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MON ROMAN ? NOIR ET BIEN SERRE ! - Page 46

  • FRANCOIS MEDELINE : L’ANGE ROUGE. ORCHIDEE FATALE.

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    Service de presse.

     

    A la lecture des romans de François Médéline on ne peut s’empêcher d’éprouver une espèce de perte de contrôle avec des récits intenses comme La Politique Du Tumulte (La manufacture de livres 2012) parfois étranges comme Les Rêves De Guerre (La manufacture de livres 2014) voire même déjantés à l’instar de Tuer Jupiter (La manufacture de livres 2018) mettant en scène l’assassinat du président Macron. Comme à l’accoutumée, avec une écriture vive et un style tranchant qui donne le vertige, le lecteur, malmené dans la fureur du récit, va retrouver cette sensation de perte de contrôle dans son dernier opus, L’Ange Rouge dont l’action se situe à Lyon en mettant en scène un groupe de la brigade criminelle de Lyon traquant un tueur en série dont la particularité consiste à peindre une orchidée sur le corps de ses victimes. Flics borderlines, serial killer, à l’image des livres d’Ellroy dont il revendique l’influence, François Médéline nous concocte une intrigue aussi trouble qu’insensée dont l’ambition va bien au-delà des standards d’un thriller à la trame usée jusqu’à la corde, pour nous livrer un ouvrage ambitieux qui oscille entre le roman noir et le polar procédural.

     

    Lyon 1998. Alors que la nuit tombe, on distingue un étrange radeau dérivant sur les flots sombre de la Saône. Eclairée de torches enflammées, on peut distinguer sur l’embarcation un corps mutilé sur lequel on a peint une orchidée avant de le placer sur une croix en bois. Elaborée, macabre, la mise en scène marque les esprits pour celui que l’on appelle désormais le crucifié de la Saône  devenant ainsi une affaire spectaculaire qui échoit au commandant Alain Dubak et à son groupe de la brigade criminelle. Pression hiérarchique et médiatique, le groupe livre désormais une course contre la montre en traquant un tueur déterminé et audacieux qui les contraindra à violer les toutes les procédures tout en mettant leur intégrité physique en danger. Ils risquent bien d’y perdre aussi la raison.

     

    Que l'on se le tienne pour dit, L'Ange Rouge va bien au-delà des stéréotypes du thriller avec cette sempiternelle confrontation entre un serial-killer forcément retord et un enquêteur borderline dont le passé tourmenté ressurgit à mesure de l'avancée de ses investigations. François Médéline bouscule donc les codes à la façon d'un James Ellroy en nous offrant un récit extrêmement bien calibré où l'on retrouve, plus que le style syncopé, répétitif qu'il emploie, une intrigue à la fois adroite et profonde avec cette sensation de folie et parfois même de génie qui fait forcément référence au maître du polar américain. Pavé nerveux de près de 500 pages de ce qui s'avère être une série à venir, L'Ange Rouge s'articule autour de l'ensemble d'un groupe de la criminelle dont les protagonistes sont soumis bien évidemment aux aléas des investigations qu'ils doivent mener collectivement mais également aux pressions de la hiérarchie et des instances judiciaires dont on découvre toutes les arcanes et les enjeux que François Médéline décline avec rigueur et précision sans que l'on éprouve cette lourdeur d'une exactitude outrancière des procédures policières avec à la clé un mariage réussi en fiction et réalisme qui comblera les lecteurs les plus exigeants. Même si l'on découvre l'ensemble des membres qui compose ce groupe de la brigade criminelle de Lyon, il va de soi que l'on va se focaliser sur deux enquêteurs atypiques que sont Alain Dubak, commandant dudit groupe secondé de Mamy, son adjointe inamovible de la vieille école qui se gave de sucreries et sait manier le tonfa avec dextérité lui permettant de "dialoguer" avec les prévenus les plus mutiques. Un duo détonant qui compose avec les autres membres du groupe ainsi que les services d'appuis de la police qu'ils soient scientifiques ou psychologiques qui vont intervenir dans cette enquête qui risque à tout moment de s'enliser dans les méandres des fausses pistes. Personnage central du récit, on appréciera ce commandant Dubak, forcément borderline, mais pas trop, qui oscille entre certitudes et doutes en le faisant parfois basculer du côté de "procédures" qui ne sont pas forcément conformes aux directives policières. Issu de la brigade des stupéfiants où il a été affecté trop longtemps en consommant les produits qu'il saisissait, Dubak est un homme blessé, fragile qui tente de se remettre de ses excès, même si la démarche se révèle plutôt difficile tant les tentations sont nombreuses. Mais cette fragilité devient une force avec cette capacité à se retrouver sur le seuil de la folie qui devient un atout dans le cadre de cette traque au tueur en série.

     

    Et puis avec L'Ange Rouge il y a cette ville de Lyon et sa région que l'on découvre au gré d'un récit qui fait la part belle aux particularismes de la cité que ce soit sur le plan géographique bien sûr, mais également avec la dimension sociale et politique nous permettant de nous glisser dans les méandres des milieux extrémistes qu'ils soient de droite ou de gauche mais également dans le monde estudiantin de l'art. Natif de la région, François Médéline nous immerge ainsi avec quelques petites touches bien équilibrées dans le cadre de cette capitale de la Gaule que l'on parcoure dans tous les sens au détour du charme de ses traboules mais également d'endroits plus glauques comme les égouts de la ville abritant quelques sympathisants anarchistes qui vont interférer dans le cours de l'enquête. On le voit, même s'il s'agit bien d'un roman policier on retrouve quelques thématiques politiques, chères à l'auteur, qui donnent encore plus d'ampleur à un récit qui n'en manquait pas.

     

    Cocktail explosif de talent et de folie, L'Ange Rouge, premier opus d'une série à venir, nous réconcilie définitivement avec les histoires de tueur en série au détour d'un récit énergique et fascinant en côtoyant des personnages hauts en couleur que l'on se réjouit déjà de retrouver.

     

    François Médéline : L’Ange rouge. La Manufacture de livres 2020.

     

    A lire en écoutant : People Ain’t No Good de Nick Cave. Album : The Boatman’s Call. 2011 Mute Records Ltd.

  • Tiffany McDaniel : Betty. Petite indienne.

    tiffany mcdaniel,petite indienne,gallmeisterAu-delà des auteurs inamovibles et de leurs romans annuels que l’on retrouvera en tête de gondole et dont le succès est déjà assuré, on observe durant la période de la rentrée littéraire ce phénomène de livres émergeant du flot des publications pour connaître un engouement unanime aussi bien sur les réseaux sociaux qu’au travers des médias traditionnels qui relaient ainsi un enthousiasme qui devient presque suspect ceci d’autant plus qu’il s’agit bien souvent d’un premier roman à l’instar de Ce Qu’il Faut De Nuit de Laurent Petitmangin (La Manufacture de Livres 2020) ou My Absolute Darling de Gabriel Tallent (Gallmeister 2019). On assiste ainsi à une espèce de traditionnelle « success story » ou de conte de fée littéraire que les journaux, radios et plateaux télé vont amplifier jusqu’à devenir assourdissant voir même assommant tant on a l’impression d’entendre les mêmes considérations. Pour l’année 2020, c’est Betty, second roman de Tiffany McDaniel qui connait ce coup de projecteur désormais traditionnel avec une déferlante de louanges qui sont loin d’être immérités. 

     

    Surnommée Petite Indienne par son père cherokee, Betty Carpenter est la sixième enfant d'une fratrie qui en compte huit. Après des années d’errance, la famille s’est installée dans la petite ville de Breathed dans l’Ohio. Mais avec une mère blanche et un père aux origines indiennes, les Carpenter vivent en marge d’une société américaine qui se focalise sur les différences raciales. Bercée par les histoires extraordinaires que lui transmet son père avec ce mélange de contes et de légendes indiennes, Betty grandit entourée de ses frères et soeurs au sein d’un jardin luxuriant qui permet à la famille de subvenir tant bien que mal à ses besoins. Mais en grandissant, Betty perçoit de noirs secrets qui affectent sa mère mais également sa grande soeur et découvre ainsi la dureté du monde des adultes. C’est avec l’écriture que Betty choisit de surmonter courageusement les difficultés qui se présentent à elle en couchant sur papier les instants douloureux qu’elle traverse avant d’enterrer sous terre les pages qu’elle rédige au fil des années et qui vont former une seule histoire qu’elle pourra révéler un jour.

     

    Il y a tout d’abord cette écriture limpide et lumineuse chargée de notes poétiques offrant au récit une charge émotionnelle permanente que Tiffany McDaniel distille avec beaucoup de pudeur et de sensibilité au gré de cette superbe chronique familiale de la famille Carpenter. Il y a ensuite cette atmosphère envoutante, ce cadre étrange d’une maison maudite et d’un jardin luxuriant dans lequel évolue les membres de cette famille que l’on découvre par le biais du regard de Betty, cette jeune fille dont les cheveux noirs et le teint mat trahissent les origines Cherokee de son père avec qui elle partage une grande complicité et une fascination pour ses contes et légendes qu’il améliore en fonction de son inspiration. On se glisse ainsi dans l’intimité d’une famille de condition modeste évoluant dans le contexte des sixties qui subit les affres de la discrimination et de la défiance, mais qui vit tout de même dans le cadre idyllique de ce fabuleux potager au travers duquel le père communie avec la nature en restituant le savoir-faire de ses ancêtres. Sous le charme de cette famille, ce sont pourtant les drames qui jalonnent ce roman qui fait la part belle aux femmes en dénonçant leurs conditions épouvantables comme on le découvre avec la mère de Betty qui ne s’est jamais remise des terribles maltraitances qu’elle a subit durant son enfance. Avec une femme qui glisse parfois dans une espèce de folie, on distingue ces fêlures qui brisent sa personnalité en dépit du soutien sans faille de son mari qui ne connaît pas l’origine du mal qui la ronge. C’est Betty qui va porter la charge du poids du secret et découvrir également les tourments que subit Fraya, sa soeur aînée, qui choisit de se taire. Avec le destin de ces femmes ayant subit les pires avanies, Tiffany McDaniel distille subtilement un message féministe qui nous renvoie aux conditions sociales de l’époque à l’instar de cet échange édifiant entre Betty et un directeur d’école qui livre son opinion sur l’habillement des écolières au sein de son établissement.

     

    Bien loin des clichés sur la perte de l’innocence, sans pathos larmoyant, Tiffany McDaniel nous livre avec Betty un magnifique roman sur la possible rédemption en trouvant son issue dans le pouvoir des mots brisant les terribles secrets qui laminent les coeurs et les âmes de ceux qui les détiennent. Le destin bouleversant d'une petite indienne qui va devenir romancière.

     

     

    Tiffany McDaniel : Betty. Editions Gallmeister 2020. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par François Happe.

     

    A lire en écoutant : Everybody’s Talkin’ de Harry Nilsson. Album : Midnight Cowboy. 1985 MGM.

  • COLIN NIEL : ENTRE FAUVES. TABLEAU DE CHASSE.

    Capture d’écran 2020-10-14 à 18.50.17.pngOutre La Série Guyanaise qui a fait sa renommée avec les enquêtes passionnantes du capitaine de gendarmerie André Anato se déroulant dans le contexte lointain de ce département d’outre-mer, Colin Niel, loin de surfer sur le succès de cette série, trouve encore le moyen de nous séduire avec des romans noirs comme Seules Les Bêtes (Rouergue Noir 2017) dont l’adaptation au cinéma par Dominik Moll a connu un très grand succès. Jalonnant toute l’oeuvre du romancier, la nature et la faune, sont des thématiques omniprésentes qui prennent davantage de place dans un roman tel que Ce Qui Reste En Forêt (Rouergue Noir 2018) où l’on découvrait les enjeux des recherches scientifiques dans une station scientifique de la Guyane française. Avec Entre Fauves, Colin Niel reprend ces thèmes en abordant notamment tout l’aspect lié à la chasse et à ses abus, ainsi que les dérèglements climatiques qui bouleversent les habitudes d’une faune locale que ce soit dans les Pyrénées ou du côté de la Namibie, deux régions fascinantes où l’auteur nous entraîne dans un véritable chassé-croisé bourré de suspense.

     

    Garde au parc national des Pyrénées, Martin s’inquiète du devenir de Cannellito, le dernier ours de la région dont on n’a plus repéré de traces depuis de nombreux mois. Il est donc persuadé qu’un chasseur a abattu le plantigrade avant de camoufler la dépouille de l’animal afin de dissimuler son forfait. Mais outre ses activités professionnelles, Martin livre à la vindicte populaire les chasseurs d’animaux sauvages qui ont l’outrecuidance d’exposer leurs trophées sur les réseaux sociaux. C’est ainsi qu’il découvre cette jeune femme blonde qui s’exhibe, arc de chasse en main, aux cotés d’un lion qu’elle a abattu lors d’une battue en Namibie. Martin découvre rapidement l’identité de la jeune chasseuse, mais conserve curieusement ces données pour lui en ayant la ferme intention de châtier lui-même cette odieuse criminelle. Mais ce garde faune à l’assurance inamovible sait-il vraiment ce qu’il s’est produit lors de cette chasse en Namibie ?

     

    A l’instar de Martin, le garde faune, et Apolline, la chasseuse de lion, séjournant tous deux comme par hasard dans la même région des Pyrénées, il faudra avant tout faire fi des nombreuses congruences qui jalonnent un récit au rythme palpitant s’articulant autour de deux traques, dont l’une se déroule dans les Pyrénées tandis que l’autre prend pour cadre, une région sauvage de la Namibie, A partir de cette technique narrative, Colin Niel met en place deux intrigues parallèles implacables qui vont trouver leur aboutissement lors d’une confrontation palpitante se déroulant dans la nature sauvage d’un parc des Pyrénées alors que partisans et opposants à la chasse vont se retrouver dans des situations paradoxales assez tragiques faisant ainsi en sorte de s’éloigner du simple plaidoyer anti-chasse dans lequel l’auteur aurait pu se fourvoyer. Autour de ces paradoxes, que ce soit celui de Martin l’opposant à la chasse qui se met à traquer un gibier bien particulier ou Kondjima, le jeune namibien, qui veut abattre un lion pour protéger les habitants du village et séduire la belle Karieterwa dont il est amoureux et qui va payer chèrement son audace, Colin Niel fait en sorte que le thème de la chasse qu’il aborde avec intelligence se révèle bien plus complexe qu’il n’y paraît. Autour de ces trois personnages centraux dont on aborde tour à tour les points de vue, on découvre ainsi les motivations qui les poussent à agir en les menant invariablement vers un point du rupture tragique qui ne manquera pas de secouer les lecteurs. Avec une succession d’événements se révélant bien plus surprenants que ce à quoi on pouvait s’attendre  l’auteur aborde également avec une belle maîtrise toutes les conséquences des dérèglements climatiques qui sont l’autre thème majeur du récit. Il en résulte ainsi un récit sous tension permanente qui décline subtilement les enjeux parfois contradictoires opposant autochtones et faunes locales dont on mesure toute la difficulté à cohabiter ensemble, ceci aussi bien dans les Pyrénées que dans les lointaines contrées d'Afrique.

     

    Au détour d’une double intrigue captivante, Colin Niel nous offre avec Entre Fauves un roman maîtrisé évoquant avec une belle intelligence toutes les conséquences d’une cohabitation difficile avec une nature dont on ne respecte plus les aléas qui nous dépassent tout en impactant la faune qui nous entoure. Un récit pertinent et efficace.

     

    Colin Niel : Entre Fauves. Editions du Rouergue Noir 2020.

     

    A lire en écoutant : Tableau de Chasse de Claire Diterzi. Album : Tableau de Chasse. 2008 Naïve.

  • Arpád Soltész : Le Bal Des Porcs. A tous les râteliers.

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    Service de presse

     

    Journaliste d’investigation en Slovaquie, Arpád Soltész a bien des choses à raconter sur les instances dirigeantes de son pays, mais toutes ne sont pas publiables par manque de faits étayés. En lieu et place il s’est donc mis à écrire des fictions dont Il Etait Une Fois Dans L’Est, un premier roman noir détonnant publié chez Agullo évoquant le parcours d’une jeune fille enlevée, torturée et violée tout en mettant en exergue les accointances entre institutions étatiques et clan mafieux complètement dévoyés.Sur un mode trépident, presque insensé, on découvrait ainsi les arcanes d’un pays complètement gangréné par la corruption en prenant conscience des risques que prennent ceux qui tentent de dénoncer ces dérives qui laminent le pays, à l’instar de Ján Kuciak, collègue d’Arpád Soltész, qui a été froidement exécuté en 2018. C’est d’ailleurs autour de cet événement tragique que l’auteur slovaque rédige Le Bal Des Porcs, récit tout aussi cinglant que le précédent qui décrit les collusions entre le monde politique et les truands qui régissent ainsi le devenir d’un pays qui n’a rien de fictif.

     

    Que deviennent les jeunes et belles adolescentes qui consomment de la marijuana dans le Joli Petit Pays sous la Minuscule Chaîne des Hautes Montagnes ? Certaines d’entre elles finissent dans un centre de désintoxication un peu particulier où les patientes sont contraintes de fournir de prestations sexuelles aux notables du pays qui sont filmés à leur insu. Et gare à celles qui oseraient se révolter ou dénoncer les faits. Elles finissent sur la table d’un médecin légiste qui se charge de maquiller les meurtres en accidents mortels. Ainsi va le monde du Joli Petit Pays sous la Minuscule Chaîne des Hautes Montagnes avec un maître-chanteur tout puissant qui fait et défait les carrières fulgurantes de politiciens véreux, des notables corrompus aux plus hauts niveaux de l’état, des membres de la mafia calabraise qui détournent des fonds européens et un journaliste qui tente d'évoquer ces dysfonctionnements à ses risques et périls.

     

    Comme le précédent ouvrage, Le Bal Des Porcs débute avec un fait divers sordide autour de jeunes filles qui sont contraintes de se prostituer sous le couvert d’un étrange centre de désintoxication dont les dirigeants et le personnel soignant se révèlent être les pourvoyeurs de salons de massage luxueux ou s’ébattent les édiles du pays. On découvre ainsi les accointances entre un monde politique dévoyé et des truands qui font du chantage en menaçant de dévoiler les ébats de ces énarques qui ont été filmés sans qu’ils ne le sachent. En suivant le parcours terrible de Broña et de Nadà, Arpád Soltész nous met en rapport avec quelques personnages inquiétants dont le fameux Wagner qui n’est rien d’autre qu’un maître-chanteur tout puissant qui tient toute une partie des élites du pays sous sa coupe en les contraignants ainsi à effectuer toutes sortes de malversations qui gangrènent la nation, ceci jusqu’au plus haut sommet de l’état. Si cette première partie est relativement aisée à suivre, il n’en sera pas de même avec la seconde partie où l’auteur s’intéresse à l’entourage de ce Wagner en décortiquant les magouilles que ces individus mettent en place pour se couvrir et faire fructifier leurs avoirs au détriment de tout respect des règles. S’ensuit une successions de personnages douteux aux sobriquets déjantés qui interviennent dans une cacophonie déjantée qui n’est pas toujours aisée à comprendre, tant les interventions foireuses, règlements de compte et autres combines douteuses s’enchaînent sur un rythme effréné qu’il faut suivre avec une attention accrue pour en comprendre tout le sens. Mais Arpád Soltész retombe rapidement sur ses pieds lorsque les journalistes d’investigation interviennent pour dénoncer les basse manoeuvres complexes de ce conglomérat de truands, de mafieux et d’hommes politiques corrompus. C’est ainsi que la dernière partie prend une tournure tragique, puisque l’auteur prend le parti de nous relater la manière dont un jeune journaliste et sa compagne sont exécutés dans leur résidence secondaire. Tout cela nous permet de prendre conscience que la fiction rejoint une réalité tragique puisque Arpád Soltész nous dévoile sur ce mode fictif tous les protagonistes qui ont participé au meurtre de son confrère Ján Kuclak à qui il rend un hommage appuyé.

     

    Plus qu’une fiction, Le Bal Des Porcs se révèlent être un document à charge qui met à mal toutes les instances étatiques d’une Slovaquie dévoyée peu après la chute du bloc des pays de l’Est et dont le chemin sinueux vers la démocratie met en lumière toute la gabegie d’une nation gangrénée par la corruption d’institutions noyautées par la mafia calabraise en lien avec les truands du pays et les plus hauts notables de la nation. Un nouveau récit édifiant qu'il faut lire impérativement.

     

     

    Arpád Soltész : Le Bal Des Porcs (Sviña). Editions Agullo Noir. Traduit du slovaque par Barbora Faure.

     

    A lire en écoutant : I Need A Dollar d’Aloe Blacc. Album : Good Things. 2010 Stones Throw Records.

  • FRANCK BOUYSSE : BUVEURS DE VENT. UN MONDE PARFAIT.

    Capture d’écran 2020-09-29 à 14.38.18.pngIl est loin le temps où l’on découvrait les récits de Franck Bouysse par l’entremise de la regrettée maison d’éditions Ecorce dirigée par Cyril Herry qui publiait des romans aux caractères ruraux se situant dans la région du Limousin. Et puis il y avait eu ce tournant avec Grossir Le Ciel édité en 2014 par la Manufacture de livres qui nous offrait un récit s’aventurant dans le monde paysan avec des intonations de roman noir et cette écriture ciselée qui caractérise désormais l’auteur. Avec Plateau (La Manufacture de livres 2015) et Glaise (La Manufacture de livres 2017), le style de Franck Bouysse s’est affirmé, s’est développé tandis que critiques et lecteurs convoquaient une multitude de références telles que Giono ou Faulkner pour évoquer ces textes envoûtants qui côtoient désormais l’oeuvre de ces auteurs prestigieux. Mais c’est lors de la publication de Né D’Aucune Femme (La Manufacture de livres 2019) que le milieu littéraire prend la pleine mesure du talent de Franck Bouysse avec ce récit à la fois poignant et saisissant qui ne fait que confirmer cette voix particulière que possède l’auteur pour nous entraîner dans le sillage du destin tragique de Rose, cette jeune paysanne malmenée par les aléas d’un vie rude et d’un entourage cruel. On soulignera le succès du roman qui projette l’auteur sur le devant de la scène littéraire tandis que l’on attend déjà le prochain récit qui doit asseoir sa réputation de grand romancier. Avec un tel enjeu et de telles attentes, Franck Bouysse a désormais changé d’éditeur pour intégrer la maison d’éditions Albin Michel qui publie Buveurs De Vent, un récit remarquable bénéficiant d’une visibilité salutaire au sein de la folie de cette rentrée littéraire toujours aussi surchargée.

     

    Il y a cette vallée reculée du Gour Noir. Il y a cette rivière domestiquée avec ce barrage, cette centrale électrique et autres infrastructures que possède Joyce le tyran de la ville et dont chacune des rues portent son prénom. Il y a ce pont qui enjambe la rivière et sous lequel se balancent au bout des cordes qu’ils ont installées, quatre enfants, issus de la même fratrie, défiant le vide et le vent qu’ils avalent goulûment. Il y a Marc, lecteur impénitent qui s’abreuve de récits d’aventure. Il y a Matthieu qui fusionne avec cette nature luxuriante qui l’entoure. Il y a Mabel, une jeune femme tempétueuse à la beauté farouche. Et il y a Luc, le dernier né, à l’esprit simple qui, en arpentant les berges de la rivière, cherche l’île au trésor convoitée par les pirates. Les enfants grandissent et travaillent désormais, tout comme leurs parents, pour Joyce qui assoit son autorité avec les hommes de main qu’il a à sa botte dont Lynch, le policier corrompu, Snake, un nain inquiétant, et son partenaire Double, un colosse qui tente de séduire Mabel, en vain.

     

    Il n’y a pas de héros à proprement parler dans Buveurs de Vent qui se focalise sur cette fratrie de la famille Volny dont l’ascendance et la descendance nous permet d’avoir une vision sur l’ensemble des habitants vivant dans cette vallée reculée du Gour Noir. Et même si l’on peut s’attacher à un personnage emblématique comme Mabel, Franck Bouysse parvient à décliner toute une galerie de portraits attachants qui interviennent tout au long d’un récit qui prend davantage l’allure d’une chronique ponctuée d’événements tragiques aux consonances parfois bibliques à l’instar des prénoms des trois frères et soeur, de la foi de cette mère intransigeante ou de cet extrait de l’Apocalypse que l’on retrouve dans l’épilogue d’un roman qui s’achève sur une scène d’une cruelle intensité. Conjuguée à l’écriture dense de Franck Bouysse, on apprécie ces influences tout comme celles de Robert Louis Stevenson et de son Île Au Trésor dont le jeune Luc s’approprie les péripéties afin de les restituer sur les rives de cette vallée sauvage en compagnie de ses frères et de son grand-père qui prend l’allure d’un Long John Silver. Et puis il y a cette déclinaison de décors que l’auteur distille avec cette précision et cette délicatesse du verbe qui lui est propre en nous permettant de nous immerger dans la magnificence de cette nature qui devient le champ de bataille des forces qui régissent cette vallée du Gour Noir. De champ de bataille il est question puisque régnant sans partage sur la région, Joyce fait figure d’entité maléfique et omnisciente qui va donc intervenir dans la destinée de chacun des membres de la famille Volny en ponctuant ainsi le récit de quelques événements tragiques qui prennent de plus en plus d’ampleur jusqu’à l’apothéose qui conclut le roman d’une manière un peu trop abrupte, comme si l’auteur s’était trop longuement focalisé sur quelques méandres de l’intrigue avant de se rendre compte qu’il fallait achever le récit. Outre Joyce, Franck Bouysse fait intervenir toute une galerie de personnages inquiétants à l’exemple de Lynch, un policier veule qui s’acharne sur la fratrie Volny tout comme le nain Snake et Double le colosse qui forment un duo original et dont la destinée va participer à la chute de cet univers si bien régit par le maître des lieux. On appréciera d’ailleurs ces personnages hauts en couleur qui donnent un relief particulier à l’intrigue qui prend l’allure d’une fable noire aux accents tragiques et dont le final ne manquera de ravager l’esprit du lecteur déconcerté par un épilogue surprenant qui se révèle pourtant totalement logique et à l’image de cette influence biblique qui imprègne l’ensemble du roman.

     

    Ainsi, Franck Bouysse nous offre une nouvelle fois, avec Buveurs De Vent, un récit puissant qu’il décline avec cette écriture savamment ciselée qui devient désormais la signature d’un auteur extraordinaire.

     

    Franck Bouysse : Buveurs de vent. Editions Albin Michel 2020.

     

    A lire en écoutant :  Les Innocents : Un Monde Parfait. Album : Post-partum. 1995 Virgin.