LES ORIGINES
Je me souviens encore de cette muraille noire que formaient les dos de ces livres alignés sur un rayonnage de la bibliothèque paternelle. Un carré jaune, entouré d'un carré blanc et la mention « carré noir » juste en dessous, renforçait l'aspect particulier de ces ouvrages. Sur certain d'entre eux des filles légèrement dénudées ornaient la couverture et, au dos, on y trouvait systématiquement une publicité pour des marques de cigarettes, de l'alcool ou du parfum pour homme. C'était l'habillage typique des romans de gare machistes à l'extrême.
« Carré Noir » était une sélection de polars extraite de la prestigieuse collection Série Noire (nom inventé par Jacques Prévert) dirigée par Marcel Duhamel. A l'époque, mon père estimait que j'étais trop jeune pour ce genre de littérature, raison pour laquelle je me suis empressé de désobéir. C'est grâce -et avec !- cette transgression que j'ai découvert mes premiers auteurs de polar. Chandler, Hammett, Goodies, Chase, Manchette et les autres ont peuplé mes nuits d'adolescent. Depuis, cette passion pour le roman noir et le roman policier ne m'a plus quitté. Cet engouement m'a-t-il poussé à devenir flic ? Sans trop vraiment l'admettre, il est probable que cela a eu une influence indirecte sur le choix de ma profession, même si les personnages de policier étaient pour la plupart du temps brocardés par leurs auteurs. Pour Chandler et Hammett, les flics étaient soit corrompus, soit incompétents, voire même les deux ! C'était l'époque de la chasse aux sorcières sous la férule du sénateur McCarthy. Pour Manchette, les flics devenaient des espèces de barbouzes dénués de toute intégrité, référence au Service d'Action Civique (SAC) et autres magouilles étatiques qui fleurissaient dans les années 70. Deux époques différentes, mais toujours la même position critique de notre société. Car au delà de l'intrigue, ce qui me plaît dans le polar c'est qu'il est le reflet des travers de notre société dans laquelle les auteurs s'ingénient à plonger leurs personnages. Pour reprendre une phrase de Manchette, le polar est de son temps et aussi de son espace.
Lors d'un tri, mon père m'a donné tous ses ouvrages de la collection Carré Noir. Je les ai placés sur un rayonnage à part. Ainsi, soigneusement alignés, ils ont vraiment de la gueule ! De temps à autre j'en prends un au hasard pour le relire une énième fois. Tiens, voici la Dame du Lac de Raymond Chandler, traduit par Boris Vian. ! Et celui-ci ! La Reine des Pommes de Chester Himes !
La collection « Carré Noir » n'existe plus, mais bien d'autres lui ont succédée. Certaines ont disparu à leur tour, mais bon nombre d'entre elles perdurent. Aujourd'hui, dans ma bibliothèque, le thriller côtoie le roman noir, le best seller côtoie des séries de polars peu connus et au travers de ce blog, je souhaite faire une espèce d'inventaire à la Prévert de toutes ces lectures qui m'ont captivé et dont certaines m'ont tenu éveillé des nuits entières.
Ecrivains populaires ou quasiment inconnus ; romanciers anglais, américains, français ou polonais ; auteurs de romans noirs, de thrillers ou de polars, peu m'importe. Dans ce blog, point d'élitisme ou de sous-catégorie de la littérature policière. Juste le plaisir de partager avec vous des romans aux intrigues sombres et aux textes taillés au cordeau. Des romans noirs et bien serrés !
Commentaires
Ah, polar... quand tu nous tiens.
Bienvenue au club, M'sieur Sega, et bon vent pour la suite.
Je suivrai avec plaisir cette chronique, en espérant que vous citerez les traducteurs car, connus ou inconnus (Boris Vian n'est ni meilleur ni plus mauvais que nombre de ses confrères et consoeurs), ayant ou non dénaturé les textes qui leur étaient confiés, pour des raisons éditoriales et financières, ou par pure incompétence, ils vous ont fait aimer ces auteurs et cette littérature en dépit de toutes ces infidélités.
Cordialement
Pierre Bondil
Très cher Cédric, quelle passion, c'est magnifique, j'encourage ta démarche bien plus pour te lire, que pour le Polar. Tu m'as permis d'en découvrir, et le chemin est long. Comme il semble que tu l'écris, tout ça est bien curieux... D'où viennent ces émotions ? De l'enfance ? Pourquoi n'ai-je jamais cherché la vie dans les Polars, alors que les aventuriers écrivains m'ont guidé toutes ces années, un flic c'est un peu un aventurier, non ? Il se trouve quelque chose de l'ordre de l'espace d'une bibliothèque, de l'appartement de notre jeunesse, de l'envie et de l'interdit, de l'accès ou non, du regard portés par nos parents, de nos peines et des joies que nous avons éprouvés en découvrant du texte, bref, je suis bien impatient de trouver dans ton blog des textes, ou des parties de textes, qui nous fassent rêver nos vies... J'ai retenu La Dame du Lac et La Reine des Pommes. Bien à toi l'ami !