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France - Page 12

  • Sandrine Collette : On Etait Des Loups. Amour vorace.

    Sandrine Collette, on était des loups, Jean-Claude lattès

    Il y a la nature et la tragédie qui animent depuis toujours les romans de Sandrine Collette pour en faire une des grandes figures de la littérature noire, ceci même si elle a toujours débordé des cases avec une écriture épurée nous entraînant dans les méandres de l'âme humaine avec son cortège de contradictions où la monstruosité des sentiments côtoie la beauté des émotions dans une lutte âpre et sombre, souvent sublimée par l'immensité d'espaces sauvages plutôt hostiles. Intégrant la collection Sueurs froides chez Denoël, la romancière a rapidement fait l'unanimité auprès des lecteurs du genre en obtenant des prix prestigieux comme le Grand Prix de la Littérature Policière pour son premier roman Des Noeuds d'Acier (Denoël/Sueurs froides 2008) ou le Prix Landerneau du polar pour Il Reste La Poussière (Denoël/Sueurs froides 2016). En étant désormais publiée dans la collection blanche des éditions Jean-Claude Lattès depuis trois ans, Sandrine Collette n'a rien changé de ses thèmes de prédilection mais atteint désormais un lectorat plus large comme l'atteste d'ailleurs l'attribution de récompenses littéraires qui ne souffriraient pas de célébrer un ouvrage estampillé dans une collection noire. Et même si elle a de quoi agacer, on connaît le résultat de la démarche, puisque son nouveau roman On Etait Des Loups est désormais auréolé de distinctions issues d'une tout autre catégorie littéraire telles que le Renaudot des lycéens ou le Prix Jean Giono qui font l'éloge d'un roman à la fois sobre et puissant. 

     

    En revenant de sa traque d'un loup qui s'était approché trop près du domaine, Liam se doute bien qu'il s'est passé quelque chose, lorsqu'il se rend compte que son fils Aru ne court pas à sa rencontre comme à l'accoutumée. A proximité de la maison, il découvre les empreintes d'un ours puis le corps lacéré de sa femme sans vie qui est parvenue à protéger son petit garçon de cinq ans encore vivant. Tout un univers qui s'écroule avec la certitude pour Liam qu'un enfant ne peut vivre seul avec son père dans cet environnement sauvage. Bien décidé à confier son fils à son oncle qui habite le bourg lointain, Liam entame un périlleux voyage à dos de cheval en tentant de contenir la détresse qui le submerge. Mais sur un chemin parsemé d'embûches, nul ne peut dire ce qu'il va advenir d'un père désemparé et d'un fils mutique qui semble de plus en plus terrifié par la tournure des événements dont il ne peut saisir le sens. 


    Le rythme lent et régulier du pas des chevaux qui résonnent dans l'immensité d'un paysage sauvage, les allusions au climat qui se détraque avec ces orages d'une tout autre nature ou ce tapis de neige qui se fait moins épais, il n'y a rien d'anodin dans On Etait Des Loups où Sandrine Collette prend soin de nous livrer un texte dépourvu de fioritures pour se concentrer sur l'essentiel d'une relation entre un père et une fils qui se construit dans la douleur d'une femme/d'une mère absente. On adopte ainsi le point de vue de Liam et de son désarroi quant au devenir de son fils qui lui pose un véritable dilemme comme la romancière sait le mettre en scène d'une manière à la fois habile et prenante afin de nous entrainer dans le sillage d'un parcours chaotique et oppressant à l'image de la nature qui entoure les personnages. Il ne s'agit d'ailleurs pas que d'un simple décor, mais du refuge de Liam qui a choisi de fuir la compagnie des hommes afin de se recentrer sur l'essentiel mais en acceptant tout de même la présence de sa femme qui devenait le centre de son univers. Alors que tout s'écroule autour de lui, l'enjeu réside à savoir comment ce misanthrope vivant en autarcie va-t-il tolérer la présence de son fils qu'il juge trop vulnérable pour vivre dans un tel environnement. Mais ne s'agit-il pas d'un prétexte pour se débarrasser d'un poids trop encombrant où l'on décèle malgré tout des liens forts qui le lient à cet enfant dont il ne sait que faire. Tout cela se construit au gré d'un cheminement lent et incertain rythmé par la force de la colère et du désespoir qui se traduit soudainement par une scène dramatique au bord d'un lac désert où le père se heurte une nouvelle fois à la présence trop pesante de son fils. Puis le récit prend une autre allure avec la rencontre d'un vieillard singulier et inquiétant qui tourne à la confrontation en révélant toute la vulnérabilité de Liam. C'est sans doute dans ce registre du suspense et de la tension que Sandrine Collette révèle tout son savoir-faire tandis que la tournure des événements met en lumière la force des liens qui unissent un père à son fils au-delà de toutes considérations pratiques qui sont brutalement balayées par la détresse d'une perte imminente. D'un bout à l'autre du récit, on reste ainsi submergé par le poids des émotions que Sandrine Collette décline avec une belle sobriété pour nous entrainer dans ce périple sauvage et confondant de beauté où les liens du sang se révèlent bien plus forts que tout autre sentiment. Une alliance à la fois sombre et lumineuse pour ce récit d'une force incandescente.

     


    Sandrine Collette : On Etait Des Loups. Editions Jean-Claude Lattès 2022.

    A lire en écoutant : Lost de Coldplay. Album : Viva La Vida. 2008 Parlophone Music Ltd.

     

  • Hervé Prudon : Nadine Mouque. Que dalle.

    Capture d’écran 2022-12-12 à 19.17.10.pngAvec la résurgence de la collection La Noire chez Gallimard en 2019 qui était en pause durant quatorze années, sa nouvelle directrice Marie Caroline Aubert, succédant à Patrick Raynal, nous proposait trois auteurs incarnant parfaitement l'esprit initial de la démarche éditoriale avec des ouvrages naviguant à la limite du genre au gré d'une esthétique littéraire plus affirmée que la thématique sociale. On découvrait ainsi deux nouveautés dont Un Silence Brutal de Ron Rash et Stoneburner de William Gay ainsi que Nadine Mouque, une réédition d'un roman emblématique d'Hervé Prudon qui avait été publié dans la Série Noire en 1995. Outre l'univers désenchanté d'une banlieue parisienne et les personnages déglingués qui y vivent, on retrouve dans cette édition agrémentée de textes manuscrits et de dessins de l'auteur, cette écriture furieuse d'assonances se déclinant dans une rafale de virgules qui vous donne le vertige en faisant d'Hervé Prudon un auteur résolument à part qui se devait d'intégrer cette collection tout comme son camarade Manchette même s'il se distinguait du courant "néo-polar" de l'époque avec des textes déclinant une douleur et un mal de vivre d'une intensité saisissante.

     

    A la cité des Blattes, M'man va faire ses courses et se récolte une balle perdue suite à un règlement de compte entre jeunes. Comme Sissi, elle poursuit son chemin, impériale, un peu abattue et rentre à la maison pour s'affaler sur le divan puis passer l'arme à gauche devant son fils Paul, un vieux garçon paumé et sans emploi qui vit avec elle. Aux Blattes, on n'appelle pas la police, ou une quelconque autorité. Paul remise donc M'man dans sa chambre à coucher et passe sa journée à la fenêtre en distillant sa peine dans un délire éthylique. Mais le soir, en entendant une voix provenant d'un container posé sur la dalle de la cité, Paul va découvrir une jeune femme amnésique qui ressemble étrangement à Hélène, son idole télévisuelle. Cependant, en recueillant cette fille dans son appartement, Paul va s'attirer un certain nombre d'ennuis. Une certaine idée de la femme fatale qui va mettre le feu à la cité. 

     

    Nadine Mouque ! Revenant en permanence, il y a cette interjection arabe que le voisinage hostile se balance à la figure pour devenir un prénom et un nom donnant son titre à ce roman qui nous renvoie vers cet auteur, écorché vif, balançant son mal de vivre dans la noirceur de ses textes aux consonances poisseuses. Hervé Prudon égrène ainsi ses jeux de mots et autres assonances  poétiques dans cette intrigue sordide en suivant le parcours de Paul, ce personnage pathétique qui, avec le décès de sa mère, perd pieds peu à peu au gré de ses envolées éthyliques l'entrainant dans les méandres de cette cité grouillante de cafards où l'urbanisme se décline comme une prison avec ces quatre barres d'immeuble qui bouchent l'horizon. L'univers est forcément glauque à l'instar de ces caves prenant l'allure d'un labyrinthe cauchemardesque ou de ce pavillon de banlieue squatté par des zonards, théâtres des exactions que Paul commet à son corps défendant pour les beaux yeux de cette fille qu'il a trouvée dans un container et que tous les gars de la cité convoitent désormais. Un récit dont la puissance et l'énergie folle monte crescendo, au rythme chaotique d'une intrigue imprégnée d'alcool et des folies qui en découlent dans des imprécations furieuses pour fustiger cet espace urbain sans issue. L'alcool, compagnon maudit de l'auteur, devient ainsi le moteur animant ce personnage tragique débitant son désespoir dans une fuite en avant meurtrière, ponctuée d'éclats d'une violence maladroite à l'image des crimes qui ponctuent ce roman noir débridé. Se débattent ainsi toute une myriade d'individus sans fard, grouillant dans les travées de cette cité des Blattes qui porte bien son nom et dont Hervé Prudon dépeint la vie avec la maestria du désespoir. Nardinamouk !

     

    Hervé Prudon : Nadine Mouque. Editions Gallimard/Collection La Noire 2019.

    A lire en écoutant :  Fan d'Alain Bashung. Album : Live Tour 85. 2018 Barclay.

  • Alain Bagnoud : De La Part Du Vengeur Occulte. L'art de la politique.

    alain bagnoud,de la part du vengeur occulte,bsn pressA la lecture du trio final de la sélection du prix du Polar romand 2022, certains membres du milieu littéraire ont probablement dû s'étrangler en apprenant qu'il s'agissait de trois romans issus de la maison d'éditions BSN Press avec Dans L'Etang De Souffre Et De Feu de Marie-Christine Horn, Les Inexistants de Catherine Rolland et De La Part Du Vengeur Occulte d'Alain Bagnoud qui débarque ainsi dans le monde de la littérature noire en emportant l'adhésion du jury décidant de récompenser ce premier roman policier de l'auteur. Mais certains esprits chagrins, dont je fais partie, ont pu se dire que le jury célèbre une nouvelle fois un primo-romancier du polar au détriment de ceux qui naviguent dans le milieu depuis de nombreuses années sans obtenir de reconnaissance puisque le prix du Polar romand est l'une des rares récompenses célébrant la littérature noire romande. Mais il faut bien admettre qu'à la lecture de ce roman policier se déroulant dans le milieu de l'art à Genève on comprend très rapidement l'adhésion d'un jury probablement séduit par la qualité d'écriture exceptionnelle d'Alain Bagnoud qui fait partie des grandes figures de la littératures romandes et dont on espère qu'il réitérera son incursion dans le milieu du polar. Quoiqu'il en soit, la sélection célèbre également le travail de l'éditeur charismatique de BSN Press, Giuseppe Merrone dont j’imagine la mine réjouie à l’annonce d’un tel résultat. 

     

    A Genève, Jean-Phillipe Meilat est un homme politique d'envergure qui aspire à écrire son autobiographie en vue des prochaines élections. C'est Alexandre, jeune gosthwriter ambitieux,  qui se charge de rédiger l'ouvrage lors d'entretiens réguliers avec le politicien. Mais celui-ci reçoit depuis quelques jours des photos expédiées par un individu mystérieux qui signe ses envois avec la mention : De la part du vengeur occulte. Ne comprenant pas le sens de la démarche, Jean-Philippe Meilat demande à Alexandre de découvrir l'identité de cet étrange expéditeur. L'enquête va entrainer le jeune homme dans le milieu élitiste de l'art contemporain avec sa cohorte d'artistes, collectionneurs et galeristes qui naviguent également dans le monde opaque des affaires et de la politique. Un univers aux codes bien établis sur lequel plane l'ombre de Massimov, un oligarque russe bien établi sur la place de Genève et qui peut se révéler plus dangereux qu'il n'y paraît. De fait, Alexandre ne va pas tarder à se retrouver mêler à deux assassinats qui vont bouleverser son existence bien tranquille.

     

    Outre son activité de romancier et d'enseignant, Alain Bagnoud à créé Blogre, un blog littéraire, tenu par un collectif d'écrivains romands, hébergé sur la même plateforme de la Tribune de Genève que Mon Roman ? Noir et Bien Serré ! Mais c'est sur le site à son nom que l'on trouvera quelques recensions sur les polars où figurent des auteurs tels que Thierry Jonquet, John R. Lansdale, Ed McBain et Ted Lewis pour n'en citer que quelques uns. Ainsi, l'on ne s'étonne plus guère qu'Alain Bagnoud se soit essayé au polar qu'il semble apprécier. Pourtant dans De La Part Du Vengeur Occulte, il faut bien reconnaître qu'Alexandre, personnage central du récit, présente toutes les caractéristiques du héros balzacien, autre passion de l'auteur, en évoluant dans ce microcosme genevois qu'il observe avec une certaine morgue ironique qui se traduit notamment dans les questions savoureuses ponctuant les chapitres du récit en lui conférant ainsi un certain humour acide extrêmement plaisant. Il faut admettre qu'Alain Bagnoud n'a pas son pareil pour saisir en quelques phrases bien senties les différents protagonistes fréquentant ce milieu de l'art contemporain qui a pris ses aises dans le quartier populaire de Plainpalais qui subit cette embourgeoisement avec une floraison de galeries improbables s'agglutinant autour du musée d'art moderne et contemporain. Et puisque l'on se situe à Genève, le récit va immanquablement prendre un tournure financière avec en toile de fond tout le business qui alimente ce marché de l'art plutôt lucratif dont une partie est gérée par quelques oligarques russes qui n'ont rien de fictionnels. On le voit ainsi, Alain Bagnoud restitue avec un regard acéré et extrêmement caustique tout le landerneau genevois dans un récit où l'enjeu se situe à définir qui se cache derrière ce vengeur occulte dont les actions vont également conduire notre jeune enquêteur du côté de la population précaire qui hante les rues genevoises en quête d'abris de fortune. Et puis il y a les crimes qu'il va falloir résoudre et dont on trouvera les réponses en toute fin de récit, au terme d'une enquête qui dépossédera le lecteur de toutes ses illusions quant au milieu politique côtoyant le monde impitoyable des affaires. Des personnages ambivalents à l'instar du magnifique Me Dumont, une intrigue bien orchestrée, pas de doute Alain Bagnoud est un grand auteur de polar.

     

     

    Alain Bagnoud : De La Part Du Vengeur Occulte. Editions BSN Press 2022.

    A lire en écoutant : Star Treatment d'Artic Monkeys. Album : Tranquility Base Hotel & Casino. 2018 Domino Recording Company Ltd.

  • COLIN NIEL : DARWYNE. SORTILEGES DE LA FORET.

    colin niel, darwyne, éditions du rouergueOn connaît Colin Niel avec sa série de romans policiers se déroulant dans le département de la Guyane française en mettant en scène les enquêtes du capitaine Anato et dont le dernier récit, Sur Le Ciel Effondré (Rouergue Noir 2018) avait marqué critiques et lecteurs conquis par ce personnage central aux origines Noirs Marrons sortant de l'ordinaire. Mais Colin Niel s'est également distingué avec des romans noirs à l'instar de Seules Les Bêtes (Rouergue Noir 2017) superbement adapté au cinéma par Dominik Moll et Entre Fauves (Rouergue Noir 2020) dont l'intrigue se déroulait entre les Pyrénées et la Namibie. Outre le télescopage des destins qui anime ses intrigues, l'auteur prend soin d'évoquer, sans jamais être pesant, l'aspect de la thématique de l'écologie émergeant de textes nous entraînant dans des contrées méconnues. De retour en Guyane française, Colin Niel délaissera pourtant le capitane Anato pour nous inviter à découvrir Darwyne, un petit garçon à la personnalité ensorcelante qui semble faire communion avec la forêt environnante qui prend, un nouvelle fois, une place centrale dans ce récit aux accents fantastiques. 

     

    En Guyane française, le bidonville de Bois Sec gagne toujours un peu plus de terrain sur la forêt environnante. C'est donc à l'orée de cette jungle que vit Darwyne Massily, un jeune garçon de dix ans qui doit composer avec un handicap au niveau des pieds suscitant les moqueries de ses camarades qu'il évite soigneusement. Ainsi isolé, il se tourne vers sa mère Yolanda, une femme au caractère fort et d'une beauté à nulle autre pareille qui subjugue les hommes composant la longue liste de beaux-pères perturbant l'existence du jeune garçon en s'installant dans leur petit carbet. Le dernier en date est un colosse se prénommant Johnson qui n'hésite pas à malmener Darwyne. C'est ainsi que surgit Mathurine, une assistante sociale de la protection de l'enfance  à qui l'on a confié un signalement concernant le garçon. Elle succède à une collègue qui a définitivement quitté la région après une première évaluation dont les conclusions apportent davantage de questions que de réponses. 

     

    L'histoire s'articule autour de deux personnages que sont bien évidemment Darwyne qui recherche obstinément l'affection de sa mère Yolanda aussi belle que forte de caractère, mais paraissant éprouver quelques révulsions à l'égard de son fils. L'autre aspect de l'intrigue s'intéresse au parcours de Mathurine, cette femme célibataire qui souhaite avoir un enfant à tout prix en tentant des démarches auprès de médecins spécialisés dans le domaine de procréation assistée. Avec Mathurine c'est l'occasion de voir les difficultés des service sociaux en Guyane et plus particulièrement de la protection de l'enfance mise à mal par la multitude de dossiers en cours, ceci plus particulièrement dans les bidonvilles où la vie est particulièrement difficile comme le dépeint Colin Niel avec beaucoup de justesse par l'entremise de la relation ambivalente entre Yolanda et Darwyne qui survivent tant bien que mal dans leur petit carbet à proximité de la forêt. On apprécie cette écriture expressive mettant en relief le quotidien d'une population précaire en s'intéressant plus particulièrement à ce petit garçon attachant qui semble nouer un rapport complexe avec la forêt. Un endroit prenant, nous permettant de percevoir sa dimension toute particulière à mesure que l'on progresse dans un récit à la fois envoûtant et fantastique où l'auteur exploite d'une manière très mesurée l'aspect des contes et des traditions qui émane de la densité de cette forêt guyanaise devenant l’enjeu principal du roman. L'ensemble nous offre ainsi une intrigue intelligemment construite autour de personnages très réalistes qui vont évoluer dans un registre surprenant qui fonctionne pourtant parfaitement au terme d'un récit trop bref pouvant susciter quelques frustrations tant l'on a apprécié ce roman confirmant tout le talent de Colin Niel pour nous immerger dans des lieux à la beauté improbable qui nous font parfois frémir.

     

    Colin Niel : Darwyne. Editions du Rouergue/Noir 2022.

     

    A lire en écoutant : Démons de Angèle et Damso. Album : Nonante-Cinq La Suite. 2022 Angèle Vl Records.

  • Franck Bouysse : L'Homme Peuplé. Voyage en hiver.

    franck bouysse, l'homme peuplé, albin michelCe n'est certainement pas si anodin que cela si Franck Bouysse met en scène dans L'Homme Peuplé, son dernier roman, un personnage tel que Harry, écrivain en mal d'inspiration après avoir rencontré un succès considérable lors de la parution de son premier roman. Non pas que l'auteur soit en panne d'inspiration, mais qu'en faisant l'objet d'une certaine attention avec la publication de livres tels que Grossir Le Ciel et Né D'Aucune Femme, Franck Bouysse doit désormais composer avec une certaine notoriété pouvant se révéler quelques peu pesante pour un homme aspirant davantage à une certaine discrétion. Il est pourtant bien loin le temps des publications pour de modestes maisons d'éditions alors que ses derniers romans publiés chez Albin Michel font désormais l'objet de grands encarts publicitaires tandis qu'il lui faut honorer de nombreuses rencontres avec un public toujours plus important avide de le côtoyer. Dans un monde de la littérature où le succès fait l'objet de sentiments paradoxaux oscillant entre la satisfaction et la remise en question, il existe donc certainement cette envie ou cette tentation de se mettre en retrait tout comme Harry pour se retrouver au cœur d'un paysage hivernal désolé, dans cet arrière-pays si cher à Franck Bouysse avec cet effet miroir qui devient l'un des moteurs essentiels d'une intrigue se situant à la lisière du fantastique en nous rappelant les romans du regretté Claude Seignolle.

     

    Après avoir rencontré un succès considérable lors de la parution de son premier roman, Harry est désormais en panne d'inspiration ce qui le pousse à s'éloigner de l'agitation de la ville en faisant l'acquisition d'une ferme à proximité d'un village isolé. Emménageant en plein hiver, le romancier doit s'accommoder de la neige et du silence qui enveloppe cette campagne désolée. Des conditions idéales pour l'écriture. Pourtant il y a cette sensation de malaise avec cette impression d'être observé en permanence tandis que des événements étranges se produisent dans le voisinage et plus particulièrement du côté ce corps de ferme où vit Caleb, un guérisseur et un sourcier énigmatique qu'il n'a jamais vu.  A mesure qu'il se familiarise avec les habitants du village, Harry doit composer avec leurs secrets à l'instar de Sofia, cette épicière qui semble dissimuler quelques blessures. Une atmosphère de plus en plus étrange règne ainsi dans cette région rurale où les croyances et superstitions vous font frissonner bien plus que la morsure de cet hiver envoûtant. 

     

    Avec cette mise en abime de Harry, écrivain en quête de solitude pour renouer avec l'inspiration, on ne peut s'empêcher de penser à l'auteur lui-même se mettant en scène dans ce récit où résonne les notes des chants du Winterreise de Schubert contribuant à l'atmosphère à la fois sombre et ensorcelante de cet hiver s'emparant de cette contrée rurale retirée et imprégnée d'étranges phénomènes où les revenants côtoient les vivants. Franck Bouysse, sans livrer tous ses secrets, nous restitue ainsi par la grâce de ses mots qui sonnent toujours juste, quelques mécanismes de l'écriture et de l'imaginaire qui se fracassent au gré d'événements troublants, parfois surnaturels frappant l'existence recluse de Harry cherchant à comprendre le sens de ce qui lui arrive. Il lui faudra donc déterrer quelques secrets que dissimulent les habitants du village et plus particulièrement Sofia qui tient l'un des rares commerces encore ouvert à cette saison. On découvrira les réponses aux interrogations de Harry par le biais des chapitres consacrés à Caleb, le personnage charismatique de L'Homme Peuplé qui outre son travail à la ferme, officie comme guérisseur en n'utilisant ses dons qu'à l'intention des animaux comme s'il redoutait le pouvoir qu'il détient de sa mère dont l'affection se traduit également par une espèce de crainte mutuelle quant aux secrets qu'ils se dissimulent respectivement. Ce sont d'ailleurs toujours ces secrets enfouis qui animent les récits de Franck Bouysse poursuivant l'exploration de cet environnement rural qui lui sied parfaitement. Et puis il y a cette particularité dans la justesse du ton se traduisant notamment dans le rythme de dialogues ciselés qui touchent et séduisent le lecteur. Et pour finir, on appréciera comme toujours la beauté de cette nature qu'il dépeint avec la magnificence d'un texte imprégné de sensations et même de sonorités qui finissent par nous envoûter définitivement au cœur de cette trame aux accents fantastiques baignant dans le berceau des traditions et des superstitions hantant cette campagne désolée qui nous séduit et qui nous intrigue tant.

     

    Franck Bouysse : L'Homme Peuplé. Editions Albin Michel 2022.

    A lire en écoutant : Winterreise de Schubert. Album Dietrich Fischer-Dieskau & Gerald Moore. 1985 Deutsche Grammophon GmbH, Berlin.