Nouvelles, novellas, microromans, peu importe leurs désignations, le jour viendra où les chroniques, critiques et autres retours de lecture seront plus longs que les récits que l’on commente. Non pas qu’il ne faille pas apprécier le format court en matière de littérature, bien au contraire, ceci d’autant plus qu’il se prête parfaitement pour tout ce qui a trait aux polars et aux romans noirs alors que l’on nous assène régulièrement de gros pavés assommants aux couvertures sombres, parfois criardes et sanguinolentes. Une typographie noire des plus classiques, posée sur une jaquette gaufrée grise pour mettre en valeur un titre inquiétant, La Cagoule de Bastien Fournier n’a pas pour vocation de devenir un succès commercial, ceci d’autant plus que son format, sa brièveté et sa sobriété ne s’y prête guère ce qui est plus que regrettable car il s’agit d’un texte singulier évoquant, sous une forme romancée et avec une belle maîtrise, les pérégrinations d’un violeur cagoulé ayant commis ses forfaits sur plus d’une dizaine d’années dans le canton du Valais, ceci sans que l’on ne parvienne à l’appréhender.
Dissimulant ses traits sous une cagoule, un mystérieux prédateur sexuel sévit dans cette région montagneuse. Il prend son mal en patience afin d’observer les habitudes de ses victimes dont on ne saurait déterminer le nombre car certaines d’entre elles ont préféré se taire. Christine Hiltbrunner est moins chanceuse puisque l’on découvre son corps sans vie gisant sur une piste forestière. Morte étranglée. En charge de l’enquête, Arthur Millet et Amandine Copt vont découvrir, peu à peu, toute l’ampleur d’une affaire qui tourne au fiasco en dépit des profileurs et autres enquêteurs qui se sont attelés à la tâche afin de débusquer ce criminel en série. Alors que les investigations piétinent, corbeaux, dénonciateurs anonymes et presse à sensation s’en donnent à cœur joie pour alimenter les rumeurs les plus folles. Mais rien n’y fait, le violeur continue à sévir et dans l’ombre, il épie les faits en geste des deux policiers.
Une fois encore, c'est au travers du fait divers que l’on passe en revue les carences sociales d’une région qui n’a pas de nom car Bastien Fournier n’avait pas pour vocation de se livrer à un exercice de polar ethnique évitant ainsi de s’inscrire dans une définition géographique de la littérature noire suisse. Paradoxalement, dès les premières lignes du récit on ressent immédiatement cette atmosphère rurale helvétique que l’on peut retrouver d’ailleurs dans les romans de Friedrich Glauser et plus particulièrement dans ceux de Friedrich Dürrenmatt d’où émane une certaine forme de quiétude soudainement perturbée par la commission d’un acte abject avec cette incertitude latente quant à l’indentification de l‘auteur du crime. Et c’est en cela qu’un roman tel que La Cagoule présente tout son intérêt puisque le hasard et la chance penchent, cette fois-ci, en faveur du criminel en lui permettant de poursuivre ses funestes activités. C’est particulièrement flagrant lorsque l’une des victimes ayant pu déchiffrer le numéro d’immatriculation de la voiture du violeur, renonce à témoigner ou à informer la police de l’agression dont elle a été victime. Il s’agit donc d’un récit terrible mettant en exergue l’enlisement d’une enquête policière dont la résolution apparaît comme des plus incertaines en générant une frustration qui touche l’ensemble des personnages en les poussant à agir de manière obsessionnelle et en les contraignant ainsi à prendre des risques inconsidérés. Ces caractéristiques on les discerne aussi bien du côté des enquêteurs que du côté des victimes ou même du violeur dont on perçoit toute la froide cruauté au travers de ses actes sordides. De ces obsessions, le lecteur distinguera également la grande part de solitude et de non-dit émanant des différents protagonistes et plus particulièrement avec un personnage tel que le policier Arthur Millet présentant une certaine ambivalence avec le criminel qu’il pourchasse à un point tel que le lecteur pourra se demander s’ils ne sont pas une seule et même personne. Ainsi outre l’incertitude, l’auteur distille un doute permanent en suscitant un sentiment de malaise et d’inconfort qui cadre parfaitement avec le contexte de l’intrigue.
Sur l’espace de 80 courtes pages, le texte se présente sous la forme de chapitres extrêmement concis permettant d’appréhender les points de vue des différents protagonistes par le prisme d’une écriture épurée distillant une tension sous-jacente au fur et à mesure de l’avancée d’une intrigue aux allures incertaines. Intelligemment construit et sans faire preuve du moindre effet sensationnaliste en abordant un sujet aussi délicat, il faut bien admettre que Bastien Fournier parvient à restituer, avec une certaine aisance, un ensemble de scènes parfois sordides qui ne sombrent pourtant jamais dans une espèce de voyeurisme malsain. C’est ainsi que l’on assiste à des conversations complètement surréalistes entre cet étrange et inquiétant prédateur et ses nombreuses victimes pour laisser place à une succession d’actes odieux que l’auteur dépeint avec retenue sans pour autant vouloir nous épargner. Mais on ne saurait se focaliser uniquement sur les péripéties d’une enquête incertaine pour s’attarder sur l’environnement de ce décor montagneux dans lequel nous nous retrouvons complètement immergé. Au détour de ces forêts humides, de ces auberges isolées et de ces vallées encaissées on assiste aux vaines démarches d’individus en quête de consécration, d’absolution, de pardon ou tout simplement d’oubli qu’ils ne pourront jamais obtenir. Ainsi, c’est au détour de cette frustration, et parfois de cette colère insidieuse, de ne jamais parvenir à atteindre l’idéal souhaité que réside tout le désespoir de protagonistes égarés et toute la terrible noirceur d’un récit angoissant, diffusant une atmosphère à la fois pesante et mélancolique.
Chronique romancée d’une tragique succession de faits divers chamboulant la torpeur de cette paisible région alpestre, La Cagoule est un roman saisissant qui se distancie résolument de l’archétype du criminel excentrique ou du monstre sanguinaire peuplant une trop grande multitude de récits rocambolesques. Et parce que cette intrigue met en scène avec une froide sobriété, un individu déséquilibré s’intégrant parfaitement dans l’indolente quiétude de son environnement, elle n’en est que plus terrifiante. Un remarquable concentré de noirceur.
Bastien Fournier : La Cagoule. Editions de L’Aire 2018.
A lire en écoutant : Tel d’Alain Bashung. Album : L’imprudence. 2002 Barclay.
Sans l'ombre d'un doute, vous trouverez également votre bonheur en puisant dans les choix de sites tels que Le Vent Sombre vous proposant, entre autre, une belle palette d'ouvrages en provenance d'Asie, Bob Polar Express, Unwalker ainsi que Milieu Hostile, Moeurs Noires qui ne se focalisent pas uniquement sur l'actualité en vous permettant de découvrir quelques vieilleries qu'ils savent remettre au goût du jour et, pour finir, Le Polar de Velda grande connaisseuse de la littérature noire du Royaume Uni.
Et si vous êtes en quête de références plus matérielles, et s'il n'y avait qu'un seul ouvrage qu'il faille vous recommander afin d'appréhender toute les facettes de cette littérature populaire, il vous faut acquérir, sans plus attendre, Le Dictionnaire Des Littératures Policières (Editions Josph K. 2003) rédigé sous la direction de Claude Mesplède qui nous a malheureusement quitté cette année. Je ne connaissais pas personnellement cet ardent défenseur du polar et du roman noir, et d'autres ont su rendre, bien mieux que moi, l'hommage qu'il méritait au regard du travail qu'il a accompli pour promouvoir cette littérature qu'il affectionnait tant. Je me contenterai seulement de reproduire le commentaire qu'il avait eu la gentillesse de rédiger à l'occasion d'un de mes coups de gueule à l'égard de quelques pompeux fustigeant le genre. C'était en juin 2011 et ses propos restent toujours d'actualité.
"J'abonde dans ton sens et depuis 60 ans que je lis du polar, j'en ai entendu des conneries de la part des antipolars. Permets-moi de recopier un extrait de mon discours inaugural du festival Toulouse polars du sud que je préside: "Un livre vendu sur quatre est un polar. N'en deduisez pas trop rapidement que les préjugés vis à vis de cette littérature ont disparu. Ils sont toujours présents chez un certain nombre de médiateurs culturels dont on trouve encore quelques robustes spécimens dans les instances où se discutent l'attribution des aides financières. A ce propos, j'ai imaginé la composition d'une table ronde assez inédite. Rassemblez un philosophe iakoute, un pakistanais derviche tourneur sur métaux, un bouddhiste mérovingien, un potier étrusque devenu cinéaste à l'époque de la blackexploitation et enfin un penseur de Rodin vélodidacte. Secouez le tout et servez chaud car si un animateur déposait un tel dossier, il recevrait plusieurs milliers de subvention. Déposez à présent une demande d'aide pour une table ronde avec cinq polardeux, il y a des chances pour que la subvention soit plus proche de zéro que de dix. Le pire tient au fait que ces détracteurs et ces censeurs de la culture populaire n'ont généralement jamais lu les textes qu'ils condamnent et je ne me lasse pas, à ce propos, de citer cette phrase de Boris Vian :"c'est drôle comme les gens qui se croient instruits, éprouvent le besoin de faire chier le monde". Ce qui nous amuse aussi, c'est de trouver sous la plume de divers critiques professionnels cette formule "c'est bien plus qu'on polar". A croire qu'ils n'ont encore pas compris que la littérature policière représente non seulement une intrigue avec son mystère et ses secrets, mais aussi une façon d'interroger le monde, d'ausculter la société, de raconter sa ville, son pays et les diverses catégories sociales qui en font partie.. Ecrire un polar est une façon de réfléchir, de s'interroger, de questionner les divers pouvoirs en place, de dévoiler les aspects cachés de la société, de montrer l'envers du décor, ce qui se cache derrière la façade pour susciter le doute et la réflexion chez le lecteur. Comme dit le grand Jim Harrison: "Pour comprendre le monde, j'écris sur lui." Et pour ironiser encore à propos des confusions relatives à la définition du roman noir, il y a ceux qui écrivent :"un roman noir très noir de chez noir". Je leur propose aussi de dire "un roman d'énigme très énigme de chez énigme ou encore un thriller très thriller de chez thriller. Ils devraient se rendre compte du ridicule de la formule. Ou bien il s'agit d'un roman noir ou bien d'une autre catégorie mais il n'existe pas de nuances du genre "très noir" ou "presque noir". Il n'y a aucun dosage à mesurer."