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LES AUTEURS - Page 48

  • Cyril Herry : Nos Secrets Jamais. Couleur sépia.

    Capture d’écran 2020-07-14 à 19.10.58.pngCe qu'il y a de réjouissant en évoquant le parcours de Cyril Herry c'est de voir l'influence de son environnement, de ses passions et de ses rencontres avec des auteurs autrefois méconnus qu'il a croisé alors qu'il dirigeait sa petite maison d'éditions Ecorce et la collection Territori de la Manufacture de Livre. Centré sur la région du Limousin où il vit, l'éditeur publiait les récits de Franck Bouysse et d'Antonin Varenne que l'on ne présente plus, ainsi que ceux de Patrick K Dewney (Crocs, Manufacture de livres 2016) et Séverine Chevalier (Clouer L'Ouest, Manufacture de livres 2015) que je vous recommande de découvrir si cela n'est pas déjà fait. Mais à force de parcourir les forêts et de bâtir des cabanes, il fallait bien un jour que Cyril Herry se lance dans l'écriture d'un roman, ce qu'il fit en 2018 en publiant Scalp (Seuil/Cadre Noir 2018) où il est justement question de forêts et de campements avec un récit lumineux qui prend tout de même quelques entournures noires comme on les apprécie dans ce contexte rural. De ruralité, il est encore question avec Nos Secrets Jamais qui fait la part belle à une autre passion de l'auteur, la photographie qui devient le point central d'un texte nous entrainant dans les méandres d'un petit village perdu dans la campagne qui recèle de bien trop lourds secrets.

     

    Elona connait bien cette vieille maison familiale qu'elle a dessinée tant de fois lorsqu'elle était enfant. Pourtant elle n'y a jamais mis les pieds jusqu'à ce jour où elle se découvre héritière de la demeure que sa grand-mère maternelle, qu'elle pensait disparue depuis bien longtemps, vient de lui léguer. La jeune femme s'installe donc dans cette vieille bâtisse qui ploie sous les secrets et dont le silence est troublé par quelques craquements, manifestations de vieux fantômes erratiques qui semblent prêts à livrer tous leurs secrets. Et c'est au travers des photographies de ses ancêtres qu'elle découvre dans les pièces de la maison, qu'Elona met à jour un drame familial tout en essayant de recueillir les témoignages de villageois plutôt méfiants et mutiques qui ne souhaitent pas évoquer les vieilles histoires d'autrefois.

     

    C'est avant tout dans l'écriture en tant que telle que l'on apprécie les romans de Cyril Herry, avec cette précision d'orfèvre qui nous offre un texte à la fois intense et marquant se focalisant sur cet ancien café abandonné devenant le point névralgique d'une intrigue délicate prenant la forme d'un labyrinthe à l'image du bâtiment recelant couloirs et pièce secrètes dans lesquels évolue Elona cette héroïne atypique qui s'imprègne de l'atmosphère des lieux. L'autre aspect du récit tourne bien évidemment autour de la photographie, avec cette jeune femme qui a embrassé la profession tout comme l'un de ses aïeuls qui a laissé un nombre conséquent de clichés devenant les pièces d'un puzzle complexe dans lequel on évolue sans trop savoir où tout cela va bien nous mener. Il émane donc de l'ensemble une sensation de huis-clos assez inquiétant agrémenté d'une impression d'étrangeté avec les ancêtres d'Elona qui imprègnent cet endroit silencieux. Des ascendants qui semblent influencer le comportement d'une jeune héroïne plutôt solide mais révélant tout de même quelques fragilités au fil de l'intrigue à l'exemple de sa propension à consommer de l'alcool avec excès.

     

    Dans cette exploration du passé, Elona va s'interroger sur le comportement de sa mère qui n'a jamais voulu revenir dans son village natal et qui s'est suicidée en se tirant une balle dans la tête, mais également sur d'autres membres de sa famille comme sa grand-mère qu'elle n'a jamais connue. Mais outre l'exploration de la maison familiale, c'est en interrogeant les habitants du village qu'elle trouvera des réponses dans l'ensemble de mystères qui entourent les membres de sa famille. C'est l'occasion pour l'auteur de nous offrir une galerie de personnages mutiques comme Emilien ce vieux paysan renfrogné qui observe le comportement de sa nouvelle jeune voisine, ou John, un vieillard étrange, passionné de western, qui en sait plus long qu'il ne veut bien le dire sur les drames qui ont marqué le village, particulièrement durant la seconde guerre mondiale et bien évidemment Annie, la patronne de l'unique bar du village, possédant une télé étrange bloquée sur une chaîne musicale diffusant des clips des années 80.

     

    Oscillant entre le huis-clos d'une maison sombre et cette évasion dans une nature foisonnante entourant le village, on apprécie avec Nos Secrets Jamais, le juste équilibre d'un récit subtil, intelligemment mené nous conduisant vers la découverte de drames qui ont marqué cette famille qu'Elona apprend à connaître afin de s'émanciper d'un passé qui semble l'avoir marquée plus qu'elle ne saurait l'admettre.  Tout en délicatesse et en puissance, un récit envoûtant.

     

     

    Cyril Herry : Nos Secrets Jamais. Editions du Seuil/Cadre Noir 2020.

    A lire en écoutant : Les Nuits Blanches de Daran & Les Chaises. Album : Huit Barré. 1994 WEA Music.

  • ALEX TAYLOR : LE SANG NE SUFFIT PAS. TEMPETE DE GLACE.

    Alex Taylor, le sang ne suffit pas, éditions gallmeister

    Franchement je pensais que l’affaire était réglée et qu’après Le Verger De Marbre (Gallmeister 2016), éblouissant premier roman d’Alex Taylor, celui-ci n’allait pas récidiver comme si cet ouvrage lui avait pompé toute son énergie créatrice avec une intrigue âpre se situant  à une époque contemporaine dans un comté rural de Kentucky où les mauvais garçons, en quête de coups plus ou moins foireux, se débrouillent comme ils peuvent dans une région sans avenir pour eux, hormis le cimetière que la population locale surnomme le verger de marbre. Il aura tout même fallut attendre quatre ans pour que l’on retrouve un auteur au talent indéniable qui nous livre avec Le Sang Ne Suffit Pas un roman d’aventure époustouflant dont l’action se déroule en 1748, dans les montagnes de l’ouest de la Virginie alors que l'hiver sévit sur cette région à la fois sauvage et hostile en découvrant toute une galerie de rudes personnages tentant de survivre tant bien que mal dans cet environnement glacial qui devient le théâtre de confrontations mortelles.

     

    En 1748, Reathel ne s’est pas remis de la mort de sa femme et de son fils. En quête d’aventure, il a abandonné sa ferme et erre désormais depuis des mois dans les montagnes de Virginie, accompagné d’un dogue aux allures féroces. Frigorifié, affamé, il pense trouver le salut en s’abritant dans une cabane dont l’entrée lui est pourtant refusée par un colon hostile qu’il ne va pas hésiter à abattre. Dans la cabane, Reathel découvre Della, une jeune femme qui est sur le point d’accoucher. L’enfant nait ainsi dans cet endroit hostile avec une ourse en quête de nourriture qui rôde dans les parages. Mais pour Della et le nouveau-né, il va falloir se méfier davantage des frères Autry, deux pisteurs redoutables qui sont chargés de la retrouver et de remettre l’enfant au chef de la tribu Shawnee qui, en échange, s’engage à laisser en paix les colons de fort Bannock dont le commandement a été confié au docteur Integer Crabtree n’a pas d’autre choix que de respecter ses engagements vis à vis d’indiens de plus en plus impatients.

     

    Pour son premier roman, Alex Taylor nous entrainait dans l’Amérique des marges avec un récit rude, parfois violent oscillant de temps à autre sur un registre onirique empreint d’un certain lyrisme envoûtant qui rejaillissait notamment sur l’atmosphère de l’intrigue prenant des tonalités étranges que l’on découvrait au rythme d’une écriture maîtrisée. Même si on l'a comparé à Franck Bill, Daniel Woodrell ou Daniel Ray Pollock, il faut avant tout souligner la voix originale de cet auteur qui entreprend de s'aventurer sur un autre genre que le "roman noir rural". Se déroulant au XVIIIème siècle, dans un environnement hivernal résolument hostile, Le Sang Ne Suffit Pas à tout du roman d'aventure nous rappelant les grands récits de Jack London où l'on fait la part belle à cette nature sauvage qui devient un véritable adversaire. Ainsi Alex Taylor exploite avec une belle intelligence tous les registres du genre en les incorporants dans un récit qui prend parfois des allures dantesques à l’image de cette ourse attaquant l’un des pisteurs, de cette tempête de glace mortelle qui s’abat sur Reathel et Della ou de la prise d’assaut d’un fort par les indiens Shawnee. Se succède ainsi toute une série d’événements qui vous secoue durablement avec l’ampleur de ces touches subtiles de lyrisme que l’on évoquait déjà dans Le Verger De Marbre et qui servent brillamment ce récit conjuguant la splendeur d’un paysage sauvage où évoluent toute une galerie de personnages farouches qui ont intégré le fait qu’ils peuvent mourir à tout instant. A partir de cette composante, s’instaure des relations âpres entre des protagonistes qui nous surprennent tous avec leur humanité émanant de chacun d’entre eux mais qui est parfois teintée d’une certaine dureté qu’ils mettent en avant afin de surmonter l’adversité de ce monde hostile.

     

    Mais au-delà de ces paysages grandioses, de cette faune féroce et de ces conditions météorologiques hallucinantes qu'Alex Taylor dépeint à la perfection, c’est bien évidemment la galerie de personnages, que l’on croise durant le récit, que l’on apprécie, avec ces échanges abruptes que l'auteur distille au gré de dialogues percutants dont le lecteur peut prendre la pleine mesure avec cette épaisseur qui caractérise l’ensemble des protagonistes aussi secondaires soient-ils. Pour chacun d’entre eux, c’est dans leur passé respectif que l’on trouve la substance expliquant leurs agissements et leurs comportements vis à vis de leurs congénères. Ce sont les souvenirs de sa femme et de son fils défunts pour Reathel, c’est sa vie dans le bordel du fort pour Della, c’est son addiction au laudanum pour Elijah, ce sont ses rêves prémonitoires pour Black Toth, autant de parcours richement étoffés qui habillent ces personnages bousculés soudainement par des seconds couteaux aux caractères tout aussi saisissants à l’instar de l’aumônier Otha ou de l’inquiétant colon français Simon Cheese.

     

    Après le prometteur Verger De Marbre, on comprendra dès lors que Le Sang Ne Suffit Pas, second roman d’Alex Taylor, tient toutes ses promesses avec un récit somptueux où la violence et la sauvagerie deviennent les ingrédients incontournables de scènes dantesques et hallucinantes qui vous laisseront sans voix. Une réussite, tout simplement.

     

    Alex Taylor : Le Sang Ne Suffit Pas (Blood Speeds The Traveler). Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anatole Pons-Reumaux. Gallmeister 2020.

     

    A lire en écoutant : I Was Wrong de Chris Stapleton. Album : From A Room : Volume 1. 2017 Mercury Records, a division of UMG Recording, Inc.

  • Valerio Varesi : Or, Encens Et Poussière. Providence ou déterminisme.

    valerio varesi,or encens et poussière,agullo éditionsService de presse

     

    Ainsi on peut opposer roman noir et roman policier comme on l’observe ces derniers temps à la lecture de certains articles où la critique sociale au travers du fait divers définirait le roman noir tandis que la remise à l’ordre sociale au terme d’une enquête caractériserait le roman policier. Derrière cette définition un peu simpliste des genres composant la littérature noire on remarque une certaine propension à vouloir anoblir le roman noir qui deviendrait ainsi l’unique moyen d’expression permettant de dénoncer les dérives de notre monde. On ne saurait énumérer l’ensemble des romans policiers contredisant cette assertion et en ces temps troublés, où un besoin impérieux de fondamentaux et de repères nous permettant de conserver un certain équilibre, on appréciera de retrouver au détour d’une série de romans policiers un personnage tel que le commissaire Soneri dont les enquêtes dans la région de Parme permettent à son auteur Valerio Varesi de mettre en exergue les carences d’un pays dont les troubles fascistes ne sont pas encore complètement relégués dans un lointain passé. Pour ce romancier, également journaliste à La Repubblica, le roman policier est bel et bien politique puisqu’il émerge en filigrane de chaque roman mettant en scène son commissaire fétiche des relents de « peste brune » qui émergent à la surface d’une agglomération engoncée dans une voile de brume semblant ne jamais vouloir disparaître. Le thème est bien présent dans Le Fleuve Des Brumes (Agullo 2016), premier roman de la série, traduit en français, ainsi que dans La Pension De La Via Saffi (Agullo 2017)et bien évidemment dans Montelupo (Agullo 2018) qui met en lumière la figure tutélaire du père de Soneri, ancien partisan luttant contre les factions fascistes. Mais on ne saurait réduire les enquêtes du commissaire Soneri à une lutte simpliste des courant politiques qui secouent l’Italie pour prendre en considération d’autres problèmes sociaux laminant le pays à l’instar de la mafia dont on découvre les implications dans les régions du Nord avec Les Mains Vides  (Agullo 2019), récit désespérant où les investigations du policier ne font que renforcer cette sensation de mal endémique que l’on ne pourrait résoudre au terme d’une simple enquête de police. C’est cette incertitude et ce désespoir qui habite cet enquêteur attachant dont les pérégrinations au détour des ruelles et avenues de la ville de Parme ne cessent de nous charmer et que l’on retrouve dans Or, Encens Et Poussière, nouveau roman d’une série qui n'a pas fini de nous surprendre.

     

    Le brouillard recouvre une nouvelle fois la région de Parme provoquant un immense carambolage sur l’autoroute. Incapables de se repérer dans la brume, les patrouilles de police doivent compter sur l’aide du commissaire Soneri pour se repérer dans cette région qu’il connaît bien. Alors qu’apparaissent, tels des ombres fantomatiques, des taureaux échappés de l’un des camions accidentés et tandis que l’on devine au loin les lueurs des phares des voitures encastrées, c’est un corps calciné découvert au pied d’un talus qui va retenir l’attention du commissaire, ceci d’autant plus que le cadavre n’a rien à voir avec le carambolage qui vient de se produire. La victime, une jeune femme séduisante d’origine roumaine, avait charmé toute une série d’amants issus des hautes sphères de la ville parmesane. Séductrice damnée ou jeune femme naïve, le commissaire Sonerie va devoir composer avec les multiples facettes de cette femme fascinante qui gravitait dans la communauté des roms dont elle était issue en tentant de s’extirper à tout prix de sa condition. Un prix bien trop élevé pour Soneri qui compte bien retrouver l’auteur de ce meurtre quitte à bousculer la bourgeoisie de cette bonne ville de Parme se croyant à l’abri d’une justice bien trop aveugle.

     

    La ville de Parme telle que décrite par Valerio Varesi n’est pas un personnage à part entière, mais une entité organique où l’on erre dans un dédale de ruelles, avenues et places qui sont autant de raccourcis, détours et voies sans issues, reflet des réflexions sinueuses d’un commissaire tourmenté, toujours en proie aux doutes et à l’incertitude quant à l’orientation de ses enquêtes et qui ne trouve l’apaisement que dans ces longues pérégrinations au coeur d’une cité embrumée ou dans les saveurs d’un bon repas chez Alceste, son ami aubergiste qui le gratifie de spécialités de la région. Or, Encens Et Poussière débute avec cette scène d’anthologie dans la campagne parmesane où l’on croise taureaux et vaches égarées dans la brume avant de découvrir un cadavre calciné à proximité d’un carambolage dantesque, non loin d’un campement de gitans. Il n’en faut pas plus pour le commissaire Soneri pour entamer une enquête chaotique où la victime opère encore de son charme sur ce policier rêveur en quête de vérité. Comme à l’accoutumée avec Valerio Varesi tout n’est que suggestion et rumeur avec cette thématique des gens du voyage qui apparaissent dans un trafic d’or commandité par quelques notables de la ville. Il n’y aura donc pas de propos pontifiants sur ces communautés avec un auteur qui préfère s’attarder sur les apparences d’une bourgeoisie dévoyée qui reste en quête de respectabilité. Dans ce registre on appréciera donc l’apparition de Sbarazza, ce noble déchu, un brin clochard qui devise avec le commissaire sur le déterminisme ou la providence nous rappelant ainsi que l’auteur a été étudiant en philosophie et que le hasard devient forcément l’un des moteurs essentiels des enquêtes de son personnage central.

     

    Avec cette belle humanité et cette sensibilité imprégnant l’ensemble de ses personnages, Valerio Varesi s’emploie une nouvelle fois à mettre en exergue les frasques des notables d’une ville au charme indéfinissable que l’on prend plaisir à retrouver en compagnie d’un commissaire emblématique qui devient l’icône du roman policier italien. Or, Encens et Poussière, un beau titre pour un bel ouvrage qui nous enchante.

     

     

    Valerio Varesi : Or, Encens Et Poussière (Oro, Incense E Polvere). Traduit de l’italien par Florence Rigolet. Agullo noir 2020.

     

    A lire en écoutant : Ultimo Amore de Vinicio Capossela. Album : L’Indispensabile. 2003 CDG East West Divisione Warner Music Italia S.R.L.

  • BENOIT VITKINE : DONBASS. GUERRE OUBLIEE.

     Capture d’écran 2020-05-17 à 16.41.26.pngJournaliste spécialisé dans le domaine des pays de l’ex-URSS, Benoît Vitkine est correspondant au journal Le Monde depuis de nombreuses années et a obtenu en 2019 le prix Albert Londres de la presse écrite pour toute une série d’articles dont quelques portraits de ces combattants du Donbass, une guerre méconnue, quasiment oubliée, qui sévit pourtant depuis 2014 dans l’est de l’Ukraine en opposant l’armée loyaliste ukrainienne aux séparatistes prorusses et dont le bilan fait état de pas moins de 13’000 morts. Parmi ces portraits de vétérans figure celui de Vladimir Vlasenko, un ancien de la guerre d’Afghanistan, qui pensait cultiver tranquillement son potager en Ukraine avant de reprendre les armes pour combattre les séparatistes. Après les reportages, c’est par le biais de la fiction que Benoît Vitkine a choisi de nous faire partager le quotidien d’une guerre qui s’embourbe dans les tréfonds de l’oubli tout en intégrant quelques caractéristiques des combattants qu’il a rencontré lors de ses entretiens dans les personnages qui animent son premier roman intitulé Donbass prenant l’allure d’un thriller sur fond de conflit armé.

     

    A Avdiïdka, dans la région du Donbass, les bombardements journaliers ne troublent plus les habitants qui se sont accoutumés aux affres d’une guerre qui dure depuis quatre ans et dont on en aurait presque oublier les causes. Une terrible routine que le colonel Henrik Kadavadze, chef de la police locale, prend à son compte avec un flegme déconcertant alors que ce conflit s’enlise dans une succession de combats meurtriers touchant aussi bien les soldats que les civils tentant de survivre tant bien que mal dans cet environnement délétère. Mais à la découverte d’un jeune garçon poignardé, tous les membres de la localité s’agitent ainsi que le colonel Kadavadze qui ne va pas se contenter de rester les bras croisés pour découvrir le meurtrier. Ceci d’autant plus que l’on retrouve d’autres petites victimes dont les corps sont disséminés dans les environs de la bourgade.

     

    Crimes en série et enquêteur désabusé, on doit bien admettre que si Donbass présente certains codes du thriller, Benoît Vitkine prend soin de ne pas s’égarer dans les facilités du genre que ce soit au niveau du texte mais également de l’intrigue. Il y a même quelque chose de rafraichissant à lire un tel récit où l’auteur prend bien soin de planter le décor aussi détonant soit-il sans en abuser. C’est d’ailleurs l’une des grandes qualité de ce roman qui s’attarde sur le quotidien de ces habitants laminés par une guerre qui s’éternise et il faut bien reconnaître que l’on perçoit toute la maîtrise d’un auteur qui connaît parfaitement son sujet. Plongée abrupte au coeur de cette région dévastée, le lecteur ne manquera pas de ressentir toute l’atmosphère de cet environnement parfaitement restitué notamment dans le cours du quotidien de ces femmes de tout âge tentant de survivre aux affres des combats et de protéger du mieux qu’elles le peuvent, leur progéniture. Entre résignation et découragement des différents protagonistes, on prend ainsi la mesure des difficultés des civils, mais également des soldats  de chaque faction pour survivre dans un tel cloaque où l’avenir se décline au jour le jour. Personnage central du roman, on suit les pérégrinations du colonel Kadavadze, chef de la police locale et vétéran de la guerre d'Afghanistan qui nous permet de découvrir toute les membres de cette communauté disparate en croisant des chefs mafieux qui tiennent les reliquats  d'une industrie déclinante, des babouchkas usées par les privations et la souffrance, quelques soldats égarés et bien évidemment des officiers de police plus ou moins corrompus. Autant de portraits réalistes dont on devine quelques aspects de leur parcours ou certains traits de caractères que l'auteur a emprunté aux personnes qu'il a croisé lors de ses reportages dans le Donbass. Ainsi l'enquête de Kadavadze devient un prétexte pour découvrir cette belle galerie de personnages évoluant dans cette ambiance si particulière d'une guerre qui s'enlise, même si l'on peut regretter le fait que l'intrigue tournant autour de la disparition des ces jeunes enfants prend parfois un aspect bien trop secondaire nous donnant une impression d'inachevé voire de moins grande maîtrise comme si le journaliste l'avait emporté sur le romancier.

     

    Premier roman de Benoît Vitkine, Donbass nous permet de saisir tous les aspects d'une guerre méconnue sévissant toujours dans cette région perdue à l'est de l'Ukraine tout en nous donnant l'occasion de découvrir, au détour d'une enquêtes somme toute assez classique, toute une série de personnages qu'il sera difficile d'oublier. Renversant.

     

     

    Benoît Vitkine : Donbass. Editions Les Arènes/Equinox 2020.

     

    A lire en écoutant : O, Panno Inno ! De Dakh Daughters. Album : Air. 2019 Dakh Daughters.

  • Adrian McKinty : La Chaîne. Ces liens qui nous unissent.

    Capture.PNGEncensé par ses pairs, récipiendaire de prix prestigieux, il s'en est pourtant fallut de peu pour qu'Adrian McKinty ne renonce à sa carrière de romancier afin de trouver un autre moyen que de travailler en tant que chauffeur Uber pour subvenir aux besoins de sa famille. Dans nos contrées francophones, on découvrait cet auteur avec la série consacrée au sergent Sean Duffy, éditée par la regrettée collection Cosmopolite noire chez Stock qui n'a traduit que deux des cinq ouvrages composant cette série prometteuse aux connotations historiques puisqu'elle se déroule en Irlande, dans les années 80, en pleine période des Troubles sévissant notamment dans le nord du pays. C'est avec Une Terre Si Froide (Cosmopolite noire 2013), que l'on fait la connaissance de cet enquêteur atypique, de confession catholique, travaillant à Belfast au sein de la très protestante police royale de l'Ulster alors que le récit débute peu après la mort du prisonnier politique Bobby Sands, suite à une longue grève de la fin, qui va enflammer les hostilités entre les deux communautés religieuses tandis que l'on perçoit avec Dans La Rue, J'Entends Les Sirènes (Cosmopolite noire 2013), toute la fermeté du gouvernement Tatcher qui ne fait qu'attiser l'intensité d'une guerre civile qui semble inextricable. Outre l'originalité des intrigues imprégnées du climat social de l'époque avec un personnage central composant avec l'hostilité de l'IRA et celle de ses propres partenaires, on apprécie le style mordant et cet humour acide qui ponctuent le récit ainsi que cette bande-son détonante dont on a un aperçu avec les titres de chaque roman faisant références aux chansons de Tom Waits. Malgré ces belles qualités, agrémentées d'un certain succès critique, on perdait de vue cet auteur prometteur qui n'a jamais rencontré son public, jusqu'à ce que l'agent littéraire de Don Winslow ne se penche sur sa carrière en lui demandant s'il n'aurait pas un thriller qui trainerait dans ses tiroirs. Un pitch, quelques pages envoyées suscitant l'enthousiasme ainsi qu'une avance confortable permettront de relancer la carrière d'Adrian McKinty qui obtient enfin la consécration avec La Chaîne, un best-seller dont la Paramount a acquis les droits en délivrant un chèque conséquent. Une success-story comme on les aime, le mettant à l'abri du besoin afin de poursuivre son travail d'écrivain, ceci pour notre plus grand plaisir.

     

    Rachel semble voir le bout du tunnel alors qu'elle se remet d'un cancer et trouve un emploi dans l'enseignement lui permettant d'abandonner son travail précaire comme chauffeur Uber afin de subvenir décemment aux besoins de sa fille Kylie dont elle a la garde. Mais soudainement le téléphone sonne et bouleverse ce fragile équilibre. Un mystérieux interlocuteur lui annonce qu'elle fait désormais partie de La Chaîne et que sa fille vient d'être enlevée. Pour la récupérer, il lui faut verser une rançon, enlever un enfant et contraindre ses parents à commettre à leur tour un kidnapping pour perpétuer cet implacable système. Tout manquement aux règles de La Chaîne aura de funestes conséquences. Rachel n'a donc pas le choix et doit rassembler les fonds pour la rançon, chercher une victime et mettre en place tout le dispositif nécessaire pour séquestrer sa proie. Il n'y pas d'échappatoire, car La Chaîne à l'œil sur tous les faits et gestes de ses membres. Rachel pourra-t-elle surmonter une telle épreuve ?

     

    A la fois original et audacieux, il faut bien admettre qu’Adrian McKinty nous propose, avec ce qui apparaît comme un pur thriller, un excellent point de départ pour une intrigue tournant autour d’une organisation mystérieuse ayant mis en place depuis des années, une chaîne d’enlèvements d’enfants en contrôlant des parents victimes, qui deviennent, à leur corps défendant, bourreaux. Enlever un enfant pour sauver sa fille, on apprécie dès lors toute la dichotomie intérieure de Rachel, cette mère courage, bien sous tout rapport, qui doit basculer dans la criminalité pour avoir une chance de revoir Kylie tentant de son côté d’échapper à ses ravisseurs. Le récit débute donc avec toute la mise en place d’un kidnapping que Rachel organise à contrecoeur en étant secondée par son beau-frère Pete, vétéran de la guerre en Afghanistan qui a sombré dans la toxicomanie. Au fil des chapitres, on mesure toute la détresse de ces deux personnages, un peu paumés, tentant de faire face aux multiples difficultés qui se présentent à eux comme le fait de ne pas informer le père de Kylie de la situation alors que celui-ci vient sa fille pour le week-end. En faisant preuve d’un sens de la narration efficace, Adrian McKinty répond à tous les critères du genre sans pour autant sombrer dans l’excès de rebondissements outranciers ce qui fait que l’on s’achemine sur une intrigue solide ponctuée de tensions et d’actions qui tiennent la route mais qui sont parfois bien trop prévisibles. C’est particulièrement le cas pour la dernière partie du roman qui comportent un certain nombre de scènes dont on devine aisément où elles vont nous conduire comme cette confrontation finale évidente, suivie d’un épilogue extrêmement convenu qui ne bouleversera pas le genre. Mais malgré ces travers, il faut bien admettre qu’Adrian McKinty, en narrateur hors-pair, parvient à nous entraîner sans effort d’un bout à l’autre d’un récit tumultueux au rythme soutenu en suivant le parcours d’une femme bien déterminée à protéger sa fille à tout prix, mais également résolue à découvrir quelles sont les personnes qui se cachent derrière La Chaîne afin de mettre une terme à leurs terribles activités.

     

    Best-seller pleinement assumé, on prendra donc plaisir à découvrir avec La Chaîne, un redoutable thriller tout en tension qui se base sur la simplicité d’une intrigue au suspense bien maitrisé qui répondra aisément aux attentes les plus exigentes des aficionados du genre.

     

    Adrian McKinty : La Chaîne (The Chain). Editions Mazarine 2020. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Pierre Reignier.

    A lire en écoutant : The Rhythm Of The Heat de Peter Gabriel. Album : Peter Gabriel 4/Security. 2015 Peter Gabriel Ltd.