOROSA. AFFAIRE DE FAMILLE.
Service presse.
Ça va bien plus loin que cela. Si l'on dit de lui qu'il est le premier auteur de roman policier croate traduit en français, il importe de souligner que Jurica Pavičić fait partie des grands écrivains que l'on a découvert durant ces cinq dernières années et qu'il se joue allègrement des codes de la littérature noire pour transcender les genres. Et c'est peu dire que L'Eau Rouge (Agullo 2021), son premier roman paru en France chez Agullo, a connu un certain retentissement en obtenant notamment quatre des grands prix célébrant le polar tout en suscitant un certain enthousiasme auprès des lecteurs découvrant l'histoire de la Croatie contemporaine au gré d'une fresque sociale prenant parfois des allures historiques. Plus intimiste, La Femme Du Deuxième Etage (Agullo 2022) se déclinait autour d'un fait divers se déroulant à Split, ville où Jurica Pavičić a toujours vécu en travaillant également comme scénariste et journaliste lui permettant de dépeindre les grands changements qui se sont opérés dans la région que ce soit la chute du communisme, le démantèlement industriel, la guerre qui a déchiré le pays ainsi que le sur-tourisme de cette côte dalmate très prisée. On retrouve d'ailleurs tous ces thèmes dans son oeuvre et plus particulièrement celui de la guerre qui résonne de près ou de loin dans les différentes nouvelles rassemblées dans Le Collectionneur De Serpents (Agullo 2023). Mais au-delà de ces sujets qu'il aborde avec une redoutable acuité, c'est cette capacité à se fondre dans l'intimité de ses personnages qui caractérise le style de Jurica Pavičić déclinant, dans la banalité du quotidien, une impressionnante tension que l'on va ressentir tout au long de la lecture de Mater Dolorosa nous permettant de nous immerger dans l'envers du décor de la ville de Split, bien éloignée de la carte postale touristique.
L'automne 2022, comme chaque année, marque la fin de la saison touristique à Split, même si quelques voyageurs s'attardent encore sur les quais ou dans les ruelles de vieille ville. Réceptionniste à la Split Heritage Résidence, Ines Runjic en voit défiler un certain nombre en dispensant ses conseils pour agrémenter leur séjour. Et à chaque fin de service elle retourne dans sa banlieue sans fard pour retrouver sa mère Katja qui s'occupe du foyer tout en travaillant comme femme de ménage au sein d'une clinique, ainsi que son jeune frère Mario, totalement désœuvré. De son côté, Zvone vit avec son père Sinisa, un vétéran de la guerre des Balkans. En tant qu'officier de police prometteur, il se voit confier l'enquête sur le meurtre de Viktorija, une jeune fille de 17 ans dont on a retrouvé le corps dans le hangar d'une usine désaffectée. L'affaire fait grand bruit, ce d'autant plus que la victime est la fille d'un éminent notable de la ville et que les circonstances de sa mort vont secouer toute la communauté et plus particulièrement Ines et sa famille.
Ce qui est vraiment impressionnant avec Mater Dolorosa, c'est ce naturalisme qui imprègne l'ensemble d'un texte oscillant entre le roman noir et le roman policier en prenant même parfois l'allure d'un thriller tant l'intrigue est chargée en tension. Et si l'on a une idée de l'identité du meurtrier, Jurica Pavičić instille le doute en permanence tout en se concentrant essentiellement sur les rapports complexes entre les membres d'une famille au travers des non-dits, des rancœurs et bien évidemment de cette affection, voire même de cet amour atavique qui unit chacun d'entre eux. C'est dans ce registre que s'inscrit cette tension entre Ines, sa mère Katja et son frère Mario tandis que les deux femmes découvrent dans les médias les circonstances d'un crime sordide qui vont les marquer durablement. Et il faut dire que l'auteur croate s'y entend pour mettre en place un récit d'un redoutable habilité où chaque détail compte que ce soit la grande réunion familiale en campagne dans le domaine du grand-père, admirablement décrite, le poids de la religion et de la culpabilité pesant sur les épaules de Katja, les rapports qu'Ines entretient avec son amant marié, ou l'indifférence crasse de Mario face aux événement qui secouent la ville de Split. Ainsi, on prend la mesure des démarches entreprises pour protéger ses proches et de la lente dissolution des bonnes résolutions de principe cédant le pas à cette volonté farouche de se soustraire aux investigations de la police pouvant impliquer l'un des siens. Mais dans un contrepoint subtil, Jurica Pavičić nous donne à voir également, sous une forme extrêmement réaliste, les démarches de l'enquête policière conduite par l'officier de police Zvone et le regard qu'il porte sur ses partenaires dérogeant au cadre légal pour impliquer le suspect dans cette affaire de viol et de meurtre d'une jeune victime dont ils souhaitent venir à bout quel qu'en soit le prix. A partir de là, l'ambivalence de la famille fait écho à l'ambivalence policière dans un concert narratif admirable qui résonne avec une magistrale justesse. Tout cela se décline dans l'atmosphère mélancolique d'une ville de Split s'étiolant dans la torpeur d'une saison automnale vidant ses rues du centre-ville dépourvue de touriste tandis que les grands ensembles des quartiers avoisinants rassemblent une communauté croate encore marquée par son passé tumultueux dont certain peine à se remettre à l'instar du père de Zvone, un invalide de guerre qui n'a plus que ses sorties en mer à bord de son petit canot pour le raccrocher à une morne existence. Et comme à l'accoutumée, on découvre avec Mater Dolorosa toute la richesse d'une intrigue d'une rare maîtrise se conjuguant avec l'intensité de personnages inoubliables nous permettant d'appréhender les moindres aspects d'une société croate tout en complexité que Jurica Pavičić restitue avec une effarante justesse, marque de fabrique d'un auteur au talent incontestable.
Jurica Pavičić : Mater Dolorosa (Mater Dolorosa). Editions Augullo/Noir 2024. Traduit du croate par Olivier Lannuzel.
A lire en écoutant : Stabat Mater de Giovanni Battista Pergolesi. Album : Stabat Mater. Claudio Abbado, London Symphony Orchestra. 1985 Deutsche Grammophon GmbH, Berlin.

Avec Léman Noir, recueil rassemblant des nouvelles d'auteurs romands confirmés, Marius Daniel Popescu est sans doute l'un des acteurs qui a contribué à l'essor de la littérature noire en Suisse Romande. Ecrivain et poète, il est également le fondateur en 2004 du journal littéraire Le Persil, lui permettant de diffuser ses textes, mais qui devient rapidement la tribune libre des auteur novices et confirmés de la Suisse romande.
toujours pour l'auteur de
Dans ce même numéro, on appréciera Le Cortège d'Olivier Beetschen, fulgurante nouvelle évoquant l'enterrement du Général Guisan où l'événement rassemblant tout un peuple oscille subtilement entre faits historiques, souvenirs d'enfance et critique sociale d'un pays où l'on est amené, l'air de rien, à courber l'échine. Auteur d'une trilogie policière aux accents surnaturels se déclinant avec La Dame Rousse (L'âge d'Homme 2017),
Nouvelle venue au sein du journal Le Persil, on découvre également Le Chien, un récit d'Emmanuelle Robert, l'une des révélation de la littérature noire helvétique avec Malatraix (Editions Slatkine 2021) et Dormez En Peilz (Editions Slatkine 2023). La nouvelle s'articule autour d'une jeune fille composant avec la garde partagée de ses parents divorcés et qui intègre un nouveau quartier tout en soupçonnant ses voisins de maltraitance animale. A noter qu'Emmanuelle Robert sera l'une des invitées du 27ème Festival International du Roman Noir à Frontignan plus communément désigné sous l'appellation emblématique de FIRN désignant l'un des grands événements du polar en France.
Et puisque l'on parle du FIRN, vous y croiserez peut-être la silhouette massive d'Yves Ours Koskas en quête d'auteurs et de romancières à ramener dans le giron de sa maisonnette d'éditions Ours Editions qui publie des textes courts sous forme de livres fait maison, cousu-main, avec une impression en reprographie et dont les cahiers sont pliés et repliés soigneusement à la main. L'autre particularité d'Ours Editions est de privilégier les écrivains qui conservent la propriété de leur texte dès la publication, tout en obtenant la moitié du montant de la vente de leur ouvrage. Dernier point important, et non des moindres, les récits qu'Ours publie sont tous formidables et vous pouvez les découvrir sur son site
Au sein de la maison d'éditions vous trouverez Les Fatals En Concert, le récit Tête-Bêche de Stéphanie Glassey, romancière du remarquable
Avec En Campagne, sublime récit surréaliste de Séverine Chevalier, la romancière nous donne la sensation de survoler cette fameuse "ruralité" que l'on semble affectionner mais qui disparaît peu à peu, par vague, tandis que dans les rayons d'un supermarché Marie-Line et ses amies remplacent les produits des rayons par des pierres incarnant peut-être le poids de cette absurdité qui régit le monde, notre monde qui s'efface. Il y a toujours cette musique harmonieuse chez Séverine Chevalier ponctuée de ces grincements perturbant des intrigues d'une rare intensité telles que
Il baigne dans le polar depuis toujours avec des récits âpres se déroulant, pour la plupart, dans un environnement rural et qu'il publie auprès de petites maison d'éditions indépendantes comme in8, Caïrn et Caïmans pour son dernier roman Bad Run. A la lecture, de Tu M'As Bien Vu ! texte court, aussi rude que cinglant qui vous percute dès la première ligne et vous achève sur une dernière phrase à l'impact mortel, il y a cette interrogation qui flotte dans l'air : Qu'est-ce que j'attends pour lire les autres romans noirs de Jérémy Bouquin ?
Il vaut mieux en rire qu'en pleurer, ou peut-être faire les deux lorsque l'on lit les romans de Sébastien Gendron où le côté déjanté de ses intrigues ne fait que mettre en exergue l'absurdité de notre société à l'instar de Fin De Siècle (Série Noire 2022) dystopie sanglante et cruelle, de Camping Paradis (Série Noire 2022) aux allures de western rural ou de son dernier roman
Si cela ne suffit pas, vous trouverez également chez Ours Editions un texte de Michèle Pedinielli revisitant brillamment Kafka d'une manière singulière avec A L'Envers où un cafard se rend compte de bon matin, à son grand désarroi, qu'il a intégré le corps de Gregor Samsa, propriétaire de la chambre. Critique sociale par excellence, le récit vire au fait divers sanguinolent avec un ultime clin d'oeil à un autre ouvrage du romancier austro-hongrois. Comme toujours, il y a cette tonalité mordante que l'on retrouve dans l'ensemble des romans de Michèle Pedinielli, se déclinant autour des enquêtes de l'emblématique détective privée niçoise, Ghjulia Boccanera avec laquelle on fait connaissance dans
Franchement, à bien y réfléchir, il faut bien admettre que mes connaissances sont plutôt lacunaires pour tout ce qui concerne la littérature noire hispanique et ses auteurs emblématiques comme Manuel Vázquez Montalbán dont je n'ai lu aucun de ses innombrables romans mettant notamment en scène le fameux détective privé Pepe Carvalho dont il faudra bien que je découvre un jour ses enquêtes entrecoupées de repas pantagruéliques. Ma première incursion dans ces contrées, je la dois à Victor Del Arbol évoquant les réminiscences de la guerre civile d'Espagne avec son premier roman, La Tristesse Du Samouraï (Actes Noirs 2012). Et puis débarque J'ai Été Johnny Thunder de Carlos Zanon que l'on peut considérer comme un roman noir culte publié chez Asphalte Editions grand pourvoyeur d'auteurs issus d'Amérique du Sud et d'Espagne bien sûr, à l'instar d'Andreu Martin et de sa fameuse Société Noire (Asphalte 2016). On peut également se remémorer Monteperdido (Actes Noirs 2017), premier polar marquant d'Augustìn Martìnez nous entrainant dans les entrelacs des rapports complexes entre les habitants d'un village niché au creux du massif des Pyrénées. Si le polar hispanique trouve sa place au sein de nos régions francophones, on constate que son essor n'a pas de comparaison avec la déferlante du polar nordique et anglo-saxon comme l'illustre parfaitement la collection Série Noire recelant une trentaine d'ouvrages d'auteurs espagnols dont La Face Nord Du Cœur (Série Noire 2021) de Dolores Redondo Meira se révélant être un préquel de la fameuse trilogie de la Vallée du Baztan, se déroulant dans la région de la Nouvelle-Orléans avec une enquêtrice espagnole sur la trace d'un tueur en série. Dans un registre totalement différent, en prenant pour cadre la province rurale de Guadalajara où il vit, on saluera l'arrivée de Marto Pariente au sein de la collection avec La Sagesse De L'Idiot, véritable souffle nouveau pour un récit explosif aux tonalités à la fois âpres et désopilantes nous rappelant, pour certains aspects, Pottsville, 1280 Habitants (Rivages/Noir 2016) de Jim Thompson.