NICOLAS FEUZ : EUNOTO, LES NOCES DE SANG. L’INCOHERENCE AU SERVICE DE L’INDIGENCE.
Les ouvrages de Nicolas Feuz me font penser à ces fameux concepts de télé réalité que l’on désigne sous le terme péjoratif de « télé poubelle » qui nous fascine et nous rebute à la fois au vu de l’indigence du contenu. Et il faut donc avouer que c’est avec une curiosité presque coupable que j’ai lu Eunoto, dernier roman en date du procureur neuchâtelois bien décidé à publier un livre par année. Nous voilà prévenus. Difficile d’ailleurs de passer à côté de cet ouvrage ornant les étalages des grandes librairies romandes et faisant l’objet d’une importante couverture médiatique. Alors bien sûr, j’ai débuté cette lecture avec quelques réticences, tout en me disant, avec l'optimisme qui me caractérise, qu’il était difficile pour l’auteur de faire pire que Horrora Borealis, son précédent ouvrage. Mais force est de constater que je me suis trompé et qu’il ne faut jamais sous-estimer les capacités du "Maxime CHATTAM suisse". Pourtant il y avait des indices quant à la qualité du roman et il faut admettre que l’on partait déjà un peu perdant avec cet article du Journal du Jura où la journaliste nous livre ses considérations à propos d’Eunoto : « Même s’il ne s’agit pas là de grande littérature ou d’une intrigue nimbée de critique sociale … Eunoto se classe indubitablement dans le genre de récit qui accroche »[1]. Propos qui font écho à ceux que tient Nicolas Feuz en affirmant que « les polars c’est pas forcément de la grande littérature »[2]. Il faudra donc bien que l’on m’explique un jour ce qu’est cette fameuse littérature que l’on dit grande. Mais si la définition inclut, entre autre, des notions faisant état de récits cohérents et de textes convenablement rédigés, l’œuvre de Nicolas Feuz n’entre effectivement pas dans cette catégorie.
Brent Wenger est-il bien le terrible psychopathe que l’on surnomme le Monstre de Saint-Ursanne ou s’agit-il d’un homme innocent, victime d’un coup monté ? C’est ce que devrait établir la révision de son procès qui s’apprête à débuter. Au même moment les polices cantonales neuchâteloises et fribourgeoises sont sur les dents avec la découverte de jeunes filles décapitées sur leurs territoires respectifs. A Genève, les forces de l’ordre ne sont pas en reste puisque l’un des leurs est sauvagement assassiné devant l’hôpital cantonal. Qui sont ces jeunes filles et quel est le lien entre ces trois affaires ? Jeune inspecteur de police Michaël Donner est rapidement impliqué dans une spectaculaire enquête intercantonale qui le conduira notamment du côté de Lausanne et du domaine skiable des Quatre Vallées. Un périple romand qui va se révéler sanglant.
Difficile de venir à bout de ce thriller qui ne manque pas d’actions et de rebondissements racoleurs mais dont l’écriture insipide et approximative, au service d’un texte bancal, suscite l’ennui, parfois l’agacement et de temps à autre quelques éclats de rire. Mais Nicolas Feuz s’affranchit de ces problèmes d’écriture en expliquant sur les réseaux sociaux : « pondre de belles phrases pour pondre de belles phrases ne m’intéresse pas ». Absence d’intérêt ou manque de capacité, peu importe. Il convient toutefois de signaler que les belles phrases ne servent pas seulement à faire joli mais permettent de mettre en place un décor ou une atmosphère sans que l’on ait l’impression de lire l’extrait d’un dépliant touristique ou de doter les personnages d’une stature et d’un caractère sans que l’on ait la sensation d’avoir à faire à des protagonistes stéréotypés jusqu’à la caricature, comme on le constate tout au long de ce récit laborieux. Il faut également préciser que les belles phrases ne sont pas forcément incompréhensibles et que l’auteur doit faire confiance à son lectorat qui n’aura donc pas nécessairement besoin de les relire à quatre reprises pour en saisir le sens. Par contre il n’est pas exclu que le lecteur soit contraint de se creuser la tête pour déchiffrer la syntaxe lacunaire de Nicolas Feuz. En voici un petit florilège amusant, loin d’être exhaustif :
Michaël Donner possède la capacité de s’extraire de son corps (page 30) :« L’espace dégagé entre deux autre filins était désormais suffisant pour y passer mon corps.»
L’arme sans maître (page 41) : « Son conducteur craignit de l’arme sans maître un second coup de feu accidentel, qui ne vint pas. »
On découvre les pavés gigantesques de La Gruyère (page 154): « Même en hiver, les pavés de la cité grouillaient de monde.»
Dialogue confus (page 270) :« - Etes-vous innocent ? Le provoqua Lara. - Ca dépend, ne se laissa-t-il pas décontenancer. Qu’en pensez-vous sergent Pittet ? »
Mais comme le recommande l’auteur, lorsqu’il est égratigné sur la forme, il importe de se concentrer sur le « fond du livre » (sic) qui recèle « tant de choses intéressantes à dire », notamment sur les déficiences de la justice, sur le sort de victimes devenant bourreaux et sur les problèmes immobiliers en lien avec une loi controversée. Mais en guise de fond, le lecteur devra se contenter de considérations et de réflexions dignes des conversations du café du commerce, dont certaines pourraient figurer dans un recueil de Brèves De Comptoir. Rapidement, on comprendra que le roman se concentre principalement sur une succession d’événements et de rebondissements tous plus spectaculaires les uns que les autres mais manquants singulièrement de cohérence. En voici quelques exemples qui restent le plus vague possible mais qui dévoilent tout de même des éléments de l’intrigue.
Tout d’abord on s’interrogera sur le rôle de Michaël Donner dans la prise d’otages de l’hôtel de police à Neuchâtel et l’on se demandera pourquoi il manque d’énuquer un de ses collègues alors qu'il s'agit d'un exercice ! Toujours en lien avec ce même contexte, on peinera à comprendre le sens de la conversation entre le responsable de l’intervention policière et le conseiller d’état qui ne semble pas avoir compris qu'il s'agit d'un entraînement. On prend peur quant au type de munition qu’emploie la police dans le cadre de cet exercice.
Pour l’épisode genevois il paraît étrange que le meurtrier enduise la plaque d’un verni afin de dissimuler l’immatriculation de la voiture qu’il doit avoir volé (à moins qu'il ait pris le risque insensé de prendre son automobile). Et une fois son forfait accompli (le meurtre d’un policier tout de même) il est étonnant que l’auteur du crime ne se débarrasse pas du véhicule qu'il réutilisera dans la région du Jura où il sera repéré (un hasard absolument extraordinaire).
A Lausanne, en plein centre-ville, aux alentours de 21h00, on se demande comment le meurtrier parvient à forcer discrètement la porte de la cathédrale tout en maîtrisant une jeune fille qu'il a enlevée et en transportant un appareil de dialyse afin de commettre son forfait tranquillement sur l’autel de l’édifice religieux. Et au niveau de l’intervention policière on s’étonnera que les deux policiers neuchâtelois (ils sont présents au bon moment et au bon endroit grâce à une histoire fumeuse de chocolat chaud) ou que les collègues vaudois ne fassent pas appel à la police municipale lausannoise pour boucler le périmètre.
Dès le chapitre 12, on détecte un sérieux problème de temporalité puisque le meurtrier et son complice se retrouvent simultanément impliqués dans une course poursuite entre Porrentruy et Bienne puis subitement occupés à torturer leur victime à Nendaz en faisant ainsi l’impasse sur un trajet de plus de deux heures[3].
Prélèvements de moyens de preuve totalement farfelus, histoire d'ADN complètement abracadabrante, évasion rocambolesque, écoute illégale, interventions et coordinations policières complètement foireuses, il y aurait encore beaucoup à dire sur cette enquête bancale qui se dispense de toute vraisemblance contrairement à ce qu’affirme Nicolas Feuz dans une interview de l’Express[4]. Outre un nombre impressionnant d’invraisemblances, l’intrigue ne doit son salut qu’à une somme de hasards circonstanciés absolument extraordinaires achevant de décrédibiliser un auteur qui, en définitive, nous livre un travail bâclé mettant en exergue les limites de l’auto-édition.
Nicolas Feuz sera présent au festival Lausan’noir et dédicacera ses superbes romans le vendredi 27 octobre de 14h00 à 17h30, le samedi 28 octobre de 11h00 à 14h00 et de 16h00 à 18h30 et le dimanche 29 octobre de 13h00 à 16h30.
Nicolas Feuz : Eunoto, Les Noces De Sang. The BookEdition 2017.
A lire en écoutant : Mad About You de Hooverphonic. Album : Hooverphonic With Orchestra. Sony Music Entertainment 2012.
[1] Journal du Jura, 28.09.2017
[2] RSR La Première, Les Beaux Parleurs, 04.12.2016
[3] Reconstitution de la journée du meurtrier et de son complice : 10h00 : procès à Porrentruy – 13h00 : fin du tour de parole de 3 heures (page 283) – 14h00 environ : fin des délibérations (au minimum 1 heure) – 14h30 environ : fin des formalités et des interviews – exécution d’une avocate et enlèvement d’un individu. 14h35 – 14h45 environ : course-poursuite. 14h55 – 15h15 : abandon du véhicule sur les hauts de Bienne – vol d’un autre véhicule – transfert de la victime. Vingt minutes plus tard soit à 15h35 le complice sort de son travail à Nendaz pour se rendre à son appartement où il retrouve le meurtrier et leur victime.
[4] L’Express du 16.10.2017