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LES AUTEURS - Page 52

  • ARPAD SOLTESZ : IL ETAIT UNE FOIS DANS L’EST. OUTLAW.

    arpad soltesz, il était une fois dans l'est, éditions agulloService de presse

     

     « Une partie de cette histoire s’est vraiment produite, mais d’une autre manière. Les personnages sont fictifs.
    Si vous vous êtes tout de même reconnu dans l’un d’eux, soyez raisonnable et ne l’avouez pas.
    Les gens n’ont pas à savoir quel salopard vous êtes. »

     

    Avec un tel avant-propos, on comprend d’entrée de jeu que Il Etait Une Fois Dans L’Est, premier roman noir slovaque traduit en français par l’audacieuse maison d’éditions Agullo, ne va pas s’aventurer sur le terrain du polar ethno pour nous décliner une série de clichés folkloriques d’un pays méconnu, perdu dans les confins de l’Europe centrale. Journaliste d’investigation, son auteur, Árpád Soltész, dirige une agence journalistique portant le nom d’un de ses confrères, abattu dans la périphérie de Bratislava après avoir enquêté sur des affaires de corruptions et de fraudes fiscales. Ainsi, dans le contexte d’un pays miné par les affaires, où l’effondrement du communisme a fait place à une espèce de pseudo démocratie au libéralisme sans foi ni loi avec une corruption institutionnalisée et des détournements de fonds endémiques alimentant les rouages d’un état dévoyé, Árpád Soltész signe une fiction débridée autour d'un terrible fait divers qui nous permet d’entrevoir toutes les arcanes des institutions étatiques noyautées par les mafias et autres organisations occultes.

     

    A Košice, dans l’est de la Slovaquie, il ne fait pas bon pour une jeune fille d’être larguée sur le bord de la route par son petit ami. Alors qu’elle fait du stop pour rentrer chez elle, Veronika, à peine âgée de 17 ans, va l’apprendre à ses dépends en se faisant enlever par deux truands qui, après l’avoir violée sauvagement, prévoient de la céder à un souteneur albanais qui l’emploiera dans un sordide bordel du Kosovo. Mais pleine de ressources, la jeune fille parvient à échapper à ses tortionnaires en espérant trouver la protection de la police locale chez qui elle va déposer plainte. Pourtant les choses ne se déroulent pas comme la victime et sa famille l’escomptaient puisque les truands bénéficient d’un réseau de protection composé de membres des services secrets, de juges, de procureurs et même de hauts fonctionnaires de police qui vont s’efforcer de se débarrasser de ce témoin gênant. Il reste pourtant quelques individus intègres comme Miko et Valent le Barge, deux flics violents ne craignant absolument personne tout comme Schlesinger, un journaliste valeureux qui n’hésite pas à dénoncer les accointements entre officines étatiques et groupuscules mafieux. Tous vont s’employer à protéger la jeune fille planquée dans un palace désert, situé à la frontière de l’Ukraine et tenu par le mystérieux Robo possédant quelques compétences meurtrières. Entourée de ce staff étrange, Véronika a la certitude de vouloir bien plus que la justice. Elle souhaite désormais se venger de ses bourreaux et de tous ceux qui ont tenté de les protéger.

     

    La tonalité de l’avant-propos vous donne également une idée de l’ironie mordante qui imprègne l’ensemble d’un texte sans concession, doté d’une terrible énergie qui va sonner le lecteur au rythme d’une intrigue échevelée, presque foutraque qui va se révéler pourtant d’une incroyable maîtrise. Mais il va tout de même falloir s’accrocher pour suivre cette imposante galerie de personnages évoluant dans un univers où les valeurs morales sont quasiment inexistantes tout en se demandant à quels instants la réalité rejoint la fiction. Son auteur répondrait probablement : Tout le temps. D'ailleurs on se doute bien, par exemple, que le personnage du journaliste Pali Schlesinger nous renvoie au vécu d’Árpád Soltész ou de son collègue assassiné, Jan Kuciak. Véritable exutoire, Il Etait Une Fois dans L’Est n’est donc pas qu’une simple compilation des scandales qui ont émaillé le pays sur l’espace d’une décennie qui a suivi l’effondrement du bloc soviétique car Árpád Soltész parvient, avec une virtuosité confondante, à mettre en scène, autour du viol d’une jeune fille de 17 ans, un cinglant concentré de noirceur où l’on distingue les accointances entre le crime organisé et les multiples institutions d’un état complètement corrompu dont les services secrets deviennent la terrible incarnation de dérives meurtrières. Ce sont la contrebande et les trafics de migrants transitant entre l’Ukraine et l'Autriche, les détournements de fonds européens destinés à la communauté tsigane, les magouilles financières et immobilières avec les instances politiques que l’auteur dépeint au gré des points de vue de toute une panoplie de salopards dénués de tout scrupule.

     

    En se focalisant sur l’effroyable destinée de Véronika, cette jeune femme issue de la communauté tsigane, Árpád Soltész se dispense de toute forme d’emphase en lien avec une victimisation larmoyante pour se concentrer sur l’aspect social d’une population discriminée qui n’attend plus rien d’un état de droit inexistant. Ainsi, dans un tel contexte, c’est l’occasion pour l’auteur de décrire ces mécanismes hallucinants d’une fausse immigration de Roms vers les pays de l’Ouest afin de toucher quelques subsides mensuels permettant d’alimenter les caisses de chefs mafieux qui ont intégré les règles, ou plutôt l’absence de règles, d’une société capitaliste complètement effrénée où la corruption, les meurtres et les détournements en tout genre deviennent un véritable art de vivre. Violentée, traquée, on suit donc le parcours de cette fille à la beauté décomplexée qui va d’ailleurs en faire une arme lui permettant de se retourner contre ses ravisseurs avec l’aide d’un entourage à la probité douteuse à l’instar de Miko et Valent le Barge, ces deux flics borderline qui se dispensent de suivre les directives d’une institution policière dévoyée pour instaurer leurs propres lois leur permettant ainsi de survivre dans un univers régis par des politiciens et des magistrats à la solde de clans mafieux et autres truands en tout genre. D’une extrême noirceur et dépourvu de toute forme d’espoir, comme en atteste un épilogue sordide démontrant l’immuable sort des victimes, Il Etait Une Fois Dans L’Est prête parfois à rire (un rire jaune, il faut bien le concéder) au gré d’échanges savoureux, épicés d’idiomes percutants, entre des protagonistes complètement déjantés insufflant une espèce de dynamisme à la fois insensé et hallucinant de réalisme pour nourrir un récit effrayant qui prend l’allure d’un réquisitoire désespéré.

     

    Véritable brûlot politique à l’encontre d’un état sans foi ni loi, Árpád Soltész nous livre, avec Il Etait Une Fois Dans L’Est, un sombre western où les  règlements de compte sauvages deviennent les seuls actes valables pour lutter contre une corruption institutionnalisée que l’on ne saurait enrayer que par la force. En attendant, il ne reste plus qu’à compter le nombre de victimes sacrifiées sur l'autel du profit. Un roman noir effrayant à nul autre pareil.

     

    Árpád Soltész : Il Etait Une Fois Dans L’Est. Editions Agullo Noir 2019. Traduit du slovaque par Barbora Faure.

    A lire en écoutant : Sex On Fire de King Of Leon. Album : Only By the Night. 2008 RCA Records.

  • Jacky Schwartzmann : Pension Complète. Sévices compris.

    jacky schwartzmann,pension complète,seuil,cadre noirSeule une actualité chargée en événements peut expliquer le fait que l’on ait quelque peu occulté la nouvelle littéraire de l’année avec l’attribution du prix des chroniqueurs 2019 Toulouse Polars du Sud pour Pension Complète de Jacky Schwartzmann célébrant ainsi cet humour mordant qui ponctue les récits d’un auteur maîtrisant parfaitement les codes du roman noir pour mieux les détourner avec quelques portraits sans complaisance de personnages qui n’en demeurent pas moins extrêmement attachants. Mais bien loin de la simple gaudriole, Jacky Schwartzmann s’emploie à dépeindre ce mélange explosif d’univers sociaux dissemblables dont les antagonismes vont alimenter une succession de situations à la fois rocambolesques et hilarantes qui viendront surprendre le lecteur au détour d’une comédie noire au mauvais esprit décapant qu’il faut prendre au deuxième ou voire même au troisième degré.

     

    Dino a trouvé le salut au Luxembourg en tombant amoureux de Lucienne, son aînée de 32 ans qui est en mesure de l’entretenir avec ses millions, même si pour cela, il faut supporter la mère acariâtre de sa dulcinée. Pour un gars issu d’un milieu modeste en ayant toujours vécu dans une triste banlieue lyonnaise, la situation pourrait être supportable si l’entourage de Lucienne ne lui rappelait pas sans arrêt sa condition de gigolo et sa nationalité française qui semble être un défaut majeur. Après avoir cassé la gueule au banquier belge de sa fiancée, qui lui a manqué de respect, Dino est contraint de s’exiler et de passer l’été sur un yacht amarré dans le sud de la France. Mais sur le chemin, une panne de voiture l'oblige à résider quelques jours dans un camping de La Ciotat. Entouré d’une masse de touristes anglais, hollandais et belges, Dino fait la connaissance de Charles, un auteur à succès goncourisé qui s’est mis en tête d’observer les vrais gens afin de nourrir l’intrigue de son prochain roman. Mais au camping de la Naïade, Dino va rapidement constater que les morts suspects s’accumulent et que les victimes ont la fâcheuse tendance à être celles qui l’insupportent.

     

    Qui n'a jamais rêvé parfois de trucider quelques abrutis odieux que l'on ne pouvait plus supporter ? Un rêve que Jacky Schwartzmann a couché sur papier dans ce qui apparaît comme un récit jubilatoire où l'on éprouve une certaine forme de sympathie pour des meurtriers œuvrant dans le cadre d'une mission salutaire de salubrité sociale. C'est bien là que réside toute la force de ce regard féroce et drôle à la fois avec ce terrible sentiment d'empathie qui vous submerge entre deux crises de fous rire en suivant l'exil de Dino, gigolo à son corps défendant, qui se lie d'amitié avec Charles Desservy, un célèbre romancier à succès, en attendant de retrouver les bonnes grâces de sa chère et tendre Lucienne. Un exil prenant rapidement la forme d'un périple meurtrier hilarant au cœur de cette atmosphère estivale d'une Côte d'Azur blindée de touristes avec cette promiscuité infernale propice à tous les excès qui donnent lieu à des scènes aussi cruelles que comiques.  

     

    Rythmé, mordant et très incisif, Pension Complète aborde, au-delà de l'aspect comique, tous les thèmes en lien avec l'apparence et les préjugés dont on ne peut se départir quoique l'on fasse comme Dino va s'en apercevoir, lui qui subit l'avanie d'un entourage suffisant et bouffit d'orgueil au détour de considérations déplacées qu'il ne peut plus supporter. Mais lui-même n'adopte-t-il pas une attitude similaire lorsqu'il se retrouve dans ce camping de la Naïade, bien éloigné de son standing habituel ? Désemparé, Dino trouvera donc une forme d'émancipation et de rédemption salutaire et joyeusement meurtrière en côtoyant cet écrivain dont l'attitude, à la fois décalée et décomplexée, ne manquera pas de nous interloquer au détour d'une succession de règlements de compte désopilants qui peuvent parfois se révéler extrêmement réjouissants.

     

    Méchante farce politiquement incorrecte, Jacky Schwatrzmann parvient à nous interpeller, entre deux éclats de rire, avec un roman noir délicieusement vachard teinté d’un soupçon de bienveillance pour des personnages qui se révèlent bien plus attendrissants qu’il n’y paraît.

     

    Jacky Schwartzmann : Pension Complète. Editions du Seuil/Cadre noir 2018. Points policiers 2019.

    A lire en écoutant : Comme Un Boomerang interprété par Dani & Etienne Daho. Album : La Nuit Ne Dure Pas. 2016 Mercury Music Group.

  • LUC CHOMARAT : LE DERNIER THRILLER NORVEGIEN. PARODIE NORDIQUE.

    Luc Chomarat, le dernier thriller norvégien, la manufacture de livresMode éditoriale propre aux thrillers, c’est bien souvent au terme de ce type de fictions que vous trouverez quelques remerciements où l’auteur s’ingénie à vous démontrer, avec une subtilité plus ou moins affichée, que son récit s’inscrit bien dans la réalité d’un univers qu’il a su capter au gré de connaissances et de références qu’il puise essentiellement sur internet en intégrant au mot près dans son texte, avec une conscience qui l’honore, quelques extraits de la fiche wikipédia qu’il a consultée. Il s’agit bien d’en rire et de traiter le sujet des dérives du monde de l'édition avec la dérision et l’humour qui s’impose comme l’a fait Luc Chomarat avec Le Dernier Thriller Norvégien, roman à la fois détonnant et subtil, nous entraînant dans le tourbillon d’une intrigue délirante où la fiction et la réalité se télescopent pour devenir des perceptions toutes relatives.

     

    A Copenhague, l’éditeur parisien Delafeuille s’apprête à rencontrer Olaf Grundozwkzson, grand maître du thriller nordique,  afin de le convaincre d’intégrer le catalogue de sa maison d’édition et de négocier les droits de traduction de son dernier roman à succès. Confortablement installé dans un luxueux hôtel de la capitale danoise, Delafeuille prend connaissance du manuscrit de l’auteur pour se rendre compte que la fiction devient réalité et qu’il est devenu la proie de l’Esquimau, machiavélique tueur en série sévissant dans la région en démembrant ses victimes qu’il abandonne dans les forêts des environs. Acculé, l’éditeur n’a pas d’autre choix que de poursuivre la lecture du manuscrit afin de connaître l’identité du meurtrier. Mais l’ouvrage disparaît mystérieusement et Delafeuille comprend que l’aide de Sherlock Holmes, séjournant dans le même hôtel, ne sera pas de trop afin de déjouer cet effroyable imbroglio qui prend une tournure inquiétante.

     

    Bien loin du simple pastiche où il se contenterait de démonter les codes qui régissent le genre du thriller, Luc Chomarat construit une intrigue étonnante en entraînant le lecteur dans la mise en abîme de personnages évoluant au gré de la fiction d’un ouvrage qui rythme désormais leur propre réalité avec l’apparition de Sherlock Holmes dont on ne sait plus s’il s’agit du célèbre héros sorti de l’imagination de Conan Doyle où tout simplement de l’incarnation de la réalité de Delafeuille protagoniste central d’un roman complètement loufoque qui nous interpelle sur notre propre perception de l’imaginaire. A partir de là, le récit s’oriente vers une franche partie de rigolade extrêmement rafraîchissante où les situations les plus ubuesques prennent une tournure délirante au gré de dialogues surréalistes. C’est donc au détour de l’absurdité de scènes parfois cocasses que Luc Chomarat égratigne avec cette plume corrosive qui le caractérise, les arcanes du monde littéraire et les travers du thriller. Et tout y passe que ce soit les poncifs les plus éculés que l’on peut imaginer en lien avec le polar nordique dont le titre du roman vous donne déjà un aperçu puisqu’il n’est nullement question de Norvège ou que ce soit les considérations d’éditeurs plus enclin à parler chiffres que lettres. Ainsi on s’amuse de tout avec une multitude de clins d’œil comme les éditions Mirages ou la rencontre des inspecteurs Bjonborg et Willander tout en accompagnant des personnages déboussolés s’étonnant de passer d’un chapitre à l’autre de manière brutale ou d’une scène à l’autre presque comme par magie pour mieux comprendre les mécanismes de l’ellipse. Il en va de même pour l’environnement et l’atmosphère d’un genre extrêmement convenu, que l’auteur s’amuse à décortiquer avec une sagacité pleine d’humour à l’exemple de cette ville de Copenhague prenant soudainement l’allure d’une ville africaine pour mettre en exergue la multitude de clichés que l’on peut trouver dans ce type de romans ou cette soudaine vulgarité dans les échanges entre Holmes et Delafeuille se retrouvant tout d’un coup dans un récit aux allures de hard-boiled.

     

    Avec la finesse d’un humour au service d’un texte d’une belle intelligence nous permettant d’avoir un regard acéré sur un monde de la littérature qui se prend parfois bien trop au sérieux , Luc Chomarat fait exploser, avec Le Dernier Thriller Norvégien, l’univers extrêmement convenu du thriller nordique pour nous entraîner dans la folie d’une intrigue qui ne manquera pas de vous laisser avec un grand sourire, ceci bien longtemps après avoir refermé cet ouvrage détonant. Salutaire et indispensable.

    Luc Chomarat : Le Dernier Thriller Norvégien. La Manufacture de livres 2019.

    A lire en écoutant : Gravity de Hooverphonic. Album : Reflection. Sony Music Entertainment Belgium.

  • JOE MENO : LA CRETE DES DAMNES. BOULE A ZERO.

    joe meno, le crête des damnés, agullo éditionsOk, on ne va pas trop se mentir, le roman dont il est question n’a pas grand chose à voir avec la littérature noire. Pas le moindre crime, même pas le frémissement d’un fait divers ou l’évocation d’une dérive sociale dans cet ouvrage abordant la délicate période d’un adolescent en quête de liberté et d’émancipation au cœur d’une banlieue de South Chicago à la fin de l’année 1990. Tout juste pourra-t-on dire que son auteur, Jo Meno a écrit deux superbes romans noirs aux entournures à la fois poignantes et poétiques, Le Blues De La Harpie (Agullo/Noir 2016) et Prodiges Et Miracles (Agullo/Noir 2018) avant de nous livrer son dernier opus, La Crête Des Damnés, évoquant le thème universel du passage de l’enfance au monde adulte, sur fond d’une bande sonore endiablée où l’on trouvera quelques classiques de groupes punks comme The Clash, The Ramones ou The Misfit, ou de hard rock comme Guns N’Roses, AC/DC ou plus surprenant, un morceau de Chet Backer interprétant Time After Time, un standard de jazz. Une compilation loin d’être exhaustive ne nécessitant pas forcément d’approfondir vos connaissances dans le domaine de la musique punk ou rock, puisqu’il y est surtout question de ces rapports complexes entre adolescents en quête d’amour et d’identité tout en rejetant le conformisme de modèles sociaux dans lesquels ils ne se reconnaissent plus.

     

    Tout ce qui compte pour Brian Oswald, lycéen d’un établissement catholique de South Chicago, c’est d’inviter sa meilleure amie Gretchen, dont il est secrètement amoureux, au bal de promo. Mais comment un adolescent boutonneux et binoclard peut-il s’y prendre afin séduire cette fille un peu enrobée, au look punk destroy, qui n’hésite pas à mettre son poing dans la gueule de toutes personnes qui la contrarie ? C’est d’autant plus difficile que Gretchen en pince pour Tony Degan, un abruti de suprémaciste blanc âgé de 26 ans qui rôde autour du bahut afin de séduire les filles. Sans bagnole, plutôt insignifiant pour ne pas dire looser, Brian va tenter tant bien mal de surmonter toutes ces difficultés et se lancer dans la création de la plus belle compilation cassette-audio de tous les temps afin d’éblouir celle qu’il aime. Parce qu’en 1990, lorsque l’on a à peine 17 ans et des rêves de star du rock plein la tête, tout ce qui compte c’est la musique qui peut vous conduire sur le champs encore inexploré de l’amour. Mais rien n’est gagné d'avance et Brian ne le sait que trop bien.

     

    Roman ultra référencé, rendant hommage à cette période des années ’90 et plus particulièrement à la culture punk, sans que cela soit trop ostentatoire, on appréciera l’énorme travail de traduction d’Estelle Flory pour restituer cette ambiance ainsi que la multitude de références d’une époque imprégnée de culture underground dont on peut prendre la pleine mesure à la lecture de la biographie de Joe Meno, natif de Chicago, tout comme Brian Oswald, personnage central de La Crête des Damnés, affichant sans aucun doute les mêmes passions que son auteur. Rédigé à la première personne, dans un style parlé plein de spontanéité avec ce langage familier qui le caractérise, on découvre ainsi le quotidien presque banal d’un jeune homme évoluant dans une morne banlieue de Chicago. Mais c’est au travers de ces petits riens ou de ces micros événements qui ponctuent la vie de Brian que Joe Meno parvient à transcender ce quotidien insignifiant pour en restituer les enjeux essentiels avec un texte lumineux, bourré d’énergie au détours des scènes truculentes pleines d’humour et d’autodérision. Il y est donc surtout question de rapports humains finement restitués que ce soit lors de ces moments passés avec l’inénarrable Gretchen, cette fille complètement déjantée dont on découvre, au fil du récit, toute la vulnérabilité qu’elle dissimule derrière un look destroy faisant office de bouclier ou lors de ces instants poignants où le naufrage d’un mariage s’achève avec les adieux d’un père laissant à son fils ses rangers auxquelles il tenait tant. Roman d'apprentissage pour un jeune homme en quête de repères et d'émancipation, La Crête Des Damnés n'a pas pour vocation de nous révéler les grands secrets de la vie ou de nous entraîner sur une vague de révolte insensée, bien au contraire, puisque Brian ne désire finalement rien d'autre, parfois en dépit de grandes contradictions, que de s'intégrer dans l'environnement dans lequel il évolue tout en relevant tout de même quelques dysfonctionnements qui le heurte à l'instar de cette discrimination raciale qui règne dans son quartier et dans son lycée. 

     

    Fragment à la fois drôle et émouvant de l'existence d’un adolescent en proie aux doutes sur une douloureuse quête d'amour et dont l'épilogue reste ouvert sur l’incertitude d’une vie qu’il reste à construire, La Crête Des Damnés nous permet ainsi de nous remémorer avec une belle nostalgie ces instants décisifs lors de l’élaboration d’une compilation enregistrée sur une cassette-audio destinée à l’être aimé tout en se réappropriant les souvenirs d’une scène musicale à la fois riche et variée qui ne cessera jamais de nous bousculer. Un roman essentiel.

     

    Joe Meno : La Crête Des Damnés (Hairstyles Of The Damned). Editions Agullo 2019. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Estelle Flory.

    A lire en écoutant : The Magnificent Seven de The Clash. Album : Sandinista ! 2013 Sony Music Entertainment UK Limited.

  • JAMES LEE BURKE : ROBICHEAUX. LE POIDS DU MONDE.

    rivages thriller,james lee burke,robicheauxOn parle souvent de retrouvailles avec un vieil ami lorsque l’on évoque la parution d’un nouveau roman de James Lee Burke mettant en scène le shérif Dave Robicheaux, plus communément surnommé Belle Mèche et dont les aventures nous ont accompagnés durant plusieurs décennies en suivant les investigations de ce légendaire flic de New Ibéria qui devient ainsi la paroisse la plus célèbre de la Louisiane. Une série comptant pas moins de vingt-et-un romans dont certains figurent parmi les monuments de la littérature noire et transcendent les genres comme Prisonniers Du Ciel (Rivages/Thriller 1992) ou Dans La Brume Electrique Avec Les Morts Confédérés (Rivages/Thriller 1994), Purple Can Road (Rivages/Thriller 2007), La Nuit La Plus Longue (Rivages/Thriller 2011) ou Swan Peak (Rivages/Thriller 2012).  Mais comme dans toutes longues relations amicales, on a pu éprouver quelques déceptions à la lecture de certains ouvrages de cette série emblématique en décelant quelques facilités notamment au niveau de l’intrigue à l’exemple de L’Arc-En-Ciel De Verre (Rivages/Thriller 2013) et Créole Belle (Rivages/Thriller 2014) qui m’ont incité à faire l’impasse sur Lumière Du Monde (Rivages/Thriller 2016). Mais après trois ans sans nouvelle, la curiosité l’emporte sur toutes les réserves pour découvrir Robicheaux, nouveau roman de la série dont la sécheresse du titre résonne comme un point final.

     

    Plus vulnérable que jamais, Dave Robicheaux  peine à se remettre de la disparition de Molly, son épouse qui a trouvé la mort lors d’un accident de la route. Pour ne rien arranger, Clete Purcel, son ami de toujours, semble être en délicatesse avec un nervis de la mafia, Fat Tony Nemo et un riche propriétaire de casino, Jimmy Nightingale, en lice pour une candidature au sénat et qui pourrait être impliqué dans la disparition de huit jeunes femmes sur l’espace d’une vingtaine d’années et que l'on a retrouvées mortes du côté de la paroisse de Jeff Davis. Entre colère, solitude et désarroi, Dave Robicheaux  flirte dangereusement avec ses vieux démons qu’il tente de mettre de côté au détour d’une biture carabinée dont il n’a plus guère de souvenirs. Jointures des mains éraflées, contusions sur le crâne et articulations douloureuses, il semblerait que la nuit n’ait pas été de tout repos pour cet homme qui était parvenu à rester sobre depuis tant d’années. Et l’incident pourrait paraître anodin, si l’on n’avait pas retrouvé, au petit matin, le corps du chauffard impliqué dans l’accident de Molly. L’homme a été battu à mort. Se pourrait-il que Dave Robicheaux ait franchi la limite à ne pas dépasser ? Lui-même semble prêt à le croire.

     

    Au terme de la lecture de Robicheaux, on ne peut s’empêcher d’éprouver un sentiment de déjà-vu avec un schéma narratif éprouvé où l’intrigue gravite autour d’un riche propriétaire terrien ambivalent plus ou moins inquiétant, un membre de la pègre atypique se révélant plus dangereux qu’il n’y paraît et un tueur psychopathe dont les exactions vont impacter les membres de la petite communauté de New Ibéria. Si l’on y ajoute l’éternel désarroi de Dave Robicheaux, les peines de cœur de Clete Purcel et même l’apparition de quelques fantômes de soldats confédérés surgissant de la brume de marécages, on comprendra que ce dernier opus répondra aux attentes des aficionados souhaitant retrouver tous les ingrédients qui ont fait le succès de la série. Alors bien sûr il y a le charme de ces opulentes descriptions d’une Louisiane envoûtante et l’enchantement de quelques dialogues percutants qui constituent la marque de fabrique d’un auteur qui ne parvient plus à se renouveler. Le compte n’y est donc pas, même si l’on note ici et là quelques évolutions dans le parcours des personnages qui hantent la série. Tout d’abord la disparition de Molly qui réalimente la détresse de Dave Robicheaux replongeant dans les affres de la boisson avec une mise en abîme qui tourne court puisque l’enjeu, avec un tel personnage légendaire, demeure couru d’avance. On retrouve donc un individu en bout de course, toujours en proie à ses cauchemars, qui tente de lutter du mieux qu’il peut contre les forces du mal. Parce qu’il émerge du texte une dimension spirituelle qui prend de plus en plus d’importance dans l’œuvre de James Lee Burke, l’intrigue prend parfois une tournure étrange au gré des introspections d’un héro tourmenté qui trouverait une certaine forme de réconfort dans les préceptes de la Bible. Bien rôdée, la dynamique entre les différents acteurs récurrents de la série fonctionne toujours afin de pimenter l’intrigue au gré des frasques de Clete Purcel et des commentaires tranchants d’Helen Soileau qui sont toujours au rendez-vous en formant avec ce bon vieux Belle Mèche un trio bancal ne manquant pas de charme, malgré un sentiment d’essoufflement qui imprègne d’ailleurs l’ensemble de l’intrigue tournant autour de Jimmy Nightingale, ce richissime candidat au Sénat et Smiley, cet étrange et inquiétant tueur psychopathe que l'on retrouvera semble-t-il dans le prochaine roman de la série. C'est probablement avec ces deux protagonistes, dont les portraits sont fort bien dressés, que l'on retrouvera un regain d'intérêt pour un récit dont les entournures se révéleront à la fois denses et complexes, mais sans surprises.

     

    A n'en pas douter, Robicheaux comblera donc les fans de la série sans pour autant avoir d'ambition en matière d'intrigue qui tourne désespérément en rond. Cependant, on ne peut s'empêcher d’apprécier la richesse d’une écriture solide et cette extraordinaire atmosphère que l’auteur distille avec un talent indéniable au gré de ses romans qui charmeront tout de même les lecteurs les plus lassés dont je fais partie.

     

    James Lee Burke : Robicheaux (Robicheaux). Rivages/Thriller 2019. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christophe Mercier.

    A lire en écoutant : I’am Coming Home (live) de Clifton Chenier. Album : Live ! Clifton Chenier & The Red Hot Louisanian Band. 1993 Arhoolie Production Inc.