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NICOLAS FEUZ : EUNOTO, LES NOCES DE SANG. L’INCOHERENCE AU SERVICE DE L’INDIGENCE.

Capture d’écran 2017-10-26 à 18.22.42.pngLes ouvrages de Nicolas Feuz me font penser à ces fameux concepts de télé réalité que l’on désigne sous le terme péjoratif de « télé poubelle » qui nous fascine et nous rebute à la fois au vu de l’indigence du contenu. Et il faut donc avouer que c’est avec une curiosité presque coupable que j’ai lu Eunoto, dernier roman en date du procureur neuchâtelois bien décidé à publier un livre par année. Nous voilà prévenus. Difficile d’ailleurs de passer à côté de cet ouvrage ornant les étalages des grandes librairies romandes et faisant l’objet d’une importante couverture médiatique. Alors bien sûr, j’ai débuté cette lecture avec quelques réticences, tout en me disant, avec l'optimisme qui me caractérise, qu’il était difficile pour l’auteur de faire pire que Horrora Borealis, son précédent ouvrage. Mais force est de constater que je me suis trompé et qu’il ne faut jamais sous-estimer les capacités du "Maxime CHATTAM suisse". Pourtant il y avait des indices quant à la qualité du roman et il faut admettre que l’on partait déjà un peu perdant avec cet article du Journal du Jura où la journaliste nous livre ses considérations à propos d’Eunoto : « Même s’il ne s’agit pas là de grande littérature ou d’une intrigue nimbée de critique sociale … Eunoto se classe indubitablement dans le genre de récit qui accroche »[1]. Propos qui font écho à ceux que tient Nicolas Feuz en affirmant que « les polars c’est pas forcément de la grande littérature »[2]. Il faudra donc bien que l’on m’explique un jour ce qu’est cette fameuse littérature que l’on dit grande. Mais si la définition inclut, entre autre, des notions faisant état de récits cohérents et de textes convenablement rédigés, l’œuvre de Nicolas Feuz n’entre effectivement pas dans cette catégorie.

 

Brent Wenger est-il bien le terrible psychopathe que l’on surnomme le Monstre de Saint-Ursanne ou s’agit-il d’un homme innocent, victime d’un coup monté ? C’est ce que devrait établir la révision de son procès qui s’apprête à débuter. Au même moment les polices cantonales neuchâteloises et fribourgeoises sont sur les dents avec la découverte de jeunes filles décapitées sur leurs territoires respectifs. A Genève, les forces de l’ordre ne sont pas en reste puisque l’un des leurs est sauvagement assassiné devant l’hôpital cantonal. Qui sont ces jeunes filles et quel est le lien entre ces trois affaires ? Jeune inspecteur de police Michaël Donner est rapidement impliqué dans une spectaculaire enquête intercantonale qui le conduira notamment du côté de Lausanne et du domaine skiable des Quatre Vallées. Un périple romand qui va se révéler sanglant.

 

Difficile de venir à bout de ce thriller qui ne manque pas d’actions et de rebondissements racoleurs mais dont l’écriture insipide et approximative, au service d’un texte bancal, suscite l’ennui, parfois l’agacement et de temps à autre quelques éclats de rire. Mais Nicolas Feuz s’affranchit de ces problèmes d’écriture en expliquant sur les réseaux sociaux : « pondre de belles phrases pour pondre de belles phrases ne m’intéresse pas ». Absence d’intérêt ou manque de capacité, peu importe. Il convient toutefois de signaler que les belles phrases ne servent pas seulement à faire joli mais permettent de mettre en place un décor ou une atmosphère sans que l’on ait l’impression de lire l’extrait d’un dépliant touristique ou de doter les personnages d’une stature et d’un caractère sans que l’on ait la sensation d’avoir à faire à des protagonistes stéréotypés jusqu’à la caricature, comme on le constate tout au long de ce récit laborieux. Il faut également préciser que les belles phrases ne sont pas forcément incompréhensibles et que l’auteur doit faire confiance à son lectorat qui n’aura donc pas nécessairement besoin de les relire à quatre reprises pour en saisir le sens. Par contre il n’est pas exclu que le lecteur soit contraint de se creuser la tête pour déchiffrer la syntaxe lacunaire de Nicolas Feuz. En voici un petit florilège amusant, loin d’être exhaustif :

Michaël Donner possède la capacité de s’extraire de son corps (page 30) :« L’espace dégagé entre deux autre filins était désormais suffisant pour y passer mon corps.»

L’arme sans maître (page 41) : « Son conducteur craignit de l’arme sans maître un second coup de feu accidentel, qui ne vint pas. »

On découvre les pavés gigantesques de La Gruyère  (page 154): « Même en hiver, les pavés de la cité grouillaient de monde.»

Dialogue confus (page 270) :« - Etes-vous innocent ? Le provoqua Lara. - Ca dépend, ne se laissa-t-il pas décontenancer. Qu’en pensez-vous sergent Pittet ? »

Mais comme le recommande l’auteur, lorsqu’il est égratigné sur la forme, il importe de se concentrer sur le « fond du livre » (sic) qui recèle « tant de choses intéressantes à dire », notamment sur les déficiences de la justice, sur le sort de victimes devenant bourreaux et sur les problèmes immobiliers en lien avec une loi controversée. Mais en guise de fond, le lecteur devra se contenter de considérations et de réflexions dignes des conversations du café du commerce, dont certaines pourraient figurer dans un recueil de Brèves De Comptoir. Rapidement, on comprendra que le roman se concentre principalement sur une succession d’événements et de rebondissements tous plus spectaculaires les uns que les autres mais manquants singulièrement de cohérence. En voici quelques exemples qui restent le plus vague possible mais qui dévoilent tout de même des éléments de l’intrigue.

 

Tout d’abord on s’interrogera sur le rôle de Michaël Donner dans la prise d’otages de l’hôtel de police à Neuchâtel et l’on se demandera pourquoi il manque d’énuquer un de ses collègues alors qu'il s'agit d'un exercice ! Toujours en lien avec ce même contexte, on peinera à comprendre le sens de la conversation entre le responsable de l’intervention policière et le conseiller d’état qui ne semble pas avoir compris qu'il s'agit d'un entraînement. On prend peur quant au type de munition qu’emploie la police dans le cadre de cet exercice.

 

Pour l’épisode genevois il paraît étrange que le meurtrier enduise la plaque d’un verni afin de dissimuler l’immatriculation de la voiture qu’il doit avoir volé (à moins qu'il ait pris le risque insensé de prendre son automobile). Et une fois son forfait accompli (le meurtre d’un policier tout de même) il est étonnant que l’auteur du crime ne se débarrasse pas du véhicule qu'il réutilisera dans la région du Jura où il sera repéré (un hasard absolument extraordinaire).

 

A Lausanne, en plein centre-ville, aux alentours de 21h00, on se demande comment le meurtrier parvient à forcer discrètement la porte de la cathédrale tout en maîtrisant une jeune fille qu'il a enlevée et en transportant un appareil de dialyse afin de commettre son forfait tranquillement sur l’autel de l’édifice religieux. Et au niveau de l’intervention policière on s’étonnera que les deux policiers neuchâtelois (ils sont présents au bon moment et au bon endroit grâce à une histoire fumeuse de chocolat chaud) ou que les collègues vaudois ne fassent pas appel à la police municipale lausannoise pour boucler le périmètre.

 

Dès le chapitre 12, on détecte un sérieux problème de temporalité puisque le meurtrier et son complice se retrouvent simultanément impliqués dans une course poursuite entre Porrentruy et Bienne puis subitement occupés à torturer leur victime à Nendaz en faisant ainsi l’impasse sur un trajet de plus de deux heures[3].

 

Prélèvements de moyens de preuve totalement farfelus, histoire d'ADN complètement abracadabrante, évasion rocambolesque, écoute illégale, interventions et coordinations policières complètement foireuses, il y aurait encore beaucoup à dire sur cette enquête bancale qui se dispense de toute vraisemblance contrairement à ce qu’affirme Nicolas Feuz dans une interview de l’Express[4]. Outre un nombre impressionnant d’invraisemblances, l’intrigue ne doit son salut qu’à une somme de hasards circonstanciés absolument extraordinaires achevant de décrédibiliser un auteur qui, en définitive, nous livre un travail bâclé mettant en exergue les limites de l’auto-édition.

 

Nicolas Feuz sera présent au festival Lausan’noir et dédicacera ses superbes romans le vendredi 27 octobre de 14h00 à 17h30, le samedi 28 octobre de 11h00 à 14h00 et de 16h00 à 18h30 et le dimanche 29 octobre de 13h00 à 16h30. 


Nicolas Feuz : Eunoto, Les Noces De Sang. The BookEdition 2017.

A lire en écoutant : Mad About You de Hooverphonic. Album : Hooverphonic With Orchestra. Sony Music Entertainment 2012.

 

[1] Journal du Jura, 28.09.2017

[2] RSR La Première, Les Beaux Parleurs, 04.12.2016

[3] Reconstitution de la journée du meurtrier et de son complice : 10h00 : procès à Porrentruy – 13h00 : fin du tour de parole de 3 heures (page 283) – 14h00 environ : fin des délibérations (au minimum 1 heure) – 14h30 environ : fin des formalités et des interviews – exécution d’une avocate et enlèvement d’un individu. 14h35 – 14h45 environ : course-poursuite. 14h55 – 15h15 : abandon du véhicule sur les hauts de Bienne – vol d’un autre véhicule – transfert de la victime. Vingt minutes plus tard soit à 15h35 le complice sort de son travail à Nendaz pour se rendre à son appartement où il retrouve le meurtrier et leur victime.

[4] L’Express du 16.10.2017

 

Commentaires

  • Ecoutez Feuz dans Vertigo aujourd'hui, c'est édifiant. En tout cas, cela conforte votre critique...

  • Bonjour Cédric,
    Je ne partage pas ta critique. Si la couverture médiatique et la promotion offensive qu'ose Nicolas Feuz sont certainement discutables, elles me plaisent pour leur côté exotique dans l'humble suisse.

    Sur le fond, je ne trouve pas que son écriture soit à distance des modèles cités. Et j'ai pris un plaisir égal à celui de la lecture d'un noir des auteurs cités en exemple (plus grand que ceux de Chattam et Thilliez en revanche, dont je ne support pas bien l'écriture).

    Les exemples que tu utilises de syntaxes approximatives ne sont pas très bons, à mon avis. "L'arme sans maître" s'entend sans trop de problèmes, tout de même. Et deviendrait peut-être une figure de style plaisante dans la critique que tu ferais d'un roman publié par un auteur que tu n'aurais pas pris en grippe. Pareil en ce qui concerne "y passer mon corps" ou "les pavés grouillaient". Ce sont 3 des 4 exemples d'écriture que tu utilises, que je trouve mauvais pour attaquer un style, 75% quoi..

    En ce qui concerne la cohérence, je ne partage pas ton avis non plus. L'exercice du début m'a complètement eu, j'ai trouvé cela très bien mené et l'attaque de Donner sur un collègue ne peut-elle être le fait d'un jeune flic très très audacieux (c'est quand même le fond de l'histoire, hein, si on le conteste et qu'il nous faut un Donner raisonnable alors bien sûr, cela n'a plus de sens..) pris par le jeu ? Cela ne te rappelle rien ? Ne connais-tu pas trop bien ce genre de réalité, dans des entrainements des forces de l'ordre ? Donner est d'ailleurs ensuite remis à l'ordre par sa compagne, si je me souviens bien. Cet excès est donc pris en compte dans l'intrigue et participe à la définition de la personnalité de Donner. Non ?

    Le meurtrier sûr de lui qui ose utiliser la même voiture, c'est gros ? Bon. Admettons. Ce n'est pas très loin de situations réelles que nous connaissons. Mais admettons. Je me suis demandé comment l'auteur avait fait, à la cathédrale, moi aussi. En quelques secondes, je suis parvenu à imaginer ce qui figurait dans cette elipse sans avoir besoin de me faire une crampe à l'imagination. Un découpeur de corps, saigneur de victimes a tout de même sûrement deux ou trois idées sur la manière d'immobiliser une victime pendant qu'il va chercher l'appareil de dialyse :-)

    Finalement, le problème de temporalité pour Porrentruy et Nendaz est certain. Il est clair. C'est une vraie incohérence. Et j'admets n'avoir jamais cherché à savoir si ce genre de temporalité prenant en compte les temps de déplacement (!) étaient gérés avec précision dans les romans de Vargas, Coben ou Connelly. Surtout si cet espace temps manqué ne génère pas d'incohérence par ailleurs (il ne se déroule rien d'autre que de l'attente durant ce déplacement dans le reste de l'intrigue).

    Ce que tu résumes ensuite comme étant à l'appui des incohérences précédentes (ADN, évasion, écoute, coordination,..) est pour moi à l'avenant. Ces incohérences n'en sont pas non plus. Elles s'ajoutent à ta critique mais ne sont pas davantage fondées. Ne tombant pas plus de la lune que toi, je considère que ces éléments sont suffisamment proches d'une réalité plausible qu'elles ne nuisent en aucun cas à l'intrigue, pas plus qu'elle la rendent farfelue.

    Si cet oeuvre, que tu attaques montre les limites de l'auto-édition, la critique infondée, légère et agressive que tu réalises montre peut-être celles de la blog-critique sans comptes à rendre ;-)

    Bien à toi.

  • Bonjour Gregory,

    Merci pour le temps que tu as pris pour lire cette chronique permettant ensuite de livrer tes arguments afin de défendre Nicolas Feuz que tu sembles apprécier. Je ne vais pas revenir sur les différents aspects que tu développes et que je ne partage évidemment pas. Je me permettrais de soulever tout de même deux éléments.

    Outre le fait que tu m’accordes 25 % pour la syntaxe, tu me donnes tout de même raison pour l’incohérence au niveau de la temporalité. Mais là, même si tu es d’accord avec moi, tu trouves tout de même le moyen d’exonérer l’auteur en donnant l’impression que je serais un pinailleur qui calculerait tous les trajets, surtout lorsqu’il s’agit d’un roman de Nicolas Feuz. Dans le cas présent, ce n’est pas le temps de trajet qui pose problème, mais le fait que la complice est impliquée dans une course-poursuite qui a lieu dans un tunnel du côté de Tavannes (page 306) tout en servant des consommations dans un établissement public de Nendaz (page 317). C’est à partir de là que je me suis amusé à reconstituer l’horaire pour voir si je ne faisais pas une erreur dans mon interprétation. Donc je prends pour moi l’agressivité et le côté infondé en ce qui concerne ma chronique (je n’en suis pas à ça près) mais pour ce qui est de la légèreté, lorsque tu dis qu’il ne se déroule rien d'autre que de l'attente durant ce déplacement dans le reste de l'intrigue, je te retourne le compliment.

    Le second élément que je relèverai c’est qu’à la lecture de ton commentaire tu donnes l’impression que je ne m’en prends qu’à l’œuvre de Nicolas Feuz tout en épargnant des auteurs que j’apprécierais ou bénéficiant d’une plus grande notoriété (peut-être s’agit-il d’une mauvaise interprétation de ma part, je le reconnais). Or tu cites Vargas et Connelly pour lesquels j’ai émis une opinion plutôt négative tout comme pour Grangé et Nesbo, notamment en ce qui concerne des problèmes de cohérence. Mais je peux bien comprendre que tu as d’autres choses à faire que de parcourir un blog-critique révélant toutes ses limites.

    Amitiés

    Cédric

  • Nous ne sommes pas d'accord, c'est un fait. Je suis partial en appréciant cet auteur et je te taxe de l'être un peu aussi en critiquant de mon point de vue de façon exagérée et mal fondée.
    Sur la temporalité de la poursuite, je te le laisse, je te l'ai laissé, je te le laisserais..
    Pour bien conclure, je confirme ton dernier point de vue et accepte volontiers la critique relative à mon absence de connaissances du solde de tes revues et donc, de repères sur la question de ce que je juge agressif.
    Cette mention suffit à m'accrocher et je m'en vais parcourir ce que tu dis des auteurs que tu cites et qui sont un peu mon horizon en matière de polar, pas de quoi me prendre pour un druide donc.

    Je te ferai grâce de mon point de vue sur mes prochaines lectures, mais permets-moi de maintenir celui-ci, du moins pour l'essentiel. Quand au blog en soi, j'y vois une qualité remarquable et je n'ai choisi la formulation finale que parce que je trouvais que ta conclusion assez violente méritait un coup de miroir. Je regrette toutefois d'avoir été revanchard sur ce coup.
    Et puisque nobillag réduira les médias suisses à néant, je t'installe désormais dans mes favoris!
    Bon dimanche!

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