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France - Page 19

  • BENOIT VITKINE : DONBASS. GUERRE OUBLIEE.

     Capture d’écran 2020-05-17 à 16.41.26.pngJournaliste spécialisé dans le domaine des pays de l’ex-URSS, Benoît Vitkine est correspondant au journal Le Monde depuis de nombreuses années et a obtenu en 2019 le prix Albert Londres de la presse écrite pour toute une série d’articles dont quelques portraits de ces combattants du Donbass, une guerre méconnue, quasiment oubliée, qui sévit pourtant depuis 2014 dans l’est de l’Ukraine en opposant l’armée loyaliste ukrainienne aux séparatistes prorusses et dont le bilan fait état de pas moins de 13’000 morts. Parmi ces portraits de vétérans figure celui de Vladimir Vlasenko, un ancien de la guerre d’Afghanistan, qui pensait cultiver tranquillement son potager en Ukraine avant de reprendre les armes pour combattre les séparatistes. Après les reportages, c’est par le biais de la fiction que Benoît Vitkine a choisi de nous faire partager le quotidien d’une guerre qui s’embourbe dans les tréfonds de l’oubli tout en intégrant quelques caractéristiques des combattants qu’il a rencontré lors de ses entretiens dans les personnages qui animent son premier roman intitulé Donbass prenant l’allure d’un thriller sur fond de conflit armé.

     

    A Avdiïdka, dans la région du Donbass, les bombardements journaliers ne troublent plus les habitants qui se sont accoutumés aux affres d’une guerre qui dure depuis quatre ans et dont on en aurait presque oublier les causes. Une terrible routine que le colonel Henrik Kadavadze, chef de la police locale, prend à son compte avec un flegme déconcertant alors que ce conflit s’enlise dans une succession de combats meurtriers touchant aussi bien les soldats que les civils tentant de survivre tant bien que mal dans cet environnement délétère. Mais à la découverte d’un jeune garçon poignardé, tous les membres de la localité s’agitent ainsi que le colonel Kadavadze qui ne va pas se contenter de rester les bras croisés pour découvrir le meurtrier. Ceci d’autant plus que l’on retrouve d’autres petites victimes dont les corps sont disséminés dans les environs de la bourgade.

     

    Crimes en série et enquêteur désabusé, on doit bien admettre que si Donbass présente certains codes du thriller, Benoît Vitkine prend soin de ne pas s’égarer dans les facilités du genre que ce soit au niveau du texte mais également de l’intrigue. Il y a même quelque chose de rafraichissant à lire un tel récit où l’auteur prend bien soin de planter le décor aussi détonant soit-il sans en abuser. C’est d’ailleurs l’une des grandes qualité de ce roman qui s’attarde sur le quotidien de ces habitants laminés par une guerre qui s’éternise et il faut bien reconnaître que l’on perçoit toute la maîtrise d’un auteur qui connaît parfaitement son sujet. Plongée abrupte au coeur de cette région dévastée, le lecteur ne manquera pas de ressentir toute l’atmosphère de cet environnement parfaitement restitué notamment dans le cours du quotidien de ces femmes de tout âge tentant de survivre aux affres des combats et de protéger du mieux qu’elles le peuvent, leur progéniture. Entre résignation et découragement des différents protagonistes, on prend ainsi la mesure des difficultés des civils, mais également des soldats  de chaque faction pour survivre dans un tel cloaque où l’avenir se décline au jour le jour. Personnage central du roman, on suit les pérégrinations du colonel Kadavadze, chef de la police locale et vétéran de la guerre d'Afghanistan qui nous permet de découvrir toute les membres de cette communauté disparate en croisant des chefs mafieux qui tiennent les reliquats  d'une industrie déclinante, des babouchkas usées par les privations et la souffrance, quelques soldats égarés et bien évidemment des officiers de police plus ou moins corrompus. Autant de portraits réalistes dont on devine quelques aspects de leur parcours ou certains traits de caractères que l'auteur a emprunté aux personnes qu'il a croisé lors de ses reportages dans le Donbass. Ainsi l'enquête de Kadavadze devient un prétexte pour découvrir cette belle galerie de personnages évoluant dans cette ambiance si particulière d'une guerre qui s'enlise, même si l'on peut regretter le fait que l'intrigue tournant autour de la disparition des ces jeunes enfants prend parfois un aspect bien trop secondaire nous donnant une impression d'inachevé voire de moins grande maîtrise comme si le journaliste l'avait emporté sur le romancier.

     

    Premier roman de Benoît Vitkine, Donbass nous permet de saisir tous les aspects d'une guerre méconnue sévissant toujours dans cette région perdue à l'est de l'Ukraine tout en nous donnant l'occasion de découvrir, au détour d'une enquêtes somme toute assez classique, toute une série de personnages qu'il sera difficile d'oublier. Renversant.

     

     

    Benoît Vitkine : Donbass. Editions Les Arènes/Equinox 2020.

     

    A lire en écoutant : O, Panno Inno ! De Dakh Daughters. Album : Air. 2019 Dakh Daughters.

  • NOELLE RENAUDE : LES ABATTUS. MURMURES ET RUMEURS.

    Capture d’écran 2020-04-12 à 09.46.40.pngQuel que soit le genre littéraire dans lequel on se cantonne et bien au-delà du fait de lire une quantité astronomique de romans, ce qu’il y a de réjouissant avec la lecture c’est d’être constamment surpris aussi bien par l’intrigue, notamment dans le domaine de la littérature noire, mais également par le style ce qui se révèle bien plus ardu avec cette sensation que tout a été créé dans le domaine et qu’il ne reste guère de possibilités innovantes en matière d’écriture. Pourtant on ne compte plus les voix dissonantes qui nous interpellent et qui nous dérangent parfois en nous sortant de notre zone de confort à l’exemple de James Ellroy (Le Dahlia Noir, Rivages/Noir 1988) ou de David Peace (1974, Rivages/Noir 2002) pour ne citer que quelques exemples emblématiques contemporains qui ont marqué le roman noir. Bien moins médiatisés et probablement moins excessifs, des auteurs comme Andrée A. Michaud (Bondrée, Rivages/Noir 2016), Pierre Pelot (Braves Gens Du Purgatoire, éditions Eloïse d’Ormesson 2019), Eric Plamondon (Taqawan, éditions Quidam 2018), Gilles Sebhan (Cirque Mort, éditions du Rouergue 2019), Kent Wascom (Le Sang Des Cieux, éditions Christian Bourgeois 2013)  ou Frédéric Jaccaud (Hécate, Série Noire 2014) ont également contribué à cette diversité en matière de style avec une écriture à la fois dissonante et surprenante, s’accordant à merveille avec les sujets parfois dérangeants qu’ils abordent au gré de leurs sombres récits. Loin d’être exhaustive, on pourra désormais ajouter à cette liste le nom de Noëlle Renaude, dramaturge française, qui nous livre avec son premier roman noir, Les Abattus, un récit déroutant qui s’articule autour d’un individu étrange dont la vie terne est ponctuée d’une singulière somme de faits divers frappant son entourage.

     

    De 1960 à 1983, dans une petite ville de province, un jeune homme désincarné chronique dans son journal une vie sans fard au sein d’une famille aussi pauvre que dysfonctionnelle. Pourtant à mesure qu’il se raconte, on décèle quelques événements morbides qui ponctuent son existence comme le braquage dans lequel son frère est impliqué ou le meurtre de ses voisins. Et puis il y a ces flics et ces malfrats qui rôdent en se demandant s’il n’est pas en possession du butin que son frère lui aurait confié. Mais indifférent au monde qui l’entoure, le narrateur poursuit une existence morne tout en côtoyant une étrange journaliste qui s’interroge sur ces faits divers jusqu’à ce que qu’elle finisse par être victime d’une noyade. Et puis soudainement, le journal s’interrompt marquant la disparition brutale de celui que son entourage considère tour à tour comme une victime ou un suspect. Mais sait-on seulement s'il y a un lien entre tous ces faits divers ? 

     

    Avec cette chronique d’une France ordinaire, Noëlle Renaude décline une succession de faits divers qui vont survenir dans le cours de la vie de ce personnage désincarné dont on ne connaît ni le nom, ni même le prénom en insufflant au texte ce sentiment d’étrangeté qui contrebalance avec la banalité de cette vie morne, presque déprimante au sein d’une famille frappée durement par la pauvreté dont on découvre toute la panoplie de dysfonctionnements sociaux qui vont avec. En parcourant cette première partie qui se décline sous la forme d’une espèce de journal où le jeune narrateur relate, avec une froideur qui fait frémir, tous les événements qui ponctuent son existence, on ne peut s’empêcher d’éprouver une espèce de fascination pour cet individu dont on ne sait pas vraiment quoi penser. Simple spectateur des faits divers qui frappent son entourage, ou manipulateur machiavélique, tout l’enjeu de l’intrigue réside dans le rôle que joue cet étrange narrateur qui semble totalement dépourvu de sentiment. Avec le regard distant de ce singulier protagoniste, le lecteur découvre cette dichotomie propre au roman noir au moment où la banalité du quotidien est soudainement bousculée par l’impact du fait divers en tentant vainement de faire le lien entre les multiples événements qui jalonnent son existence à l’instar du meurtre sanglant de ses voisins ou du braquage dont son frère est l’instigateur et avec lequel il entretient d’ailleurs des rapports ambigus. Au cours de cette chronique du quotidien, on découvre également les petites veuleries et les petites trahisons de toute une galerie de personnages qui gravitent autour du narrateur avec cette impression de mesquinerie et de secrets dérisoires que chacun d’entre eux semblent détenir et vouloir préserver à tout prix, comme une espèce de bien précieux comme cela semble être le cas avec Max, le beau-père de l’auteur du journal, ou Rachel, cette journaliste énigmatique qui s’acharne à vouloir éclaircir les zones d’ombre du meurtre des voisins du narrateur qui semble être un témoin-clé. 

     

    Avec le décès de la journaliste que l’on retrouve noyée et la disparition soudaine du narrateur, Noëlle Renaude entraîne le lecteur dans une seconde partie qui apporte autant de confusions que de réponses en adoptant le point du vue des différents protagonistes qui ont fréquenté cet étrange jeune homme que tous s’accordent à définir comme refermé sur lui-même. Comme une toile d’araignée savamment élaborée, on découvre ainsi bon nombre d’interactions et de liens surprenants entres plusieurs personnages au gré de certaines interprétations qui se révéleront, pour quelques unes d’entre elles, complètement biaisées. On navigue ainsi toujours dans le doute quant au déroulement des multiples faits divers qui ont marqué certains des protagonistes, ceci d’autant plus que flics et enquêteurs amateurs ne parviennent pas à trouver d’explications au sujet de la disparition du jeune homme et de corrélations entre les multiples événements qui ont jalonné sa vie. Il faut dire que l’on côtoie des femmes et des hommes résolument ordinaires qui n’ont absolument pas le profil d’enquêteurs chevronnés qui seraient dotés de facultés hors norme en matière d’investigation. C’est bien le coup de génie de Noëlle Renaude de faire en sorte que le quotidien, que l’ordinaire reprennent le dessus au détriment de toute velléité de résoudre ces singulières affaires qui sombrent dans l’oubli.

     

    On baigne ainsi dans un environnement glauque et déprimant où la résignation semble être le mot d’ordre qui frappe l’ensemble de protagonistes choisissant de reprendre le banal cours de leur triste existence tandis que dans une troisième partie prenant la forme d’un épilogue, Noëlle Renaude donne la parole aux morts ou plutôt aux fantômes qui vont finalement nous éclairer sur le destin de certains des personnages principaux. En adoptant cette dimension surréaliste, la romancière met ainsi en lumière quelques quiproquos et quelques éléments surprenants qui vont nous permettre d’avoir un vision saisissante sur l’ensemble d’un récit se révélant finalement bien plus terrible qu’il ne le laissait paraître.

     

    Nouvelle voix originale, sortant du registre habituel du roman noir à caractère social, Noëlle Renaude nous livre avec Les Abattus un récit âpre à l’atmosphère à la fois poisseuse et cafardeuse qui s’inscrit dans le quotidien ordinaire d’individus troublants qu’elle met en scène avec un indéniable talent autour d’une succession de faits divers singuliers. Une réussite.

     

    Noëlle Renaude : Les Abattus. Rivages/Noir 2020.

    A lire en écoutant : Les Souvenirs de Léo Ferre. Album : L’Espoir. 1974 Barclay.

  • Frédéric Paulin : La Fabrique De La Terreur. Déflagration sociale.

    frédéric paulin, la fabrique de la terreur, éditions agulloLe dernier roman de Frédéric Paulin fait figure d’événement tant les deux précédents ouvrages ont marqué les esprits en nous dressant un portrait à la fois éclairé et pertinent de la constellation des mouvances terroristes djihadistes dont l’impact marque désormais durablement le monde. Annoncé comme un triptyque, cet examen débutait avec La Guerre Est Une Ruse nous permettant de découvrir un épisode méconnu de la guerre civile en Algérie dans les années 90 et l’exportation du conflit sur le territoire français tout en faisant la connaissance de Tedj Benlazar, agent de la DGSE. Point de bascule de l’univers du terrorisme, Prémices De La Chute dépeignait les origines d’Al-Qaïda, au gré de l’émergence de mouvances du côté de Roubaix puis des brigades islamistes combattant en ex Yougoslavie et en Afghanistan avec comme focus les événements du 11 septembre 2001. Avec La Fabrique De La Terreur, on connaît déjà la fin de l’histoire puisque c’est à partir des attentats du 13 novembre 2015 à Paris que Frédéric Paulin avait pris le parti de répondre à cette fameuse question de savoir comment on en était arrivé à de telles extrémités en rédigeant cette trilogie dantesque où les faits d’actualité s’imbriquent parfaitement dans le cours d’une intrigue où l’on prend plaisir à retrouver Tedj Benlazar et sa compagne Laureline Fell qui a pris du galon au sein des services du renseignement français. Du Printemps Arabe aux tueries de Toulouse et de Montauban, puis de la guerre civile en Libye aux attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher, c’est également l’occasion de prendre  conscience de ce phénomène de radicalisation poussant de jeunes gens à s’engager dans l’armée de Daech pour combattre en Syrie. 

     

    En janvier 2011, Vanessa Benlazar, grand reporter indépendante, se rend en Tunisie pour rapporter les événements de cette révolte du peuple tunisien qui marque le début du printemps arabe. Autour de cette révolution, la jeune journaliste distingue des groupes islamistes tentant de prendre le contrôle du pouvoir que ce soit en Libye avec la chute de Kadhafi puis en Syrie qui sombre dans le chaos tandis qu'une nouvelle organisation prônant la haine de l'occident voit le jour tout en mettant en place des méthodes de recrutement insidieuses pour inciter les jeunes à s'engager dans le djihad. Mutée à Toulouse en tant que responsable de l'antenne régionale de la DCRI, la commissaire Laureline Fell s'interroge de son côté sur les liens de certains individus inquiétants avec des mouvances terroristes à l'instar d'un certain Merah qui a séjourné dans plusieurs pays du Proche-Orient comme l'Irak et l'Afghanistan ainsi qu'au Pakistan. Mais au gré des réformes des services de renseignement français, il n'est guère aisé d'affronter un ennemi qui s'est adapté aux nouvelles technologies afin de retourner la fange d'une jeunesse désemparée qui trouve désormais ses idéaux dans une radicalisation extrême. Reif, le compagnon de Vanessa, désormais professeur au lycée de Lunel en sait quelque chose lui qui observe le comportement hostile de plusieurs de ses élèves ne trouvant plus de sens dans l'enseignement qui leur est dispensé. Une bombe à retardement sociale qu'il va falloir désamorcer coûte que coûte. Mais n'est-il pas déjà trop tard ?

     

    On poursuit donc cette exploration de la terreur en s'intéressant plus particulièrement au climat social qui conduit de nombreux jeunes à se radicaliser pour se rendre en Syrie afin d'intégrer l'armée de Daech. Avec La Fabrique De La Terreur, Frédéric Paulin décortique ce processus de radicalisation en suivant plus particulièrement les parcours de Simon, habitant de Lunel et celui de Wassin qui a vécu l'effervescence de cette révolte du peuple tunisien. On perçoit ainsi le dénominateur commun de l'exclusion sociale qui conduit ces deux jeunes hommes à s'engager dans des causes extrêmes dans lesquelles ils trouveraient enfin une certaine reconnaissance sans vraiment prendre pleinement conscience de s'engouffrer vers un point de non-retour qui n'a rien à voir avec la propagande islamiste présentant cette guerre comme une espèce de jeu vidéo. Le choix de la ville de Lunel, dans laquelle évolue plusieurs protagonistes comme Reif, le professeur décontenancé par l'attitude hostile de certains de ses élèves, n'a rien anodin puisque la cité, classée en zone de sécurité prioritaire, a abrité une filière djihadiste permettant à une vingtaine de jeune de rejoindre les rangs des combattants de Daech. C'est autour de ce phénomène que Frédéric Paulin bâti son intrigue en restituant ce climat délétère qui règne au sein d'une communauté désemparée par le manque de perspectives en étant plus particulièrement plombée par un chômage endémique.

     

    Comme on l'a déjà souligné à la lecture des ouvrages précédents, il faut saluer cette capacité saisissante de Frédéric Paulin à synthétiser une documentation foisonnante sur ce sujet sensible du terrorisme islamiste afin de l'intégrer au fil d'un récit qui se cale parfaitement sur les événements qui ont marqué cette thématique, même s'il faut parfois souligner un concours de circonstances assez exceptionnelle afin que les protagonistes se retrouvent impliqués dans le théâtre des attentats qui ponctuent le roman. Que ce soit les tueries de Montauban et de Toulouse, les attentats de Charlie Hebdo, de l'Hyper Casher ainsi que ceux du 13 novembre 2015 à Paris, Frédéric Paulin a eu le bon goût de ne pas s'attarder sur le déroulement des événements pour mieux se focaliser sur leurs conséquences ainsi que sur les enchaînements qu'observent des journalistes comme l'impétueuse Vanessa Benlazar ou des membres du renseignement français comme Lauréline Fell dont on peut mesurer tout le désarroi à l'aune d'une réorganisation chaotique des différents services qui peinent encore à collaborer. On retrouve donc avec plaisir l'ensemble des personnages qui ont traversé ce triptyque afin d'observer leurs évolutions respectives en nous offrant ainsi une nouvelle dynamique extrêmement bien construite notamment pour tout ce qui a trait aux rapports entre Tedj Benlazar et sa fille Vanessa dont les retrouvailles donnent lieu à un épilogue d'une belle charge émotionnelle qui s'accorde parfaitement avec la trame du récit.

     

    Ainsi La Fabrique De La Terreur conclut avec maestria ce vertigineux et ambitieux portrait de l’univers du terrorisme qui a marqué le monde, et plus particulièrement la France, durant ces trois dernières décennies au gré d’une intrigue au souffle romanesque puissant. Précis et brillant.

     

    Frédéric Paulin : La Fabrique De La Terreur. Editions Agullo 2020.

    A lire en écoutant : Et Si En Plus Y'a Personne d'Alain Souchon. Album : La Vie De Théodore. 2005 – Parlophone Music.

  • Marin Ledun : Les Visages Ecrasés. Mon Ennemi Intérieur.

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    Le noir est une affaire sérieuse qui à la lumière des codes du polar ne se prend jamais au sérieux.

     

    Marin Ledun - Mon Ennemi Intérieur.

     

     

    Romancier, mais également ingénieur en sciences humaines et sociales, Marin Ledun a eu la bonne idée de s’interroger sur les raisons qui l’ont conduit à se lancer dans l’écriture de romans noirs en évoquant son parcours, ses réflexions et ses références au gré d’un remarquable essai à la fois pertinent et synthétique qui prend la forme d’un bel opuscule dont la couverture élégante, ornée d’un visage au regard incisif souligne le titre de l’ouvrage, Mon Ennemi Intérieur. Ce regard incisif, on le retrouve bien évidemment dans le texte qui débute avec cette question essentielle que l’on ne cesse de poser à l’auteur : « Pourquoi écrivez-vous du roman noir ? » avec, de manière sous-jacente, cette espèce de commisération qui émane d’un interlocuteur ayant parfois une piètre estime pour un genre bien trop anxiogène qui ne correspond définitivement pas aux critères des succès commerciaux littéraires tels que les thrillers où les effets prennent davantage le pas sur le fond de l’intrigue. A partir de cette interrogation, Marin Ledun se plaît à décortiquer de manière très subjective et bien loin de tout postulat scientifique, tous les éléments qui marin ledun,mon ennemi intérieur,éditions du petit écart,éditions pointsl’ont mené vers ce qui s’apparente désormais à un véritable métier, écrivain de romans noirs, pour nous livrer une impressionnante mise à nu de sa démarche littéraire. Engagement social, examen sans fard d’une société en crise, Marin Ledun ausculte ainsi les aspects d’un genre qu’il affectionne depuis toujours, ceci aussi bien en tant que lecteur d’écrivains  qui ont influencé ses choix et son travail. L’air de rien, on s’achemine de cette manière sur une définition du roman noir propre au romancier et sur laquelle le lecteur pourra développer ses propres réflexions en prenant en compte les références d'auteurs emblématiques qui ponctuent cet essai. Rien de pontifiant ou de rébarbatif dans ce trop bref ouvrage auquel on agréera sur de nombreux points essentiels tel que le fait que l’on peut concilier divertissement et réflexion autour d’un genre populaire qui ne cesse de s’interroger sur le monde qui nous entoure. Ce qu’il importe également de souligner avec Mon Ennemi Intérieur c’est cette part d’ombre personnelle et professionnelle, notamment au sein de France Telecom, que Marin Ledun évoque avec beaucoup de pudeur et qui explique également, d’une certaine manière, son engagement pour un genre littéraire qui lui convient parfaitement faisant probablement figure de catharsis à l’instar d’un roman tel que Les Visage Ecrasés, ouvrage emblématique de l’auteur qu’il convient d’évoquer alors que la notion de « harcèlement moral institutionnel » a été prise en compte dans le verdict récent du procès France Telecom.

     

    Non loin de Valence, Carole Matthieu officie en tant que médecin du travail au sein d’une entreprise de téléphonie où elle voit passer depuis quelques années des employés à bout de souffle comme Vincent Fournier qui semble faire les frais de réformes et de méthodes de management aberrantes. Incapable de juguler cette épidémie qui frappe le personnel, le docteur Matthieu observe, impuissante, une succession d’hommes et de femmes présentant des formes sévères de dépression quand ce ne sont tout simplement pas des idées suicidaires que les employés évoquent devant la praticienne. Avec une direction sourde à la détresse de son personnel, encourageant d’ailleurs des pratiques managériales délétères, Carole Matthieu ne sait donc plus vers qui se tourner pour dénoncer ces dérives qui déciment les salariés. Mais la doctoresse déterminée et ulcérée va tout mettre en œuvre pour appliquer le traitement adéquat afin de restituer une once de dignité à des individus laminés par leur emploi. Un traitement à l'impact mortel.

     

    Le Couperet (Rivages/Noir 1998) de Donald Westlake évoquait la difficulté d’un demandeur d’emploi à retrouver du travail qui le contraignait à éliminer ses concurrents en vue d’obtenir le poste convoité. Avec Les Visages Ecrasés, Marin Ledun adopte cette même logique béhavioriste extrême au sein d’une entreprise en pleine restructuration qui broie ses employés au grand dam de cette médecin du travail qui ne sait plus vers qui se tourner pour mettre fin à ces méthodes managériales délétères. Chez Donald Westlake il y avait ce cynisme mordant tandis que chez Marin Ledun c’est ce désespoir latent qui imprègne chacune des pages d’un récit qui vous accable littéralement en suivant le parcours de Carole Matthieu, qui prend la forme d’une fuite en avant. Méthode ultime pour restituer la dignité de ses patients et alerter l’opinion public, la solution résiderait donc dans le crime qui devient l’argument définitif, le traitement extrême pour lutter contre les dérives d’une direction et d’une hiérarchie instaurant un climat de travail toxique qu’elles mettent sur le compte de ses employés minés par leurs problèmes personnels qui n’auraient aucun lien avec leur emploi. Marin Ledun passe donc au crible les rapports parfois malsains qui régissent les employés de cette société de téléphonie en passant par les préposés aux appels, surnommés les lignards ce qui n’a rien d’anodin, puis aux cadres de proximité et à la direction tout en mettant en exergue le fait que selon le positionnement hiérarchique qu’ils occupent et l’interlocuteur vers qui ils se tournent, ces hommes et ces femmes endossent le rôle de bourreau ou de victime quand ce ne sont pas tout simplement les deux. Une tragédie humaine qui fait écho à la froideur des rapports médicaux des confrères de Carole Matthieu énumérant les maux de ses patients et qui ponctuent un texte où les sentiments de détresse et d’urgence rythment une intrigue haletante dont l'épilogue à l’impact puissant vous assèche l'esprit avec une mise en abîme terrifiante de cette protagoniste sacrifiée qui a perdu de vue le fait essentiel qu'elle est une salariée comme une autre. Un oubli qui conduit Carole Matthieu à sa perte au terme d'un effroyable parcours.

     

    Ainsi Les Visages Ecrasés devient l’un des romans noirs emblématiques dénonçant les dérives du monde du travail en s’appuyant sur les principes d’un genre que Marin Ledun dépeint avec pertinence dans Mon Ennemi Intérieur en vous donnant, au travers de ces deux ouvrages, une belle vision du potentiel d’une littérature noire résolument engagée. Indispensable.

     

    Marin Ledun : Les Visages Ecrasés. Editions Seuil, Roman Noir 2011.

    Marin Ledun : Mon Ennemi Intérieur. Editions du Petit Ecart 2018.

    A lire en écoutant : Bull In The Heather de  Sonic Youth. Album : Experimental Jet Set, Trash and No Star. 2016 Geffen Records.

  • GILLES SEBHAN : LA FOLIE TRISTAN. LE ROYAUME DES INSENSES.

    gilles seb han,la folie triste,rouergue noirCe qu’il y a de réjouissant avec la littérature noire c’est de se retrouver confronté parfois à des univers à la fois surprenants et dérangeants comme ceux que nous propose Gilles Sebhan, auteur notamment de deux biographies du très contreversé Tony Duvert et du peintre Stéphane Mandelbaum dont l’œuvre provocante réalisée, pour une grande partie, au stylo bille évoque un univers violent de souffrance, de mort et de sexe au détour de portraits et d’autoportraits dissonants et inquiétants. Vivant à la marge de la société, ces deux artistes marginaux ont en commun une mort tragique au terme d’un isolement volontaire pour l’un et d’un crime sordide pour l’autre. Au confin de la folie, Gilles Sebhan s’intéresse donc à cet environnement trouble de l’enfance meurtrie dont on percevait quelques éléments singuliers avec Cirque Mort (Rouergue 2018) mettant en scène le lieutenant Dapper que l’on retrouve dans La Folie Tristan, second opus qui débute là où s’achevait le livre précédent qu’il est d’ailleurs fortement recommandé de lire avant d’entamer ce récit tournant une nouvelle fois autour de ce mystérieux établissement psychiatrique pour enfants d’une petite ville du nord de la France.

     

    Le lieutenant Dapper se remet d’une blessure par balle que lui a infligé le ravisseur de son fils Théo. Après avoir abattu le criminel, l’officier de police est considéré comme un héro qui est parvenu à reconstituer le cadre familial idéal dans lequel il évolue. Mais suite à cet enlèvement, le père s’aperçoit qu’il est incapable de renouer les liens avec son fils qui fait preuve d’un comportement étrange, probablement en lien avec les trois mois de captivité qu’il a subit. Alors qu’il se réfugie dans le travail, le lieutenant Dapper est confronté à un nouvel enlèvement, celui d’une femme qui lui avait fait part de son inquiétude quant au comportement inquiétant d’un homme aux allures martiales, accompagné d’un enfant présentant des déficiences mentales. Un indice qui conduit le policier une nouvelle fois du côté de l’établissement psychiatrique du docteur Tristan pour tenter d’obtenir des réponses auprès du praticien et de ses jeunes internés comme Ilyas, cet enfant troublant qui l’a aidé à retrouver son fils. Des réponses qui vont rejaillir sur son propre passé et le conduire à découvrir les mystères qui entourent son enfance. Dérives et folies vont à nouveau s’abattre sur cette petite ville qui cultive les secrets enfouis des origines.

     

    On ne s’attendait pas vraiment à une suite au terme de Cirque Mort, premier roman policier de Gilles Sebhan qui s’articulait autour de la disparition de Théo et du massacre d’animaux d’un cirque itinérant. Alors que l’on considère souvent le roman policier comme une epèce de remise à l’ordre de la société au terme d’un crime résolu, il est intéressant de constater que tel n’est pas le cas avec un auteur qui nous invite à retrouver cet univers singulier où les retrouvailles d’un père et d’un fils n’ont rien du happy end que l’on s’imaginait au terme du premier opus. Avec La Folie Tristan, Gilles Sebhan s’emploie donc à décortiquer les rapports qui unissent les différents personnages d’un récit qui tourne autour d’une nouvelle affaire d’enlèvement qui n’a rien d’exceptionnel. On regrette même cette intrigue policière plutôt simpliste où apparaît Marlène, une quarantenaire séduisante, au prise avec deux terrifiants ravisseurs. Mais avec Gilles Sebhan, l’essentiel est ailleurs puisque le schéma narratif de cette intrigue policière n’est qu’un prétexte pour mettre en exergue les liens entre les divers protagonistes du récit en se focalisant plus particulièrement sur le lieutenant Dapper et le docteur Tristan qui règne toujours, tel un desposte, sur son petit royaume des insensés comme il se plaît à surnommer ces étranges pensionnaires de l’hôpital psychiatrique qu’il dirige. On retrouve donc avec une certaine délectation cette atmosphère dérangeante qui plane au-dessus de l’ensemble d’un roman qui nous apporte tout un lot de révélations dont on mesurera probablement toutes les conséquences dans un troisième ouvrage, Feu Le Royaume, qui vient de paraître.

     

    Enfance meurtrie tournant autour de la transmission et de la filiation au travers de l’héritage qu’il soit matériel, génétique et psychique, Gilles Sebhan met en avant toute la souffrance et la violence des secrets enfouis qui ne sont pas sans rappeler les parcours de l’écrivain Duvert ou du peintre Mandelbaum dont les allusions affleurent au fil des pages comme ce personnage qui trouve la mort dans des circonstances similaires à celle du dessinateur maudit. Il résulte finalement de La Folie Tristan une confrontation grinçante entre l’univers psychiatrique et le monde policier incarnés par le docteur Tristan pour l’un et le lieutenant Dapper pour l’autre. Et c’est au gré de ces téléscopages entre ces deux entités que l’on peut mesurer la fragilité des certitudes des uns et des autres alors que les enfants endossent paradoxalement un savoir et une sagesse mystérieuse qui dépassent le monde des adultes tentant vainement de décortiquer cette logique enfantine, telle une équation insoluble. C’est particulièrement le cas avec Ilyas, jeune garçon mutique, qui semble doté d’une perpection exacerbée lui permettant de déceler les secrets les plus intimes des individus qu’il croise sur son chemin. Ainsi l’enquête policière prend-t-elle parfois des allures de récit fantastique permettant quelques facilités au niveau de la résolution de l’affaire.

     

    Second opus de ce qui apparaît comme une trilogie qu’il convient de lire dans l’ordre de parution, La Folie Tristan poursuit donc l’exploration de cette enfance dévoyée rejaillissant tragiquement sur la psyché d’adultes qui ne cessent d’expier les fautes de leurs ascendants. Une somme de douleurs et de souffrances, baignant dans un climat dérangeant qui nous interpelle.

     

    Gilles Sebhan : La Folie Tristan. Editions du Rouergue/Noir 2019.

    A lire en écoutant : Tristan de William Sheller. Album : Avatar. 2017 Mercury Music Group.