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  • Jérôme Leroy : La Petite Gauloise / La Petite Fasciste. La fin des temps.

    jérôme leroy,la manufacture de livres,la manu,la petite fasciste,la petite gauloise,éditions folioMaison d'éditions indépendante fondée et dirigée par Pierre Fourniaud, La Manufacture de livres s'enorgueillit désormais d'une collection un peu à part, intitulée La Manuf qui se consacre de manière plus marquée aux romans noirs et pour être plus précis à ce courant du néo-polar initié par des romanciers tels que Jean-Patrick Manchette et Jean-François Vilar et dans lequel se sont engouffrés des écrivains comme Thierry Jonquet, Jean Vautrin, ADG et Frédéric H. Fajardie pour n'en citer que quelques-uns qui sont parfois un peu trop vite oubliés. Héritier de ce mouvement littéraire dont il a côtoyé certains membres, il était évident que ce soit Jérôme Leroy qui inaugure cette collection lui qui a déjà publié deux romans noirs au sein de cette maison d'éditions, dont Les Derniers Jours Des Fauves (La manufacture de livres 2022), ouvrage remarquable et remarqué s'inscrivant dans une espèce de "comédie humaine" que Balzac n'aurait pas reniée. Il faut dire qu'avec le roman Le Bloc, paru en 2011 dans la collection Série Noire et qui lui a valu une certaine notoriété, Jérôme Leroy débute une sorte de grande  fresque sociale de la France de demain qui s'articule autour de l'émergence du Bloc Patriotique, un parti d'extrême-droite fictif arrivant aux porte du pouvoir et dont la structure ressemble furieusement au Front/Rassemblement National. A partir de là, on observe cette déliquescence du pouvoir politique, sur fond d'un dérèglement climatique de plus en plus prégnant accentuant cette sensation d'effondrement qui émane des textes que l'auteur a écrits par la suite, tels que La Petite Gauloise ou Les Derniers Jours Des Fauves et bien évidemment La Petite Fasciste où transitent les personnages avec une importance qui diffère en fonction des circonstances des différents récits qui s'inscrivent dans une dimension de roman noir aux entournures poétiques. Car outre son activité de romancier, cet ancien professeur de français, qui a exercé dans les zones prioritaires de Roubaix, a publié plusieurs recueils de poésie ainsi que des romans pour la jeunesse et s'est même essayé au scénario en collaboration avec Lucas Belvaux qui a adapté son roman Le Bloc en réalisant ainsi Chez Nous avec, dans le rôle principal, la regrettée Emilie Dequenne. Pour les personnes naïves, un brin écervelées, on dira que l’ensemble des romans de Jérôme Leroy prennent une allure dystopique alors que le terme anticipation semble tout de même plus approprié pour ce qui apparaît davantage comme une scénario probable dans le contexte d’une actualité où la montée de l’extrémisme de droite n’a plus rien d’une fiction.

     

    jérôme leroy,la manufacture de livres,la manu,la petite fasciste,la petite gauloise,éditions folioLa Petite Gauloise.
    Poursuivi dans les dédales de la cité d'une grande ville de l'ouest de la France, par une bande de djihadistes qui ont abattu sa source à coup de rafales de Kalachnikov, le capitaine Mokrane Méguelati pensait s'en tirer à la vue d’un équipage de la police municipale rappliquant sur les lieux mais qui ne trouve rien de mieux que de le descendre froidement d'un coup de fusil à pompe dans la tête. Il faut dire que dans cette municipalité tenue par le Bloc Patriotique, on n'aime pas trop les arabes qui agitent une arme à feu, fussent-ils affiliés à la Police Nationale. La bavure est d'autant plus regrettable que cet officier détenait des informations quant à l'imminence d'un attentat d'envergure dans cette région en effervescence. Et tandis que Le Combattant, chef du groupuscule terroriste, semble prêt à en découdre avec les sections de l'anti-terrorisme bien décidées à l'éliminer, les banlieues s'embrasent dans une succession d'émeutes alors que La Petite Gauloise attend son heure pour agir dans ce contexte explosif. Autant dire que ça va saigner. 

     

    C'est aussi bref que cinglant, en s'inscrivant dans un registre subversif qui se décline au gré d'une narration omnisciente aux tonalités ironiques, parfois même sarcastiques permettant de conjuguer cette thématique sombre du nihilisme jusqu'au-boutiste sous l'éclairage d'un texte d'une drôlerie mordante qui vise toujours juste. La Petite Gauloise débute sur le chapeaux de roue avec une scène de fusillade intense qui va vous plonger en apnée dans le déferlement d'une violence singulière sans vous laissez le temps de reprendre votre souffle tout en posant le contexte d'une climat délétère où une jeune femme, surnommée La Petite Gauloise, manoeuvre en côtoyant une mouvance djihadiste qu'elle manipule pour arriver à son but qui est d'exprimer tout le mal qu'elle pense du monde qui l'entoure. Tout cela se met en place au rythme expéditif d'une mise en scène d'une redoutable efficacité que Jérôme Leroy déploie également dans le huis-clos de l'Algeco d'un lycée en chantier dans lequel évolue quelques personnages déroutants à l'instar de Flavien Dubourg, ce professeur puceau peinant à maîtriser ses élèves plus que dissipés et qui espère bien avoir une ouverture avec la romancière Alizé Lavaux qu'il a invitée dans le cadre de son cours de français. Et autant dire que le romancier s'en donne à coeur joie avec ces deux protagonistes exerçant les mêmes métiers que lui et qui connaît donc bien ce climat scolaire qu'il restitue avec une certaine justesse au détour de la réaction parfois surprenante de certains élèves qui vont nous entraîner dans un répertoire de plus en plus tendu rappelant à certains égards un récit tel que Les Enfants Du Massacre de Giorgio Scerbanenco. Portrait au vitriol d'une société française qui se délite dans le contexte de ses convictions extrêmes, La Petite Gauloise est un roman noir aux allures de rouleau compresseur laissant apparaître la puissance du désarroi d'individus qui ne comprennent plus du tout le monde qui les entoure et qui sont bien décidés à l'éradiquer dans un déferlement d'une violence cathartique. 

     

    jérôme leroy,la manufacture de livres,la manu,la petite fasciste,la petite gauloise,éditions folioLa Petite Fasciste.
    Francesca Crommelynck, surnommée La Petite Fasciste, aime Jugurtha Aït-Ahmed, un jeune arabe qu'elle côtoie depuis l'enfance mais qui ne cadre pas vraiment dans l'environnement familial  dans lequel elle évolue. On en est pas à une contradiction près dans cette région de la Flandres où le climat politique instable profite au Bloc Patriotique ainsi qu'au Bouclier un groupuscule d'extrême-droite érigeant la violence comme un art de vivre et que la jeune femme fréquente assidument. C'est donc à coup de tonfa sur des gauchistes indigents que la militante identitaire exprime sa rage après avoir perdu son amant ainsi que son frère Nils en pensant ne plus rien avoir à perdre. Mais pourtant le coup de foudre survient lors de la rencontre fortuite avec le député socialiste Bonneval qui remet son mandat en jeu sans trop y croire. Et quand on ne croit à plus grand chose, il est bon de laisser derrière soi toutes ses désillusions et de se laisser emporter par cet amour naissant. Ce d'autant plus lorsque le pays sombre dans une violence généralisée où tous les coups sont permis pour éliminer les rivaux politiques. 


    Après le nihilisme de La Petite Gauloise, place au relativisme de l'amour avec La Petite Fasciste qui emporte tout sur son passage. Mais que l'on ne s'y trompe pas, le récit n'a rien d'une romance niaise et sirupeuse et s'inscrit une nouvelle fois dans le registre du roman noir le plus affirmé qui soit en débutant sur la bavure cauchemardesque d'un tueur à gage se trompant de cible et virant au véritable jeu de massacre aux entournures burlesques qui ne manquera pas de vous secouer. On retrouve également ce narrateur omniscient aux pouvoirs divins qui s'adresse parfois au lecteur et qui peut définir l'avenir de ses personnages qu'il dépeint avec cette verve sardonique et saillante prêtant à sourire en dépit de la noirceur de l'environnement dans lequel on évolue. Pour l'occasion, Jérôme Leroy s'emploie de nouveau à mettre en pièce cet extrémisme de droite en passant en revue les différentes mouvances dont on distingue toutes les nuances au sein de la famille de Francesca Crommelynck, surnommée La Petite Fasciste, mais également en se penchant sur les activités du Bouclier, ce mouvement identitaire qui se démarque du Bloc Patriotique jugé par certains de ses membres comme bien trop complaisant notamment vis-à-vis des antifas avec lesquels ils estiment devoir employer la manière forte, ce qui déplaît à Stanko, l'ancien nervi du parti d'extrême-droite que l’on côtoyait pour la première fois dans Le Bloc, et qui semble s'être quelque peu assagi, du moins en apparence, en restant fidèle à Agnès Dorgelles qui dirige toujours le parti d'une main de fer, au grand désespoir d’un gouvernement plus que dévoyé. On pourra avoir une impression de redite avec La Petite Fasciste et on se montrera peut-être circonspect en accompagnant le parcours de ces deux amants aux convictions opposées, tout comme leurs âges respectifs d'ailleurs, d'où émerge cette image désuète de la jeune fille tombant amoureuse du séduisant sexagénaire revenu de tout. Mais en prenant garde à ne pas trop abuser du schéma classique, Jérôme Leroy nous emmène surtout sur le registre d'une fuite en avant où l'idée du lendemain ne compte guère, pour  nous renvoyer dans l'ornière d'un monde qui s'effondre doucement avec cette verve légèrement poétique qui définit son écriture et ces sursauts de violence électrisant ce texte de moins de 200 pages qui vous éblouit. Et puis on apprécie toujours ce petit côté érudit imprégnant ce récit qui se concentre autour de la personnalité de Francesca Crommelynck, cette khâgneuse fan de Drieu la Rochelle et du poète Jules Laforgue, en comprenant, peu à peu, qu'elle s'est engouffrée dans la voie identitaire davantage par atavisme que par conviction. Tout cela se décline sur les musiques désenchantées de Tinderstick ou de Joy Division qui composent la bande-son de La Petite Fasciste ouvrage sans faille d'une séduisante noirceur qui inaugure, de la plus belle des manières, cette nouvelle collection La Manuf à laquelle on souhaite un plein succès.

     

     

    Jérôme Leroy : La Petite Fasciste. Editions La Manufacture de livres/Collection La Manu 2025.

    Jérôme Leroy : La Petite Gauloise. Editions La Manufacture de livres 2018. Editions Folio/Policier 2019.

    A lire en écoutant : La Sentinelle de Luke. Album : La Tête En Arrière. 2005 Sony Music Entertainment France.