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Rechercher : la série guyanaise

  • SIMONE BUCHHOLZ - RUE MEXICO. AMOUR INCANDESCENT.

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    Service de presse.

     

    Ce n'est pas tant une histoire de parité, ce n'est pas tant une logique de quantité, mais bien une question d'attitude qui font que bon nombre d'héroïnes de la littérature noire occupent désormais une place à part en projetant un regard bien particulier sur le monde qui nous entoure à l'instar de Chastity Riley, cette procureure allemande, officiant à Hambourg et dont l'apparition sous la plume de Simone Buchholz coïncidait avec la création de la collection Fusion nous proposant le fameux Nuit Bleue (Atalante/Fusion 2021), texte d'une audace et d'une originalité narrative peu commune nous entraînant dans le monde interlope des nuits hambourgeoises sur fond de trafic de stupéfiants provenant des cités de l'ancienne Allemagne de L'Est. Avec Béton Rouge (Atalante/Fusion 2022), second roman de la série de celle que l'on surnomme désormais "Chas", Simone Buchholz abordait le thème de la maltraitance d'enfants en nous emmenant notamment du côté de la Bavière tout en évoquant les dérives des grandes entreprises allemandes et plus particulièrement celles des grands groupes médiatiques. C'est peu dire que l'on apprécie de retrouver cette femme au profil peu commun oscillant entre force et détermination dans le cadre de son travail et une certaine fragilité qui transparait notamment dans la contexte de sa vie sentimentale qui va connaître quelques aléas dans Rue Mexico, troisième roman de la série que Claudine Layre traduit toujours aussi brillamment.

     

    Les voitures brûlent dans toutes les villes du monde et Hambourg ne déroge pas à la tradition. Pourtant dans l'une d'entre elles, on extirpe le cadavre d'un jeune homme que l'on identifie rapidement comme étant le fils du clan Saroukhan, une communauté de l'ancien empire ottoman qui trempe désormais dans le trafic de drogue du côté de Brême. Chargée de l'enquête, Chastity Riley va devoir dresser le profil de la victime pour tenter de retrouver l'auteur du meurtre. Peut-être obtiendra-t-elle de l'aide de la mystérieuse jeune femme qu'elle a aperçu sur le toit d'un immeuble et qui a probablement assisté à toute la scène ? Parviendra-t-elle à extirper quelques éléments de cette communauté soudée qui ne souhaite pas frayer avec les autorités ? Et qu'en est-il de cette compagnie d'assurance pour laquelle travaillait la victime en lui offrant de confortables rémunérations ? Et puis comme pour interférer dans une enquête déjà difficile, il y a le retour de Inceman, un ancien amant qui va bousculer la vie sentimentale de Chastity Riley.

     

    On remarque un certain dépouillement qui caractérise l'ensemble des intrigues narratives de la série Chastity Riley permettant à Simone Buchholz d'aborder de manière assez directe les thèmes sociaux qu'elle souhaite mettre en exergue. Pour ce qui est de Rue Mexico, la romancière aborde donc le sujet de la migration et de l'intégration et de toutes les difficultés qui en découlent, ceci pus particulièrement au travers de cette communauté Mahallami issue des tribus ottomanes d'autrefois et qui est désormais apatride. Pour en découvrir certains contours, on adoptera les points de vue de Nouri et d'Aliza défiant leurs familles respectives pour vivre leur histoire d'amour remontant à l'enfance, en refusant de suivre les préceptes et les traditions quitte à subir la violence et le rejet. Comme à l'accoutumée, Simone Buchholz nous offre avec Aliza, le portrait d'une jeune femme au caractère bien affirmé nous évitant ainsi l'écueil de l'émotion facile et larmoyante pour s'intéresser à cette détermination qui anime ce personnage d'un force peu commune qui nous renvoie évidemment vers Chastity Riley confrontée une nouvelle fois aux aléas de sa vie privée. Mais il faut également s'intéresser à la trajectoire de Nouri Saroukhan qui, en quittant une famille aux comportements tribaux, voire mafieux, en intègre une autre, ceci sur le plan professionnel en refusant d'intégrer les codes de conduite d'une compagnie d'assurance et plus particulièrement de ses collègues en quête de performances à tout prix. Avec des comportements similaires tout aussi douteux les uns que les autres, on observe ainsi l'impasse dans laquelle s'engouffre ce jeune homme rejetant les règles familiales et professionnelles le conduisant à finir dans une voiture enflammée. Tout l'enjeu réside donc à déterminer qui a pu attenter à la vie de Nouri au détour d'une enquête aux contours incertains en s'achevant sur une scène abrupte et détonante qui désarçonnera une nouvelle fois le lecteur. 

     

    Encore davantage de poésie et de spleen émergent de Rue Mexico où Simone Buchholz décline au détour de ces voitures s'embrasant dans les villes du monde, d'une phrase brève, voire même d'un unique mot qui sonne toujours juste, la fragilité des pensées incertaines d'une femme étonnante trouvant le réconfort autour d'un verre qu'elle partage avec ses amis et collègues policiers que l'on retrouve avec un même plaisir dans cette atmosphère chaleureuse du Blau Nacht, bar attitré d'une procureure au charme indéniable.

     

    Simone Buchholz : Rue Mexico (Mexikoring). Editions de l'Atalante, collection Fusion 2023. Traduit de l'allemand par Claudine Layre.

    A lire en écoutant : Hotel Bar de Tindersticks. Album : Stars at Noon (Original Soundtrack). 2022 Lucky Dog / City Slang.

  • ARNALDUR INDRIDASON : LE DUEL. LA DIAGONALE DU FOU.

    Comme dit précédemment dans ce billetarnaldur indridason, Le duel, echecs, bobby fischer, Arnaldur, Marion Briem, il faut bien admettre que le commissaire Erlendur est un héros qui arrive en bout de course et dont Arnaldur Indridason semble avoir fait le tour à un point tel qu’il a délaissé à deux reprises son policier fétiche pour mettre au premier plan des protagonistes qui évoluaient dans la périphérie du personnage principal. 

     

    Dans Le Duel  l’auteur renouvelle l’expérience en concentrant son récit sur Marion Briem, un des personnages le plus ambigu de la série. Une ambigüité qui réside déjà  dans le genre de ce personnage clairement féminin dans La Cité de Jarre mais qui semblera plus masculin dans ce dernier roman, notamment si l’on se réfère au résumé de l’ouvrage qui le fait passer pour un homme (une erreur peut-être ?). Confusion que Arnaldur Indridason se plaît à entretenir durant tout le récit car lorsque Marion Briem évoque une relation avec son amie celle-ci lui réplique : « Les gens risquent de jaser sur nous, non ? ». De plus. Durant toute l’histoire, l’auteur n’utilise jamais le pronom « il » ou « elle » pour désigner Marion Briem ce qui n’est probablement pas le fruit du hasard.

     

    C’est lors de l’été 1972 à Reykjavík , que se situe le récit, période durant laquelle s’est déroulé le tournoi d’échec qui opposa l’américain Fischer et le russe Spassky et qui symbolisait la lutte entre les blocs de l’est et de l’ouest. En marge de ce tournoi, Marion Briem va enquêter sur la mort d’un jeune adolescent retrouvé poignardé dans un cinéma de la ville. Une investigation douloureuse et laborieuse conduira Marion Briem dans les méandres d’une lutte d’influence qui s’est focalisée au cœur de la cité islandaise.

     

    Après avoir fait le tour de ce qui a façonné Erlendur sur le plan personnel en évoquant entre autre la disparition de son frère et sa relation chaotique avec sa fille Eva Lind, Arnaldur Indridason se tourne désormais vers la personne qui a modelé le fameux commissaire sur le plan professionnel. Prélude à cette démarche, Le Duel se construit comme à l’accoutumée sur deux périodes mais si la première évoque le déroulement de l’enquête à proprement parler, la seconde ne s’attarde cette fois-ci ni sur la victime, ni sur l’auteur du crime mais sur l’enfance tragique de Marion Briem marquée par la tuberculose qui sévissait sur l’île et la rencontre d’une jeune fille atteinte de la même maladie et qui va sceller le destin de ce personnage.

     

    Prélude de la rencontre entre Arnaldur Sveinsson et Marion Briem, l’enquête que va mener ce dernier va très rapidement passer du fait divers sordide pour emprunter une tournure aux dimensions plus politiques sur fond de transfuge entre l’est et l’ouest dans un climat de paranoïa accentuée par la compétition dantesque que se livre les deux joueurs d’échecs. Détenteur d’informations sensibles, Marion Briem incapable de collaborer avec ses collègues va diriger sa barque d’une manière toute personnelle ce qui l’isolera encore d’avantage de la brigade comme pour faire écho à la carence affective de sa vie personnelle.

     

    C’est bien évidemment sur l’évocation de la jeunesse de Marion Briem qu’il faut s’attarder pour tenter de cerner ce personnage trouble et peu avenant. Outre la terrible maladie qui l'affecte, Marion est issu d’une liaison illégitime entre un père qui ne reconnaitra jamais l'enfant et une mère qui disparaîtra dans le naufrage d’un navire. Errant de sanatorium en sanatorium, sous la protection bienveillante du chauffeur de la famille paternelle, Marion Briem ne se remettra jamais de ce manque d'affection et ne sera donc jamais en mesure d'en prodiguer à qui que ce soi à l'exception de cette jeune fille rencontrée dans un sanatorium danois.  

     

    Sans verser dans le larmoyant, Arnaldur Indridason parvient à nous faire éprouver une certaine empathie pour cet antihéros qui devient un personnage pourvu d’une dimension psychologique et dramaturgique que ne possédaient pas les seconds couteaux des opus précédents. Toujours un peu en marge dans les enquêtes des opus précédent, Marion Briem, personnage quelque peu antipathique et un brin xénophobe, pourra désormais prendre plus de place dans les enquêtes à venir du jeune Erlendur, et Arnaldur Indridason semble donc miser sur un renouveau de la série qui peut s’avérer des plus intéressants avec la mise en place de cette  relation houleuse entre le jeune disciple et son mentor.  

     

    Faut-il entrevoir avec Le Duel une tentative prometteuse de redynamiser une série qui peinait à se renouveler ? A découvrir peut-être dans le prochain épisode des enquêtes du désormais jeune inspecteur Erlendur qui pourra donc évoluer jusqu'au prémisse de La Cité des Jarres comme pour boucler la boucle entre passé et présent, schéma si cher à son auteur.

     

    Arnaldur Indridason : Le Duel. Editions Métailié Noir 2014. Traduit de l’islandais par Eric Boury.

    One Night in Bangkok interprété par Murray Head. Album : Chess (Polar Music International) 1984.

  • Le polar, unique alternative pour raviver la morne littérature contemporaine romande.

    Capture d’écran 2014-05-13 à 22.29.05.pngOn pourra considérer ce titre comme étant légèrement provocateur, mais finalement guère plus excessif que la réflexion de Bernard Campiche, directeur de la maison d’édition du même nom qui déclare dans un article de l’Hebdo du 1er mai 2014 en parlant d’un ouvrage de Daniel Abimi : «  Je ne considère pas les livres de Daniel comme des polars. Ils sont trop bien écrits ! ». Certes on pourra rétorquer que les maisons d’éditions romandes cesseront d’être perfusées à coup de subventions, le jour où elles commenceront à s’intéresser non pas uniquement au style de l’auteur mais à l’histoire qu’il raconte, cessant ainsi de publier des livres que personne ne lit ! Ah ! Provoc ! Provoc ! Quand tu nous tiens !

     

    Finalement la déclaration de Bernard Campiche n'est rien d'autre qu'une réflexion désobligeante de plus à ajouter à la longue liste des propos d’une élite littéraire romande qui s’évertue à déconsidérer un genre bien trop populaire à leurs yeux. Un mépris ou une déconsidération qui frise l’hypocrisie au regard du nombre croissant de romans policiers ou romans noirs publiés par des maisons d’éditions romandes qui ne s’étaient, jusqu’à présent,  jamais intéressées au genre mais qui se découvrent un intérêt soudain, bien évidemment sans lien avec les chiffres de vente, pour cet univers.

     


    Cette déconsidération n’est pas l'unique apanage d’une "clique provinciale raffinée" puisqu’on la retrouve à Paris, au sein même d’une maison d’édition comme Gallimard qui a pourtant créé la collection Série Noire. En éditant dans la collection Quarto, l’intégrale de l’œuvre de Chandler on pouvait saluer la démarche, d’autant plus que toutes les traductions étaient révisées. Toutes ? Pas vraiment, puisque la traduction de La Dame du Lac, effectuée par Michelle et Boris Vian a été conservée dans sa version originale. Il ne s’agit pas de critiquer le travail des Vian qui répondait au format de l’époque (nombre de pages limité, coupures des passages trop descriptifs et ajout d’un argot spécifique) mais de démontrer qu'aujourd'hui encore pour une maison d’édition française, entre Chandler et claude mesplède,daniel abimi,campiche,dictionnaire littératures policières,le monde,hors-série polar,gallimard quarto,chandlerVian c’est le travail fantaisiste de ce dernier qui est plus important !

     

    Mais rien n’y fait, le train est en marche et le polar s’impose avec la force d’une lame de fond qui n’a pas fini de submerger le paysage littéraire contemporain. Pour s’y immerger, je ne peux que vous conseiller de vous laisser aller au gré de votre instinct  en parcourant les rayonnages des bibliothèques municipales ou les étals des libraires. Mais pour ceux qui auraient besoin d'une bouée, de repères ou de références je vous recommande de faire l’acquisition du dernier hors-série du journal Le Monde consacré au polar où vous découvrirez un florilège de romans en lien avec les superbes articles consacrés aux diverses thématiques du genre. Et s’il vous faut un seul ouvrage de référence, ça tombe très bien puisqu’il n’en existe qu’un (en fait deux volumes) que l’on surnomme le Mesplède (comme le Larousse ou le Robert) du nom du directeur qui a créé Le Dictionnaire des Littératures Policières. Outre le travail prodigieux que constitue l’élaboration d’un tel dictionnaire, les préfaces de Pennac et Guérif rendent un vibrant hommage à Claude Mesplède qui, depuis plus de 30 ans, voue une passion sans borne à un genre qu’il a su promouvoir au travers des revues, festivals, blogs et anthologies qui font, aujourd’hui encore, références dans le monde du polar. Claude Mesplède c’est un amoureux du polar qui s’évertue à transmettre humblement ses connaissances quasi encyclopédiques et sa passion au plus grand nombre d’entre nous.

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    De Busino à Dürrenmatt vous trouverez dans Le Dictionnaire des Littératures Policières plusieurs auteurs suisses et qui sait, un jour peut-être, découvrira-t-on dans une prochaine mise à jour de cet ouvrage de référence un article consacré à Daniel Abimi premier auteur de polar des éditions Campiche. En attendant ce jour, je me réjouis de découvrir cet écrivain si prometteur dont l’écriture semble être en passe de transcender la littérature policière. Affaire à suivre …

     

     

    Le Monde Hors-Série : Polar, le triomphe du mauvais genre.

    Claude Mesplède : Dictionnaire des Littératures Policières. Editions Joseph K. 2008.

    Raymond Chandler : Les Enquêtes de Philip Marlowe. Editions Quarto Gallimard 2013. Traductions révisées par Cyril Laumonier à l'exception des traductions de B. et M. Vian.

    A lire en écoutant : Des hauts, des bas de Stephan Eicher. Album : Carcassonne. Virgin 1993.

  • MAJ SJÖWALL & PER WAHLÖÖ : L’HOMME QUI PARTIT EN FUMEE. LE ROMAN D’UN CRIME.

    Capture d’écran 2020-12-06 à 18.13.57.pngDerrière l‘opulence d’un pays de cocagne régit par cet état-providence qui fait l’admiration de tous, la Suède devient le théâtre d’une série policière composée de dix romans mettant en scène Martin Beck, un policier placide dont les enquêtes mettent à mal ce fameux modèle suédois qui serait dépourvu d’inégalité sociale. Grattant la surface de ce tableau idyllique, l’ensemble des romans, rédigés entre 1965 et 1975 par Maj Sjöwall et Per Wahlöö, restent étonnamment modernes en dépit de l’absence de téléphones portables, d’ordinateurs et de prélèvements scientifiques. Il faut dire que sur la base de récits de procédural police assez lents, les deux auteurs abordent des thématiques sociales fondamentales qui restent toujours d’actualité à l’instar de Roseanna, premier roman de la série qui, au-delà de l’enquête sur sa disparition, évoquait la place de cette jeune femme émancipée et indépendante évoluant dans un monde machiste (on est en 1965) ne pouvant tolérer une certaine décomplexion qu’elle affiche notamment pour tout ce qui a trait à la sexualité. On découvre ainsi une enquête évoluant de manière incertaine sur plusieurs mois tant les indices sont peu nombreux alors que l’on fait la connaissance de policiers aux profils ordinaires dont fait partie Martin Beck. Second épisode de la série, L’Homme Qui Partit En Fumée a la particularité de se dérouler en grande partie au-delà du Rideau de fer, en Hongrie où le policier va parcourir les rues de Budapest à la recherche d’un journaliste disparu.

     

    Alors que la chaleur du mois d’août déferle sur Stockholm, Martin Beck rejoint sa famille sur une île de l’archipel en comptant bien profiter de ses vacances. Mais dès le lendemain, l’inspecteur doit retourner à la capitale pour une affaire urgente qui implique le ministère des affaires étrangères. En effet, le reporter suédois Alf Matsson a disparu en Hongrie alors qu’il effectuait un reportage pour le compte d’un magazine suédois qui a bien l’intention d’exploiter cette disparition en flairant un scoop. Mais pour les autorités, il n’est pas question d’avoir un incident avec un pays du bloc de l’est. Martin Beck doit donc se rendre à Budapest pour faire la lumière sur cette étrange disparition. Mais l’enquête s’avère difficile et à chaque nouvelle avancée, un obstacle infranchissable se dresse devant lui alors qu’il doit composer avec la police locale qui semble suivre chacun de ses pas. Qu’est-il advenu de ce journaliste dont on reste sans nouvelle ?

     

    L'homme Qui Partit En Fumée débute sur une scène de crime décrite par le menu détail avant de se rendre compte qu'il s'agit d'une photo que Martin Beck examine dans son bureau tandis que l'auteur du meurtre passe aux aveux dans une salle d'interrogatoire voisine. Un prologue d'autant plus surprenant qu'il s'enchaine sur quelques scènes estivales ordinaires où l'on suit le policier dans son quotidien tandis qu'il rejoint femme et enfants qui séjournent sur une île de l'archipel, dans une villa qu'il a louée pour les vacances. C'est une des particularités du cycle des romans de Maj Sjöwall et Per Wahlöö où le couple s'ingénie à mettre en exergue cette dichotomie entre la vie quotidienne et le processus du crime qui perturbe ce déroulement ordinaire. Bien loin d'être un prétexte, ledit crime s'inscrit dans le dysfonctionnement d'un modèle social-démocrate qui s'effrite en laissant entrevoir les carences des différentes strates sociales qui composent le pays. Avec L'Homme Qui Partit En Fumée, un titre qui n'aura jamais aussi bien convenu à l'intrigue que ce soit au propre tout comme au figuré, les deux auteurs se focalisent sur le milieu journalistique et sur les relations qu'entretiennent la Suède et la Hongrie se situant à l'époque derrière le Rideau de fer qui apparaît comme bien moins hermétique qu'il n'y paraît avec tout de même une police omniprésente s'employant à surveiller la diaspora des touristes qui se rendent notamment à Budapest. C'est d'ailleurs tout autour de cette surveillance que l'enjeu de l'intrigue fonctionne en se demandant ce qu'il a pu advenir d'Alf Matsson, un journaliste qui se révèle assez détestable avec cette propension à consommer de l'alcool plus que de raison et qui devient au fil de l'intrigue une victime pour laquelle on éprouve assez peu d'empathie. Comme pour Roseanna, Martin Beck se heurte aux aléas d'une enquête incertaine dont nous ne sommes pas sûr qu'elle puisse aboutir. A nouveau plongé dans le quotidien banal mais cette fois-ci d'une capitale d'un pays du bloc de l'est, on suit donc les pérégrinations d'un policier isolé qui goûte tout de même aux plaisirs touristiques que peut lui offrir la ville et notamment les bords du Danube jusqu'à une agression qui va faire basculer le déroulement de l'enquête. Des investigations d'autant plus incertaines qu'elles s'effectuent dans un climat de paranoïa assez inquiétant avec cette sensation permanente qu'a le policier d'être pris en filature sans savoir s'il s'agit de la police ou d'autres individus aux intentions hostiles. En ce qui concerne le milieu journalistique, il faut bien avouer que la profession est dépeinte sous un jour peu flatteur avec des journalistes qui s'adonnent davantage à la boisson qu'à leur métier et une rédaction qui semble plus soucieuse de réaliser un scoop que de savoir ce qu'il est advenu de son collaborateur. Un portrait de la corporation peu élogieux donc, ceci d'autant plus si l'on prend en considération le fait que Per Wahlöö a exercé le métier durant plusieurs années avant d'entamer sa carrière d'écrivain.

     

    Second volume du cycle du "Roman d'un crime", L'Homme Qui Partit En Fumée révèle toute la virtuosité d'un couple d'auteurs qui parvient à diffuser un climat de tension à partir d'une banale enquête de disparition dans le cadre d'une ville de Budapest dont le contexte se situe à l'époque pas si lointaine où le Rideau de fer divisait le monde en deux blocs.

     

    Maj Sjöwall & Per Wahlöö : L’Homme Qui Partit En Fumée (Mannen Some Gick Upp I Rök). Editions Rivages/Noir 2008. Traduit de l’anglais par Michel Deutsch.

     

    A lire en écoutant : Time And Again de Oscar Peterson Trio. Album : We Get Reguests. 2015 The Verve Music Group.

  • JUSTIN FENTON : LA VILLE NOUS APPARTIENT. FLIC ET VOLEUR.

    Capture.PNGParfois la réalité dépasse la fiction. L'expression n'est pas galvaudée avec La Ville Nous Appartient de Justin Fenton, un journaliste du Baltimore Sun qui a enquêté durant plusieurs années sur une escouade d'élite de la police de Baltimore, la Gun Trace Task Force (GTTF) dont la plupart des membres furent impliqués dans des affaires d'extorsions, de corruptions, de vols d'argent et de stupéfiants qu'ils remettaient sur le marché en récupérant ainsi le produit du deal. Un scandale qui défraya la chronique au niveau national au terme d'une enquête menée conjointement par des procureurs fédéraux, des agents du FBI, des policiers du comté et du BPD (Baltimore Police Départment). Recueillant un nombre considérable de témoignages, Justin Fenton rédigea un nombre important d'articles pour le compte de son journal, avant de se lancer dans l'écriture du présent récit sur conseil de David Simon, ancien journaliste au Baltimore Sun et auteur de Baltimore (Sonatine 2012) qui inspira l'emblématique série The Wire dont il fut le "showrunner" et qui se déroulait déjà à Baltimore. C'est d'ailleurs sur la base de ce récit qui se lit comme un roman que David Simon a adapté une nouvelle mini-série de six épisodes pour HBO, intitulée We Own This City en reprenant le titre original du récit, ceci avec la complicité de Ed Burns et George Pelecanos et qui sera diffusée le 26 avril 2022 sur OCS.

     

    L'idée est des plus simples : Voler l'argent des dealers et revendre la drogue saisie pour son propre compte. On pense tout d'abord à Omar Little, gangster notable de la série The Wire qui pratiquait de la sorte avant de se rendre compte que l'idée fut reprise dans la réalité par huit agents de la police de Baltimore formant une brigade d'élite qui officiait en civil dans les quartiers défavorisés de la ville en s'en prenant majoritairement aux membres de la communauté afro-américaine. Tout est bon à prendre pour ces policiers complètement dévoyés qui se comportent comme les membres d'une organisation criminelle en trafiquant les heures supplémentaires, en effectuant des perquisitions sans mandat afin de substituer une partie ou la totalité de l'argent découvert ainsi que les produits stupéfiants saisis qu'ils revendaient avec la complicité d'intervenants externes qui participaient parfois en toute illégalité aux interventions policières. Conduit par le sergent Wayne Jenkins, on découvre l'édifiant parcours de ces policiers complètement corrompus qui opérèrent ainsi durant plusieurs années en toute impunité.

     

    Divisé en trois parties, le récit débute avec la présentation des arcanes du Baltimore Police Départment et de l'état d'esprit qui y règne et plus particulièrement cette culture du chiffre pour faire face à la hausse exponentielle de la criminalité que les autorités ne parviennent pas à juguler. Sans disculper la responsabilité individuelle des huit policiers corrompus, Justin Fenton parvient à mettre en lumière les disfonctionnements d'un service exigeant du résultat à tout prix sans se préoccuper des moyens pour y parvenir. On découvre ainsi des agents sous pression exerçant parfois dans des quartiers défavorisés où la population les perçoit davantage comme une menace qu'une ressource destinée à les protéger. C'est dans ce contexte particulier que l'on fait connaissance avec le sergent Wayne Jenkins qui va mettre en place ces activités délictueuses devenant la norme de la Gun Trace Task Force qui apparaît aux yeux de la hiérarchie comme l'exemple à suivre tant les résultats semblent satisfaisants. Néanmoins, au gré des nombreux entretiens qu'il a eu avec bon nombre de délinquants victimes des agissements de ces policiers corrompus, Justin Fenton met en exergue le paradoxe de ces malfrats qui n'osent signaler que la quantité de drogue saisie est moindre que celle dont ils étaient en possession sans risquer d'aggraver leur cas aux yeux de la justice. Il en va de même pour ce qui a trait à l'argent dérobé, même si certains délinquants vont tout de même  signaler le cas aux autorités qui vont bien évidemment douter de la véracité des faits. Car qui pourrait soupçonner des policiers d'agir pareillement ? Néanmoins, les soupçons vont commencer à apparaître avec la récurrence des plaintes qui vont finalement faire l'objet d'une enquête conjointe que Justin Fenton décline dans la seconde partie du récit, au gré d'un rythme trépident et d'une maîtrise sans faille qui nous permet d'intégrer la multitude d'intervenants  apparaissant tout au long de ces investigations d'une ampleur exceptionnelle. On en prend la pleine mesure au terme de la troisième partie évoquant la chute de ces policiers et du nombre presque invraisemblable de délits commis où Justin Fenton aborde notamment la mort d'un inspecteur de la brigade criminelle dont on ignore s'il s'agit d'une exécution ou d'un suicide, ceci venant du fait qu'il avait côtoyé certains des policiers corrompus de la Gun Trace Task Force. C'est également dans cette dernière phase que le journaliste mentionne les conséquences politiques et les tentatives de réforme de cette institution policière entrant dans la spirale d'une tourmente qui semble sans fin.

     

    Récit édifiant de l'ensemble d'une brigade corrompue de la police de Baltimore, Justin Fenton décline avec La Ville Nous Appartient les dysfonctionnements d'une institution militarisée qui s'éloigne résolument de sa population qu'elle est censée protéger.

     

    Justin Fenton : La Ville Nous Appartient (We Own This City). Editions Sonatine 2022. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Paul Simon Bouffartigue.

    A lire en écoutant : Sound Of Da Police de KRS-One. Album : Return Of The Boom Bap. 1993 Zomba Recording LLC.

  • BENOIT VITKINE : DONBASS. GUERRE OUBLIEE.

     Capture d’écran 2020-05-17 à 16.41.26.pngJournaliste spécialisé dans le domaine des pays de l’ex-URSS, Benoît Vitkine est correspondant au journal Le Monde depuis de nombreuses années et a obtenu en 2019 le prix Albert Londres de la presse écrite pour toute une série d’articles dont quelques portraits de ces combattants du Donbass, une guerre méconnue, quasiment oubliée, qui sévit pourtant depuis 2014 dans l’est de l’Ukraine en opposant l’armée loyaliste ukrainienne aux séparatistes prorusses et dont le bilan fait état de pas moins de 13’000 morts. Parmi ces portraits de vétérans figure celui de Vladimir Vlasenko, un ancien de la guerre d’Afghanistan, qui pensait cultiver tranquillement son potager en Ukraine avant de reprendre les armes pour combattre les séparatistes. Après les reportages, c’est par le biais de la fiction que Benoît Vitkine a choisi de nous faire partager le quotidien d’une guerre qui s’embourbe dans les tréfonds de l’oubli tout en intégrant quelques caractéristiques des combattants qu’il a rencontré lors de ses entretiens dans les personnages qui animent son premier roman intitulé Donbass prenant l’allure d’un thriller sur fond de conflit armé.

     

    A Avdiïdka, dans la région du Donbass, les bombardements journaliers ne troublent plus les habitants qui se sont accoutumés aux affres d’une guerre qui dure depuis quatre ans et dont on en aurait presque oublier les causes. Une terrible routine que le colonel Henrik Kadavadze, chef de la police locale, prend à son compte avec un flegme déconcertant alors que ce conflit s’enlise dans une succession de combats meurtriers touchant aussi bien les soldats que les civils tentant de survivre tant bien que mal dans cet environnement délétère. Mais à la découverte d’un jeune garçon poignardé, tous les membres de la localité s’agitent ainsi que le colonel Kadavadze qui ne va pas se contenter de rester les bras croisés pour découvrir le meurtrier. Ceci d’autant plus que l’on retrouve d’autres petites victimes dont les corps sont disséminés dans les environs de la bourgade.

     

    Crimes en série et enquêteur désabusé, on doit bien admettre que si Donbass présente certains codes du thriller, Benoît Vitkine prend soin de ne pas s’égarer dans les facilités du genre que ce soit au niveau du texte mais également de l’intrigue. Il y a même quelque chose de rafraichissant à lire un tel récit où l’auteur prend bien soin de planter le décor aussi détonant soit-il sans en abuser. C’est d’ailleurs l’une des grandes qualité de ce roman qui s’attarde sur le quotidien de ces habitants laminés par une guerre qui s’éternise et il faut bien reconnaître que l’on perçoit toute la maîtrise d’un auteur qui connaît parfaitement son sujet. Plongée abrupte au coeur de cette région dévastée, le lecteur ne manquera pas de ressentir toute l’atmosphère de cet environnement parfaitement restitué notamment dans le cours du quotidien de ces femmes de tout âge tentant de survivre aux affres des combats et de protéger du mieux qu’elles le peuvent, leur progéniture. Entre résignation et découragement des différents protagonistes, on prend ainsi la mesure des difficultés des civils, mais également des soldats  de chaque faction pour survivre dans un tel cloaque où l’avenir se décline au jour le jour. Personnage central du roman, on suit les pérégrinations du colonel Kadavadze, chef de la police locale et vétéran de la guerre d'Afghanistan qui nous permet de découvrir toute les membres de cette communauté disparate en croisant des chefs mafieux qui tiennent les reliquats  d'une industrie déclinante, des babouchkas usées par les privations et la souffrance, quelques soldats égarés et bien évidemment des officiers de police plus ou moins corrompus. Autant de portraits réalistes dont on devine quelques aspects de leur parcours ou certains traits de caractères que l'auteur a emprunté aux personnes qu'il a croisé lors de ses reportages dans le Donbass. Ainsi l'enquête de Kadavadze devient un prétexte pour découvrir cette belle galerie de personnages évoluant dans cette ambiance si particulière d'une guerre qui s'enlise, même si l'on peut regretter le fait que l'intrigue tournant autour de la disparition des ces jeunes enfants prend parfois un aspect bien trop secondaire nous donnant une impression d'inachevé voire de moins grande maîtrise comme si le journaliste l'avait emporté sur le romancier.

     

    Premier roman de Benoît Vitkine, Donbass nous permet de saisir tous les aspects d'une guerre méconnue sévissant toujours dans cette région perdue à l'est de l'Ukraine tout en nous donnant l'occasion de découvrir, au détour d'une enquêtes somme toute assez classique, toute une série de personnages qu'il sera difficile d'oublier. Renversant.

     

     

    Benoît Vitkine : Donbass. Editions Les Arènes/Equinox 2020.

     

    A lire en écoutant : O, Panno Inno ! De Dakh Daughters. Album : Air. 2019 Dakh Daughters.

  • Frédéric Jaccaud : Glory Hole. Derrière le mur.

    Capture d’écran 2019-11-08 à 15.14.30.pngCultivant la discrétion comme credo, à l’extrême inverse de ces écrivains 2.0 occupant le devant de la scène, Frédéric Jaccaud est devenu, bon gré mal gré, l’une des voix dissonantes de la littérature noire helvétique en interpellant le lecteur avec des romans singuliers et dérangeants tout en s’interrogeant sur le monde qui nous entoure. Probablement s’agit-il d’une démarche similaire à sa fonction de conservateur qu’il occupe à la Maison d’Ailleurs à Yverdon qui explore les univers de la science fiction, des mondes utopiques et des voyages extraordinaires. Ne cherchant pas forcément à plaire, bien au contraire, Frédéric Jaccaud a pu heurter, voire même diviser son lectorat avec des ouvrages comme Hecate  (Série Noire 2014) dont la structure narrative s’articule autour d’un fait divers terrible, ou comme Exil (Série Noire 2016) récit paranoïaque baignant dans les méandres du silicium alimentant une technologie numérique débridée. En suivant Aurélien Masson, l’ancien directeur de la collection Série Noire, chez Equinox – Les Arènes, Frédéric Jaccaud revient une nouvelle fois, là où l’on ne l’attendait pas, en explorant le monde de la pornographie des eighties avec Glory Hole, en lice pour le prix du Polar romand 2019 et qui risque bien de décontenancer quelques membres du jury et quelques lecteurs avertis, en découvrant un roman noir troublant et poignant à la fois, suscitant un certain malaise.

     

    Il y a des promesses qui sont faites pour ne pas être tenues, comme celle de ces trois enfants qui ont juré, sous l’arbre de l’orphelinat, de ne jamais se quitter. Mais bien des années plus tard il ne reste de tout cela plus qu’un vague souvenir qui rejaillit à la vue d’une photographie de Claire étalant ses charmes dans une revue pornographique. Échoués dans une ville portuaire sans nom, Jean veut la retrouver à tout prix en entraînant Michel avec lui pour se rendre à Los Angeles, nouvel Eldorado du sexe qui se décline en format VHS. N’ayant plus rien à perdre, ces deux compères d'infortune vont franchir toutes les limites afin de découvrir ce qu’il est advenu de leur amie qui semble s’être volatilisée dans un environnement de perversions de plus en plus sordides. Quand les promesses deviennent chimères, les espoirs se fracassent aux pieds du Glory Hole. Jean et Michel vont l'apprendre à leurs dépens.

     

    Sujet infiniment casse-gueule, l’exploration du monde pornographique peut donner lieu à une espèce de voyeurisme malsain couplé d’une violence complaisante pour faire frémir de dégoût quelques lecteurs en quête de sensation. Il n’en sera rien avec Glory Hole qui passe en revue, de manière parfois glaçante, cette frénésie du porno des années 80 que l’on consomme désormais sur cassettes VHS en nous interrogeant sur notre rapport avec l’écran avec un parallèle sur l'émergence du monde des jeux vidéos qui nous projette vers le repli et la solitude de l’individu, comme si les eighties incarnaient les prémisses de l'individualisme qui prévaut à notre époque. Une dissolution dans un nuage de pixels. Dans un tel environnement désincarné, bien loin du flash des néons et du scintillement des paillettes, on observe l'envers du décors avec ce coté sordide d’une industrie décomplexée qui laisse place aux pires dérives pour satisfaire les exigences de consommateurs pouvant désormais assouvir quelques ersatz de fantasmes en se dissimulant derrière l’écran de leur téléviseur.

     

    Débutant comme un roman noir, on suit le parcours de deux paumés, Jean et Michel, dont la vie part à la dérive, dans l'indolence d'une cité sans nom qui semble les absorber jusqu'à la découverte de cette photo de Claire, leur amie qu'ils ont perdue de vue depuis tant d'années, malgré cette promesse d'enfant qui devient désormais un nouvel enjeu de retrouvailles. Une obsession apparaissant comme une étincelle dans le morne cours de leur existence qui les poussera au crime afin de financer leurs recherches. Une dérive qui se poursuit à Los Angeles, bien loin du rêve américain que l'auteur enterre définitivement au détour de scènes glauques où ses personnages évoluent à la marge d'un monde clinquant qu'ils ne distinguent que partiellement en côtoyant toute une galerie de laissés-pour-compte et d'individus douteux dont Frédéric Jaccaud dresse un portrait saisissant. Point de bascule du récit, les événements qui se produisent autour d'une séquence ultra violente du Glory Hole, symbole de l'obstacle qu'il faut surmonter, nous entraînent dans une autre dimension qui n’est pas sans rappeler l’univers déliquescent de J. G Ballard autour de sa trilogie de béton avec Crash ! (Folio 2007) son roman emblématique auquel Frédéric Jaccaud rend un hommage appuyé. Même la dynamique des personnages change puisque c’est désormais Michel qui prend l’ascendant sur Jean pour explorer cet univers dérangeant d’une démarche artistique morbide et obsessionnelle aux contours pornographiques meurtriers.

     

    Il en résulte un récit désenchanté où l’amitié sera sacrifiée sur l’autel de l’émancipation pour se départir de vaines illusions faisant de Glory Hole un roman noir éprouvant et émouvant qui vous fera frémir jusqu’à la dernière ligne.

     

    Frédéric Jaccaud : Glory Hole. Editions des Arènes/Equinox 2019.

    A lire en écoutant : King Of Sorrow de Sade. Album : Lovers Rock. 2000 Sony Music Entertainment (UK) Ltd.

  • B. MICHAEL RADBURN : L’ARBRE AUX FEES. DISPARITIONS ET EXTINCTIONS.

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    Service de presse

     

    Toujours une belle occasion d’explorer de nouvelles contrées par l’entremise de la littérature noire, ceci d’autant plus lorsque l’on s’aventure du côté de l’Océanie. Peter Temple pour Rivages Noir, Jane Harper pour Calmann-Lévy, Paul Cleave et Tony Cavanaugh chez Sonatine, les auteurs australiens sont de plus en plus nombreux à débarquer dans nos régions francophones avec polars, romans noirs et thrillers dont la majeure partie se déroule dans les environs de Melbourne. Mais c’est plus au sud, sur l’état insulaire de Tasmanie que B. Michael Radburn nous invite à découvrir L’Arbre Aux Fée, premier roman d’une série mettant en scène le ranger australien Taylor Bridges qui a choisi de s’exiler dans le parc national Ben Lomond, suite à la disparition de sa fille Claire dont il ne peut se remettre.

     

    Muté à sa demande, Taylor Bridges débarque en Tasmanie en tant que ranger où il a la charge de gérer le parc national Ben Lomond. Hanté par le souvenir de Claire, sa petite fille qui a disparu dans des circonstances tragiques, Taylor réside désormais à proximité de la petite localité de Glorys Crossing en comptant bien trouver une certaine quiétude dans la solitude des lieux. Mais avec les cauchemars et les crises de somnambulisme dont il est sujet, le ranger reste un homme tourmenté, ceci d’autant plus lorsqu’il apprend la disparition de Drew, une fillette du même âge que Claire. Impliqué plus que de raison dans les recherches, Taylor Bridges mène une enquête qui n’est pas du goût du chef de la police locale et des habitants qui se montrent hostiles. Mais rien n’arrêtera le ranger obstiné qui est persuadé que Drew est encore vivante tout en découvrant au gré de ses investigations que d’autres fillettes ont disparu avant elle. L’enquête va prendre davantage d’ampleur avec l’arrivée d’un inspecteur du continent qui va déterrer quelques secrets bien enfouis.

     

    Un long voyage aux antipodes de nos contrées, B. Michael Radburn nous emmène donc du côté de cette île méconnue, ancienne colonie pénitentiaire, située à près de 250 kilomètres au large de Melbourne. D’entrée de jeu, il est question de paysages montagneux figés par le froid avec des forêts de cèdres saupoudrées de neige et un lac artificiel qui ronge la petite localité fictive de Glorys Crossing s’apprêtant à être engloutie par l’inexorable montée des eaux. Il émane ainsi une atmosphère de désolation inquiétante, quelque peu gothique que l’auteur exploite à fond à l’exemple de ces cercueils du cimetière inondé remontant à la surface pour livrer quelques macabres révélations, de cette étrange tour à plomb qui servait à la fabrication de balles de fusil et de ce vieux poivrier sauvage dont la silhouette insolite donne son titre au roman. C’est dans ce décor à la fois sauvage et menaçant qu’évolue Taylor Bridges, garde forestier en quête de rédemption après la disparition de sa fille Claire. Hasard extraordinaire, c’est une autre fillette qui disparaît dès l’arrivée de Taylor. Ainsi, tout le récit s’articule autour de l’enlèvement de la jeune Drew avec une intrigue plutôt convenue pour ce genre de thèmes maintes fois rabâchés. Le récit est d’autant plus décevant que B. Michael Radburn ne se fatigue pas, en nous proposant des ressorts narratifs simplistes qui fonctionnent sur la base de coïncidences peu probables quand ce ne sont pas tout simplement des rêves prémonitoires qui permettent au ranger tourmenté, en proie à des crises de somnambulisme, de progresser dans son enquête.

     

    Comme s’il voulait aborder tous les thèmes en lien avec la Tasmanie, tout en se focalisant sur les aspects d’un thriller convenu avec le sempiternelle tueur en série rôdant dans les parages, ponctué d’éléments fantastiques, B. Michael Radburn nous donne l’impression de s’être égaré au gré d’une intrigue manquant singulièrement de tenue où bien trop de thèmes ont été effleurés à l’instar de la disparition des tigres de Tasmanie qu’il aborde de manière bien trop superficielle quand il ne s’autorise pas quelques entorses avec la réalité de la situation. On regrettera également cette galerie de personnages caricaturaux qui compose la petite communauté de Glorys Crossing en nous donnant l’impression d’avoir à faire à des bouseux ignares complètement déconnectés de la réalité, seule explication valable pour expliquer cet abandon des recherches d’une fillette, au bout de quelques heures, ou le fait de ne pas exploiter l’existence d’une faune que l’on croyait disparue qui empêcherait la mise en place d’un barrage auquel l’ensemble des habitants est opposé.

     

    Inaugurant une série à venir, L’Arbre Aux Fées, roman plein de promesses, se révèle au final plutôt décevant avec un auteur qui a pris le parti de rester sur des registres extrêmement convenus en dépit d’un cadre qui sort de l’ordinaire mais qui est fort mal exploité.

     

    Michael Radburn : L’Arbre Aux Fées (The Crossing, 2011). Editions Seuil/Cadre noir. Traduit de l’anglais (Australie) par Isabelle Troin.

    A lire en écoutant : Artic World de Midnight Oil. Album : Diesel and Dust. 1987 Midnight Oil Ents Pty Ltd.

  • MISE AU POINT 2024

    IMG_1291.pngDepuis quelques années, on ne compte plus les rentrées littéraires. Il y a tout d'abord celle de l'automne bien évidemment, débutant désormais à la fin du mois d'août, mais également celle du printemps pour combler les lecteurs estivaux et puis celle du mois de janvier qui n'est pas en reste avec une cohorte assez impressionnante d'ouvrages ornant soudainement les étals des librairies comme pour célébrer la nouvelle année qui s'annonce. Comme pour conjurer cette frénésie, il est de bon aloi de se retourner quelques instants sur les lectures de l’année passée, sans pour autant se livrer à un classement ou à un bilan comptable, sans doute pour dissimuler le fait, que contrairement à certains instagrammeurs, je ne parviens pas à aligner 150 ouvrages par an avec autant de chroniques qui en découlent. La démarche consiste uniquement à se remémorer des romans qui disparaissent bien trop vite du paysage littéraire pour prolonger leur existence de quelques instants.

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.09.40.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.10.29.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.11.11.pngCela devient presque un tradition que de débuter l’année avec les éditions Rivages qui ont inauguré un nouvelle collection Imaginaire avec Immobilité de l'iconique Brian Evenson qui nous entraine sur les routes apocalyptiques d’une terre dévastée tout en nous interrogeant sur des questions existentielles de notre devenir. Puis c’est DOA qui revient sur le devant de la scène avec Retiaire(s) (Série Noire) en nous confirmant tout le bien que l’on pensait  d’un auteur emblématique de la littérature noire. Et pour en savoir plus, il faut lire DOA, Rétablir Le Chaos chez Playlist Society déclinant au court d’un long entretien où cet auteur, cultivant une certaine discrétion, se livre au cours d’un long entretien conduit par Elise Lepine.

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.14.45.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.15.43.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.16.45.pngOn poursuit avec Nettoyage A Sec (Rue de Sèvres) une bande dessinée à la sois sombre et sublime de Joris Mertens et Harlem Shuffle (Albin Michel) de Colson Whitehead qui se lance dans une fresque du quartier emblématique de New-York qui connaîtra une suite que l’on attend impatiemment. Un peu moins convaincu par Le Vol Du Boomerang (Au Diable Vauvert), récit d’aventure se déroulant en Australie sur fond d’incendies dévastateurs et de Covid19.

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.20.34.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.21.33.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.23.24.pngSimone Buchholz revient avec Rue Mexico (Atalante/Fusion) nous entraînant, pour une troisième fois, dans le sillage de la détonante procureure Chastity Riley que l’on retrouve avec tout autant de plaisir. Puis survient une belle découverte avec Notre Dernière Part De Ciel (Rivages/Noir), un roman noir de Nicolàs Ferraro aux allures de western se déroulant dans les contrées reculées de l’Argentine avant de retrouver New-York et le quartier de Gravesend cher à William Boyle avec Eteindre La Lune (Gallmeister) nous entraînant dans une nouvelle histoire sombre sur fond de résilience et de vengeance.

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.25.49.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.26.38.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.27.14.pngOn change de registre avec Jacky Schwartmann toujours aussi grinçant et (im)pertinent avec Shit ! (Seuil/Cadre noir) en arpentant l’environnement chaotique d'une banlieue de Besançon sur fond de trafic de haschich assez détonant. Puis cap sur l'Inde pour retrouver le capitaine Sam Wyndham quI tente de se débarrasser de son addiction à l’opium dans Le Soleil Rouge De L’Assam (Liana Levi) d’Abir Mukherjee. Autour d’un récit dystopique assez impressionnant, Jean-Christophe Tixier nous invite à découvrir les habitants d’un village qui doivent désormais composer avec La Ligne (Albin Michel) qui sépare l’agglomération.

     

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    Grand retour d’Antoine Chainas avec Bois-Aux-Renards (Gallimard/La Noire) demeurant un romancier à part que l’on avait déjà tant apprécié avec L’empire Des Chimères (Série Noire 2018), un ouvrage devenu culte.

     

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.32.30.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.33.22.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.36.02.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.34.22.png

    Les auteurs suisses ne sont pas en reste, tout d’abord avec Luca Brunoni qui débarque aux éditions Finitude en évoquant le placement des enfants orphelins dans des fermes de montagne dont on découvre la tragédie avec Les Silences (Finitude), traduit du suisse italien par Joseph Incardona qui nous propose également une réédition de Lonely Betty (Finitude), un de ses premiers romans, illustré par Thomas Ott. Et si l’on reste en Suisse, toujours dans le récit graphique, on ne manquera pas de mettre en avant Berne, Nid D’Espions (Antipodes) d’Eric Burnand et de Mathias Berthod. Encore un Suisse, Joachim B. Schmidt, mais qui s’est établi en Islande pour nous raconter l’extraordinaire parcours de Kalmann publié dans la collection La Noire chez Gallimard. Même s’ils sont plus difficile d’accès au-delà des frontières de la Suisse romande, il faut lire impérativement La Saison Des Mouches (Bernard Campiche Editeur) de Daniel Abimi ainsi que Sans Raison (BSN Press/OKAMA) de Marie-Christine Horn. Roman brutal et déjanté se déroulant entre Berne et Genève en passant par le Jura, on appréciera également Une Balle Dans Le Bide (Cousu Mouche) de Gérald Brizon. Il y a également Nicolas Verdan qui revient avec un second opus des enquêtes d’Evangelos Moutozouris parcourant la route des Balkans dans La Récolte Des Enfants (Atalante/Fusion). 

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.37.38.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.39.30.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.38.20.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.40.24.png

     

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.49.05.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.49.43.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.51.26.pngFin de la panthèse helvétique pour se rendre au Portugal avec La Grande Pagode (Agullo) de Miguel Szymanski autour d'une seconde enquête financière menée tambour battant par le journaliste Marcelo Silva. Dennis Lehane signe son grand retour avec Le Silence (Gallmeister) qui confirme son immense talent d’auteur, même s’il avait pu nous décevoir avec quelques précédents ouvrages assez médiocres. Un Conte Parisien Violent (Atalante/Fusion) de Clément Milian figure parmi les bonnes surprises de l’année 2023 tout comme Ces Femmes-Là d’Ivy Pochada (Globe) et Pour Mourir, Le Monde (Agullo), extraordinaire récit d’aventure maritime de Yan Lespoux se déroulant au XVIIème siècle, sur fond de naufrages en nous entraînant du côté de Goa, de Bahia pour s’achever sur les plages sauvages du Médoc.

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    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.55.55.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.56.50.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.57.20.pngEt puis il y a les valeurs sûres qui reviennent pour notre plus grand bonheur comme Marin Ledun avec Free Queens (Série Noire), Valério Varesi avec Ce N’Est Qu’Un Début Commissaire Soneri (Agullo) et l’excellent Proies (Rivages/Noir) d’Andrée A. Michaud. Un des événements de l’année c’est également le retour d’Emily St. John Mandel qui nous livre un extraordinaire récit de science-fiction intitulé La Mer De La Tranquillité (Rivages) ainsi que Laurent Petitmangin qui s’empare également du thème de l’anticipation avec

  • Alice Géraud : Sambre, radioscopie d'un fait divers.

    sambre,radioscopie d’un fait divers,alice géraud,éditions jean-claude lattèsA l'occasion de sa venue aux Quais du Polar à Lyon, le cinéaste Dominik Moll accordait un entretien à Christophe Laurent pour évoquer son travail de réalisateur et plus particulièrement son dernier film La Nuit Du 12 inspiré de 18.3, Une Année A La PJ (Denoël 2021), un récit de Pauline Guéna qui a suivi les enquêteurs de différentes brigades de police judiciaire de Versailles, en se focalisant plus spécifiquement sur le meurtre d'une jeune femme aspergée d’essence et brûlée vive alors qu’elle cheminait le soir pour rentrer chez elle, et qui ne sera jamais résolu. Durant cette interview, dont vous trouverez l'intégralité sur le blog The Killer Inside Me, le réalisateur parlait de son intérêt pour les récits de non-fiction en mentionnant Sambre d'Alice Géraud, une journaliste indépendante qui a enquêté durant quatre ans en se penchant sur le procès de Dino Scala, un auteur d'une série de viols et d'agressions sexuelles perpétrés sur l'espace de trois décennies par celui que l'on surnommait «le violeur de la Sambre» et qui sévissait dans cette petite région industrielle du Nord de la France en s’en prenant à un nombre considérable de femmes des agglomérations environnantes.

     

    Hiver 1986, l’aube ne s’est pas encore levée sur cette rue de Maubeuge où chemine Danielle, une aide-soignante qui se rend à son travail lorsqu’un individu cagoulé la soulève brutalement pour l’entrainer à l’écart de l’artère avant de lui enfoncer un tissu dans la bouche afin qu’elle se taise pour ensuite la tuer pense-t-elle. Mais l’homme semble renoncer et lui glisse un billet de 50 francs dans la main avant de s’enfuir. Au commissariat où elle se rend, Danielle remet le billet aux policiers et dépose plainte. Elle n’aura aucune nouvelle de son agression durant 30 ans. Il semble que ce soit la première des nombreuses victimes de Dino Scala qui est arrêté le 26 février 2018 en étant soupçonné d’être celui que l’on surnomme «le violeur de la Sambre». Après quatre ans d’instruction, ce prédateur est jugé pour pas moins de 56 viols et agressions sexuelles. Outre la temporalité, c’est le nombre considérable de victimes qui interpelle, en se demandant comment Dino Scala a-t-il pu agir aussi longtemps, sur un si petit territoire en commettant tous ces crimes, avec le même modus operandi, sans jamais être inquiété une seule fois. C’est auprès des victimes que l’on trouvera des réponses en découvrant le témoignage d’une multitude de femmes brisées et bafouées, parfois même oubliées, dont le long parcours judiciaire chaotique met en exergue les défaillances de toute une société et plus particulièrement l’incompétence d’institutions qui sont incapables de faire face à la prise en charge de personnes ayant subi des violences sexuelles. 

     

    Comme pour le film de Dominik Moll, il est donc question, avec Sambre, de violences faites aux femmes en se concentrant plus spécifiquement sur le sort réservé aux victimes, et plus particulièrement sur la prise en considération de leurs plaintes suite à des agressions sexuelles ou des viols s'étalant sur une période de trente ans entre 1988 et 2018 année où l'on procède enfin à l'interpellation de Dino Scala dont on ignore, aujourd'hui encore, le nombre exact d'exactions qu'il a commises durant toutes ces années. D'entrée de jeu, on rejoint le réalisateur dans le fait qu'un récit tel que Sambre devient un témoignage sociétal important devant figurer dans la liste des ouvrages obligatoires à l'intention des écoles de police en mettant en exergue tout ce que l'on ne doit pas faire lorsque l'on prend en charge une victime d'un viol ou d'une agression sexuelle. Parce qu'en se focalisant principalement sur les points de vue des victimes, Alice Géraud décrit le désarroi de ces femmes devant faire face à une somme effarante d'incompétence, d'ignorance et parfois même de défiance des forces de l'ordre, mais également de la justice, qui s'ajoute à la détresse des crimes dont elles ont fait l'objet. Se déroulant sur une temporalité de plusieurs décennies, on observe également de manière extrêmement prégnante, l'insidieux processus de démolition ravageant définitivement l'existence de ces personnes violées ou agressées sexuellement qui ne peuvent se remettre d'un tel événement. Le point fort de Sambre réside dans le fait que la journaliste s'attache à restituer le climat de l'époque au gré d'une écriture à la fois sobre et immersive s'appuyant sur des témoignages factuels ce qui fait que le texte n'a rien d'un pamphlet, bien au contraire, puisque l'on ressent cette émotion qui nous étreint tout au long de cette lecture passionnante. Et puis, au-delà des erreurs et des carences qui ont permis à Dino Scala d’agir en tout impunité, Alice Géraud met en exergue les acteurs qui se sont investis, en dépit de tout, pour tenter d’appréhender "le violeur de la Sambre » et dont les fonctions donnent le titre à certains chapitres qui ponctuent le récit, à l’instar de la juge, de l’archiviste, de la maire et de quelques policiers dont les compétences et l'empathie mettent davantage en perspective les manquements de leurs institutions respectives. Ainsi, Alice Géraud relève, avec une pertinence et une lucidité incroyable, l'état d'esprit d'une époque qui n’a pas encore basculé dans l’ère des mouvements sociaux comme #MeToo. On distingue donc dans Sambre certains aspects d'une prépondérance toute masculine, formels ou informels, à l’exemple de l’évocation de l'ancien code pénal régissant notamment les délits en lien avec l'intégrité sexuelle avec certains aspects du viol qualifiés comme des attentats à la pudeur et que de très nombreux policiers persistaient à mentionner dans leurs procédures et dépit de la révision de ce texte législatif abandonnant cette terminologie désuette. Il faut également souligner la qualité de la construction narrative de Sambre qui, du présent autour du procès de Dino Scala, nous projette dans une longue analepse s’inscrivant dans la chronologie de l’ampleur de ses crimes, pour nous ramener sur les instants assez poignants où les victimes prennent connaissance du verdict mettant un terme à leur parcours judiciaire d’une intensité saisissante. Alice Géraud parvient donc littéralement à nous immerger dans les méandres de cette enquête rigoureuse, dont on retrouve la plupart des éléments dans l’adaptation d’une série tout aussi magistrale que ce récit criminel atypique et bouleversant qu’il faut lire impérativement.

     

    Alice Géraud : Sambre. Radioscopie d'un fait divers. Editions Jean-Claude Lattès 2023.

    A lire en écoutant :

    En Rouge Et Noir de Jeanne Mas. Album : Femme d'Aujourd'hui. 2010 Warner Music France.

    Sambre de Raf Keunen. Album : Sambre (Musique originale de la série). 2023 Ear Inn.