DAVID JOY : LES DEUX VISAGES DU MONDE. LES FRUITS DE LA COLERE.
 On pourra bien parler de Ron Rash, de Daniel Woodrell, de Larry Brown aussi, et énumérer ainsi toute une cohorte de romanciers prestigieux pouvant avoir influencé son œuvre pour se dire que finalement, au bout de cinq ouvrages d'une impressionnante sagacité, David Joy est devenu un auteur essentiel, à nul autre pareil, évoquant les travers sociaux de son pays au gré de récits sombres se déroulant dans le comté de Jackson, niché au cœur du massif des Appalaches, où il vit depuis l'âge de dix-huit ans. C'est cet ancrage à la région, ainsi que ces voix résonnant sur les contreforts de ces montagnes qu'il affectionne tant, qui caractérisent chacun de ses romans où, depuis ce petit lopin de terre, émerge certains des affres touchant l'ensemble des Etats-Unis. Il y est particulièrement question d'opioïde et des trafics sordides qui en découlent que ce soit avec Là Où Les Lumières Se Perdent (Sonatine 2016), son premier roman, ainsi que Le Poids Du Monde (Sonatine 2018) où il est également fait mention de la difficulté de se réinsérer pour un vétéran de la guerre d'Afghanistan, tandis qu'avec Nos Vies En Flamme (Sonatine 2022) émerge les thèmes en lien avec le réchauffement climatique se traduisant, dans la région, par ces immenses incendies ravageant la forêt. Et même s'il s'éloigne de tout ce qui a trait à la consommation de stupéfiants et à la marginalité qui résulte, Ce Lien Entre Nous (Sonatine 2020) se concentre une nouvelle fois sur les petites gens du comté de Jackson et de ce qui les unit dans la difficulté, mais également des rapports violents qui peuvent parfois diviser les membres d'une communauté préférant régler leurs comptes sans faire appel aux autorités pour lesquelles ils ont une confiance toute relative. Mais c'est sur un tout autre registre que David Joy revient sur le devant de la scène littéraire avec Les Deux Visages Du Monde où il aborde, avec une acuité incroyable, les délicats sujets du racisme et de la discrimination institutionnalisée qui secouent les régions les plus reculées du pays où l'on peine à voir la réalité en face.
On pourra bien parler de Ron Rash, de Daniel Woodrell, de Larry Brown aussi, et énumérer ainsi toute une cohorte de romanciers prestigieux pouvant avoir influencé son œuvre pour se dire que finalement, au bout de cinq ouvrages d'une impressionnante sagacité, David Joy est devenu un auteur essentiel, à nul autre pareil, évoquant les travers sociaux de son pays au gré de récits sombres se déroulant dans le comté de Jackson, niché au cœur du massif des Appalaches, où il vit depuis l'âge de dix-huit ans. C'est cet ancrage à la région, ainsi que ces voix résonnant sur les contreforts de ces montagnes qu'il affectionne tant, qui caractérisent chacun de ses romans où, depuis ce petit lopin de terre, émerge certains des affres touchant l'ensemble des Etats-Unis. Il y est particulièrement question d'opioïde et des trafics sordides qui en découlent que ce soit avec Là Où Les Lumières Se Perdent (Sonatine 2016), son premier roman, ainsi que Le Poids Du Monde (Sonatine 2018) où il est également fait mention de la difficulté de se réinsérer pour un vétéran de la guerre d'Afghanistan, tandis qu'avec Nos Vies En Flamme (Sonatine 2022) émerge les thèmes en lien avec le réchauffement climatique se traduisant, dans la région, par ces immenses incendies ravageant la forêt. Et même s'il s'éloigne de tout ce qui a trait à la consommation de stupéfiants et à la marginalité qui résulte, Ce Lien Entre Nous (Sonatine 2020) se concentre une nouvelle fois sur les petites gens du comté de Jackson et de ce qui les unit dans la difficulté, mais également des rapports violents qui peuvent parfois diviser les membres d'une communauté préférant régler leurs comptes sans faire appel aux autorités pour lesquelles ils ont une confiance toute relative. Mais c'est sur un tout autre registre que David Joy revient sur le devant de la scène littéraire avec Les Deux Visages Du Monde où il aborde, avec une acuité incroyable, les délicats sujets du racisme et de la discrimination institutionnalisée qui secouent les régions les plus reculées du pays où l'on peine à voir la réalité en face.
Toya Gardner a quitté Atlanta pour s'installer chez sa grand-mère, Vess Jones qui vit depuis toujours dans les montagnes de Caroline du Nord, non loin de Sylva chef-lieu du comté de Jackson. Désireuse d'achever son cursus universitaire dans le domaine artistique, cette jeune afro-américaine entend également dénoncer l'histoire de l'esclavagisme qui a marqué la région en effectuant quelques coups d'éclats déclenchant la colère de certains habitants et en provoquant ainsi une division au sein de la communauté ainsi que la résurgence d'éléments du passé que l'on voudrait continuer à oublier ou à enjoliver. C'est à ce moment qu'Ernie Allison, adjoint du shérif du comté, interpelle un individu inquiétant qui semble affilier aux suprémacistes blancs et qui possède un étrange carnet où figure les noms des personnalités importantes de la région. Désireux d'en savoir plus, Ernie se voit opposer une fin de non-recevoir de sa hiérarchie décidant de classer l'affaire. Mais quelques semaines plus tard, les événements prennent une autre tournure, lorsque deux crimes vont être commis dans ce coin perdu du massif des Appalaches désormais sujet à toutes les tensions.
D'entrée de jeu, on saluera avec Les Deux Visages Du Monde, la maturité de la mise en scène narrative d'une intrigue où l'enchainement des événements va se révéler extrêmement surprenant au gré de quelques scènes saisissante que les lecteurs les plus avisés seront bien en peine de voir venir. Et c'est peut-être là que réside le talent de David Joy de se situer à l'endroit où l'on ne l'attend pas, ce d'autant plus lorsqu'il aborde le thème du racisme au sein de la région où il vit en exposant les enjeux des uns et des autres au gré de confrontation d'un réalisme troublant qui s'éloigne résolument des clichés propre à ses régions du sud des Etats-Unis. A l'instar de William Dean Cawthorn, ce marginal affilié aux suprémacistes blancs, le personnage se révèle bien plus complexe qu'il n'y parait, même s'il apparaît extrêmement menaçant au gré de ses convictions odieuses et de ses accointances avec des notables affiliés au Ku Klux Klan. Exit donc l'individu redneck bas du plafond ou le psychopathe sanguinaire. Le racisme que David Joy évoque durant tout le récit, parait beaucoup plus insidieux comme ancré dans une certitude biaisée où l'on s'emploie à réécrire ou à atténuer un passé trouble à l'image de ce drapeau confédéré sujet des conflits entre le shérif John Coggins et Toya Gardner cette jeune afro-américain qui ne supporte plus ces relents, ou plutôt ces incarnations d'une société qui s'est bâtie sur les fondements de l'esclavagisme et de la discrimination. A partir de là, David Joy met en scène deux communautés qui ne se comprennent pas et, de fait, qui ne dialoguent plus mais qui s'interrogent parfois en tentant de se remettre en question et de trouver du sens dans ce conflit qui les oppose. C'est peut-être ce que l'on perçoit au gré des rapports entre John Coggins et Vess Jones, la grand-mère de Toya qui ne s'exprime pas avec autant de véhémence que sa petite fille mais n'en pense pas moins. Se targuant d'être l'ami d'enfance du mari défunt de Vess, le shérif Coggins ne peut admettre que l'on puisse le considérer comme quelqu'un de raciste. Mais le diable réside dans le détails, ou plutôt dans le quotidien de chacun que David Joy révèle au détour d'anecdotes extrêmement parlantes sur l'état d'esprit d'un certains nombres de concitoyens apparaissant, de prime abord, tout ce qu'il y a de plus respectables. Tout cela prend forme au sein de cet environnement sauvage que l'auteur dépeint avec cette force d évocation prégnante à l'exemple de ces instants où Vess Jones se ressource dans son potager ou de ces moments où l'adjoint du shérif Ernie Allison nourrit les truites du ruisseau bordant l'ancienne ferme de ses grands-parents où il vit et qui n'aime rien tant que de parcourir la forêt pour chasser ou cueillir des champignons. Ainsi, au-delà du racisme qui divise, c'est probablement là que s'incarne Les Deux Visages Du Monde, autour de cette nature luxuriante et foisonnante indifférente à cette colère de femmes et d'hommes qui ne se comprennent plus en sombrant dans une violence qui tourne forcément au drame que l'on doit surmonter dans la douleur et qu'il faut surmonter au gré d'un processus de résilience que David Joy exprime avec une intensité émotionnelle peu commune.
David Joy : Les Deux Visages Du Monde (Those We Thought We Knew). Editions Sonatine 2024. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean-Yves Cotté.
A lire en écoutant : Like Some Old Sad Song de David Childers. Album : Melancholy Angel. 2023 Ramseur Records.
 On l'aura compris, il faut quitter "l'ornière" de la littérature noire pour accéder au graal des grands prix de la rentrée comme l'ont fait avec succès Pierre Lemaître et Nicolas Mathieu pour n'en citer que quelques-uns qui ont emprunté ce parcours. Sans doute pour bien d'autres raisons, Sandrine Collette a longtemps figuré dans la collection Sueurs froides chez Denoël en obtenant deux des grandes récompenses célébrant le polar, avant d'intégrer, depuis plusieurs années, la maison d'éditions Jean-Claude Lattès lui permettant de rejoindre avec son dernier livre, la prestigieuse liste des nominés pour le prix Goncourt 2024. Dans un registre similaire, on constate que trois grandes figures du roman noir et du roman policier quittent le mauvais genre en présentant des ouvrages dans la collection "générale" du catalogue de leurs éditeurs respectifs. En effectuant cette démarche qui n’est ni anodine ni désintéressée, l‘un d’entre eux est lui aussi en lice pour le fameux prix Goncourt tout en étant également nommé pour l'obtention du Renaudot et du prix Jean Giono. Paradoxalement, on ne compte plus les ouvrages qui se frottent aux codes de la littérature noire sans être estampillés dans cette catégorie, en abordant les travers de la société par le prisme du crime et plus particulièrement du fait divers en disant d’eux qu’ils sont bien plus que des polars. Et dans cette veine aussi inepte qu’hypocrite, voilà qu’un journaliste affuté qualifie Jour De Ressac, nouveau roman de Maylis De Kerangal, comme un anti-polar pour une intrigue s’articulant autour de l’errance d’une femme devant identifier le corps d’un homme, découvert sur une plage du Havre, qu’elle pourrait avoir connu. Romancière multi primée, figurant également sur la liste du Goncourt, il importait donc de se pencher sur ce texte évocateur, tout en nuance, où Maylis De Kerangal nous permet de parcourir les rues de la ville de son enfance, pour découvrir finalement ce qu’est la définition d'un anti-polar.
On l'aura compris, il faut quitter "l'ornière" de la littérature noire pour accéder au graal des grands prix de la rentrée comme l'ont fait avec succès Pierre Lemaître et Nicolas Mathieu pour n'en citer que quelques-uns qui ont emprunté ce parcours. Sans doute pour bien d'autres raisons, Sandrine Collette a longtemps figuré dans la collection Sueurs froides chez Denoël en obtenant deux des grandes récompenses célébrant le polar, avant d'intégrer, depuis plusieurs années, la maison d'éditions Jean-Claude Lattès lui permettant de rejoindre avec son dernier livre, la prestigieuse liste des nominés pour le prix Goncourt 2024. Dans un registre similaire, on constate que trois grandes figures du roman noir et du roman policier quittent le mauvais genre en présentant des ouvrages dans la collection "générale" du catalogue de leurs éditeurs respectifs. En effectuant cette démarche qui n’est ni anodine ni désintéressée, l‘un d’entre eux est lui aussi en lice pour le fameux prix Goncourt tout en étant également nommé pour l'obtention du Renaudot et du prix Jean Giono. Paradoxalement, on ne compte plus les ouvrages qui se frottent aux codes de la littérature noire sans être estampillés dans cette catégorie, en abordant les travers de la société par le prisme du crime et plus particulièrement du fait divers en disant d’eux qu’ils sont bien plus que des polars. Et dans cette veine aussi inepte qu’hypocrite, voilà qu’un journaliste affuté qualifie Jour De Ressac, nouveau roman de Maylis De Kerangal, comme un anti-polar pour une intrigue s’articulant autour de l’errance d’une femme devant identifier le corps d’un homme, découvert sur une plage du Havre, qu’elle pourrait avoir connu. Romancière multi primée, figurant également sur la liste du Goncourt, il importait donc de se pencher sur ce texte évocateur, tout en nuance, où Maylis De Kerangal nous permet de parcourir les rues de la ville de son enfance, pour découvrir finalement ce qu’est la définition d'un anti-polar. Service presse.
Service presse. On sait qu'elle est née à Rennes, qu’elle vit à Paris et qu'elle exerce le métier d'avocate en grappillant quelques instants pour écrire des fragments de fiction qu'elle accumule depuis des années et dont elle publie le premier texte en empruntant le pseudonyme de Marie Vingtras faisant référence à Jacques Vingtras, double de papier de Jules Vallès. On peut également apprendre que la romancière apprécie des auteurs comme Russel Bank, Ron Rash et Ken Kesey ainsi que des musiciens comme Nick Drake ou des réalisateurs tels que les frères Cohen avec cet intérêt marqué pour la culture anglo-saxonne, dont l'agrégat d'influence explique peut-être le fait que ses deux récits se déroulent aux Etat-Unis au gré d'une vision fantasmagorique dans tout ce qu'elle a de singulier et d'assumé. Il faut dire qu'il aurait été difficile de situer Blizzard (Editions de l'Olivier 2021) ailleurs que du côté de l'Alaska dont l'intrigue s'articule autour de la disparition d'un enfant en pleine tempête qui va amener certaines personnes à se dévoiler alors qu'elles cherchaient l'oubli au coeur de l'immensité de ces terres sauvages. Rencontrant un succès certain auprès des critiques, des lecteurs et surtout des libraires, Blizzard fait partie de ces romans que je regrette de ne pas avoir lu tant il suscite l'enthousiasme ainsi qu'une certaine attente pour Les Ames Féroces, second roman de Marie Vingtras qui a choisi de nous entrainer dans les méandres d’une enquête sur le meurtre d’une jeune fille secouant  la communauté d'une petite ville perdue des Etats-Unis (peut-être proche du Kentucky) sans que l'on ne soit vraiment certain de l’endroit où elle se situe.
On sait qu'elle est née à Rennes, qu’elle vit à Paris et qu'elle exerce le métier d'avocate en grappillant quelques instants pour écrire des fragments de fiction qu'elle accumule depuis des années et dont elle publie le premier texte en empruntant le pseudonyme de Marie Vingtras faisant référence à Jacques Vingtras, double de papier de Jules Vallès. On peut également apprendre que la romancière apprécie des auteurs comme Russel Bank, Ron Rash et Ken Kesey ainsi que des musiciens comme Nick Drake ou des réalisateurs tels que les frères Cohen avec cet intérêt marqué pour la culture anglo-saxonne, dont l'agrégat d'influence explique peut-être le fait que ses deux récits se déroulent aux Etat-Unis au gré d'une vision fantasmagorique dans tout ce qu'elle a de singulier et d'assumé. Il faut dire qu'il aurait été difficile de situer Blizzard (Editions de l'Olivier 2021) ailleurs que du côté de l'Alaska dont l'intrigue s'articule autour de la disparition d'un enfant en pleine tempête qui va amener certaines personnes à se dévoiler alors qu'elles cherchaient l'oubli au coeur de l'immensité de ces terres sauvages. Rencontrant un succès certain auprès des critiques, des lecteurs et surtout des libraires, Blizzard fait partie de ces romans que je regrette de ne pas avoir lu tant il suscite l'enthousiasme ainsi qu'une certaine attente pour Les Ames Féroces, second roman de Marie Vingtras qui a choisi de nous entrainer dans les méandres d’une enquête sur le meurtre d’une jeune fille secouant  la communauté d'une petite ville perdue des Etats-Unis (peut-être proche du Kentucky) sans que l'on ne soit vraiment certain de l’endroit où elle se situe.