FRANCK BOUYSSE : BUVEURS DE VENT. UN MONDE PARFAIT.
Il est loin le temps où l’on découvrait les récits de Franck Bouysse par l’entremise de la regrettée maison d’éditions Ecorce dirigée par Cyril Herry qui publiait des romans aux caractères ruraux se situant dans la région du Limousin. Et puis il y avait eu ce tournant avec Grossir Le Ciel édité en 2014 par la Manufacture de livres qui nous offrait un récit s’aventurant dans le monde paysan avec des intonations de roman noir et cette écriture ciselée qui caractérise désormais l’auteur. Avec Plateau (La Manufacture de livres 2015) et Glaise (La Manufacture de livres 2017), le style de Franck Bouysse s’est affirmé, s’est développé tandis que critiques et lecteurs convoquaient une multitude de références telles que Giono ou Faulkner pour évoquer ces textes envoûtants qui côtoient désormais l’oeuvre de ces auteurs prestigieux. Mais c’est lors de la publication de Né D’Aucune Femme (La Manufacture de livres 2019) que le milieu littéraire prend la pleine mesure du talent de Franck Bouysse avec ce récit à la fois poignant et saisissant qui ne fait que confirmer cette voix particulière que possède l’auteur pour nous entraîner dans le sillage du destin tragique de Rose, cette jeune paysanne malmenée par les aléas d’un vie rude et d’un entourage cruel. On soulignera le succès du roman qui projette l’auteur sur le devant de la scène littéraire tandis que l’on attend déjà le prochain récit qui doit asseoir sa réputation de grand romancier. Avec un tel enjeu et de telles attentes, Franck Bouysse a désormais changé d’éditeur pour intégrer la maison d’éditions Albin Michel qui publie Buveurs De Vent, un récit remarquable bénéficiant d’une visibilité salutaire au sein de la folie de cette rentrée littéraire toujours aussi surchargée.
Il y a cette vallée reculée du Gour Noir. Il y a cette rivière domestiquée avec ce barrage, cette centrale électrique et autres infrastructures que possède Joyce le tyran de la ville et dont chacune des rues portent son prénom. Il y a ce pont qui enjambe la rivière et sous lequel se balancent au bout des cordes qu’ils ont installées, quatre enfants, issus de la même fratrie, défiant le vide et le vent qu’ils avalent goulûment. Il y a Marc, lecteur impénitent qui s’abreuve de récits d’aventure. Il y a Matthieu qui fusionne avec cette nature luxuriante qui l’entoure. Il y a Mabel, une jeune femme tempétueuse à la beauté farouche. Et il y a Luc, le dernier né, à l’esprit simple qui, en arpentant les berges de la rivière, cherche l’île au trésor convoitée par les pirates. Les enfants grandissent et travaillent désormais, tout comme leurs parents, pour Joyce qui assoit son autorité avec les hommes de main qu’il a à sa botte dont Lynch, le policier corrompu, Snake, un nain inquiétant, et son partenaire Double, un colosse qui tente de séduire Mabel, en vain.
Il n’y a pas de héros à proprement parler dans Buveurs de Vent qui se focalise sur cette fratrie de la famille Volny dont l’ascendance et la descendance nous permet d’avoir une vision sur l’ensemble des habitants vivant dans cette vallée reculée du Gour Noir. Et même si l’on peut s’attacher à un personnage emblématique comme Mabel, Franck Bouysse parvient à décliner toute une galerie de portraits attachants qui interviennent tout au long d’un récit qui prend davantage l’allure d’une chronique ponctuée d’événements tragiques aux consonances parfois bibliques à l’instar des prénoms des trois frères et soeur, de la foi de cette mère intransigeante ou de cet extrait de l’Apocalypse que l’on retrouve dans l’épilogue d’un roman qui s’achève sur une scène d’une cruelle intensité. Conjuguée à l’écriture dense de Franck Bouysse, on apprécie ces influences tout comme celles de Robert Louis Stevenson et de son Île Au Trésor dont le jeune Luc s’approprie les péripéties afin de les restituer sur les rives de cette vallée sauvage en compagnie de ses frères et de son grand-père qui prend l’allure d’un Long John Silver. Et puis il y a cette déclinaison de décors que l’auteur distille avec cette précision et cette délicatesse du verbe qui lui est propre en nous permettant de nous immerger dans la magnificence de cette nature qui devient le champ de bataille des forces qui régissent cette vallée du Gour Noir. De champ de bataille il est question puisque régnant sans partage sur la région, Joyce fait figure d’entité maléfique et omnisciente qui va donc intervenir dans la destinée de chacun des membres de la famille Volny en ponctuant ainsi le récit de quelques événements tragiques qui prennent de plus en plus d’ampleur jusqu’à l’apothéose qui conclut le roman d’une manière un peu trop abrupte, comme si l’auteur s’était trop longuement focalisé sur quelques méandres de l’intrigue avant de se rendre compte qu’il fallait achever le récit. Outre Joyce, Franck Bouysse fait intervenir toute une galerie de personnages inquiétants à l’exemple de Lynch, un policier veule qui s’acharne sur la fratrie Volny tout comme le nain Snake et Double le colosse qui forment un duo original et dont la destinée va participer à la chute de cet univers si bien régit par le maître des lieux. On appréciera d’ailleurs ces personnages hauts en couleur qui donnent un relief particulier à l’intrigue qui prend l’allure d’une fable noire aux accents tragiques et dont le final ne manquera de ravager l’esprit du lecteur déconcerté par un épilogue surprenant qui se révèle pourtant totalement logique et à l’image de cette influence biblique qui imprègne l’ensemble du roman.
Ainsi, Franck Bouysse nous offre une nouvelle fois, avec Buveurs De Vent, un récit puissant qu’il décline avec cette écriture savamment ciselée qui devient désormais la signature d’un auteur extraordinaire.
Franck Bouysse : Buveurs de vent. Editions Albin Michel 2020.
A lire en écoutant : Les Innocents : Un Monde Parfait. Album : Post-partum. 1995 Virgin.